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Tendances et difficultés dans le domaine des ressources humaines: L'intelligence émotionnelle (IE) dans le milieu de travail


James Kierstead(1)

Direction de la recherche
Direction générale des politiques, de la recherche et des communications

Commission de la fonction publique du Canada

1999

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Résumé

Depuis plusieurs années, on accorde beaucoup d'attention au concept d'intelligence émotionnelle en tant que facteur potentiellement utile pour comprendre et prédire le rendement d'une personne au travail. Le présent document traite des débuts du concept d'intelligence émotionnelle et des difficultés entourant son application à la gestion des ressources humaines.

Historique  

L’expression Intelligence émotionnelle est apparue pour la première fois dans une série d’articles scientifiques rédigés par John D. Mayer et Peter Salovey (1990, 1993). Ces articles n’ont pas beaucoup suscité d’intérêt. Toutefois, deux années plus tard, soit en 1995, le terme intelligence émotionnelle est entré dans le vocabulaire général avec la parution  du succès de librairie de Daniel Goleman Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ (publié en français sous le titre L’intelligence émotionnelle : Comment transformer ses émotions en intelligence, Paris, Lafont, 1997) et d’articles subséquents de USA Weekend et de Time Magazine (2 octobre 1995). Plus récemment, le dernier livre de Goleman, Working With Emotional Intelligence (1998), a capté l'attention des intervenants en ressources humaines.

Qu'est-ce que l'intelligence émotionnelle?  

« Intelligence émotionnelle » est un terme fourre-tout qui recoupe un ensemble de qualités et de dispositions individuelles (qualifiées habituellement de compétences non techniques ou de qualités interpersonnelles et intrapersonnelles) qui débordent des domaines traditionnels que sont les connaissances particulières, l'intelligence générale et les qualités techniques ou professionnelles. La plupart des auteurs ayant écrit sur le sujet indiquent qu’afin d’être un membre pleinement adapté et fonctionnel de la société (c’est-à-dire ayant famille, conjoint, travail, etc.), une personne doit être pourvue à la fois d’intelligence traditionnelle (QI) et d’intelligence émotionnelle (QE). L’intelligence émotionnelle signifie avant tout avoir conscience des émotions et de la façon dont elles peuvent influer sur l’intelligence traditionnelle (p. ex., altérer, aiguiser le jugement, etc.). Cette notion cadre bien avec la pensée populaire selon laquelle il faut, pour réussir dans la vie, outre l’intelligence, être capable d’établir et de maintenir de saines relations interpersonnelles. Vue sous cet angle, l’intelligence émotionnelle n’a rien de très nouveau.  

D’après Mayer et Salovey (1993) :

« L’intelligence émotionnelle nous permet de penser de façon plus créative et d’utiliser nos émotions pour résoudre des problèmes. L’intelligence émotionnelle recoupe probablement, à divers degrés, l’intelligence en général. »  

La personne dotée d’intelligence émotionnelle présente des habiletés dans les quatre domaines suivants : l'identification des émotions, l'utilisation des émotions, la compréhension des émotions et l'ajustement des émotions.  

Goleman (1995) adopte une position un peu plus large pour décrire l'intelligence émotionnelle. Dans ses écrits, l’intelligence émotionnelle se compose de cinq facteurs : la connaissance des émotions, la maîtrise de ses émotions, l’automotivation, la perception des émotions d’autrui et la maîtrise des relations humaines.  

L'intelligence émotionnelle au travail  

Dans Working With Emotional Intelligence, Goleman applique le concept de l'intelligence émotionnelle au milieu de travail. Il avance, dans son analyse, que le travailleur émotionnellement intelligent possède des qualités dans deux grands domaines de son cadre de compétence émotionnelle. Il s'agit des « compétences personnelles » - comment nous nous gérons nous-mêmes - et des « compétences sociales » - comment nous gérons nos rapports avec les autres. Chacun des grands domaines comporte un certain nombre de compétences particulières, comme le montre le tableau qui suit. Des exemples ainsi qu'un modèle complet (comprenant les sous-compétences) sont donnés dans le livre de Goleman ou au site Web du Emotional Intelligence Research Consortium, fondé par Goleman.  

Compétence personnelle
Compétence sociale
Conscience de soi 
(des états, préférences, ressources et intuitions intérieurs) 
Autorégulation 
(des états, impulsions et ressources intérieurs)  
Motivation 
(tendances qui facilitent l'atteinte des buts)
Empathie 
(conscience des sentiments, des besoins et des préoccupations des autres)   
Compétences sociales 
(apte à produire les réponses voulues chez les autres)

 

Analyse de la situation  

L'intelligence émotionnelle est-elle aussi importante qu'on le dit? Le concept peut-il être appliqué avec succès à la gestion des ressources humaines? Un grand nombre d’articles de la presse populaire utilisent pour comparer l’intelligence émotionnelle et l’intelligence traditionnelle des déclarations (souvent attribuées à Goleman ou autres) de la sorte :

« ...le succès au travail dépend à 80 % de l’intelligence émotionnelle et à 20 % du quotient intellectuel », (traduction libre) extrait du HR Magazine de novembre 1997.

Cette affirmation, courante dans la presse populaire sur l'IE, surestime quelque peu l’importance de l’intelligence émotionnelle. Ce phénomène s’explique peut-être par le désir qu’ont les intervenants en RH de trouver un autre concept que l’intelligence pour mieux comprendre et prévoir le rendement au travail. Les citations ci-dessous de Goleman (1995, p. 34), et de Mayer et Salovey, montrent qu’il y a encore beaucoup à faire pour déterminer la signification de l'intelligence émotionnelle et trouver des façons d'appliquer ce concept à la gestion des ressources humaines.  

Selon Goleman :

« Parmi les facteurs dont dépend la réussite dans la vie, le QI représente au mieux 20 %... Nul ne peut dire dans quelle mesure elle explique le cours variable de la vie selon les individus. Mais les données disponibles laissent penser que son influence peut être aussi importante, voire supérieure à celle du QI. » 

Dans leurs documents de promotion de leur propre test d’IE, les auteurs du concept, Mater et Salovey, apportent les précisions suivantes sur le rôle de l’intelligence émotionnelle :

« Dans une certaine mesure, l’intérêt porté à l’intelligence émotionnelle constitue en partie un effet de rétroaction venant contrecarrer l’affirmation courante selon laquelle l’intelligence traditionnelle, soit le QI, représente la clé du succès dans la vie. Nous savons que le QI est un indicateur qui prédit la performance scolaire ou le statut professionnel, mais il ne peut prédire que 20 % des variables de la personne dans ce domaine. Les psychologues n'ont pas encore trouvé ce qui prédit les autres 80 % responsables de la réussite dans ces secteurs. Nous croyons que l’intelligence émotionnelle constitue l’une des aptitudes qui nous permet de réussir dans la vie mais nous ne sommes toujours pas en mesure d’en déterminer l’importance.

Alors, où situer l’intelligence émotionnelle? Malgré ce qu’en dit la presse populaire, peu d’études pertinentes ont été réalisées sur le sujet. Notre meilleure estimation consiste à dire que l’intelligence émotionnelle ne représente que de 5 à 10 % de l’ensemble de ces facteurs déterminants. Il est fort plausible que l’intelligence émotionnelle joue un rôle dans nos relations amicales, parentales et amoureuses. Nos travaux de recherche ne font que commencer à traiter en profondeur de ces sujets. »  

Mesurer l’intelligence émotionnelle

Dans son livre écrit en 1995, Goleman mentionne qu’on pourrait bien ne jamais trouver d’outil valable ou fiable pour mesurer l’IE. La validation d’un outil de ce genre s’avérerait très difficile, étant donné que l’intelligence émotionnelle n’est ni plus ni moins qu’un concept fourre-tout. Toutefois, Goleman, en partenariat avec le groupe-conseil Hay, est en train d'élaborer un outil de rétroaction tous azimuts pour évaluer l'intelligence émotionnelle. Cet outil servira principalement au perfectionnement professionnel et personnel, plutôt qu'à la sélection d'employés. Sont apparus également plusieurs autres outils prétendant pouvoir mesurer l’IE (le QE-i de Bar-On, le test de QI émotionnel de Mayer et Salovey, et la « carte QE de Essi Systems. ») et convenir à la sélection d'employés.

On délibère toujours quant à ces outils et à d'autres instruments. Il importe de mentionner qu’il existe peu de travaux de recherche pour valider ces instruments. Il faut dès lors considérer avec prudence ces outils et leur prétendue utilité au sein d’un contexte organisationnel (dotation en personnel, consultations, réduction d’effectifs). Toutefois, la question de l’utilité de ces instruments dans le milieu du secteur public offre de bonnes perspectives de recherche. Il est encourageant de constater que le Emotional Intelligence Consortium, dirigé par Goleman, prend des mesures pour répondre aux questions les plus fondamentales en matière de recherche qui entourent l'intelligence émotionnelle. Le concept d’intelligence émotionnelle pourrait s’avérer utile pour mieux comprendre et déterminer les qualités personnelles non cognitives qui seront exigées des leaders du secteur public de demain. Il se peut de plus que l’intelligence émotionnelle, une fois mieux comprise, présente des caractéristiques communes avec d’autres moyens très acceptés d’évaluation de la personnalité. L’IE pourrait en fait se révéler un élément de la personnalité mesurable par des instruments existants déjà bien validés.  

Évaluation générale

À l’heure actuelle, on a publié peu de travaux de recherche fondamentale traitant soit de l'intelligence émotionnelle soit des façons de la mesurer. Toutefois, cela demeure un domaine très intéressant et potentiellement important qui mérite d'être surveillé. Le concept d’intelligence émotionnelle présente certaines des caractéristiques d’une mode et n'est pas sans soulever de controverse. La presse populaire, dans la mesure où l'on peut la citer pour témoigner de l’opinion des milieux professionnels, conclut que le milieu des ressources humaines appuie, dans l’ensemble, le concept de l’IE, alors que le milieu de la formation resterait très sceptique. Les psychologues du personnel semblent indifférents, sinon à peine curieux, à l’égard de l’IE, étant donné que l’idée n’a rien de particulièrement nouveau. Les citations ci-dessous tirées d’articles parus récemment illustrent les deux points de vue.  

Extrait du HR Magazine :

Qu’est-ce qui distingue les grands artistes des travailleurs ordinaires? Le QI? Détrompez-vous!

En des termes plus savants, disons que l’IE peut se définir comme une panoplie d’aptitudes et d’habiletés non cognitives qui influent sur la capacité d’une personne à affronter les exigences et les pressions externes.  (Traduction libre)
Novembre 1997, p. 72

Extrait de la revue Training :

D’après Goleman, le quotient émotionnel d’une personne, ou QE, pourrait en fait indiquer mieux que le QI  si cette personne réussira dans la vie. Il s’agit là d’un postulat fort attrayant,... mais dont les fondements sont très peu solides.

Le QE a un côté plus sympathique (les personnes aimables arrivent enfin premières), mais tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. En l’occurrence, les tentatives effectuées pour mesurer le QE sont d’une superficialité alarmante. (Traduction libre)
Janvier 1996, p. 8

Le QE représente une façon fictive de mesurer tout ce qui n’est pas QI et avec quoi nous parvenons à tracer notre chemin dans la vie... L’expression quotient émotionnel, par opposition au QI, est de nature fictive dans la mesure où aucun test n’a été approuvé pour déterminer le QE d’une personne. Cette expression provient non pas d’un ouvrage scientifique, mais d’un jeu-questionnaire paru dans USA Today l’an passé.  Il s’agit d’un fait qui en dit long sur l’endroit où résident les intérêts à l’égard du QE. (Traduction libre)
Avril 1996, p. 50  

Extrait de Personnel Psychology :

Dans quelle mesure le QE est-il utile aux gestionnaires, aux enseignants, aux chercheurs, aux parents ou au public en général? Voilà une question à laquelle il faut s’empresser de répondre. Selon Goleman, il y a tout lieu de croire que l’IE explique à peu près tout. Si tel est le cas, peut-être alors ce concept n’explique-t-il rien du tout. Étant donné sa nature générale, il englobe de nombreux autres concepts psychologiques qui, eux, ont déjà fait l’objet d’études approfondies. (Traduction libre)
Automne 1996, p. 711  

Conclusion

Tout ce qui concerne l’aspect des facteurs non cognitifs lié au rendement au travail (p. ex., la personnalité, l’intelligence émotionnelle, la créativité, etc.) présente assurément de belles perspectives de recherche pour la CFP. Il est généralement admis que les facteurs non cognitifs constituent des facteurs déterminants dans notre comportement au travail, en particulier dans un milieu de travail en constante évolution. Il reste à déterminer quels sont les concepts et les méthodes d'évaluation qui offrent une certaine valeur, qui contribuent à la dotation fondée sur le mérite et qui nous aident à mieux comprendre le milieu du secteur public.  

Étant donné le peu de travaux de recherche disponibles jusqu'à maintenant dans ce domaine, il serait prématuré d’intégrer des instruments de mesure particuliers de l’intelligence émotionnelle aux méthodes de dotation de la fonction publique fédérale. Ce champ d’étude n’est pas encore assez développé pour que nous puissions l’utiliser dans le cadre du processus de prise de décisions administratives. Par contre, la plupart des compétences émotionnelles proposées par Goleman ne sont pas des nouveautés pour les intervenants en ressources humaines et apparaissent déjà comme éléments de divers profils de compétences en usage actuellement.

À tout le moins, le concept de l’intelligence émotionnelle pourrait s’avérer utile aux personnes qui désirent en savoir plus sur le rôle des émotions au travail et dans la vie de tous les jours et sur l'incidence des relations interpersonnelles sur le travail et sur le rendement organisationnel.  

 

Les personnes qui désirent en savoir plus sur le sujet peuvent consulter la liste des ressources internet qui suit.

EQ Institute
http://eqi.org/

The Emotional Intelligence Research Consortium
http://www.eiconsortium.org/  

American Society of Training and Development -
Entrevue avec Daniel Goleman, OCT 1998
http://www.astd.org/astd/publications/td_magazine/

 

Bibliographie  

  • Blackburn, R. (1997). Critique du livre de Goleman : Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ. Personnel Psychology, 49(3), 711-714.
  • Goleman, Daniel (1997). L’intelligence émotionnelle : Comment transformer ses émotions en intelligence, Paris : Laffont, 1997.
  • Goleman, Daniel (1995). Working With Emotional Intelligence, New York : Bantam Books.
  • Lee, C. (1996). « Et-tu, EQ? ». Training, January, p. 8.
  • Mayer, J. D. & Salovey, P. (1995). « Emotional intelligence and the construction and regulation of feelings ». Applied & Preventive Psychology, 4(3), 197-208.
  • Mayer, J. D. & Salovey, P. (1993). « The intelligence of emotional intelligence ». Intelligence, 17(4), 433-442.
  • Salovey, P. & Mayer, J.D.  (1990). « Emotional intelligence ». Imagination, Cognition, and Personality, 9, 185-211.
  • Neely-Martinez, M. (1997). « The smarts that count ». HR Magazine, Novembre, pp. 71-78.
  • Stamps, D. (1996). « Are we smart enough for our jobs? ». Training, Avril, pp. 44-50.

Note:

1. Les opinions exprimées dans le présent document sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission de la fonction publique.