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![]() Examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristesMémoire au Comité sénatorial permanent des banques et du commerceLe 21 juin 2006 Jennifer Stoddart IntroductionLe Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a été chargé d’examiner la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17) en vertu de l’article 72 de la Loi. Selon cet article, la Loi doit être examinée par un comité parlementaire dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur, et un rapport définissant les modifications souhaitables doit ensuite être déposé au Parlement. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada s’est intéressé de très près à la Loi ainsi qu’au régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Lorsque l’ancien commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce en juin 2000, afin de commenter le projet de loi C-22, Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, il a soulevé deux questions :
Bien qu’à cette époque, le gouvernement ait jugé qu’une législation était nécessaire, nous croyons qu’il demeure important de s’interroger sur la possibilité d’en atténuer les répercussions sur la protection de la vie privée. Après l’adoption du projet de loi C‑22, le projet de loi C‑36, Loi antiterroriste, a ensuite mené à l’accroissement de la portée de la Loi (et à un changement de nom de la Loi) ainsi qu’à l’inclusion de dispositions sur le financement des activités terroristes. Il appert que d’autres modifications font actuellement l’objet d’un examen. En juin 2005, le ministère des Finances a communiqué un document de consultation intitulé « Améliorer le régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes ». Nous pensons, selon les rapports de médias et les observations que divers fonctionnaires ont communiquées au Comité, que certains changements présentés dans le document de consultation, ou peut‑être même la totalité de ceux‑ci, seront adoptés à titre de modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et au Règlement élaboré en vertu de cette dernière. Par exemple, madame Lafleur du ministère des Finances, a observé, lors de sa comparution devant le Comité, qu’il est « primordial que nous disposions de la nouvelle loi et du nouveau règlement » avant que le régime du Canada ne soit évalué par le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) au début de l'année 2007. Nos observations portent non seulement sur la Loi dans sa forme actuelle, mais également sur certaines des propositions énoncées dans le document de consultation du ministère des Finances. Les défis tels que présentés lors de la formulation d’observations sur le régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristesL’évaluation du régime canadien soulève un certain nombre de questions. Par exemple :
Pour un organisme comme le Commissariat à la protection de la vie privée, il n’est pas aisé de répondre à ces questions. Nous savons peu de choses sur le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes; nous n'avons pas les moyens de saisir toute la portée du problème et nous ne savons pas si le régime actuel est efficace. Nous avons examiné les transcriptions des comparutions récentes devant le comité des fonctionnaires du ministère des Finances, du ministère de la Justice, du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), mais nous n’avons toujours pas une juste vue d’ensemble de l’étendue des problèmes et de l’efficacité de la Loi. Selon l’un des témoins, « même s'il est difficile de mesurer le coût exact des crimes associés au blanchiment de l'argent, notamment la fraude, le détournement de fonds, le trafic de stupéfiants et le commerce des armes, les données non vérifiées foisonnent quant aux conséquences préjudiciables de ces crimes. » Un autre témoin a quant à lui affirmé ceci : « J'hésite à chiffrer le montant d'argent qui est blanchi […] À mon avis, on a tort d'essayer de chiffrer le montant d'argent que les criminels blanchissent ». Le Comité a entendu des témoignages selon lesquels le CANAFE aurait effectué 442 communications d’information à des organismes responsables de l’application de la loi et de la sécurité nationale. Il aurait ainsi identifié des milliers de personnes et d’entreprises et communiqué des dizaines de milliers de transactions suspectes. La valeur totale des transactions financières communiquées était de 3,2 milliards de dollars. Nous reconnaissons qu’il est difficile d’estimer la somme d’argent blanchie et de cerner la portée générale du problème, mais sans ces éléments d’information, nous ne sommes pas en mesure de déterminer de façon raisonnable si les répercussions pour la vie privée du régime sont proportionnelles par rapport aux problèmes qu’il est censé régler. Le régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes
La Loi oblige de nombreuses entités, y compris les institutions financières, les entreprises étrangères de transferts de fonds, les casinos, les courtiers en valeurs mobilières, les comptables et plusieurs autres types d’entreprises et de professionnels à recueillir certains renseignements sur leurs clients et leurs transactions ainsi qu’à tenir et à conserver leurs documents. Les entités visées sont également tenues de communiquer au CANAFE certaines informations, dont celles se rapportant à des transactions de 10 000 $ ou plus et toute transaction complétée pouvant être raisonnablement associée à des activités de blanchiment d’argent ou de terrorisme. La communication d’information au CANAFE se fait à l’insu des clients concernés et sans leur consentement. Le CANAFE analyse ensuite l’information que lui transmettent les entités visées conjointement avec l’information provenant de sources publiques, y compris les bases de données commerciales accessibles, l’information fournie de façon volontaire, l’information provenant des bases de données des organismes responsables de l’application de la loi ainsi que l’information provenant d’organismes nationaux à vocation similaire. Après l’analyse, le CANAFE peut communiquer les renseignements désignés aux organismes responsables de l’application de la loi, à l’Agence de revenu du Canada, au Service canadien du renseignement de sécurité et au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements seraient utiles aux fins d’enquête ou de poursuite relativement à une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou à une infraction de financement des activités terroristes. Un régime nouveau qui crée un précédentLe régime mis en place conformément à la Loi est nouveau et constitue une étape marquante. La nouveauté est caractérisée par la mesure selon laquelle les entités visées sont tenues d’agir comme agentes de l’État. Conformément à d’autres initiatives gouvernementales, des entités privées, les compagnies aériennes par exemple, doivent communiquer à des organismes gouvernementaux certains renseignements personnels à des fins d’enquête, mais elles ne sont pas tenues de recueillir plus de renseignements que ce dont elles ont besoin aux strictes fins de leurs activités commerciales. On ne s’attend pas davantage à ce que les compagnies aériennes jugent ce qui constitue des activités suspectes. Le régime crée un précédent, en ce sens qu’il met en place une approche de déclaration obligatoire grâce à laquelle des fonctionnaires du gouvernement peuvent accéder à des renseignements personnels à des fins d’enquête, sans avoir à obtenir d’autorisation judiciaire et à satisfaire au critère de motifs raisonnables et probables. Comme le mentionnait Stanley Cohen, lors de sa comparution devant le comité « l’organisme chargé de lutter contre le blanchiment d’argent, le CANAFE, tout comme l’ensemble du système de déclaration obligatoire de transactions douteuses, est novateur et de nature à créer un précédent. Il s’agit d’une mise à l’épreuve des limites de l’autorité constitutionnelle » [traduction]. 1 En mars 2004, lors de sa comparution au sujet du projet de loi C-7, Loi sur la sécurité publique (2002), devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, la commissaire à la protection de la vie privée a fait part de ses préoccupations dans les cas où les entreprises du secteur privé sont amenées à participer directement à la lutte contre le crime et le terrorisme. Ses commentaires sont également applicables à la LRPCFAT :
Les nombreuses organisations du secteur privé qui doivent surveiller et déclarer les activités de leurs clients appuient, malgré elles, les activités des organismes responsables de l’application de la loi et de la sécurité nationale. Il s’agit peut‑être de l’un des aspects les plus troublants de la Loi et, du reste, d’autres initiatives visant la sûreté publique et la sécurité nationale. De façon plus générale, nous sommes surpris que la LRPCFAT n'ait pas davantage attiré l'attention du public. Tandis que la Loi antiterroriste, la Loi sur la sécurité publique et même les propositions législatives du gouvernement précédent concernant l'accès légal ont fait couler beaucoup d'encre chez les médias et suscité l'intérêt de la population, la LRPCFAT semble passer inaperçue. C'est à la fois surprenant et malheureux car, à bien des égards, cette loi constitue une immixtion et une menace aussi grave pour la vie privée que les autres initiatives. Par conséquent, nous prions instamment le gouvernement de tenir d'importantes consultations publiques avant de songer à accroître la portée de la Loi. La portée de la Loi est déjà vaste. L’une des membres de l’équipe de hauts fonctionnaires du CANAFE a affirmé au Comité : « Notre base de données contient des millions de rapports de transactions ». Nous pouvons en conclure que le CANAFE recueille de l’information sur une grande quantité de personnes et un très grand nombre de transactions. Nous reconnaissons que la Loi prévoit certaines mesures de protection. Par exemple, le CANAFE communique les renseignements désignés uniquement aux organismes responsables de l’application de la loi et aux autres organismes énoncés plus haut. De sévères sanctions sont imposées s’il y a communication non autorisée de renseignements détenus par le CANAFE. De plus, celui‑ci est tenu de détruire l’information qu’il possède après une période de 5 ans, ou de 8 ans s’il s’agit d’information ayant été communiquée. Enfin, les organismes responsables de l’application de la loi doivent obtenir une ordonnance de production fondée sur des motifs raisonnables de croire qu'un acte douteux a été commis afin d’obtenir du CANAFE des renseignements additionnels sur une personne. En outre, parmi les entités visées, plusieurs sont assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDÉ), qui régit les organisations menant des activités commerciales comme les banques et les entreprises étrangères de transferts de fonds, et le CANAFE est quant à lui visé par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Mais la LRPCFAT affaiblit considérablement les mesures de protection prévues par les deux lois fédérales sur la protection des renseignements personnels. La possibilité, pour le public, de déposer des plaintes, et les pouvoirs d’enquête de la commissaire ne peuvent exister que si les activités du CANAFE sont connues. Puisque les gens ne savent pas que le CANAFE recueille de l’information qui les concerne, ils ne peuvent être en mesure de savoir si de l'information les concernant est recueillie ou s'ils font l'objet d'une enquête. En outre, les gens ne pourront plus recourir à la Loi sur la protection des renseignements personnels ou à la LPRPDÉ en vue de déterminer si des renseignements ont été recueillis à leur sujet. Bien que le CANAFE soit expressément visé par la Loi sur la protection des renseignements personnels, nous avons été informés qu'il refuserait invariablement toute demande d'accès à l'information en évoquant l'article 16 ou le paragraphe 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La LRPCFAT a aussi mené à la modification de la LPRPDÉ de façon à empêcher les organisations du secteur privé – dans la mesure où le CANAFE juge que la demande risque vraisemblablement de nuire à la détection, à la prévention ou à la dissuasion du recyclage des produits de la criminalité – d’informer les personnes concernées de la communication de leurs renseignements personnels au CANAFE ou de leur donner accès à cette information. Donner droit aux personnes d'accéder à leurs renseignements personnels constitue l’un des principes fondamentaux qui sous-tendent la Loi sur la protection des renseignements personnels et la LPRPDÉ. Que ces personnes aient la possibilité de voir l’information que les organismes gouvernementaux et les organisations du secteur privé détiennent ou ont communiquée à leur sujet constitue un moyen non négligeable de surveiller les pratiques de ces organismes et organisations. Les personnes peuvent déterminer la quantité de renseignements recueillis à leur sujet et vérifier si ces renseignements sont utilisés et communiqués de façon appropriée. La LRPCFAT élimine cette fonction de contre-poids. Le Commissariat à la protection de la vie privée pourrait peut‑être réussir à vérifier de façon périodique les activités du CANAFE, mais il lui serait impossible de faire la même chose auprès des milliers d’entreprises canadiennes qui transmettent de l’information au CANAFE à l’insu de leurs clients. Il s’agit de l’une des nombreuses raisons pour lesquelles, du point de vue de la protection de la vie privée, il importe tant de limiter la portée du régime. Propositions visant à donner de l’ampleur au régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristesDes propositions de changement ont été formulées dans le cadre du document de consultation du ministère des Finances et également par des fonctionnaires du gouvernement qui ont comparu devant le Comité. Il s’agit de changements visant à accroître la portée de la Loi et qui, dans certains cas, affaiblissent les mesures de protection prévues par celle‑ci. Ces propositions sont les suivantes :
Si ces propositions sont acceptées, les organisations tenues de surveiller leurs clients et de recueillir des renseignements sur eux seront plus nombreuses, les renseignements personnels recueillis seront eux aussi plus nombreux, et de plus en plus de transactions seront scrutées et déclarées. Le nombre de personnes dont les transactions financières seront examinées sera plus important que jamais, et les mesures de protection du régime perdront de leur vigueur. Plusieurs de ces propositions auront pour conséquence de rendre le régime encore plus envahissant. Même les propositions qui ne sont pas directement liées à la collecte, à l’utilisation, ou à la communication de renseignements personnels, peuvent avoir des répercussions sur la protection de la vie privée. Par exemple, si l’on crée un régime de sanctions administratives et monétaires, il se pourrait que la déclaration d’information, déjà trop encouragée, prenne un nouvel essor. Conformément à la LRPCFAT, le non‑respect des exigences peut entraîner des peines de 2 millions de dollars et de cinq années d’emprisonnement. L’une des nombreuses préoccupations que nous avons exprimées lors de l’adoption du projet de loi C‑22 avait trait au fait qu’en raison des peines sévères imposées en cas de non‑respect des exigences de déclaration, les fournisseurs de services financiers et autres entités visées pourraient être incités à déclarer plus d’information que ce qui est nécessaire pour ne pas prendre le risque de se faire imposer des sanctions. Pourquoi ces changements sont‑ils envisagés? Personne n’a présenté au Comité une quelconque indication prouvant que le blanchiment d’argent ou les activités terroristes sont à la hausse ou que les dispositions actuelles sont inappropriées. Les propositions de changement nous apparaissent donc motivées par deux raisons :
Dans son rapport, la vérificatrice générale a conclu que les limites imposées au CANAFE, relativement au type d’information que celui‑ci peut communiquer aux organismes responsables de l’application de la loi, peuvent nuire à l’efficacité des initiatives du régime de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Mais elle ajoute également ceci : « Le Canada est doté d’un système global de lutte contre le blanchiment d’argent généralement conforme aux normes internationales. » Plusieurs recommandations contenues dans son rapport portent sur les liens entre le CANAFE et les organismes responsables de l’application de la loi et de la sécurité nationale. Les propositions énoncées dans le document de consultation du ministère des Finances semblent donc aller au‑delà de ces recommandations. Selon le document de consultation du ministère des Finances et les témoins ayant comparu devant le Comité, il semblerait qu’il faille mettre à jour notre régime de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes pour que le pays puisse respecter ses engagements internationaux et mettre en œuvre les recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI). Le GAFI est un organisme intergouvernemental mis sur pied en 1989 par le G72. L’objectif de ce groupe consiste à élaborer des politiques pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. Nous ne sommes pas convaincus que le Canada doive revoir son régime de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes en vue de répondre à ses engagements internationaux. Le problème, c'est que le régime modifié s'appliquerait de façon globale et uniforme. Certaines des recommandations du GAFI pourraient sans doute convenir à certains gouvernements plutôt que d’autres, mais il semble que le but visé soit de faire adopter ces recommandations par tous les pays sans exception. Nous reconnaissons sans peine qu'il faut éviter que le Canada ne devienne une sorte de paradis pour les blanchisseurs d'argent, mais nous ne pouvons pas adopter chacune des mesures proposées par le GAFI sans d'abord établir si elles sont véritablement nécessaires et si elles s'harmonisent au contexte canadien. Par exemple, le document de consultation propose que les institutions financières se dotent de systèmes pour déterminer si leurs clients sont des « personnes politiquement exposées » et qu’elles prennent des mesures spéciales pour ces personnes. La justification de cette proposition n’est pas évidente, surtout au Canada. Le document définit de façon extrêmement générale une « personne politiquement exposée »; conséquemment, de nombreuses personnes seraient visées par cette définition. Il est alarmant de penser que des personnes feraient l'objet d'une surveillance étroite non pas parce qu'elles sont suspectes, mais simplement en raison du poste qu'elles occupent. Dans de nombreux cas, cette surveillance s'ajouterait aux vérifications de sécurité et aux autres contrôles effectués avant la nomination de ces personnes. Imposer à l’échelle internationale une façon unique de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes revient à négliger l'unicité des approches de chacun des pays relativement à la protection de la vie privée et des renseignements personnels. Dans certains pays membres du GAFI, les lois sur la protection de la vie privée et des données sont soit inexistantes soit peu efficaces. Le Canada, lui, s'est doté d'une loi récente et exhaustive sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, soit la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDÉ), et trois de ses provinces - le Québec, l'Alberta et la Colombie-Britannique - ont adopté leur propre loi pour régir les activités du secteur privé. En outre, les ministères et organismes du gouvernement fédéral sont régis par la Loi sur la protection des renseignements personnels. ConclusionLa Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est une loi de nature envahissante, aux antipodes de la protection de la vie privée. Elle traite toute personne comme un suspect potentiel et fait perdre de la vigueur aux mesures de protection de la vie privée déjà en place. En outre, parce qu’elle leur demande de surveiller les activités de leurs clients et de porter un jugement sur le comportement de ces derniers, la Loi amène un grand nombre d’entreprises et de professionnels à contribuer à la lutte au blanchiment d’argent et au financement des activités terroristes. À titre de défenseur du droit à la vie privée de la population du Canada, il nous est difficile d’approuver le régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Les témoins du CANAFE ont affirmé devant le Comité qu’ils prenaient les questions relatives à la protection de la vie privée très au sérieux. « La Loi qui régit nos activités nous oblige à protéger les renseignements que nous recueillons » [traduction]. Rien ne nous pousse à croire que le CANAFE ne fait pas un excellent travail pour protéger l’information qu’il détient, mais la vie privée est une notion qui comporte davantage que la simple protection des renseignements personnels. La protection de la vie privée, c’est également le fait de veiller à ce que le minimum de renseignements personnels soient recueillis et à ce que ces renseignements soient utilisés et communiqués de façon adéquate. Un régime attentif à la protection de la vie privée doit fonctionner avec transparence et ouverture et garantir une surveillance efficace. La sécurité – soit la protection des renseignements personnels – est certes très importante, mais il ne s’agit que de l’un des volets d’un cadre judicieux de protection de la vie privée. CANAFE devrait utiliser des contrôles internes, tel qu’un processus robuste de vérification interne, afin de s’assurer que les institutions assujetties ne partagent pas trop d’information. CANAFE ne devrait pas divulguer des renseignements personnels de façon inadéquate. De plus, il est impératif d’avoir une structure d’imputabilité en place qui évaluerait le rendement et ferait la promotion de l’ouverture et la transparence. Nous comprenons que le blanchiment d’argent appuie les activités criminelles et les encourage, et nous savons également que le financement des groupes terroristes constitue une menace à notre sécurité et à celle de la planète. Notre but n’est pas de nier ou de remettre en question la nécessité de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes mais plutôt d’établir si le régime proposé constitue la meilleure façon de débusquer les personnes responsables du blanchiment d’argent et du financement des groupes terroristes et de les obliger à respecter la loi. Nous prions instamment le Comité d’examiner de près l’efficacité de la Loi par rapport aux objectifs qu’elle poursuit et de prendre en compte la nature envahissante du régime proposé. Nous vous demandons également d’examiner avec soin la constitutionnalité du régime actuel. Mise à part la question de l’application de la Loi aux avocats et des répercussions de cette proposition sur le secret professionnel, il semble que l’enjeu n’ait pas été examiné directement par les témoins qui ont comparu devant le Comité. Nous n’avons pas le savoir‑faire nécessaire pour formuler des observations à ce sujet, et ce n’est pas l’objectif de notre mandat, mais comme nous l’avons indiqué plus haut, il est question ici d’un nouveau régime. La Loi autorise un agent de l’État, soit le CANAFE, à obtenir des renseignements personnels de nature délicate à des fins d’enquête, et ce, sans même obtenir au préalable d'autorisation judiciaire. Avec l’adoption, en 1982, de la Charte canadienne des droits et libertés, les tribunaux ont déterminé que dans de nombreux cas, les perquisitions et saisies sans mandat contreviennent à l’article 8 de la Charte. Cette question prend une importance nouvelle à la lumière de la proposition de réduire les exigences que doit respecter le CANAFE pour la communication de renseignements à des organismes responsables de l’application de la loi, c’est‑à‑dire exiger la présence de motifs raisonnables de soupçonner un acte douteux plutôt que de motifs raisonnables de croire en cet acte. 1 Stanley A. Cohen, Privacy, Crime and Terror: Legal Rights and Security in a Time of Peril (Markham: LexisNexis Butterworths, 2005) p. 266. 2 À titre de membre du G7, le Canada devrait avoir contribué à la création du GAFI. Ce groupe compte actuellement 33 membres, y compris le Canada, les États‑Unis ainsi que d’importants pays d’Europe, comme la France, l’Allemagne et le Royaume‑Uni. |
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Date de diffusion : 2006-06-23 |
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