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Que réserve l’avenir au crabe des neiges?
Le crabe des neiges, qui alimente l’une des pêches les plus lucratives au
Canada atlantique, constitue le gagne-pain de milliers d’habitants de cette
région. Mais comment cette ressource est-elle protégée afin de garantir que
les prises continueront d’être bonnes?
De nombreuses mesures réglementaires s’appliquent à cette nouvelle pêche,
qui a débuté il y a environ quarante ans, notamment des quotas et des
saisons. Mais un facteur en particulier a façonné la gestion de la pêche la
protection des femelles.
Les femelles adultes sont de plus petite taille que les mâles. Le ministère
des Pêches et des Océans (MPO) établit des limites de taille et exige que le
maillage des casiers à crabes soit assez grand pour que la plupart des
femelles adultes puissent s’évader. Les pêcheurs doivent en outre remettre à
l’eau, à l’état vivant, les femelles qui n’ont pu s’évader.
![Crabes pris dans les mailles d’un casier. (Photo du MPO gracieusement fournie par Denise Charron)](/web/20071210125459im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/Story/story_images/snow_crab_1.jpg)
Crabes pris dans les mailles d’un casier.
L’hypothèse veut que tant les femelles reproductrices restent abondantes,
même un nombre réduit de mâles peuvent en féconder un nombre suffisant pour
maintenir le stock abondant. Et de fait, dans le cas de nombreuses espèces
pêchées, relativement peu de mâles peuvent féconder un nombre énorme d’œufs.
Mais est-ce vraiment le cas du crabe des neiges? Bernard Sainte-Marie, un
chercheur du MPO qui travaille à l’Institut Maurice-Lamontagne (IML), à
Mont-Joli, (Québec), conteste l’hypothèse courante. Ses expériences ont
révélé des faits nouveaux et soulevé de nouvelles questions au sujet de la
reproduction du crabe des neiges.
Ce n’est pas la première fois que M. Sainte-Marie met en question des idées
reçues. Il était généralement tenu que, dans l’ensemble, la pression exercée
par la pêche régulait les populations de crabe. Il suffisait donc de
relâcher cette pression pour que le crabe se multiplie. Mais M. Sainte-Marie
a aidé à établir que cela n’était pas tout à fait le cas. Les stocks de
crabe des neiges connaissent des cycles inhérents marqués à la hausse et à
la baisse, et cela environ tous les 8 à 10 ans. La pression exercée par la
pêche ne fait qu’aggraver le fléchissement de l’abondance de la ressource.
M. Sainte-Marie comptait également parmi les scientifiques qui ont confirmé
l’existence d’une « mue terminale » chez le crabe des neiges. Certains
crustacés, comme le homard, se dépouillent périodiquement de leur carapace
et en constituent une nouvelle tout au long de leur vie, un processus appelé
mue. Mais le crabe des neiges cesse de muer après avoir atteint la maturité.
Cette découverte, reconnue au début des années 1990, a changé le fondement
biologique de la gestion de la pêche de ce crustacé.
Les travaux de M. Sainte-Marie ont aussi permis d’éclaircir d’autres aspects
de la biologie du crabe des neiges. Les travaux qu’il mène actuellement sur
la reproduction de l’espèce visent à trouver réponse à la question à savoir
à savoir si la pêche, si elle cible les gros mâles adultes de façon trop
énergique, ce qui perturbe gravement l’équilibre entre les mâles et les
femelles, nuit à la viabilité d’un stock.
Pour répondre à cette question, il faut faire une étude approfondie du
comportement d’accouplement de l’espèce. M. Sainte-Marie et quelques-uns de
ses collègues, notamment Jean-Marie Sévigny, François Hazel et Hélène
Dionne, de l’IML, et plusieurs étudiants diplômés, étudient le crabe des
neiges dans son milieu naturel, soit en faisant des plongées sur les fonds
qu’il fréquente ou en utilisant une caméra vidéo sous-marine. Ces chercheurs
capturent également des crabes, qu’ils mettent dans de grands bassins et des
aquariums à l’IML pour pouvoir les observer à long terme à l’aide de caméras
vidéo.
L’accouplement du crabe des neiges peut prendre des jours, voire des
semaines. La femelle secrète un attractif sexuel (phéromone) pour attirer un
mâle, qui la protège contre la prédation. Il se défend aussi contre ses
rivaux lorsqu’ils tentent de l’attaquer et de le déloger. Lors de
l’accouplement, le mâle embrasse la femelle à moitié avec ses pattes et la
tient sous lui, puis libère son sperme dans son tractus reproducteur. La
femelle pond ses oeufs peu après. Les oeufs, qui sont fécondés lors de la
ponte, s’attachent sous l’abdomen de la femelle, où ils sont incubés jusqu’à
l’émergence des larves, parfois pendant un an ou deux.
Le mâle s’accouple typiquement avec plusieurs femelles, l’une après l’autre,
alors que la femelle peut être réceptive à d’autres mâles, chacun la
protégeant pendant une brève période. Malgré la panoplie de partenaires, la
sélection naturelle est à l’œuvre.
M. Sainte-Marie a aussi établi que les gros mâles préfèrent les grosses
femelles car elles portent un plus grand nombre d’œufs, ce qui leur donne
plus de chances de transmettre leur bagage génétique.
De même, les femelles semblent préférer les gros mâles, qui peuvent mieux
les protéger durant l’époque d’accouplement et peut-être produire un sperme
qui leur assurera une progéniture plus vigoureuse. Mais comment les
femelles, plus faibles, peuvent-elles choisir parmi les mâles?
Une femelle, par son comportement, peut tenter de s’accoupler avec certains
mâles, ce qui leur permet de se protéger dans une certaine mesure contre les
mâles indésirables. Les femelles peuvent grimper l’une sur l’autre pour
former une pile, ce qui effraie les mâles. Lors d’une expérience en
laboratoire, M. Sainte-Marie a donné la chance à des femelles de se
dissimuler derrière une petite porte. Celles qui voulaient s’accoupler ont
révélé leur présence lorsqu’elles y étaient prêtes. D’autres, qui avaient
déjà des réserves de sperme, sont restées dissimulées derrière la porte.
Si un mâle indésirable tente de s’accoupler avec une femelle, elle peut lui
résister ou tenter de s’échapper. « Mais cela peut être dangereux, selon M.
Sainte-Marie, car le mâle peut la démembrer. »
Même si un mâle indésirable dépose son sperme dans le tractus reproducteur
d’une femelle, celle-ci peut encore avoir le dernier mot quant à la
paternité pour ses oeufs car elle peut entreposer plusieurs contenants de
sperme dans son tractus reproducteur. En règle générale, la femelle
utilisera le sperme du dernier mâle avec qui elle s’est accouplée pour
féconder ses oeufs.
Mais après avoir libéré cette ponte, la femelle peut porter les autres
contenants de sperme pendant plusieurs années. Par des moyens chimiques,
elle peut choisir celui qu’elle préfère pour féconder les pontes suivantes
sans à avoir à s’accoupler à nouveau. Cette forme étonnante de choix d’un
père inconnu existe ailleurs dans le royaume animal, et les travaux de
Bernard Sainte-Marie donnent à penser que cela peut se produire également
chez le crabe des neiges.
![Un mâle et une femelle en train de s’accoupler. (Photo gracieusement fournie par Thierry Gosselin, étudiant diplôme de l’Université du Québec à Rimouski)](/web/20071210125459im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/Story/story_images/snow_crab_2.jpg)
Un mâle et une femelle en train de s’accoupler. (Photo gracieusement
fournie par Thierry Gosselin, étudiant diplôme de l’Université du Québec à
Rimouski)
Alors, à la lumière de la complexité de la reproduction chez le crabe des
neiges, que se produit-il si la pêche réduit trop le nombre de gros mâles?
Lorsque ce chercheur a fait cela en laboratoire à l’IML, les femelles ont
changé sans arrêt de partenaire, ce qui a accru leur risque de se blesser et
de périr par prédation. Le moment de leur réceptivité aux mâles a changé
aussi, ce qui pose des risques pour la viabilité des oeufs et des larves.
Résultat encore plus important, le peu de mâles qui restaient ont tenté de
féconder plus de femelles, ce qui a eu plusieurs conséquences. Le sperme mis
en réserve par les femelles est devenu moins diversifié sur le plan
génétique. Parce que les mâles passaient moins de temps avec chacune
d’elles, les femelles n’ont pas été aussi bien protégées des blessures. Et
comme les mâles ont donné moins de sperme à chaque femelle ou ont ignoré les
plus petites, les chances de production d’œufs fécondés ont dégringolé.
Sans vouloir mettre en question la pêche sélective des gros mâles, les
travaux de M Sainte-Marie soulèvent de graves questions au sujet de cette
pratique.
« Je ne voudrais pas paraître alarmiste, a-t-il déclaré, mais dans le
royaume animal, tout dépend d’une reproduction fructueuse. Et dans le cas du
crabe des neiges, nous perturbons un cycle de vie sophistiqué que nous ne
comprenons pas très bien. »
Bernard Sainte-Marie signale une autre possibilité : que la pêche des gros
mâles peut désaxer la reproduction en faveur des petits individus et amener
les mâles à atteindre la maturité à une plus petite taille, tout comme la
chasse au mouflon d’Amérique, un gibier trophée, a produit des populations
de mouflon de plus petite taille.
« La diversité et un grand choix de partenaires sont importants chez
d’autres espèces, a ajouté M. Sainte-Marie. Nous devrions donc faire
attention de ne pas affaiblir le patrimoine génétique du crabe des neiges.
Et si nous voulons gérer cette ressource en fonction de demain, nous devons
établir aujourd’hui autant des conséquences de nos actions que cela est
possible. »
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