Canada Flag   Gouvernement du Canada / Government of CanadaCanada
Skip first menu Skip all menus
   
English Contacteznous Aide Recherche Site du Canada
Accueil SNSVAC Plan du site Liens Ministère de la Justice Canada Sécurité publique
Accueil SNSVAC
Colloque 2007
Guide de ressources
Salle des nouvelles
Calendrier
Archives SNSVAC 2006
Liens
Plan du site
Semaine nationale de sensibilisation aux victimes d'actes criminels

Page précédente | Table des Matières | Page suivante

Les victimes s'expriment : comment se faire entendre dans le système de justice du Canada

Note aux lecteurs : Le présent aperçu du mouvement en faveur des victimes au Canada a été rédigé par Laura Eggertson, journaliste primée et rédactrice pigiste, à la demande du Centre de la politique concernant les victimes. Il a été créé en réponse à la rétroaction reçue concernant le guide de ressources de la Semaine nationale de sensibilisation aux victimes d'actes criminels de 2006. Il se veut un article complémentaire à l'article « Évolution des initiatives du gouvernement fédéral visant à appuyer les victimes d'actes criminels au Canada ». Ensemble, les deux histoires montrent l'évolution du mouvement en faveur des victimes et la façon dont il a influé sur les initiatives du gouvernement.

Cet aperçu présente certains des pionniers de l'aide aux victimes au Canada, mais il ne s'agit pas d'une liste exhaustive.

Lorsque des victimes d'actes criminels parlent de leurs interactions avec la société et avec le système de justice du Canada au cours des 25 dernières années, leur récit est très personnel. Néanmoins des thèmes universels ressortent de ces témoignages, notamment la souffrance, le courage, l'empathie et l'action. Mais, pardessus tout, les progrès du mouvement en faveur des victimes au Canada ont été réalisés grâce aux efforts déployés par les victimes pour s'exprimer et pour jouer un rôle dans cette aventure à la fois la plus humaine et la plus inhumaine.

Sharon et Gary Rosenfeldt ont été parmi les premiers à fonder Victims of Violence, l'un des plus anciens groupes de revendication des victimes au Canada. Leur histoire a commencé en avril 1981 quand Sharon a remis à son fils Daryn, âgé de 16 ans, des vêtements à faire nettoyer. À 11 h, elle l'a envoyé à un centre commercial situé à un pâté et demi de maisons de leur résidence de Coquitlam, en ColombieBritannique, et il n'est jamais revenu.

Les Rosenfeldt ont appris plus tard que Clifford Olson, un tueur en série, avait enlevé Daryn dans ce centre commercial de Coquitlam. Il l'avait ensuite agressé sexuellement l'adolescent et l'avait tué. Il s'agit d'un des 11 meurtres pour lesquels Olson a depuis été reconnu coupable et purge une peine d'emprisonnement à vie.

Pendant les semaines d'agonie qui ont suivi la disparition de Daryn, les Rosenfeldt n'avaient aucune idée de ce qui était arrivé à leur fils. Ils se sentaient isolés et impuissants. À l'époque, il n'y avait pas d'organisme national au Canada qui s'occupait des enfants portés disparus, et il n'y avait aucun groupe de soutien pour les aider.

Lacune au niveau des services

Bien que durant les années 1970 on commençait à créer au Canada des organisations féminines et des refuges pour les victimes de violence familiale, au début des années 1980, la population ne reconnaissait que très peu les besoins des victimes et les gouvernements n'étaient pas encore conscients de cette lacune dans les services. Les professionnels qui menaient des enquêtes sur les crimes et qui poursuivaient les accusés donnaient souvent l'impression aux victimes et aux membres de leur famille qu'ils étaient à blâmer - surtout dans les affaires d'agression sexuelle. C'est dans ce climat que les Rosenfeldt ont du faire face à l'enlèvement de Daryn.

À cause de l'âge de Daryn, les policiers estimaient qu'il pouvait s'agir d'une fugue. Gary Rosenfeldt a montré la photographie de son fils aux détaillants du centre commercial où il avait disparu; les policiers ne les avaient pas encore interrogés. Les efforts de Gary pour que l'enquête sur la disparition de son fils se fasse en priorité n'ont pas été pris au sérieux.

Selon Gary Rosenfeldt, « il n'y avait rien pour nous - zéro; personne ne nous a aidés, sauf certains de nos amis[*] ».

Lorsque les Rosenfeldt ont cherché à obtenir des renseignements des policiers, ceuxci leur ont dit brusquement que l'affaire concernant leur fils n'était pas la seule dont ils s'occupaient. Ou on les a ignorés. Gary Rosenfeldt se souvient que « le plus difficile, c'était que les gens ne nous rappelaient jamais ».

En mai, les policiers ont appelé les Rosenfeldt pour leur demander les fiches dentaires de leur fils. Ils avaient trouvé le corps d'un garçon. Le 10 mai, un agent de la GRC du détachement de Mission, en ColombieBritannique, a téléphoné et a demandé à parler à Sharon. Il lui a dit qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter - ce n'était sans aucun doute pas le corps de leur fils qu'ils avaient trouvé. Le 11 mai, on a appelé à nouveau. Cette fois, le policier a annoncé à Sharon qui était horrifiée : « Après tout, je crois que c'est le corps de votre fils que nous avons trouvé. »

Lorsque Gary Rosenfeldt a mis la main sur le combiné que Sharon venait de laisser tomber, le policier avait déjà raccroché. Peu après, deux policiers de Mission sont arrivés et ont été surpris d'apprendre que quelqu'un avait déjà informé les Rosenfeldt du décès de leur fils.

Au cours des jours difficiles et effrayants qui ont suivi la découverte du corps de Daryn et pendant que les policiers interrogeaient les membres de la famille, Sharon Rosenfeldt eut une réaction de soulagement : « Au moins, quelqu'un y prêtait attention. »

Création d'un organisme

Alors que les Rosenfeldt continuaient à avoir affaire à des policiers, à des agents de la GRC, à des journalistes et plus tard à des poursuivants et à des fonctionnaires du ministère de la Justice, leur perplexité et leur frustration initiales se sont transformées en une résolution ferme. Ils se sont dit que jamais un autre père, une autre mère, un autre membre d'une famille ne devrait avoir à endurer ce qu'ils avaient enduré. Leur peine et leur colère étaient exacerbées par leurs rencontres - leurs frictions - avec les intervenants du système de justice. À leur stupéfaction et à leur surprise, ils ont découvert, comme d'autres victimes l'ont découvert, qu'aucun rôle n'était prévu pour eux au cours de l'enquête ni au cours du procès qui a suivi. Le poursuivant représentait l'État; les avocats de la défense représentaient le délinquant. Personne ne les représentait. Personne n'écoutait leurs questions. Personne ne voulait leur avis.

D'après Gary Rosenfeldt, « c'était un stress inimaginable ».

Sharon Rosenfeldt a commencé à communiquer avec les parents d'autres enfants portés disparus en ColombieBritannique. Sa seule source de renseignements était les numéros de téléphone inscrits au bas des affiches sur les enfants disparus apposées sur les poteaux de téléphone et les tableaux d'affichage. Avec le temps, elle a communiqué avec les parents de nombreuses autres victimes d'Olson.

D'après Sharon Rosenfeldt, « mon premier appel satisfaisait un besoin essentiel - le désir de tendre la main vers quelqu'un d'autre; je voulais simplement parler à quelqu'un qui ressentait la même chose que moi ».

En juillet 1981, les Rosenfeldt et les autres parents ont formé un des premiers groupes de soutien des victimes au pays : Parents of BC Child Murder Victims. Ce groupe offrait ce qui ne leur était offert par aucun ordre de gouvernement et aucun groupe communautaire à l'époque : l'occasion de parler, d'écouter et d'exprimer leur peine et leur frustration.

Après l'arrestation d'Olson le 12 août 1981, les Rosenfeldt ont subi d'autres affronts. Alors qu'elle aidait son fils cadet à livrer des journaux, Sharon a été surprise de voir un gros titre indiquant qu'Olson avait agressé sexuellement Daryn. Aucun des policiers enquêteurs ne leur avait parlé de cette agression, bien que Gary avait demandé à être informé avant les journalistes. On avait également évité de mettre la famille des victimes d'Olson au courant des sommes que la GRC avait versées à Olson pour qu'il indique les endroits où se trouvaient les corps des enfants.

Selon Gary Rosenfeldt, c'est à cause du processus adopté que les familles étaient en colère lorsqu'elles ont été mises au courant de ces versements, pas à cause du moyen utilisé par les fonctionnaires pour trouver les corps. Il a expliqué que « ce n'était pas une question d'argent; nous aurions fait n'importe quoi pour aider à trouver les corps. C'était plutôt en raison de l'absence d'explication aux familles au sujet de ce que l'on était en train de faire ».

De plus en plus, les Rosenfeldt et les autres familles avaient l'impression qu'ils n'avaient aucun droit dans le bouleversement qui a suivi le meurtre de leurs enfants. La seule personne qui semblait avoir des droits, être représentée par des avocats et jouer un rôle était le délinquant.

Une promesse est faite

Lorsque Gary et Sharon ont ramené la dépouille de Daryn chez eux à Saskatoon et l'ont enterrée, ils se sont tenus debout devant sa tombe et ont fait un serment. Ils ont dit à leur fils qu'ils ne reviendraient pas à sa tombe avant de s'être assurés d'avoir changé le système pour que d'autres familles n'aient pas à souffrir comme eux.

Selon Sharon Rosenfeldt, « nous nous proposions de corriger les choses à cause du traitement qu'il avait reçu pendant sa courte vie et parce que personne d'autre ne s'en était soucié ».

Seize ans se sont écoulés avant qu'ils retournent visiter sa tombe.

Dans la même année où Olson a été arrêté, mettant ainsi un terme à ses meurtres, un autre rassemblement de citoyens s'est organisé pour exercer des pressions afin de faire modifier la Loi sur la libération conditionnelle (qui a précédé la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). À la suite du meurtre de Lise Clausen, âgée de 15 ans, à Duncan, en ColombieBritannique, par Paul Kocurek qui avait été libéré sous condition, les Clausen, des résidents et politiciens de cet endroit, ont formé l'organisme Citizens United for Safety and Justice le 14 septembre 1981.

Au cours des années qui ont suivi, les Rosenfeldt, Inge Clausen et d'autres personnes touchées par un crime de violence ont continué à s'organiser. Les Rosenfeldt ont déménagé à Edmonton. Ils s'intéressaient à la situation critique d'autres familles dont un enfant avait disparu ou avait été assassiné. Selon Gary Rosenfeldt, « nous nous disions tous les deux que nous ne pouvions laisser ces gens se faire traiter de la même façon que nous l'avions été ».

En 1983, après avoir rencontré des députés fédéraux de leur région et Don Sullivan, qui avait créé un groupe ontarien nommé Victims of Violence (en février 1982), les Rosenfeldt ont reconnu qu'il fallait fonder un organisme national de promotion des droits des victimes. En mars 1984, ils ont enregistré Victims of Violence en tant qu'organisme national de bienfaisance. Gary Rosenfeldt a commencé à exercer des pressions sur les chefs de police, le solliciteur général et les procureurs généraux dans tout le pays, leur demandant d'adopter un protocole normalisé à l'intention des policiers sur la façon d'informer les familles d'un décès. Ils ont commencé à faire mieux connaître les besoins des victimes et à leur offrir des services.

Le gouvernement albertain a fourni un bureau à Gary Rosenfeldt au palais de justice d'Edmonton. En dépit de l'opposition de certains avocats de la défense et de certains délinquants, Victims of Violence a commencé à fournir des services à des victimes rencontrées au palais de justice. Les membres de cet organisme ont exercé des pressions en faveur de l'utilisation des déclarations de victime. Les victimes d'un crime de violence voulaient avoir l'occasion de raconter ce qui leur était arrivé et d'assumer un rôle dans le système de justice.

Pressions en faveur du changement

Dans tout le pays, d'autres victimes s'organisaient aussi et exerçaient des pressions pour que les dispositions législatives et les programmes soient modifiés. Certaines de ces personnes se concentraient sur les déclarations de victime et sur la détermination de la peine. D'autres personnes répondaient aux besoins de soutien pratique, affectif et financier des victimes. D'autres encore se concentraient sur les réformes qui devaient être apportées au régime de libération conditionnelle. La situation critique des femmes victimes de violence familiale ou d'agression sexuelle motivait d'autres groupes. Certaines victimes ont surmonté leur peine en créant des programmes mettant l'accent sur le pardon, la réadaptation et la justice réparatrice.

Ces organismes n'étaient pas tous composés principalement de victimes. Au Québec, Renée Collette, ancienne agente de libération conditionnelle et professeure de criminologie, et Micheline Ball se sont jointes à des collègues et à des professionnels de divers secteurs du système de justice pénale pour fonder l'Association québécoise PlaidoyerVictimes en 1984. Cet organisme s'inspirait en partie des recommandations du Groupe de travail fédéralprovincialterritorial sur la justice pour les victimes d'actes criminels qui avait mis en lumière dans son rapport de 1983 le besoin d'assurer que les intervenants du système de justice et des services sociaux soient davantage à l'écoute des citoyens. L'organisme s'inspirait également de l'Enquête sur les victimes d'actes criminels dans les centres urbains au Canada, effectuée par le solliciteur général en 1982.

D'après Renée Collette, qui est maintenant première viceprésidente de la Commission nationale des libérations conditionnelles, « nous étions un groupe de personnes provenant de divers secteurs d'activité qui se sont joints à des victimes pour déterminer comment nous pouvions mieux réussir à garantir que les victimes soient entendues, que leurs droits soient respectés ».

Renée Collette et ses collègues ont aidé à donner une formation aux policiers du Québec sur la façon d'aborder les victimes de viol. Ils ont également mis en œuvre un programme pilote à Saint‑Hubert sur la RiveSud de Montréal. Ils ont travaillé avec le ministère provincial de la Santé et des Services sociaux à soutenir les victimes d'actes criminels et à recueillir des données sur leurs besoins. Ce projet pilote a éventuellement entraîné la création au Québec des Centres d'aide aux victimes d'actes criminels, qui constituent une approche communautaire pour aider les victimes.

Assistance aux audiences de libération conditionnelle

Pour les victimes, le climat changeait, car le mouvement en faveur des victimes commençait à se faire entendre. Un des premiers succès de Citizens United for Safety and Justice a été obtenu au début de 1983, lorsque son président Dan Hughes et Inge Clausen ont été invités à assister à des audiences de libération conditionnelle dans un établissement carcéral à sécurité moyenne à Abbotsford, en ColombieBritannique. Ils étaient chargés de représenter des victimes et de témoigner au sujet des répercussions des crimes de violence.

À Winnipeg, Wilma Derksen connaissait la peine qu'avaient éprouvée les Rosenfeldt et les Clausen. En 1984, sa fille Candace, âgée de 13 ans, avait disparu en revenant de l'école mennonite où elle était étudiante.

Comme dans le cas des Rosenfeldt, les policiers de Winnipeg ont cru initialement que Candace faisait une fugue, bien que Wilma Derksen insistait que ce n'était pas le cas. Avec l'aide du Comité central mennonite, les Derksen ont organisé leurs propres recherches pour retrouver Candace. Une semaine après sa disparition, un étranger est tombé sur le corps de Candace dans une remise qui n'avait pas été utilisée depuis des années. Son meurtrier n'a jamais été trouvé.

À l'époque, le service de police de Winnipeg venait tout juste d'affecter un premier agent à un bureau de services aux victimes. Cependant, ce bureau n'avait ni les employés ni l'expérience nécessaire pour aider les Derksen. Comme les Rosenfeldt, Wilma Derksen a été stupéfaite d'apprendre que personne ne la défendrait dans le système judiciaire accusatoire. Pour elle, l'expérience a été comme une sorte de guerre.

« Je ne veux pas critiquer le système de justice, car je crois que chacun y accomplit son travail », ditelle. « C'est plutôt qu'il y a une lacune scandaleuse qui laisse les victimes tout à fait sans défense, sans moyen de s'exprimer, à un moment où elles sont plongées dans une guerre. Le système de justice leur enlève leurs armes, les laisse tout à fait impuissantes et ne les défend pas, ce qui est cruel. »

Wilma Derksen a entrepris son travail de revendication tout d'abord avec l'organisme Child Find. En 1985, elle a fondé la section manitobaine de cet organisme. Puis, de 1989 à 1994, elle a siégé au conseil d'administration et a été membre fondatrice de Family Survivors of Homicide. Ces deux organismes provinciaux avaient leur siège à Winnipeg.

Mme Derksen et d'autres parents ont poursuivi le travail du groupe de soutien, même quand Mme Derksen continuait de travailler comme journaliste au Mennonite Reporter. Son travail de bénévole et de journaliste lui permettait d'écouter d'autres victimes. Cellesci exprimaient leur sentiment de détresse et de solitude. Pendant les procès, les négociations de plaidoyer et la détermination de la peine, les victimes sentaient qu'elles avaient perdu leur droit à la vie privée et que leurs émotions étaient étalées à la vue de tous. On tenait rarement compte de leurs souhaits.

Wilma Derksen explique : « On voulait réduire les victimes au silence. Les victimes se sentaient exclues. Le crime détruit l'image qu'on a de la sécurité, et le fait que personne ne revendique quoi que ce soit pour la victime fait disparaître encore une autre illusion qu'on s'était fait de la sécurité. »

Indemnisation des victimes d'actes criminels

À Edmonton, Martin Hattersley a lui aussi appris ce qu'était la perte du sentiment de sécurité. Le 3 août 1988, sa fille Catherine Greeve, âgée de 29 ans, a été assassinée dans les toilettes d'une station du système de métro léger par un jeune homme en liberté conditionnelle qui cherchait à la voler. Au terme de deux mois d'enquête, les policiers ont arrêté le délinquant. Il a été déclaré coupable d'homicide involontaire et purge une peine d'emprisonnement à perpétuité.

En tant qu'avocat et prêtre anglican, Martin Hattersley avait un avantage par rapport à de nombreuses victimes; il comprenait le fonctionnement du système de justice. Il n'était cependant pas préparé à l'insuffisance des services offerts à sa famille ni à ce à quoi il aurait à faire face lorsqu'il s'adresserait au seul programme gouvernemental offert. À l'époque, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels était l'un des moyens peu nombreux à la disposition des victimes pour consigner leur expérience. Mais quand Martin Hattersley a rempli le formulaire de demande, « j'ai trouvé l'expérience très bouleversante », atil dit.

En décrivant le programme de l'époque, il dit : « C'était comme si on nous disait qu'il fallait prouver que nous avions perdu de l'argent dans cette affaire; plus que tout autre chose, cela ne servait qu'à retourner le couteau dans la plaie. »

Contrairement aux Rosenfeldt, les Hattersley était satisfaits de la manière dont les policiers avaient mené l'enquête sur le décès de leur fille. Selon Martin Hattersley, « ils ont mené l'enquête avec beaucoup de diligence, et nous ont tenus très au courant de ce qu'ils essayaient de faire ».

Martin Hattersley est devenu membre de la Victims of Homicide of Edmonton Support Society, dont les membres continuent à se réunir régulièrement, souvent en compagnie d'un conseiller aux personnes en deuil. Il raconte qu'il a également commencé à « chercher à remettre les meurtriers du monde dans la bonne voie. Le fait de ne pas chercher à diaboliser ces gens nous aide à garder contact avec la réalité. »

Même avant le décès de Cathy, Martin Hattersley avait commencé à communiquer avec un groupe qui fraternisait avec les détenus. Il a commencé à agir comme bénévole dans les prisons dans le cadre d'un cours sur les solutions de rechange à la violence. Finalement, Martin Hattersley est devenu animateur de ce cours. Aujourd'hui, en plus d'apporter du soutien aux victimes, il continue à travailler avec des délinquants. « Vous commencez à considérer ces gens comme des êtres humains, et c'est très thérapeutique », ditil.

À partir du milieu des années 1980 et jusqu'en 1996, les provinces et les territoires ont commencé à adopter des dispositions législatives concernant les victimes. De nombreuses administrations ont modifié leur programme d'indemnisation, y compris l'Alberta, au grand soulagement de Martin Hattersley. Les provinces et les territoires ont commencé à créer des divisions des services aux victimes et à nommer leur directeur ou à financer des services d'aide aux victimes assurés par les tribunaux, la police ou la collectivité.

Modifications apportées au Code criminel

Au milieu des années 1980, les dispositions du Code criminel sur l'agression sexuelle, l'enlèvement d'enfants et l'exploitation sexuelle d'enfants ont été modifiées. Au lieu de se concentrer sur le viol, les dispositions du Code ont été élargies pour inclure l'agression sexuelle, et les dispositions sur la protection des victimes de viol ont été modifiées. Les Nations Unies ont adopté de nombreuses résolutions qui créaient des instruments internationaux reconnaissant les droits des victimes, y compris la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir, parrainée par le Canada. Les efforts d'Irvin Waller, professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa, ont contribué au parrainage de cette déclaration par le Canada. M. Waller a également joué un rôle important en appuyant la création du Groupe d'étude fédéralprovincial sur la justice pour les victimes d'actes criminels en 1981. En 1988, le Canada a élaboré son propre ensemble de principes fondé sur cette déclaration des Nations Unies. Il s'agit de la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité.

Selon Alan Young, professeur à Osgoode Hall Law School de l'Université York à Toronto, l'apparition graduelle d'un climat plus ouvert à l'égard des services d'aide aux victimes n'est pas le résultat d'un incident ou d'un organisme unique. Il en attribue plutôt la cause au taux de criminalité en hausse entre 1962 et 1990, à la couverture médiatique intense de la criminalité et à l'empathie croissante des Canadiens en faveur d'améliorer le système. Cependant, chaque affaire particulière, chaque décès et chaque groupe qui a été formé en conséquence a joué un rôle important en exigeant et en obtenant l'adoption de modifications aux dispositions législatives qui ont comblé des lacunes au niveau de la loi.

D'après Alan Young, les associations d'aide aux victimes ont joué un rôle crucial en assurant que les mesures gouvernementales ne se limitent pas à une simple expression de sympathie diminuant dès qu'une nouvelle question politique attirait leur attention. Elles ont continué à exercer des pressions et ont ainsi fait en sorte que les gouvernements de toutes les allégeances politiques continuent à se pencher sur ces questions.

« Les victimes ou les membres de leur famille n'allaient pas permettre que ce soit un phénomène passager », dit Alan Young.

Le mouvement féministe en tant que « miroir »

Selon Alan Young et Joanne MarriottThorne, directrice des programmes de la Division des services de police et d'aide aux victimes au ministère de la Justice de la NouvelleÉcosse, le mouvement féministe a joué un rôle crucial dans l'apparition du mouvement en faveur des victimes. Joanne MarriottThorne décrit le mouvement féministe comme le « miroir » et la tribune où l'on a commencé à décrire clairement la situation des femmes victimes et, par la suite, celle de toutes les victimes.

« C'est à cause du mouvement féministe et de la description par les femmes d'expériences traumatisantes, d'épreuves et d'injustices qu'elles avaient subies que le phénomène des femmes victimes a vraiment été mis en lumière », dit Joanne MarriottThorne. Des changements ont commencé à être effectués quand on a mis en relief que le système de justice pénale peut victimiser davantage les femmes qui ont subi une agression sexuelle ou qui ont été victimes de violence familiale. Ces changements ont eu des répercussions dans le domaine des droits de toutes les victimes.

En dépit des changements apportés, il y a avait encore de graves injustices, comme l'a constaté Marjean Fichtenberg en septembre 1993. À Prince George, en ColombieBritannique, un détenu en semiliberté a assassiné son fils Dennis, âgé de 25 ans. On a appris plus tard que le délinquant était un informateur de la GRC et que la GRC avait exercé son influence pour qu'on lui accorde sa remise en liberté conditionnelle.

Douze ans s'étaient écoulés entre l'atroce épreuve des Rosenfeldt et celle subie par Marjean Fichtenberg. Mais, en dépit des progrès accomplis par le mouvement en faveur des victimes, Mme Fichtenberg a éprouvé bon nombre des mêmes frustrations que les Rosenfeldt.

« Quand j'ai appris que le délinquant qui avait tué mon fils était en libération conditionnelle, j'ai ressenti le besoin de découvrir ce qui s'était passé », dit Mme Fichtenberg. « J'ai commencé à me renseigner sur le système et son fonctionnement pour savoir où le système avait fait défaut. »

Marjean Fichtenberg a commencé à poser des questions au Service correctionnel du Canada et à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Au début, les fonctionnaires lui ont donné des réponses évasives.

« Ce qui a été le plus difficile, dit Marjean Fichtenberg, c'était d'obtenir que les gens me parlent et que les intervenants du système répondent à mes lettres. »

Problèmes liés à la libération conditionnelle

Il lui a fallu exercer des pressions pendant deux ans sur le procureur général de la ColombieBritannique avant de réussir à obtenir que le gouvernement provincial ouvre une enquête publique. Après avoir poursuivi le Service correctionnel du Canada, la Commission nationale des libérations conditionnelles et la GRC, elle a obtenu un règlement hors cour. Mais, ce qui est plus important encore pour Marjean Fichtenberg, c'est que la Commission nationale des libérations conditionnelles a donné suite à la recommandation des responsables de l'enquête qu'un poste d'ombudsman indépendant des victimes soit créé et a formé le Comité consultatif des victimes dans la région du Pacifique. Marjean Fichtenberg est membre de ce comité. Elle est également membre de Citizens United for Safety and Justice et travaille en collaboration avec Inge Clausen et d'autres personnes à résoudre des problèmes concernant le droit des victimes d'assister aux audiences de libération conditionnelle et de présenter des déclarations.

Pendant que Marjean Fichtenberg cherchait à obtenir des renseignements et des réponses, une autre défenseure s'est jointe au mouvement en faveur des victimes. Le 9 août 1991, Nina de Villiers a été enlevée et assassinée pendant qu'elle faisait du jogging à Burlington, en Ontario. Son meurtrier, Jonathan Yeo, était en liberté sous caution de 3 000 $, après avoir été accusé d'agression sexuelle et d'utilisation d'une arme à feu. Une heure avant que M. Yeo enlève Nina de Villiers, un gardefrontière américain l'avait empêché d'entrer aux ÉtatsUnis et avait averti l'Agence du revenu du Canada qu'il était en possession d'une arme, de son formulaire de mise en liberté sous caution et d'une note de suicide.

Peu après le meurtre de Nina, ses parents Priscilla et Rocco de Villiers ont commencé à faire circuler une pétition demandant au gouvernement fédéral de modifier le Code criminel et la Loi sur la libération conditionnelle. Ils voulaient que les dispositions sur la mise en liberté sous caution et la libération conditionnelle soient plus rigides. Trois millions de personnes ont signé la pétition.

Les de Villiers ont aussi créé l'organisme Canadiens contre la violence partout recommandant sa révocation (CAVEAT). CAVEAT visait la modification des lois, la sensibilisation et la prévention ainsi que la défense des droits des victimes. CAVEAT a également réussi à faire mieux connaître les problèmes des victimes et à réunir des représentants d'organismes de revendication, des policiers et des décideurs. Priscilla de Villiers indique que l'objectif ultime de CAVEAT était de créer une société paisible et juste où les gens sont en sécurité.

L'un des problèmes que Priscilla de Villiers voulait régler plus que tout était le fait que le système de justice déshumanise les victimes. Les membres de CAVEAT ont déployé de grands efforts pour personnifier ces dernières, afin que le public, les médias et le système de justice apprennent à connaître les gens dont parlent les statistiques. Mme De Villiers a souvent fait allusion à l'événement du 6 décembre 1989 connu sous le nom de « massacre de Montréal ». Ce jour là, Marc Lépine a tué par balles 14 femmes dans les corridors de l'École Polytechnique de Montréal.

« Après le massacre de Montréal, personne ne pouvait nommer les victimes, mais tous savaient qui était le meurtrier », affirme De Villiers. « C'est devenu mon mot d'ordre. Je ne veux jamais prononcer le nom du meurtrier de ma fille. Ce n'est pas lui que nous voulons glorifier. »

En 1994 et en 1995, CAVEAT a organisé des conférences SafetyNet en collaboration avec l'Association canadienne des policiers. Lors de ces conférences, on a formulé des réformes législatives à recommander à tous les ordres de gouvernement. Elles portaient sur l'accroissement des services aux victimes, l'adoption de dispositions fondées sur le « principe des peines réelles » et l'imposition de peines plus sévères aux délinquants.

Un nouveau centre de ressources

Un des premiers exemples concrets de l'augmentation des ressources affectées aux victimes a été la création du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Cet organisme sans but lucratif, établi en 1993, est appuyé par l'Association canadienne de la police professionnelle ainsi que par d'autres organismes policiers et d'autres donateurs. Le Centre se porte à la défense des droits des victimes et des personnes ayant survécu à un crime de violence, mène des recherches et offre des services aux victimes et aux groupes de défense de leurs droits. Le Centre exerce également des pressions sur tous les ordres de gouvernement pour qu'ils modifient les dispositions législatives et fournissent des services.

Selon Steve Sullivan, l'actuel présidentdirecteur général du Centre, ce dernier cherche aussi à s'assurer que le système de justice canadien évite toute nouvelle victimisation.

« Le système de justice ne peut pas vraiment rendre les gens heureux », ditil. « Il ne ramènera pas l'être cher à la vie; il ne fera pas disparaître les souvenirs de l'agression sexuelle. Le mieux qu'il puisse faire est de ne pas causer plus de mal. »

Lorsque le Centre a commencé son travail, Steve Sullivan estimait que le système de justice causait du mal aux victimes de crimes de violence, en ne tenant pas compte de leurs intérêts et en les excluant.

« Chaque étude sur les victimes montre que la plupart des victimes attachent la plus grande importance aux renseignements », dit Steve Sullivan. « Parfois la sécurité est aussi un problème important. Mais le principal besoin qu'elles ont signalé est l'obtention de renseignements, car les renseignements permettent d'agir. Ils permettent de comprendre. »

Une promesse tenue

En 1997, les Rosenfeldt estimaient qu'ils étaient enfin parvenus à un certain niveau de compréhension. Clifford Olson a présenté une demande de mise en liberté anticipée en vertu de ce qui était alors connu comme l'article 745.6 du Code criminel - la clause de la « dernière chance ». Le Service correctionnel du Canada a invité les Rosenfeldt et les membres de la famille des autres victimes à assister à l'audience. Ils ont lu des déclarations de victime. La GRC a chargé des policiers de s'asseoir avec les familles pendant l'audience et de leur parler après celleci. Mais ce qui est plus important encore, c'est que la GRC a présenté publiquement des excuses aux familles pour le traitement que les policiers leur ont fait subir à l'époque des meurtres, après l'arrestation d'Olson et pendant son procès.

« C'est à ce momentlà que j'ai compris que les choses avaient vraiment changé », dit Sharon Rosenfeldt. « On avait fait complètement volteface dans la manière qu'on nous traitait. »

Après 16 années, les Rosenfeldt sont retournés visiter la tombe de Daryn la tête haute. Ils avaient réussi à changer quelque chose.

Mais la lutte pour faire reconnaître les droits des victimes n'était pas terminée. De nombreux défenseurs des droits des victimes, notamment Sharon Rosenfeldt, ont continué leur travail au sein du gouvernement. Sharon Rosenfeldt est devenue présidente de la Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels de l'Ontario. L'Ontario l'a également nommée au poste de présidente du Bureau consultatif pour les services aux victimes d'actes criminels. Pricilla De Villiers a été membre du Conseil national de prévention du crime de 1994 à 1997. Joanne MarriottThorne, qui avait commencé à travailler dans ce domaine en tant que membre du Lunenburg County Women's Group, a travaillé comme experteconseil pour le gouvernement de la NouvelleÉcosse pour mettre sur pied des services en vertu de la Victims' Rights and Services Act, promulguée en 1990. Elle a ensuite dirigé des programmes et des services offerts dans toute la province. Renée Collette a mis son expérience acquise auprès d'organisations féminines et d'organismes communautaires et ses compétences du milieu universitaire au service de la Commission nationale des libérations conditionnelles, dont elle est actuellement la première viceprésidente.

Justice réparatrice

Au Manitoba, Wilma Derksen continue à travailler par l'intermédiaire du Comité central mennonite. Elle a créé un programme appelé Victims' Voice qui est fondé sur un modèle de justice alternative. En publiant un bulletin qui raconte l'expérience vécue par des victimes et en rédigeant des manuels maintenant utilisés dans de nombreux cours universitaires, elle espère contribuer à la formation de ceux qui rencontrent des victimes dans le cadre de leur travail au sein du système de justice. Wilma Derksen a également mis sur pied deux programmes : Victim Companion et Safe Justice Encounters. Dans le cadre du programme Victim Companion, elle offre un service de soutien aux victimes et aux membres de leur famille sous forme d'accompagnement devant les tribunaux et lors de rendezvous chez un médecin et d'aide lorsqu'ils remplissent les formulaires de demande d'indemnisation. Dans le cadre du programme Safe Justice Encounters, elle aide ceux qui souhaitent s'entretenir face à face avec le délinquant dont ils sont les victimes.

Wilma Derksen croit qu'en dépit des services que le mouvement en faveur des victimes a réussi à obtenir, il reste encore beaucoup à faire.

« La seule façon de résoudre entièrement le problème est d'organiser, après que la culpabilité ou l'innocence de l'accusé a été établie, une autre séance au cours de laquelle on s'occupe des victimes », ditelle.

Selon Wilma Derksen, après avoir déterminé la peine du délinquant, le système de justice pénale doit assumer sa responsabilité à l'égard de la victime. Il doit mettre au service des victimes un défenseur qui les renseigne sur les audiences de libération conditionnelle et leur droit d'y assister, leur offre l'occasion de parler au délinquant en toute sécurité et les aide à surmonter cette épreuve traumatisante.

De nombreux autres défenseurs des droits des victimes croient, comme le croit Wilma Derksen, que la prochaine orientation du gouvernement fédéral devrait être d'établir un organisme indépendant chargé de satisfaire aux besoins des victimes. Marjean Fichtenberg continue à demander la création d'un poste d'ombudsman des victimes. Elle croit que les victimes doivent avoir un représentant dont le statut est égal à celui du Bureau de l'Enquêteur correctionnel, qui est chargé d'étudier les plaintes des détenus et de mener des enquêtes sur elles.

Éduquer les gardiens du système

Marjean Fichtenberg estime que les problèmes des victimes devraient être inclus dans le programme d'enseignement des facultés de droit et dans les programmes mis sur pied à l'intention des délinquants. « La meilleure façon pour eux de réussir à se réadapter est de reconnaître le préjudice qu'ils ont causé en commettant leurs crimes », ditelle.

Au Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, Steve Sullivan souscrit tout à fait au besoin de former la prochaine génération d'avocats et de juges. Le Code criminel permet maintenant de présenter des déclarations de victime, mais il signale qu'elles ne sont utilisées que dans 12 p. 100 des cas. C'est en partie parce que certaines victimes refusent d'en présenter une. Mais de nombreuses autres victimes ne savent pas qu'elles ont le droit d'en présenter, et parfois les poursuivants qui règlent des arriérés de travail au moyen de négociations de plaidoyer et d'arrangements déconseillent l'utilisation de cellesci.

« Les institutions s'opposent encore beaucoup à une véritable mise en pratique des déclarations de victime », dit Steve Sullivan. Il est d'accord avec Marjean Fichtenberg que l'inclusion des expériences vécues par les victimes et des droits des victimes dans les programmes d'enseignement des facultés de droit aidera à changer les attitudes.

« Il est assez clair, dit Steve Sullivan, que ceux qui contrôlent vraiment le système sont des avocats, qu'ils soient poursuivants, avocats de la défense ou juges. Nous devons atteindre ces personnes dès le début, avant qu'ils soient engagés dans le système traditionnel qui est fondé [uniquement] sur les accusés et l'État. »

En ce qui concerne les dispositions législatives, Steve Sullivan croit que le mouvement en faveur des victimes a beaucoup accompli. « Je pense que nous y sommes presque. Le problème ne se situe pas au niveau des dispositions législatives ellesmêmes, mais au niveau de leur application. Nous avons réussi à modifier un grand nombre de lois, mais nous n'avons pas pu changer beaucoup au niveau des attitudes de ceux qui sont les gardiens du système. »

Recours des victimes

En NouvelleÉcosse, Joanne MarriottThorne serait d'accord. Ce qui manque dans le cassetête législatif, d'après elle, est l'indemnisation des victimes lorsqu'on ne tient pas compte de leurs droits.

« Quand j'examine la situation partout au Canada, je trouve tout à fait remarquable que toute une composante nouvelle au niveau des services aux victimes a été ajoutée au système », dit elle. « Il y a eu des modifications énormément importantes dans les dispositions législatives afin de reconnaître et d'inclure les victimes dans le système de justice pénale. »

Malheureusement, selon Joanne MarriottThorne, l'adoption de dispositions législatives ne suffit pas. « Le mur suivant que nous devons escalader consiste à fournir des recours. » Les dispositions du Code criminel donnent certains droits aux victimes d'actes criminels, comme celui de présenter une déclaration de victime, mais il n'existe pas de recours si ces droits ne sont pas respectés.

« À mon avis, des efforts doivent être faits au niveau fédéral en vue d'établir une jurisprudence relativement au manque de respect des droits des victimes actuellement inscrits au Code criminel », ditelle.

À Toronto, Alan Young convient que les gouvernements doivent s'assurer que les mesures qu'ils prennent au sujet des victimes d'actes criminels ne sont pas seulement une façade. En dépit de toutes les modifications apportées aux dispositions législatives et de toutes les mesures prises depuis les années 1980, « le niveau d'insatisfaction des victimes d'actes criminels demeure pratiquement le même », ditil.

D'après lui, le Canada a fait d'énormes progrès. Il est maintenant plus facile pour les victimes de violence familiale âgées de moins de 18 ans de s'exprimer et de témoigner dans une ambiance confortable. Mais il ajoute que sur le plan des déclarations de victime, les avocats neutralisent souvent l'importance des modifications apportées aux dispositions législatives, parce qu'ils les ignorent ou en minimisent l'importance. De plus, il signale l'absence totale de cours sur les droits des victimes dans les facultés de droit au Canada. « Je crois que c'est là qu'il faut mettre l'accent », ditil.

Progrès importants

Du point de vue de son poste à la Commission nationale des libérations conditionnelles, Renée Collette croit que beaucoup de chemin a été fait dans le domaine des droits des victimes. Les dispositions qui permettent aux victimes de lire une déclaration préparée et d'assister aux audiences se rapportant au délinquant dans leur affaire est le reflet de ce progrès. « Si je compare cela à la situation lorsque nous avons commencé, c'est incroyable », ditelle.

Elle souhaite que le gouvernement fédéral applique les recommandations concernant la libération conditionnelle qui ont été formulées en 1998 dans le rapport présenté au Parlement et intitulé Les droits des victimes - Participer sans entraver. Le projet de loi déposé pour appliquer certaines de ces recommandations est mort au Feuilleton lorsque les dernières élections ont été déclenchées, mais elle espère qu'il sera déposé de nouveau.

Martin Hattersley, qui a aussi beaucoup travaillé dans le système carcéral, croit qu'une partie du travail du gouvernement fédéral consiste à mettre les Canadiens au courant de ce qui est fait pour réadapter les délinquants.

« Il est terriblement difficile pour le gouvernement de renseigner le public concernant la nature du problème et les solutions efficaces à celuici de manière que les gens comprennent ce qui se produit lorsqu'un meurtre est commis », ditil. « Tout ce que je peux faire est d'essayer d'inciter le Service correctionnel du Canada à parler du travail qu'ils accomplissent. »

En tant que contribuable, Martin Hattersley dit : « Un délinquant a tué ma fille. Dixhuit ans plus tard, il refuse la libération conditionnelle et il faut donc dépenser 5 000 $ par mois pour lui fournir le gîte et le couvert. Vient un moment où, s'il est possible de réadapter ces gens, cela coûte beaucoup moins cher à tout le monde, pourvu que la société soit en sécurité ».

Martin Hattersley sait que son opinion est contraire à l'idée de la « loi des trois fautes » qui est en vogue dans un segment de la population canadienne, mais il croit que les attitudes pourraient changer si les gens savaient ce que le Service correctionnel du Canada est en voie d'accomplir.

« J'aimerais que les gens connaissent mieux le travail des services correctionnels, parce qu'ils font un travail incroyablement efficace pour s'assurer que les délinquants ne récidivent pas », ditil.

Changement de culture

Selon Priscilla de Villier, les organismes de défense des droits des victimes ont haussé la barre en ce qui a trait à la reconnaissance des besoins des victimes. Elle a également observé une grande évolution au chapitre de la reconnaissance générale des victimes par les médias et de la préoccupation qu'ils manifestent à leur égard et au chapitre des attitudes du public en général. Elle affirme que lorsque CAVEAT a vu le jour, les reportages sur les procès et les homicides n'étaient presque jamais accompagnés d'une photo de la victime. « C'était toujours une photo du délinquant. »

Aujourd'hui, elle souligne le procès d'un homme accusé d'avoir tué 27 femmes en ColombieBritannique. Les reportages à ce sujet mettent beaucoup l'accent sur l'identité des victimes à titre de mères, de sœurs et de filles, plutôt que sur le fait qu'elles étaient des prostituées et des toxicomanes.

« Nous avons réalisé d'importants progrès en ce qui concerne la personnification des victimes, ditelle, même ces pauvres femmes en ColombieBritannique qui, je pense, auraient été laissées pour compte il y a 10 ans. »

Elle croit cependant qu'il faut encore améliorer le système de justice, de façon à ce que les droits des victimes et la nécessité d'entendre leurs témoignages deviennent intrinsèques au fonctionnement quotidien du système.

« Ce qu'il faut, dit Priscilla de Villier, « c'est implanter l'idée dans notre éducation et dans nos activités quotidiennes que les crimes, surtout les crimes violents, n'ont tout simplement pas leur place dans notre société, qu'ils sont intolérables. »

Les ombudsmans des victimes

Pour ceux dont la vie a été changée pour toujours par des récidivistes, la question du rôle du Service correctionnel du Canada et du ministère de la Justice Canada dans la reconnaissance des droits des victimes demeure complexe. À Victims of Violence, les Rosenfeldt croient que le Canada devrait suivre l'exemple de l'État du Wisconsin. Dans cet État, il y a un coordonnateur des services aux victimes dans chaque établissement carcéral. Ce coordonnateur communique avec les victimes, leur explique le processus qui se poursuit après la détermination de la peine et les renseigne sur leur rôle.

« Il ne s'agit pas de choyer les victimes; il s'agit simplement de les traiter convenablement », dit Sharon Rosenfeldt.

Les Rosenfeldt sont reconnaissants du changement « phénoménal » qu'ils ont constaté au niveau de l'attitude des services de police et de la façon que les policiers répondent aux victimes, particulièrement à cause de l'élaboration de protocoles et d'une formation pour les agents sur la façon d'avertir les familles au sujet du décès des victimes. Plusieurs de ces changements ont été réalisés parce qu'ils les avaient recommandés avec insistance. « La police désirait sincèrement améliorer les choses pour les victimes », dit Gary Rosenfeldt.

Tous les organismes qui continuent à travailler dans le domaine de la défense des droits des victimes ont exprimé l'avis qu'il est nécessaire que tous les ordres de gouvernement continuent de s'engager à financer adéquatement les services d'aide aux victimes. Il faut constamment lutter pour obtenir des ressources. Néanmoins, la présence des victimes dans le système de justice est en train de s'établir.

« Ce qui a été profondément apaisant sur le plan émotif, c'est d'avoir parlé au cours des dernières années avec des victimes qui nous ont dit à quel point les programmes d'aide aux victimes et aux témoins et la police les avaient aidés », dit Sharon Rosenfeldt. « Cela nous aide à guérir. »

Aujourd'hui, les Rosenfeldt peuvent visiter la tombe de Daryn la conscience en paix. Leur travail - et celui accompli par des organismes de défense des droits des victimes partout au Canada - continue de changer les attitudes et d'obtenir des services et des droits pour les victimes et les membres de leur famille.

___________________________

[*] Les témoignages sont traduits de l'anglais.

Page précédente | Table des Matières | Page suivante

 

Haut de la page Avis importants