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Photo d'une femme enceinte Le risque n'en vaut pas la peine… Les effets de l'alcoolisation fœtale
 
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Boutons de tournesols sauvages

Photo de Cleo et Collette
Cleo (gauche), 6 ans, Colette, 4 ans (droite)

J'étais sereinement indépendant et heureux avant de te connaître, Certes, je pourrais l'être à nouveau, et pourtant...

Dans la comédie musicale My Fair Lady (adaptée de Pygmalion, une pièce de Bernard Shaw), le professeur Henry Higgins tente de faire une lady d'Eliza Doolittle, vendeuse de fleurs. Ce faisant, sa propre personnalité se transforme, petit à petit. De la même façon, mon mari Brian et moi n'avions aucune idée de l'impact que nos filles adoptives (elles n'ont aucun lien de parenté entre elles) auraient sur nous.

Lorsque Cleo (25 ans) et Colette (23 ans) étaient petites, je les voyais comme des « petits boutons de tournesols sauvages », vous savez ces petites pousses claires et solides qui pointent le nez sous la mangeoire à oiseaux au printemps? Seraient-elles grandes ou petites? Pourraient-elles s'épanouir? Chose certaine, leur petit air espiègle les rendait irrésistibles.

C'est à deux ans et huis mois que Cleo entra dans nos vies. Elle était blonde, un peu rondelette et ressemblait à un ange avec de grands yeux bleus pétillants. Elle était en foyer d'accueil depuis l'âge de trois mois. Ses expressions préférées étaient « moi capable » et « moi veux balancer ». Dans l'année qui a suivi, j'ai bien cru perdre les deux bras à force de la pousser sur chaque balançoire qu'elle apercevait.

Trois ans plus tard, nous avons adopté Colette. Elle avait trois ans et avait l'air d'un vrai petit garçon manqué avec ses cheveux frisés blonds, son petit nez retroussé, ses yeux noisette et un sourire carrément irrésistible. Si, par malheur, elle mettait la main sur une Barbie, c'était pour lui arracher la tête et utiliser le corps de la poupée dans la baignoire pour pêcher les baleines. Nous avons passé bien des heures à l'urgence pour faire rafistoler notre Colette qui se retrouvait sans cesse dans des situations fâcheuses.

La vie était amusante, quoique trépidante par moment, jusqu'au jour où Cleo et Colette ont commencé l'école. C'est avec consternation que nous nous sommes rendu compte que nos filles, pourtant intelligentes et curieuses, n'arrivaient pas à apprendre à lire. Nous avons assisté, impuissants et le c?ur brisé, au retard qu'elles prenaient de jour en jour sur les autres et, petit à petit, à la dégringolade de leur amour-propre. Notre Cleo, qui était extravertie et toujours prête à blaguer est devenue timide et craintive; elle s'est complètement repliée sur elle-même. Pour sa part, Colette a réglé le problème en fréquentant un groupe de durs.

Nous avons essayé de peine et de misère d'obtenir de l'aide pour nos filles, mais notre chemin était jonché d'obstacles. Il fallait d'abord les faire évaluer pour déterminer si elles souffraient d'un trouble d'apprentissage. Un an s'est écoulé avant que l'on puisse voir le psychoéducateur du conseil scolaire. Il a fallu attendre son rapport, et ensuite s'armer de patience pour qu'on établisse un « CIPR », (qui sait ce que cet acronyme signifie?), ailleurs on l'appelle le « PEI » (Programme d'enseignement individualisé). Cela fait, notre nom a été placé sur une liste d'attente en vue d'obtenir de l'aide pour l'enfance en difficulté.

En septembre, Cleo a été placée une demi-journée dans une classe de troisième année pour élèves en difficulté. Colette n'a reçu aucune aide conséquente avant la cinquième année. À l'école, on interdisait l'enseignement de la phonétique étant donné que le système scolaire de l'Ontario préconisait la « méthode globale », soit l'apprentissage de la lecture par la mémorisation de mots entiers. Les enseignants tentaient de nous décourager d'enseigner la phonétique à nos enfants. Et pourtant, tous les tests psychopédagogiques subis par nos filles avaient bien démontré que leur mémoire à court terme était défaillante. En bout de ligne, elles se sont débrouillées toutes seules. Cleo a appris à lire au cours de l'été qui a précédé sa deuxième année. Colette, elle a appris à lire lors de son voyage à la Jamaïque en sixième année. Comme il n'y avait pas de téléviseur, elle avait apporté toute une série de romans mystères qui appartenaient à sa s?ur et qu'elle s'était sommée de déchiffrer.

À l'adolescence, d'autres problèmes se sont manifestés. Cleo avait maintenant 16 ans. Elle était malheureuse; elle ne comprenait pas pourquoi elle n'arrivait pas à faire face aux problèmes qui se présentaient à l'école ni à se concentrer sur ses travaux scolaires. Elle s'était fait de nouveaux amis, elle était amoureuse d'un gentil garçon qui l'encourageait, elle n'avait aucune raison d'être démoralisée. Je savais que ses parents naturels avaient souffert de troubles mentaux. Je l'ai donc fait évaluer à une clinique psychiatrique pour adolescents, où l'on a diagnostiqué une dépression grave. Les médecins ont essayé pendant trois ans de trouver la bonne dose d'antidépresseurs pour l'aider à combattre sa dépression chronique qui empirait l'hiver en raison de troubles affectifs saisonniers. Avant ses 18 ans, on a diagnostiqué un trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité.

Les difficultés d'apprentissage de Colette ont occasionné un comportement incohérent qui nous a menés dans de nombreux bureaux de psychiatres et de travailleurs sociaux, en passant par le système judiciaire, pour enfin terminer deux ans dans un centre de traitement à demeure pour adolescents souffrant de troubles affectifs. Juste avant ses 18 ans, j'ai vu une émission de télévision qui parlait des effets de l'alcool sur le f?tus (EAF), maintenant connus sous le nom de trouble neurologique du développement lié à l'alcool (TNDLA). J'ai tout de suite fait le lien entre les troubles d'apprentissage de Colette, ses problèmes de comportement et ses dépendances avec le fait que sa mère naturelle avait consommé de l'alcool pendant sa grossesse. Nous avons appris par la suite qu'aucune aide n'était disponible pour les adolescents et les adultes qui souffraient d'un tel trouble en Ontario. C'est pourtant ici qu'habite le tiers de la population canadienne. Les chercheurs estiment à environ 300 000 le nombre de Canadiennes et Canadiens atteints de l'ensemble des syndromes d'alcoolisation f?tale, terme générique qui englobe le trouble neurologique du développement lié à l'alcool (TNDLA), le syndrome d'alcoolisation f?tale (SAF), le syndrome d'alcoolisation f?tale partiel (SAFp) et les autres anomalies congénitales liées à l'alcool.

La plupart des Canadiennes et Canadiens qui souffrent d'un de ces syndromes ne le savent pas. Bon nombre de recherches indiquent que ces personnes risquent de souffrir également de troubles secondaires (abandon scolaire, dépendances, pauvreté, chômage et démêlés avec la justice). Ces troubles secondaires se manifestent dans les cas non diagnostiqués car ces personnes n'obtiennent pas le soutien de leur famille, de l'école et de la collectivité dont elles ont tant besoin.

Lorsque nous avons adopté nos boutons de tournesols, nous n'avions aucune idée des problèmes qui allaient menacer leur vie et de la lutte que nous serions obligés de mener en leur nom. Nous ignorions également de quelle façon notre société traitait les enfants qui souffrent de déficiences invisibles ainsi que leurs parents.

Nos deux filles méritaient mieux et davantage des systèmes de santé et d'éducation et des services sociaux. Cleo continue de se battre malgré ses troubles d'apprentissage, son trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité et son syndrome d'alcoolisation f?tale. Elle a réussi à terminer l'école secondaire avec beaucoup d'aide des services offerts à l'enfance en difficulté. En connaissant ses antécédents familiaux de troubles mentaux, nous avons pu obtenir un diagnostic dans les semaines qui ont suivi sa première dépression, et c'est probablement ce qui lui a sauvé la vie.

Si nous avions su dès le début que Colette était à risque de souffrir des effets de l'alcoolisation f?tale, nous aurions peut-être pu prévenir ou atténuer quelques-uns de ses problèmes d'apprentissage et de comportement. Au lieu de l'aider, les enseignants lui ont dit de redoubler d'efforts. Les thérapeutes nous ont conseillé d'améliorer nos compétences parentales, malgré le fait qu'il était évident que nous avions travaillé très fort à établir une relation solide, enrichissante et aimante avec nos filles. Colette, qui a maintenant 23 ans, vit de l'aide sociale et a deux enfants d'âge préscolaire. Nous lui sommes reconnaissants de ne pas avoir consommé d'alcool pendant ses grossesses. Elle fait de gros efforts pour être une maman exemplaire. Contrairement à bien d'autres jeunes filles qui n'ont pas été diagnostiquées, elle ne vit pas dans la rue, ne consomme ni drogue ni alcool, et n'a aucun démêlé avec la justice.

Comme le dit si bien la chanson, Brian et moi étions « sereinement indépendants et heureux » avant de faire la connaissance de nos filles. Nous pensions que l'amour sans condition et une éducation de classe moyenne suffisaient pour élever un enfant. Aujourd'hui, lorsque nous voyons des sans-abris ou lisons des histoires dans les journaux sur des adolescents ou des adultes qui ont commis des crimes stupéfiants ou horribles, nous ne les jugeons pas. Nous savons que la plupart de ces personnes luttent contre des déficiences invisibles qui sont aggravées par la vie au sein d'une famille dysfonctionnelle et d'une société qui ne se soucie pas de leur sort.

Nos filles nous ont apporté joie, amour, peine et anxiété... mais aussi gratitude. Nous sommes heureux d'avoir pu partager leur vie, heureux d'avoir pu nous battre pour elles, heureux d'avoir eu l'occasion de rencontrer des centaines de personnes formidables que nous n'aurions jamais connues autrement. Au cours des vingt dernières années, nos fillettes espiègles se sont transformées en jolies jeunes femmes. C'est avec fierté, mais aussi avec tristesse, que nous les regardons lutter tous les jours, vaillamment, contre leurs déficiences invisibles. Leur détermination nous encourage à continuer à nous battre, non seulement pour elles, mais pour tous les enfants et adultes qui ont des difficultés d'apprentissage et des problèmes de santé mentale.

En soignant nos boutons de tournesols chétifs, mais résolus, il se peut fort bien que ce soit Brian et moi qui, en bout de ligne, en ayons profité le plus.

 
  Publié le 31 août 2004
  BulletJournaliste à Toronto, Bonnie Buxton a récemment terminé son livre Damaged Angels sur l'ensemble des syndromes d'alcoolisation f?tale. Bonnie et son mari Brian Philcox sont les co-fondateurs de la Journée internationale de sensibilisation au SAF, célébrée le 9 septembre; directeurs de FASworld Toronto, organisme de soutien et d'information et co-fondateurs de FASworld Canada, l'organisme pancanadien pour parents, professionnels et particuliers vivant avec un des syndromes d'alcoolisation f?tale. Vous pouvez communiquer avec Bonnie à ogrady@axxent.ca ou à FASworld Canada au 416-465-7766, fasworldcanada@rogers.com.

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