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La Section de la protection de la vie privée de l'Association du Barreau de l'Ontario
Réunion de fin d'année

Le 27 mai 2002
Toronto, Ontario

Surveillance vidéo des lieux publics

George Radwanski
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada


Je suis ici pour vous parler de l'un des plus importants défis entourant la vie privée que doit relever la société canadienne d'aujourd'hui : la surveillance vidéo des lieux publics.

Vous savez peut-être qu'un autre enjeu important a fait surface au cours de ces dernières semaines - le projet de loi C-55, la Loi sur la sécurité publique. Mon opinion de ce texte de loi et mes grandes préoccupations au sujet de la proposition visant à accorder à la GRC et au Service canadien du renseignement de sécurité un accès illimité aux renseignements personnels sur les passagers des compagnies aériennes sont bien connues. Ma perspective du sujet est exposée en détail dans le site Web de mon bureau, et je répondrai avec plaisir à vos questions lorsque j'aurai terminé. Pour l'instant, cependant, j'aimerais me concentrer sur la surveillance vidéo.

De toute évidence, l'une des raisons pour lesquelles je tenais à vous parler aujourd'hui de la surveillance vidéo est que cette section de l'Association du Barreau de l'Ontario porte un intérêt particulier au respect de la vie privée. Je suis sûr que vous vous intéressez aussi au genre de questions se rapportant au respect de la vie privée qu'a soulevé Gérard La Forest, juge de la Cour suprême, dans ses commentaires récents sur la surveillance vidéo du public, du genre de ce qui a été proposé pour Dundas Square.

J'aimerais, cependant, m'adresser à vous comme à des concitoyens et non pas seulement comme à des membres du Barreau, parce que je suis d'avis que les citoyens doivent à exprimer leur désaccord avec ces propositions de surveillance généralisée des rues.

En tant que commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je n'ai aucune autorité sur le service de police de Toronto. Cependant, en tant que haut fonctionnaire du Parlement chargé de surveiller et de défendre les droits à la vie privée de tous les Canadiens et Canadiennes, j'ai non seulement l'autorité, mais aussi le devoir de sonner l'alarme si quelque chose est sur le point de limiter ces droits de façon radicale.

J'incite vivement les résidants de Toronto à réfléchir attentivement à cette proposition - et à songer au fait que l'échange de leurs droits fondamentaux au respect de la vie privée contre l'illusion d'une plus grande sécurité n'est pas la bonne voie à adopter.

Les choix que vous ferez contribueront à déterminer le genre de société - le degré de liberté d'une société - que nous aurons au Canada, non seulement pour nous, mais aussi pour nos enfants et nos petits-enfants.

Les caméras que l'on envisage d'installer ici, à Toronto - et celles qui suivront, dans toutes les villes qui seront incitées à vous imiter si vous allez de l'avant avec ce projet - représentent le premier empiètement qui modifiera irrémédiablement tout notre concept de nos droits et libertés.

Je vais vous lire ce que le juge La Forest a déclaré, dans un arrêt rendu en 1990 :

« Permettre la surveillance magnétoscopique illimitée par les agents de l'État, ce serait diminuer d'une manière importante le degré de vie privée auquel nous pouvons raisonnablement nous attendre dans une société libre [.] Nous devons toujours rester conscients du fait que les moyens modernes de surveillance électronique, s'ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privée. »

Le juge La Forest, beaucoup d'entre vous le savent, n'a pas changé d'avis sur la question et, en fait, il s'oppose plus que jamais à la surveillance vidéo illimitée du public.

J'ai à maintes reprises dit en public, et particulièrement depuis les événements tragiques qui ont marqué le 11 septembre, que la vie privée n'est pas un droit absolu. Il peut nettement y avoir des circonstances où il pourrait être légitime, et même nécessaire, de sacrifier certains éléments de la vie privée dans l'intérêt de précautions vitales pour la sécurité. Cependant, le fardeau de la preuve doit toujours reposer sur ceux qui affirment la nécessité d'un tel sacrifice.

Toute mesure proposée pour limiter ou enfreindre le droit à la vie privée doit satisfaire à quatre critères très précis. Tout d'abord, il faut pouvoir faire la preuve que cette mesure est nécessaire afin de répondre à un problème ou à un besoin spécifique. Deuxièmement, il faut faire la preuve que cette mesure est susceptible d'être efficace pour répondre à ce problème. Troisièmement, l'avantage pour la sécurité qui en découlera doit être proportionnel. Enfin, quatrièmement, il doit être démontré qu'aucune mesure moins intrusive ne pourrait permettre d'obtenir les mêmes résultats.

Je suis d'avis que ces critères doivent être appliqués à toute proposition visant à installer des caméras de surveillance de l'État sur les artères de nos villes. Et je pense que la proposition - à tout le moins ici, à Toronto - échouerait à chacun de ces critères.

Je reviendrai là-dessus dans un moment, mais permettez-moi d'abord de parler un peu du droit à la vie privée en tant que telle. La vie privée - votre droit de contrôler l'accès à votre personne et aux renseignements qui vous concernent - est un droit fondamental de la personne, reconnu comme tel par les Nations Unies.

C'est, comme l'a déclaré notre Cour suprême, au cour du principe de liberté dans un pays moderne. De fait, d'aucuns croient que c'est l'assise de nos autres libertés - la liberté de parole, de pensée, d'association, à peu près toutes les libertés qui peuvent vous venir à l'esprit.

Cependant, le droit à la vie privée est plus qu'un droit de la personne - c'est aussi un besoin inné de la personne.

Lorsque vous rentrez chez vous, le soir, vous fermez probablement vos stores. Ce n'est pas parce que vous avez quelque chose à cacher, mais plutôt qu'instinctivement, vous ressentez le besoin de protéger votre intimité, votre droit de ne pas être observé. Quand, alors que vous êtes dans un autobus ou un avion, quelqu'un se met à lire par-dessus votre épaule, vous êtes probablement mal à l'aise. Ce que vous lisez n'est pas un secret. C'est seulement que votre droit à la vie privée vient d'être enfreint.

Si votre domicile, ou même votre voiture, a subi une introduction par effraction, vous savez que l'impression de violation de votre personne peut même être plus fort que la peine que vous cause la perte de ce qui vous a été volé. Ce besoin humain essentiel, ce droit fondamental, risque de nous échapper. Et une fois qu'il sera perdu, il sera très, très difficile à retrouver.

Nous vivons à une époque où les progrès technologiques, les phénomènes sociaux et les événements politiques menacent notre vie privée à tous les tournants. C'est pourquoi, selon moi, la vie privée sera l'enjeu qui définira cette décennie. Nous sommes à une croisée des chemins : si les choix que nous posons permettent la destruction de la vie privée, la liberté sera détruite avec elle.

Et si la vie privée doit être l'enjeu qui définit cette décennie, je suis d'avis que la surveillance vidéo est la question déterminante de cet enjeu plus vaste.

Je sais que certains pensent « Qu'y a-t-il de mal ? Et alors, ce n'est qu'une caméra - il n'y a pas de quoi fouetter un chat ». De fait, à Kelowna, en Colombie-Britannique, où j'ai fait une découverte au sujet d'une plainte précis relativement à cette question, un chef d'entreprise aurait dit, d'après les journaux, que le fait d'avoir des caméras partout ne serait absolument pas différent du fait d'avoir un agent de police à tous les coins de rue, et personne ne saurait s'opposer à cela.

Eh bien, il est vrai qu'il y a des endroits, dans le monde, où il y a un agent de police à tous les coins de rue. Ces endroits sont appelés des États policiers. Ce n'est pas le cas du Canada.

Nous avons le droit de vivre notre vie - nos activités conformes à la loi et pacifiques - sans faire l'objet de la surveillance constante des agents de l'État. Alors lorsque quelqu'un demande « Quel est le problème des caméras ? », je réponds qu'en premier lieu, la conscience d'être observés modifie notre comportement.

C'est bien connu. À la fin des années 20, Werner Heisenberg a démontré qu'on ne pouvait observer des particules subatomiques sans modifier leur comportement. Depuis cette époque, les spécialistes de la physique et des comportements ont adopté l'expression « effet Heisenberg » pour décrire ce dont ils sont très conscients - que le fait d'être observé a des effets réels. L'incidence psychologique du fait d'être sous constante observation - le genre de chose que nous aurons si nous permettons la prolifération des caméras de surveillance - est phénoménale, incalculable.

Revenons à ces États policiers dont je parlais il y a un moment, où les gens se sentent toujours observés par un policier, qu'il soit visible ou secret.

Ce qui m'a toujours frappé, lors de mes voyages dans des pays qui n'étaient pas libres, dans des États policiers, est l'atmosphère lugubre et terne que donne à la vie ce manque absolu de vie privée. L'air est empreint d'une espèce de morosité.

Les gens savent qu'ils sont observés - ou pire, ils ne savent jamais vraiment s'ils sont observés ou non. Ils censurent leur discours et leur comportement. Ils se pressent le long des rues, tête baissée. Ils hésitent à parler à des étrangers, ou même à les regarder. Ils hésitent même à communiquer en public avec des connaissances. Les rues manquent de vie, de spontanéité.

Vous avez probablement observé vous aussi le même phénomène, à bien plus petite échelle. Si une voiture de police est près de vous quand vous êtes au volant, ou reste derrière vous, ne vous sentez-vous pas automatiquement un tout petit peu paranoïaque en vous demandant si vous avez fait quelque chose de mal ?

La gêne, et peut-être un peu de nervosité, vous envahit. Il se peut même que vous conduisiez avec trop de précaution, au point de constituer un danger. Bref, vous modifiez votre comportement, tout simplement parce que vous avez l'impression d'être observé par un agent de l'État.

Une caméra de police, est-ce vraiment différent ?

Il est fondamental, pour nos libertés, au Canada, de limiter les moyens pour la police de recueillir de l'information sur nous. Il y aura des gens pour soutenir que cela complique la tâche de la police. Eh bien nous voulons tous empêcher les actes criminels et que les criminels se fassent prendre. Nos services policiers remplissent une fonction indispensable, généralement avec brio. Mais dans notre pays, dans une société libre, on ne donne pas à la police des pouvoirs illimités de violer les droits des citoyens.

On ne leur permet pas de monter des dossiers sur des citoyens « au cas où ».

On ne leur permet pas de forcer des gens choisis au hasard à s'identifier dans la rue.

On ne leur permet pas de pénétrer dans les maisons pour les fouiller, d'ouvrir le courrier ou de faire de l'écoute électronique sans avoir préalablement obtenu un mandat à cette fin.

Nous disons plutôt qu'il faut toujours un juste équilibre - un équilibre soigneusement raisonné - entre les besoins légitimes des organismes de l'application de la loi et de la sécurité d'un côté, et la nécessité de préserver nos droits et libertés et nos valeurs de l'autre. Je vous dis que les caméras de surveillance vidéo sur les artères publiques font inutilement et dangereusement pencher la balance.

Vous remarquerez que je fais une distinction, ici, entre les caméras fixées sur les artères publiques et celles qui se trouvent dans des lieux privés ouverts au public, comme par exemple dans les banques ou les dépanneurs.

Tout d'abord, dans les endroits comme les magasins, il y a un élément de consentement. Si vous ne voulez pas votre empreinte sur une pellicule vidéo, vous avez le choix de refuser d'entrer dans un certain magasin. Mais si nous devons nous retrouver avec des caméras partout sur nos artères publiques, à moins de léviter au-dessus d'elles, vous n'aurez aucun moyen de refuser votre consentement et d'aller tout de même d'un endroit à l'autre.

Ensuite, ces caméras, dans les lieux privés, ont des objectifs très limités de lutte contre la criminalité. Il est peu probable que quiconque s'intéresse autrement à vous en tant que citoyen - qui vous rencontrez, où vous allez, ce que vous faites.

Je ne doute pas qu'il y aura des gens pour dire « Allons, les caméras de police, dans les rues, nous ferons nous sentir plus en sécurité ». Écoutez, nous voulons tous nous sentir plus en sécurité.

Cependant, nous serions plus en sécurité si les policiers pouvaient librement pénétrer dans nos maisons, rien que pour y jeter un coup d'oil. Ils pourraient attraper plus de criminels s'ils étaient libres d'écouter toutes nos conversations téléphoniques, rien que pour s'assurer que nous ne commettions pas d'infraction. Nous pourrions leur permettre d'intercepter et de lire tout notre courrier et nos courriels, simplement « au cas où ». Voilà des moyens très efficaces pour assurer notre sécurité - mais personne sensée n'appuierait de telles mesures.

On n'enfreint pas ses valeurs fondamentales, celles-là même qui font l'agrément de notre société, rien que pour se sentir plus en sécurité.

Maintenant, certains pourraient m'opposer que les caméras vidéo seront dans des lieux publics, et non pas privés, alors la protection de la vie privée ne pose pas de problème. Comment peut-on raisonnablement espérer préserver son intimité dans les rues d'une ville ? Je répondrai à cela que, de toute évidence, il y a des degrés, divers niveaux d'intimité.

Vous avez droit à plus d'intimité chez vous que lorsque vous allez dans la rue. Pourtant, vous avez encore le droit d'espérer préserver un certain degré d'intimité lorsque vous sortez de chez vous. Il est sûr que vous devez vous attendre à être remarqué, en passant. Et les gens que vous connaissez peuvent vous reconnaître. Cependant, ce n'est pas la même chose que d'être systématiquement surveillé et observé par n'importe qui, et encore moins par la police.

Si vous êtes dans la rue, en train de jaser avec un ami ou au téléphone cellulaire, vous pouvez vous attendre à ce que des étrangers, en passant, entendent des fragments de votre conversation. Cependant, si un étranger s'arrête et reste près de vous, manifestement à l'écoute de vos propos, vous sentirez certainement - à juste titre - qu'il viole votre vie privée.

Et si quelqu'un, de l'autre côté de la rue ou du haut d'un immeuble, écoutait systématiquement vos conversations au moyen d'un microphone directionnel, vous penseriez certainement qu'il enfreint votre droit à la vie privée. Si vous êtes assis dans un parc, à lire une lettre, vous vous attendez certainement à ce que des gens vous voient et voient ce que vous faites.

Cependant, vous ne vous attendriez pas à ce que quelqu'un vienne s'asseoir à côté de vous et se mette à lire par-dessus votre épaule ou fasse un zoom avant sur votre lettre avec une caméra vidéo.

Supposez qu'un agent de police décide de vous suivre pas à pas dans la rue toute la journée, vous suivant manifestement et délibérément où que vous alliez. Je ne doute pas que vous jugiez cela inacceptable, même s'il ne vous dit pas un mot ni ne vous ennuie aucunement de façon directe. Vous jugeriez probablement que c'est du harcèlement - parce qu'il viole votre vie privée.

Quelle différence y a-t-il, alors, si vos mouvements sont simplement suivis par un agent de police qui vous observe à l'écran, tandis que vous traversez le champ d'une caméra vers celui de la caméra suivante ?

C'est pourquoi je pense que vous avez certaines attentes raisonnables quant à la vie privée lorsque vous êtes en public. Plus que cela, vous avez un droit fondamental à la vie privée. C'est le problème que pose cette expression qu'utilisent depuis quelque temps les tribunaux, «attente raisonnable de vie privée ».

Une affiche qui vous avertit que vous serez observés ou fixés sur pellicule par des caméras vidéo dans les lieux publics peut vous dire qu'il n'est pas « raisonnable » d'espérer faire respecter votre vie privée.

Cela amène la police à proposer de composer avec le « problème de respect de la vie privée » en posant des affiches annonçant ce qui suit : « Vous venez de pénétrer dans une zone sous surveillance vidéo créée pour votre sécurité. »

Cependant, ces affiches ne peuvent, comme par magie, effacer votre droit fondamental à la vie privée. Ce droit fondamental ne peut être éliminé simplement par la pose d'affiches pour vous avertir qu'il sera négligé ou foulé au pied.

Certains diront « Les caméras ne m'ennuient pas, parce que je ne fréquente pas ces endroits-là ». Mais si ces caméras ont le même effet que d'autres caméras de surveillance ailleurs, elles déplaceront les activités criminelles dans des secteurs hors de leur champ. On voudra alors mettre d'autres caméras là aussi. La conclusion logique est qu'il y aura des caméras partout.

Cependant, même cela n'est qu'un début. La surveillance vidéo n'est qu'une première étape. Tel que le système est actuellement, vous êtes vu, mais au moins vous pouvez rester anonyme à moins qu'un observateur des bandes vidéo vous connaisse.

Pourtant, par « reptation de fonction », vous pouvez avoir la quasi-garantie que si l'on met suffisamment de caméras, elles seront bientôt liées à la technologie biométrique, qui éliminera tout anonymat.

La technologie de reconnaissance biométrique des physionomies permet d'analyser l'image d'un visage, de la numériser, de la classer et de la verser dans une base de données de la police. Elle peut servir ensuite à comparer votre visage aux images de criminels confirmés ou de suspects - ou simplement à vous identifier, à associer votre visage avec votre nom et votre adresse.

Ce n'est pas de la science fiction; cette technologie existe. Elle est déjà en usage en certains endroits. Elle a servi lors du Super Bowl de 2001. Elle a été établie dans les rues de Tampa, en Floride, et un nombre croissant d'aéroports l'adoptent aux États-Unis.

Là encore, vous pourriez dire « Et alors ? Laissez-les me comparer à qui ils veulent. Dès que la technologie démontrera que je ne suis pas la personne qu'ils cherchent, il n'y aura pas de mal ».

Le problème, c'est que ces systèmes biométriques sont loin d'être tout à fait fiables. Souvent, ils ne parviennent même pas à faire coïncider les gens à leurs propres photos. Ils font aussi des liens entre des gens et la photo d'autres personnes - les identifiant à tort comme quelqu'un dont la police peut être à la recherche.

Vous pourriez vous retrouver soudain cerné d'agents de police l'arme au poing - rien que parce que la technologie s'est trompée. Et ce ne sera pas long avant que nous voyions ces systèmes de surveillance liés à notre permis de conduire ou à nos photos de passeport. Avant que nous puissions nous en rendre compte, lorsque nous marcherons dans les rues, la police saura exactement qui nous sommes. Notre droit fondamental au respect de la vie privée et à l'anonymat aura disparu.

Au Canada, la police ne peut arrêter les gens au hasard et les forcer à s'identifier. Vous n'êtes même pas obligés de porter sur vous des pièces d'identité. Mais désormais, c'est la technologie qui le fera pour elle.

Certains d'entre vous pensent peut-être, « Et alors ? Je n'ai rien à cacher ». Eh bien je vous invite à y réfléchir un peu plus.

Pensez avec quelle facilité ce que vous faites de plus simple et de plus innocent peut être mal interprété par quelqu'un qui vous observe. Quelqu'un vous arrête dans la rue pour vous demander son chemin. Vous lui dites ce qu'il veut savoir, et peut-être avez-vous une courte conversation. Il poursuit ensuite son chemin.

Ce que vous ne savez pas, c'est que sur l'écran de la police, le système biométrique l'a reconnu - à tort ou à raison - comme un terroriste suspect. Et bien sûr, vos nom et adresse sont disponibles aussi. Les observateurs n'ont aucun moyen de savoir ce que s'est dit, seulement que vous vous êtes croisés et avez eu un échange.

Et vous voilà fiché, à votre insu, dans la base de données de la police en tant que suspect vous-même.

Ou encore, vous fréquentez assez régulièrement un café ou un petit restaurant. Il est bien situé, ou vous aimez particulièrement ce qu'on y sert. Vous n'avez aucun moyen de savoir que la police considère l'endroit comme un lieu de rencontre de membres du crime organisé. Comme vous êtes observé et reconnu comme quelqu'un qui y est souvent, peut-être vous retrouverez-vous sur une liste de personnages suspects que dresse la police - sans avoir la moindre chance de vous expliquer.

Peut-être les caméras sont-elles placées dans un secteur où la prostitution pose problème. Vous êtes interpellé par une prostituée qui vous demande de la protéger - elle affirme que quelqu'un la suit et vous demande de l'accompagner à sa voiture, un peu plus loin. Vous décidez de la croire et vous l'accompagnez.

La caméra veille, et vous êtes maintenant fiché comme quelqu'un qui a accompagné une prostituée. Vous ne sauriez jamais rien de ces erreurs d'interprétation sauf, peut-être, le jour où vous poserez votre candidature à un emploi qui exige une autorisation de sécurité - et vous ne pouvez l'obtenir pour des motifs dont vous ne savez rien.

Ou vous vous voyez refuser l'accès aux États-Unis.

À mesure que les caméras se multiplieront et que l'observation augmentera, nous apprendrons à éviter de faire des choses qui pourraient être mal interprétées.

Et c'est là que je veux en venir : si vous devez passer votre vie sachant qu'où que vous alliez, quiconque vous rencontrez, quoi que vous fassiez peut être observé, décortiqué, vérifié, jugé et peut-être mal interprété et utilisé contre vous par des inconnus, par les autorités de l'État - si vous devez passer toute votre vie ainsi, vous n'êtes pas réellement libre.

Dans ce contexte, permettez-moi de revenir maintenant sur ces quatre critères dont j'ai parlé : la nécessité, l'efficacité, la proportionnalité et la disponibilité de solutions moins intrusives pour la vie privée.

Commençons par la nécessité. La criminalité monte-t-elle de façon si vertigineuse et hors de contrôle ici, à Toronto, que le remède si phénoménalement intrusif des caméras de surveillance par la police soit nécessaire ? En réalité, non.

Le taux de criminalité est en baisse à Toronto, et ce, depuis des années. En 2000, le taux de criminalité, à Toronto, pour tous les types d'infraction au Code criminel, était inférieur à celui de toute autre grande ville au Canada - inférieur à ceux de Vancouver, Winnipeg, Calgary, Edmonton, Ottawa, Montréal et Halifax. Il en est de même pour les crimes contre la propriété. Pour les crimes violents, seule Ottawa affiche un taux inférieur.

C'est la même chose pour le taux de criminalité au Canada dans son ensemble. En 2000, le taux de criminalité, au Canada, a baissé pour la neuvième année consécutive.

Il n'y a donc aucune preuve d'une quelconque immense nouvelle vague de criminalité qui souligne l'urgence et la nécessité de se jeter sur les caméras de surveillance comme une solution.

Cependant, même si c'était le cas, il y a tout de même le prochain critère de l'efficacité : les caméras de surveillance vidéo sur les artères publiques parviennent-elles à réduire la criminalité ? La réponse est non. Toutes les données existantes indiquent qu'au mieux, elles la déplacent - de là où sont les caméras vers d'autres secteurs où il n'y en a pas.

Même un porte-parole du détachement de la GRC à Kelowna - où, comme je l'ai dit, on a déjà installé une caméra - a dit l'été dernier, selon le Vancouver Sun, que le principal effet des caméras serait de déplacer la criminalité.

Il a expliqué que les activités criminelles, du centre-ville de Kelowna, iraient vers la banlieue - et que ce serait une bonne chose parce que les propriétaires de maisons appelleraient plus vite la police.

En décembre dernier, j'ai demandé au commissaire de la GRC de me communiquer des données sur le nombre d'arrestations attribuables à la caméra de Kelowna depuis son installation - et aussi des statistiques comparant le taux de criminalité général à Kelowna pendant les mois où la caméra était en fonction avec le taux de la même période l'année précédente. J'ai appris que ces données n'existaient pas - même si c'était censé être un projet pilote. À ce que j'ai compris, la GRC ne fait que commencer maintenant à recueillir des données sur l'efficacité de la caméra de surveillance, deux ans après son installation.

Aux États-Unis, le tableau n'est guère plus flatteur. À Long Island, à Newark et à Charleston, en Virginie occidentale, on a établi des systèmes de surveillance vidéo et a trouvé qu'ils n'avaient aucune influence sur le taux de criminalité.

À Mount Vernon, dans l'État de New York, ils ont exploité l'un de ces systèmes pendant trois ans et ont fini par le démonter parce qu'il n'avait pas contribué à la moindre arrestation.

En juin dernier, la ville de Tampa, en Floride, a installé un système de surveillance vidéo qui comportait un système de reconnaissance biométrique des physionomies. Le système n'a jamais permis d'identifier un seul individu dans la base de données photographiques de la police. Par contre, il a apparié à tort des tas de gens, notamment des gens de sexe opposé ainsi que d'âges et de poids très différents.

De fait, le système était si imprécis que le service de police a cessé de l'utiliser quelques mois à peine après son installation.

Le Royaume-Uni a plus de caméras de surveillance vidéo que toute autre société du monde - plus de deux millions, et ce nombre croît chaque année.

Et les faits se passent fort bien de commentaires.

À Glasgow, on a évalué le système de surveillance un an après son installation. À prime abord, il semblait que le taux de criminalité avait baissé. Mais en regardant de plus près les statistiques, on a constaté une hausse de la criminalité de 9 p. 100.

Londres a environ 150 000 caméras de surveillance vidéo. L'année dernière, il s'y trouvait plus de caméras que jamais auparavant. Et devinez quoi ? L'année dernière, les crimes de rue à Londres ont affiché une hausse de 40 p. 100.

Le Commissariat s'est entretenu avec Jason Ditton, un professeur de criminologie à la faculté de droit de la University of Sheffield, en Angleterre. Le professeur Ditton est largement reconnu comme, peut-être, le plus grand expert du monde sur l'efficacité de la surveillance vidéo en plein air. Il étudie le sujet depuis 1993.

Voici ce qu'il nous a dit :

[Traduction] « Il n'existe aucune preuve convaincante que la surveillance télévisuelle en circuit fermé des rues réduit la criminalité ou la crainte de la criminalité. De fait, pour chaque étude digne de foi qui fait état d'un avantage, je peux vous en montrer une autre qui la contredit. Si la preuve du succès est une condition préalable à l'installation, je peux confirmer que cette preuve n'existe pas. »

Et vous savez, il n'y a rien d'étonnant à ce que la surveillance vidéo ne puisse au mieux que déplacer le crime et non pas le réduire. La logique nous dit la même chose.

Tout un ensemble de facteurs - sociaux, psychologiques, économiques et bien d'autres - sous-tendent le comportement criminel. L'installation d'un tas de caméras ne fera pas les toxicomanes lâcher la drogue du jour au lendemain et aller siroter un café latté chez Starbucks pour la remplacer.

Les caméras n'inciteront pas les prostituées à s'inscrire au collège de secrétariat. Elles ne pousseront pas les détrousseurs et voleurs à la tire à se repentir de tous leurs péchés. Ces gens-là vont plutôt s'éloigner des caméras et se recycler dans l'introduction par effraction ou le vol de voitures.

De plus, une caméra vidéo n'a pas, comme l'agent de police en patrouille, le pouvoir de vous faire sentir plus en sécurité, de toute façon. Si vous êtes victime d'un détrousseur, si vous êtes attaqué ou poignardé, elle ne sautera pas du poteau où elle est amarrée pour voler à votre secours.

Lorsque arrivera la police, le crime sera depuis longtemps commis et le préjudice vous aura été causé - ces choses-là se passent généralement en un éclair. Alors, en un mot, il n'y a pas de raison convaincante de croire que les caméras de surveillance vidéo ici, à Toronto, réduiront la criminalité ou vous assureront une plus grande sécurité.

Cela nous amène au troisième critère, celui de la proportionnalité. Je ne pense pas avoir besoin de m'étendre longuement sur celui-là. Puisqu'on ne peut démontrer les avantages, le préjudice que causerait ces caméras ne peut certainement pas être proportionnel.

Rien ne permet de croire qu'elles vous assureront plus de sécurité. Tout porte à croire - à savoir - qu'elles réduiront le respect de la vie privée et contribueront à créer une société où nos libertés et nos droits fondamentaux sont grandement réduits, en permanence.

Nous en arrivons au dernier critère : existe-t-il des solutions moins intrusives pour la vie privée ?

Bien sûr, il existe toute une gamme de solutions - comme l'amélioration de l'éclairage des rues, les programmes de surveillance de quartier, ou une plus grande présence policière dans les rues.

Et bien entendu, il y a des initiatives plus vastes que l'on peut envisager, qui pourraient aller plus au fond du problème - les initiatives de politiques sociale et économique, des programmes d'éducation et de réadaptation, l'aménagement urbain, et j'en passe.

Alors je vous propose ceci : oublions les caméras et concentrons-nous sur ces autres mesures de prévention du crime.

J'aimerais pouvoir dire au reste du Canada, tandis que je parcourrai le pays pour parler contre la prolifération de ces caméras : « Regardez Toronto. Les gens de Toronto ont pris le temps d'examiner les faits, d'étudier les preuves, de réfléchir à ce qu'ils étaient sur le point de perdre, et ils ont dit non aux caméras. »

Et je leur dirai ce que je vous dis maintenant : donnez un exemple de force et non de timidité. Fondez vos décisions sur les faits, et non pas sur les racontars pessimistes. Construisez une société véritablement sécuritaire et libre, non pas un État policier faussement sécuritaire. Montrez votre dévouement pour les valeurs qui font la grandeur de ce pays - et défendez la vie privée.