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Quelles sont les causes de mortalité du béluga du Saint-Laurent?
Pendant des siècles, le béluga (baleine blanche) de l’estuaire du
Saint-Laurent ne manquait pas d’ennemis. Les communautés des Premières
nations et les pionniers de la Nouvelle-France le chassaient pour son huile,
sa viande et sa peau. Des années 1880 aux années 1950, la chasse commerciale
a été intensive. Des quelque 10 000 individus qu’elle comptait avant la
pratique de la chasse commerciale, la population de bélugas s’est effondrée
et ne compte plus aujourd’hui que 1100 animaux.
La chasse commerciale a pris fin en 1955 et toute forme de chasse a été
totalement interdite à partir de 1979. De nos jours, il est rare
d’apercevoir des prédateurs naturels tels que les épaulards dans le
Saint-Laurent. Selon certaines observations, le requin du Groenland se
nourrirait de carcasses et l’on croit qu’il peut s’attaquer à des bélugas
jeunes, faibles ou malades, mais, selon toute probabilité, il ne constitue
pas une véritable menace. Alors, peut-on s’attendre à un accroissement du
nombre de bélugas ou à un rétablissement de la population pour qu’elle
revienne à quelque 10 000 individus?
« Il n’y a plus de chasse et très peu de prédation, si jamais il y en a »,
déclare Lena Measures, scientifique à l’Institut Maurice-Lamontagne de
Mont-Joli au Québec. « Par contre, il n’y a pas d’accroissement ni de
rétablissement apparents de la population non plus. La question est :
pourquoi? »
Il est possible que le rétablissement soit entravé par la pollution, la
circulation maritime ou les changements environnementaux, lesquels ont un
effet sur l’approvisionnement alimentaire. Toutefois, la dr Measures rajoute
un détail que nous avons tendance à oublier. La médecine humaine est
désormais en mesure de prévenir ou de traiter la plupart de nos maladies et
d’allonger l’espérance de vie jusqu’à environ 85 ans au Canada. Cependant,
pour les animaux sauvages comme les mammifères marins, la maladie est
toujours une des principales causes de mortalité.
« Nos données statistiques sont loin de la perfection, mais elles nous ont
permis de tracer un portrait acceptable des causes de mortalité du béluga du
Saint-Laurent », dit la dr Measures. D’ailleurs, un organisme bénévole
effectue une surveillance des bélugas et signale les cas d’animaux retrouvés
morts, échoués sur les plages. Parfois, la chercheur dissèque elle-même des
baleines, mais ce sont habituellement des personnes engagées à contrat qui
recueillent la carcasse pour en faire une autopsie complète à la Faculté de
médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, en vue de déterminer la
cause du décès.
![Bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent. (Photo : courtoisie de Véronique Lesage, IML)](/web/20071210124757im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/Story/story_images/lawbel.jpg)
Bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent. (Photo : courtoisie de Véronique Lesage, IML)
Pêches et Océans Canada a commencé à faire ce genre d’analyses dans les
années 1980, et a commandé, avec Parcs Canada, plus de 150 autopsies. Les
résultats démontrent que les infections bactériennes et parasitaires sont
responsables de 38 p. 100 des décès. Un autre 15 p. 100 est attribuable aux
cancers, ce qui, tout compte fait, totalise plus de la moitié des morts.
(Pour le reste, certaines causes, comme un traumatisme causé par une
collision avec un bateau, sont identifiables, mais près de 30 p. 100 des
morts sont de raisons inconnues.)
« Nous ne pouvons prouver que la maladie à elle seule empêche le
rétablissement du béluga, mentionne la dr Measures. C’est fort probablement
l’effet combiné des menaces. Par contre, la maladie reste un facteur majeur.
»
Parmi les nombreux parasites du béluga, les strongles pulmonaires sont les
plus dommageables. Un seul animal peut transporter plus de 12 000 minuscules
Halocercus monoceris, lesquels infectent les voies aériennes et peuvent
causer une pneumonie, grave problème pour un animal marin qui respire de
l’air. Un autre minuscule parasite proviendrait du favori des animaux
domestiques : le chat. Le Toxoplasma gondii, parasite monocellulaire,
s’introduirait dans le Saint-Laurent à partir des excréments infectés de
chat, jetés dans le système d’égouts. Ce parasite infecte les tissus du
béluga, et peut en particulier causer la mort des individus jeunes, ou vieux
et malades.
Une bactérie telle que la Brucella marine peut causer des problèmes de
reproduction chez les animaux, pendant qu’une autre bactérie mortelle peut
être présente, prête à frapper. Dans les dernières décennies, le
morbillivirus, responsable d’une forme de distemper, a causé à deux reprises
la mort de plus de 20 000 phoques communs en Europe du Nord. Il a aussi
décimé une population de phoques moines en voie de disparition dans la
Méditerranée et réduit une population de dauphins à gros nez de la zone
côtière du nord-est des États-Unis.
Dans l’écosystème du Saint-Laurent, le morbillivirus représente toujours une
énigme. On le trouve dans toutes les espèces de phoques du Canada, comme l’a
révélé la présence d’anticorps dans leur sang. Toutefois, il cause peu de
mortalité, ce qui donne à penser que les phoques s’y sont immunisés.
Bien que les bélugas partagent le Saint-Laurent avec les phoques, ils n’ont
pas d’anticorps contre ce virus dans leur sang. Par conséquent, personne ne
sait si les belugas ont acquis une certaine forme d’immunité ou s’ils
risquent une infection et peut-être une épidémie dévastatrice. Dans un tel
cas, « il n’y aurait pas grand-chose à faire, dit la dr Measures.
L’administration d’un vaccin, comme on le fait avec les chiens, serait
impossible pour des animaux sauvages tels que les bélugas. »
Malgré l’absence de liens de causalité prouvés, les cancers observés chez
les bélugas morts pourraient provenir de l’exposition aux contaminants
chimiques des déchets des municipalités, des industries et du secteur
agricole, déchargés dans l’écosystème du Saint-Laurent par plus de 5
millions d’humains en bordure du fleuve. La pollution atmosphérique de
sources éloignées s’infiltre également dans le fleuve. Des contaminants
peuvent aussi affaiblir le système immunitaire et rendre les baleines plus
sensibles aux infections parasitaires et bactériennes.
Le gouvernement canadien a proscrit l’utilisation de certains contaminants,
dont les BPC et le DDT. Cependant, de nombreux autres, dont des substances
chimiques nouvelles, se trouvent toujours dans le Saint-Laurent. Des traces
d’ignifugeants, nommés EDP, présents dans beaucoup de matériaux domestiques,
ont récemment été trouvées dans des tissus de bélugas, et leurs
concentrations augmentent rapidement (une réglementation sera bientôt mise
en place).
Des recherches récentes ont démontré que les bélugas vivent beaucoup plus
vieux que ce que l’on croyait auparavant. Les chercheurs déterminent l’âge
des individus en comptant les couches de croissance qui se déposent sur
leurs dents environ deux fois par année, croyaient-ils. Toutefois, une
recherche approfondie de Pêches et Océans Canada a démontré que les couches
se déposent une fois l’an. Cela signifie donc que certains bélugas peuvent
vivre plus de 80 ans. Cette longévité pourrait expliquer les causes de
l’accumulation de certains contaminants, mais aussi pourquoi les maladies
chroniques ou liées à l’âge telles que le cancer, comme pour les humains,
jouent un rôle important dans cette population.
![Autopsie en cours à l’Université de Montréal (Photo : courtoisie de Dr Lena Measures)](/web/20071210124757im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/Story/story_images/necropsybal.jpg)
Autopsie en cours à l’Université de Montréal (Photo : courtoisie de Dr Lena Measures)
Pour les bélugas, la plus grave de toutes les menaces proviendrait des
changements climatiques. D’anciens prédateurs pourraient revenir dans le
Saint-Laurent. Actuellement, les bélugas peuvent fuir sous la glace pour
échapper aux épaulards, dont la nageoire dorsale les empêche de suivre leur
proie. Les changements climatiques risquent de supprimer ce refuge vital que
constitue la glace. Ces changements pourraient aussi avoir un effet sur
l’approvisionnement alimentaire des bélugas en modifiant les conditions
océanographiques et donner l’avantage à de nouveaux compétiteurs qui seront
peut-être porteurs de nouvelles maladies.
Y a-t-il des bonnes nouvelles pour les bélugas? « Certainement, dit la dr
Measures. Les gouvernements adoptent actuellement l’approche de précaution1.
Ils ont réglementé de nombreux contaminants et en suivent d’autres de près.
L’habitat estival du béluga, au confluent du Saguenay et de l’estuaire du
Saint-Laurent, est protégé par un parc marin, et il y a eu une proposition
d’aire marine protégée, laquelle permettrait une meilleure sauvegarde du
milieu biologique marin. »
« Le béluga du Saint-Laurent est toujours menacé. Cependant, il s’est très
bien débrouillé. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour maintenir
la population stable, à tout le moins, et éliminer les nouveaux obstacles à
son rétablissement, ce qui peut prendre de nombreuses années. »
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