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2000
Rapport sommaire des audiences tenues par le CCCB avec des chefs d’entreprises et d’autres intervenants de l’industrie
Ottawa, Ontario
décembre 2000
Résumé du rapporteur
E. Richard Gold
Professeur adjoint
à la Faculté de droit de l’University of Western Ontario
Attaché supérieur de recherches
à l’Einstein Institute for Science, Health & the Courts
Agrégé de recherche
au Health Law Institute de l’University of Alberta
- La séance d’information offerte par le président du CCCB se déroule avec un groupe de
représentants des industries pharmaceutique et biopharmaceutique et des secteurs de la
biotechnologie animale et végétale; on remarque aussi la présence de conseillers juridiques en
matière de propriété intellectuelle et d’un spécialiste des sciences sociales. Tous sont réunis afin
de s’entretenir des besoins de l’industrie en ce qui a trait aux brevets dans le domaine de la
biotechnologie. Les deux coprésidents de la séance expliquent d’abord clairement que le
CCCB veut étudier des moyens de favoriser l’innovation biotechnologique d’une manière qui
concorde avec les valeurs des Canadiens et des Canadiennes et qui contribue à la prospérité
économique du Canada.
- Bien que la séance d’information ait pour but de préciser les besoins de l’industrie en matière
d’innovation en biotechnologie, elle n’est pas conçue en vue d’inviter toutes les opinions de tous
les secteurs d’activité. En conséquence, certains secteurs ne sont pas représentés à la séance --
notamment le dépistage génétique et les thérapies géniques, les bioproduits non
pharmaceutiques du domaine des soins de santé et la bio-informatique -- mais ceux qui le sont
constituent un bon profil du monde industriel de la biotechnologie.
- Pendant la séance, les participants venus de l’industrie n’abordent pas en détail le contexte
social et éthique dans lequel les recherches en biotechnologie s’effectuent ou devraient
s’effectuer au Canada, les rôles respectifs des secteurs public et privé dans la réalisation de ces
recherches, le rôle des citoyennes et des citoyens du Canada dans l’élaboration de la politique
gouvernementale en biotechnologie, ni les répercussions économiques et sociales des brevets,
que ce soit en général ou en rapport avec la biotechnologie. Toutefois, certains représentants de
l’industrie affirment qu’ils appuient les recherches du secteur public, et d’autres se disent
convaincus que la recherche en collaboration industrielle-universitaire est un des moyens
auxquels recourent leurs compagnies pour soutenir les travaux du secteur public dans ce
domaine. Plusieurs participants croient également que l’industrie de la biotechnologie a des
effets sociaux bénéfiques, par exemple, l’accroissement des débouchés d’emploi au Canada et
la formation de gestionnaires pour l’avenir.
- Ted Schrecker, le spécialiste en sciences sociales invité à la séance, rappelle que les brevets en
biotechnologie soulèvent de graves questions sociales et morales. Il fait une mise en garde aux
participants en affirmant que les décideurs se rendent coupables d’irresponsabilité cognitive s’ils
mettent les formes de vie sur le même pied que les machines, et il met en garde aussi contre une
approche exagérément technique à la formulation de la politique concernant les brevets. Selon
lui, la politique canadienne devrait être axée sur l’amélioration de la santé humaine et la
réduction des coûts des services de santé et, avant d’envisager l’octroi de brevets en
biotechnologie, il faudrait examiner les incidences économiques de ces brevets sur les soins de
santé et sur les coûts des soins de santé.
- L’exposé présenté par les participants de l’industrie porte sur trois points qui sont leurs
principales sources de préoccupation. Le premier concerne la façon dont les investisseurs
internationaux et leurs affiliés perçoivent le climat dans lequel s’effectue la recherchedéveloppement
en biotechnologie au Canada. Vient ensuite le besoin d’une efficacité accrue
dans l’obtention, l’exploitation et l’exercice des droits attachés aux brevets. En troisième lieu,
l’industrie voudrait voir satisfaire certains de ses besoins particuliers dans les domaines de la
pharmaceutique et de la biopharmaceutique ainsi que de la biotechnologie animale et végétale.
Perception du canada dans les milieux internationaux
- L’un des messages les plus éloquents et les plus homogènes lancés par les représentants de
l’industrie est que le Canada est perçu à l’étranger comme n’apportant pas d’appui et même
comme manifestant de l’hostilité à l’égard de l’innovation biotechnologique. Cette perception se
fonde sur diverses politiques canadiennes dont celle visant la protection des droits de propriété
intellectuelle. De l’avis des porte-parole de l’industrie, les décideurs étrangers en matière
d’investissement dans la recherche au Canada trouvent que les lois canadiennes en matière de
brevets sont plus étroites dans leur champ d’application, plus difficiles à faire respecter, d’effet
de plus courte durée et plus longues à obtenir que celles des États-Unis, de l’Union européenne
et du Japon. Le Canada a également une réputation de réticence à remplir ses obligations
internationales en ce qui concerne la protection conférée par les brevets.
- Tout en accusant le Canada de ne pas répondre aux normes actuelles établies par les États-
Unis, l’Europe et le Japon en matière de brevets, les participants venus de l’industrie n’en
reconnaissent pas moins que, compte tenu de la taille réduite du marché canadien, ces lacunes
ont peu d’importance sur le plan économique. De fait, le Canada représente seulement environ
2,5 p. 100 du marché mondial des produits pharmaceutiques. Étant donné que la protection par
brevet est d’envergure mondiale et qu’elle est particulièrement précieuse dans les grands
marchés internationaux, surtout ceux des États-Unis et de l’Europe, les niveaux de protection
par brevet au Canada ont peu d’incidence économique directe sur les décisions concernant le
lieu où s’effectuera la recherche-développement. S’il en est ainsi, c’est parce qu’une invention
créée au Canada peut, malgré les lois canadiennes en matière de brevets, être brevetée et
exploitée aux États-Unis et en Europe selon les mêmes modalités applicables aux inventions
créées dans ces territoires.
- Par ailleurs, même si la vigueur ou la faiblesse des droits de brevet canadiens n’a presque pas
d’incidence économique directe sur la recherche-développement en biotechnologie au Canada,
les industriels canadiens s’inquiètent du message transmis indirectement quant aux conséquences
que pourrait avoir, pour les investisseurs étrangers et leurs affiliés, le défaut canadien de
respecter les normes internationales en matière de brevets. En effet, il arrive souvent que ces
investisseurs et leurs affiliés ne fondent pas leurs décisions seulement sur des facteurs
économiques mesurables, mais tiennent aussi compte de facteurs moins quantifiables tels que la
perception du contexte offert à l’innovation.
- Les porte-parole des succursales canadiennes de multinationales pharmaceutiques font
remarquer, par exemple, qu’il est difficile de convaincre leurs sièges sociaux d’investir en
recherche-développement dans notre pays en raison de cette perception selon laquelle les lois
canadiennes en matière de brevets ne traiteraient pas équitablement ces compagnies. Les
représentants de l’industrie canadienne rejettent l’opinion voulant que le Canada ne soutienne
pas l’innovation en biotechnologie. En réalité, selon eux, notre régime de soins de santé et nos
universités à financement public font du Canada, à bien des égards, un pays idéal pour la
recherche et les chercheurs. Néanmoins, la perception négative d’un Canada hostile à la
recherche en biotechnologie empêche le pays de tirer proprement parti de cet avantage.
- Les participants venus des industries de propriété canadienne sont d’avis semblable quant à
l’attitude des investisseurs internationaux en biotechnologie qui songent à investir au Canada.
Les mêmes participants croient que ces investisseurs auraient au moins des hésitations à investir
en biotechnologie ici en raison de cette impression que le Canada n’appuie pas l’innovation
biotechnologique, une impression justifiée par les politiques canadiennes visant les brevets.
- En raison de l’incidence économique relativement faible du marché canadien sur les décisions
d’investir, les grandes entreprises, sauf dans le secteur pharmaceutique, déposent généralement
leurs demandes de brevet d’abord aux États-Unis, et ce pour plusieurs motifs. Premièrement, il
est essentiel de disposer de la protection par brevet dans les grands marchés pour pouvoir
attirer l’investissement. Les investisseurs en capital-risque et les autres se font très peu de souci
au sujet de la position d’une compagnie au Canada en ce qui a trait aux brevets, mais ils sont
profondément concernés par cette position aux États-Unis et en Europe. En second lieu, les
compagnies elles-mêmes sont beaucoup plus intéressées à vendre sur le marché américain,
immensément plus gros, que sur le marché canadien. Troisièmement, aux États-Unis, du moins
jusqu’à maintenant, le traitement des brevet s’entoure d’un climat de secret plus marqué que
dans les autres pays. Cette situation changera en novembre 2000, moment à partir duquel le
gouvernement américain rendra publiques les demandes de brevet 18 mois après la date du
dépôt initial ou après la date d’antériorité, à moins que la demande ne soit déposée uniquement
aux États-Unis. Dans l’industrie pharmaceutique, en règle générale, les demandes de brevet sont
d’abord déposées dans le pays de provenance de l’invention, et ensuite à l’échelle
internationale.
- Les années passées, lorsque le Canada a relevé le niveau de la protection par brevet, l’industrie
a accru ses investissements en recherche-développement au pays. Les représentants de
l’industrie rappellent que les entreprises internationales du secteur pharmaceutique ont augmenté
considérablement leur personnel de recherche après les modifications apportées en 1987, puis
en 1993, aux lois canadiennes touchant les brevets. Par ailleurs, on fait remarquer aussi que la
recherche-développement en biotechnologie agricole a doublé ou triplé au Canada depuis
1996, mais cet essor ne semble relié à aucun changement remarquable dans la portée de la
protection des droits de propriété intellectuelle au Canada.
- La plupart des porte-parole de l’industrie présents à la séance d’information signalent toutefois
un vigoureux climat d’investissement au Canada et le nombre croissant d’investisseurs avertis et
informés dans le secteur du capital-risque. Un des participants fait remarquer, cependant, que
cette vigueur ne caractérise pas uniformément tous les marchés; les investisseurs auraient
tendance à s’intéresser à des créneaux particuliers et à douter des possibilités offertes par les
technologie d’application générale.
Efficacité de l’administration du régime de brevets
- Les représentants de l’industrie sont unanimes à réclamer un régime de brevets plus maniable et
plus transparent au Canada, et plusieurs expriment des inquiétudes quant à l’administration
actuelle du régime. D’abord, ils affirment que l’examen des demandes de brevet prend
beaucoup trop de temps. Ils soulignent aussi l’absence de périodes de rétablissement de la
durée des brevets, comme il en existe aux États-Unis, en Europe et au Japon afin de compenser
les titulaires de brevet lorsque le lancement d’une invention sur le marché est indûment retardé
pour des raisons de réglementation. Enfin, les industriels signalent certains points sur lesquels il
conviendrait de rehausser l’efficacité du régime canadien de brevetage.
Durée de la période d’examen des demandes de brevet
- S’ils sont satisfaits de la qualité du travail d’examen des demandes par l’Office de la propriété
intellectuelle du Canada (OPIC), les porte-parole de l’industrie jugent inacceptable la longue
période pendant laquelle les demandes de brevet restent en attente d’examen au Bureau des
brevets. Après la présentation d’une demande, l’OPIC met en moyenne 22 mois à envoyer une
réponse officielle au déposant (le premier geste de l’OPIC dans le processus). Puisque la
plupart des demandes de brevet reçues au Canada le sont en vertu du Traité de coopération en
matière de brevets, une convention internationale constituant un mécanisme qui permet de
déposer des demandes de brevet dans plusieurs pays en même temps, presque toutes les
demandes sont déjà en cours de traitement depuis environ 30 mois lorsque commence ce
second délai de 22 mois. Il s’ensuit qu’il faut habituellement quatre ans suivant le dépôt initial
avant que le déposant reçoive l’annonce d’une première action de la part de l’OPIC. Tout en
admettant que certains déposants peuvent recourir à des demandes spéciales pour accélérer le
traitement d’une demande, les porte-parole de l’industrie sont d’avis que ce procédé est injuste
à l’endroit des autres déposants, auquel il impose, par la force des choses, un délai plus long
avant l’examen de leurs demandes.
- Une diligence accrue dans le traitement des demandes serait utile de bien des façons à
l’industrie, selon ses représentants. D’abord, il deviendrait plus facile d’attirer des investisseurs
et des partenaires commerciaux dès le tout début du processus de brevetage. Étant donné que
les investisseurs et les partenaires éventuels sont moins enclins à investir en technologie en
l’absence d’un brevet ferme, les retards de traitement des demandes forcent l’inventeur à
attendre plus longtemps avant d’approcher des investisseurs et des partenaires possibles. Et en
plus, puisque la période d’exclusivité de 20 mois continue de s’écouler pendant la durée du
traitement de la demande de brevet, l’invention perd de la valeur chaque jour. Ainsi, non
seulement la production et la distribution de l’invention sont-elles retardées, mais elles peuvent
même ne jamais se réaliser s’il s’est écoulé une trop grande partie de la période de 20 mois
pour que la valeur de l’invention continue de justifier un investissement.
- Pour remédier à ce problème des retards de traitement des demandes, les représentants de
l’industrie recommandent le recrutement rapide de nouveaux examinateurs de brevets et la
formation accélérée de ceux déjà embauchés. Ils recommandent aussi que l’OPIC s’appuie plus
souvent sur les examens effectués dans d’autres pays, surtout aux États-Unis, afin de simplifier
la part canadienne de l’examen.
Rétablissement de la durée des brevets
- Les représentants des secteurs pharmaceutique et biopharmaceutique font part d’une autre
préoccupation reliée à la longueur du traitement des demandes de brevet, nommément, les
délais causés par la réglementation avant d’en arriver à l’approbation des nouveaux
médicaments. Les entreprises de ces secteurs, à l’encontre de celles de la plupart des firmes
des autres secteurs de la biotechnologie, y compris celles des soins de santé, sont tenues
d’obtenir l’approbation réglementaire de la Direction générale de la santé, à Santé Canada,
avant de lancer leurs produits sur le marché canadien. D’autres pays imposent aussi ce genre
d’approbation réglementaire; aux États-Unis, par exemple, les fabricants doivent obtenir celle
de la Federal Food and Drug Administration. En moyenne, à l’échelle internationale, l’obtention
de cette approbation prend de 10 à 12 ans. L’attente pourra être plus longue pour les petites
entreprises de produits pharmaceutiques parce qu’elles ont moins l’habitude de naviguer dans
les méandres du processus. Au bout du compte, l’obligation d’un examen sanitaire des
nouveaux produits se solde par une diminution de la durée de vie efficace d’un brevet
biopharmaceutique, qui est de seulement huit ans alors que celle des brevets des autres produits
biotechnologiques et technologiques se rapproche plutôt de 17 ans (en supposant un délai de
trois ans avant la délivrance du brevet).
- En plus de la courte durée de vie efficace d’un brevet de produit pharmaceutique, il faut songer
aussi au coût de la commercialisation de ces produits, qui est beaucoup plus élevé que pour
pratiquement toutes les inventions y compris la plupart des inventions en biotechnologie. S’il en
est ainsi, c’est aussi à cause de l’examen réglementaire. Pour se conformer à ce processus
d’examen, les fabricants de produits pharmaceutiques et biopharmaceutiques doivent soumettre
leurs inventions à des essais et des tests coûteux. En moyenne, il en coûte environ
500 000 dollars US pour amener un médicament jusqu’à la mise en marché. Comme elles n’ont
que huit ans pour récupérer leurs frais, les compagnies pharmaceutiques et biopharmaceutiques
trouvent que le régime canadien de brevets ne leur permet pas un juste rendement sur leurs
investissements.
- Pour atténuer le problème des retards causés par la réglementation avant l’approbation des
médicaments, les États-Unis, le Japon et les pays européens ont tous recours à la prolongation
de la durée des brevets. En vertu de leurs règlements sur le rétablissement de la durée des
brevets, tout bureau des brevets compétent peut accorder une extension pouvant aller jusqu’à
cinq ans. Le Canada n’a pas de règlements semblables. Les fabricants de produits
pharmaceutiques et biopharmaceutiques croient que cette absence de dispositions prévoyant le
rétablissement de la durée des brevets contribue à une certaine image du Canada à l’étranger
selon laquelle notre pays ne soutiendrait pas l’innovation en biotechnologie.
Autres suggestions
- En plus d’être préoccupée par la longueur des examens de demande de brevet et de réclamer,
au nom des secteurs pharmaceutique et biopharmaceutique, l’instauration de règles de
rétablissement de la durée des brevets, l’industrie soulève un certain nombre d’autres questions
concernant l’efficacité du système régissant les brevets au Canada.
- Un des points à améliorer est celui de la clarté du processus de brevetage. Les représentants de
l’industrie donnent en modèle la politique américaine à cet égard, celle du US Patent and
Trademark Office (PTO), qui clarifie et simplifie le plus possible les formalités de dépôt des
demandes et d’obtention des brevets. À titre d’exemple, le PTO diffuse des directives qui
aident les déposants éventuels à remplir les demandes de brevet et à comprendre certains
concepts tels que les exigences en matière de description et d’utilité de l’invention. L’OPIC n’a
encore jamais fait paraître de directives de ce genre.
- S’ils ne soulèvent pas la question des rôles respectifs des secteurs public et privé dans la
promotion de l’innovation en biotechnologie, les participants venus de l’industrie reconnaissent
la nécessité d’encourager la recherche universitaire et de commercialiser les produits de cette
recherche. Ils soulignent le besoin de mettre en place une infrastructure institutionnelle plus
développée pour pouvoir breveter les produits de la recherche universitaire, et de former des
partenariats université-industrie en vue de la commercialisation. Selon ses représentants,
l’industrie devrait jouer un rôle de premier plan en cette matière. De fait, une porte-parole du
secteur pharmaceutique signale que sa compagnie a conclu des partenariats avec des universités
en vue d’y accroître les recherches et d’y renforcer les capacités de recherche.
- Plusieurs participants soulignent l’absence de règles claires au Canada (et aux États-Unis)
concernant le genre de recherches que l’on peut se permettre à l’aide d’innovations brevetées
sans enfreindre les droits du titulaire du brevet. L’exception rattachée à l’usage dit expérimental
est mal définie au Canada et aux États-Unis en comparaison de l’Europe. Pour les chercheurs,
ce manque de clarté crée des zones grises dans lesquelles ils courent le risque d’être poursuivis
en justice pour contrefaçon de brevet.
- Les porte-parole de l’industrie conviennent du besoin de clarifier l’exception rattachée par le
Canada à l’usage expérimental, mais ils ne s’entendent pas quant à la portée de cette exception.
Les industries pharmaceutique et biopharmaceutique réclament une exception de portée étroite,
et même plus étroite, en fait, que celle en usage au Canada, en Europe et aux États-Unis. En
vertu de la loi aux États-Unis, et d’une interprétation judiciaire en Europe et au Canada, un
concurrent n’a pas le droit d’effectuer des essais cliniques sur des versions génériques d’un
médicament breveté, car il violerait ainsi les droits du titulaire du brevet. L’industrie
pharmaceutique trouve cette interdiction injuste et est d’avis que le concept d’usage
expérimental devrait s’appliquer uniquement à des travaux de recherche vraiment innovateurs.
- D’autres participants venus de l’industrie préconisent une interprétation plus large de l’exception
pour usage expérimental, une interprétation qui se rapprocherait probablement plus de la norme
européenne selon laquelle est permise toute recherche effectuée sur la matière d’un brevet,
même la recherche à des fins commerciales. Certains analystes de la question des brevets
croient que cette norme est également appliquée, dans la pratique, aux États-Unis, même s’il
n’existe aucun principe jurisprudentiel clair à cet effet. Une interprétation plus généreuse de
l’exception pour la recherche permet d’empêcher qu’une compagnie puisse, à elle seule, faire
obstacle à tout cycle futur d’innovation.
- L’industrie de l’agriculture, tout particulièrement, craint que les brevets ne bloquent l’accès à
des technologies plates-formes. À titre d’exemple, même s’ils préfèrent accéder à la technologie
du plasma germinal par l’obtention de permis et par des accords de licence croisée, les
intervenants du secteur laissent entendre qu’il faudrait empêcher que telle ou telle compagnie
puisse, à elle seule, fermer l’accès à cette technologie au fur et à mesure qu’elle se développe.
- De façon générale, les représentants de l’industrie appuient la possibilité de breveter des formes
de vie supérieures, par exemple, des végétaux et des animaux plus complexes que les microorganismes.
Ils déclarent ne voir aucune différence, d’un point de vue commercial, entre les
formes de vie supérieures et les matières actuellement brevetables. Selon eux, le Canada devrait
harmoniser ses lois à celles des États-Unis et de l’Europe, pour lesquelles toutes les formes de
vie supérieures sont brevetables. Il faudra en venir à une telle harmonisation pour pouvoir
développer plus à fond nos compétences spécialisées dans le domaines des animaux
transgéniques. Ted Schrecker fait remarquer, cependant, qu’il y a d’énormes différences
morales et sociales entre les droits de propriété sur des formes de vie supérieures et ceux qui
concernent d’autres inventions.
- Les participants sont tous d’avis qu’il y a lieu d’harmoniser à l’échelle internationale les critères
de description et d’utilité d’une invention. Les lignes de conduite émises à ce sujet par le PTO,
en décembre 1999, reçoivent l’assentiment général des représentants de l’industrie.
- L’un des avocats invités à la séance d’information signale que l’une des mesures prises par les
États-Unis pour arriver à clarifier et uniformiser leurs lois relatives aux brevets a consisté à créer
un tribunal spécialisé, la Federal Court of Appeals for the Federal Circuit, chargé de trancher
les questions de brevet. Il est d’avis que le Canada devrait envisager de créer un tribunal
spécialisé dans les brevets, peut-être au sein de la structure opérationnelle de la Cour fédérale
du Canada.
- En plus de formuler ces propositions de nature générale, les participants venus de l’industrie
recommandent fortement que le Canada conservent certaines de ses pratiques actuelles qu’ils
jugent avantageuses pour le secteur de la biotechnologie. Il s’agirait notamment des dispositions
de l’article 52 de la Loi sur les brevets, qui permettent à quiconque de contester un brevet
délivré sans avoir d’abord à enfreindre les droits conférés par ce brevet. Voilà un avantage qui
est propre au régime de brevetage canadien et que n’offre pas le système en vigueur aux États-
Unis. Est vue également comme positive l’instauration, en 1996, d’une procédure (articles 93 et
94 des Règles sur les brevets, DORS 96-423) selon laquelle les inventeurs peuvent déposer
une demande de brevet « à titre provisoire » afin de protéger une date prioritaire relativement à une invention. Cette procédure est semblable à celle de demande de brevet provisoire qui a
cours aux États-Unis1.
- D’autre part, les porte-parole de l’industrie jugent que le Canada a du retard pour ce qui est de
se conformer aux normes internationales sur le dépôt des demandes concernant les séquences
génétiques. Un de ces participants laisse entendre que le Canada devrait, à l’instar des États-
Unis, adopter une procédure de continuation de pratique, en vertu de laquelle les demandeurs
de brevet peuvent remettre en vigueur des demandes non exercées. L’assemblée entend une
autre proposition originale qui se résume ainsi : lorsque certaines revendications restent en litige,
dans le cadre d’une demande brevet, l’OPIC devrait délivrer un brevet couvrant les
revendications non contestées et laisser les revendications contestées poursuivre leur
cheminement dans l’appareil judiciaire.
Préoccupation particulières de l’industrie
- Malgré l’uniformité relative des opinions des représentants de l’industrie, on remarque aussi des
différences sensibles dans les préoccupations exprimées. Chaque secteur offre des suggestions
qui, à son avis, favoriserait l’innovation chez lui.
Secteurs pharmaceutique et biopharmaceutique
- Il y a très peu de différences entre les positions adoptées par chacun de ces deux secteurs.
Cette quasi-unanimité tient partiellement à l’inexistence d’une industrie des produits
biopharmaceutiques génériques, puisque la biopharmaceutique est un secteur où l’on n’a pas
encore établi de règles ni de normes de bioéquivalence.
- Selon ses représentants, l’industrie pharmaceutique s’inquiète profondément de la protection de
ses données de recherche. Tel que mentionné plus haut, les essais cliniques coûtent cher.
L’industrie veut donc être sûre que les données d’essais cliniques remises à Santé Canada
demeurent confidentielles. Tout particulièrement, les entrepreneurs ne veulent pas que ces
données tombent dans les mains de leurs concurrents ou de fabricants de produits génériques. Selon les intervenants du secteur, les mesures actuelles de protection de ces renseignements
sont insuffisantes, et ils réclament des modifications à la Loi sur les aliments et drogues afin de
renforcer le caractère confidentiel des données de recherche présentées au Ministère.
- Le secteur ne semble connaître aucune difficulté relativement à la confidentialité lorsque des
données sont partagées avec des chercheurs universitaires. Les porte-parole de l’industrie
affirment respecter le fait que ces chercheurs ont besoin de publier leurs résultats. Lorsque des
entreprises pharmaceutiques font part de certains renseignements à des universitaires, elles y
attachent des restrictions quant à la diffusion des renseignements comme tels, mais non pas à
celle des données produites par les chercheurs eux-mêmes. Elles s’assurent du respect de ces
accords en imposant un court délai avant publication afin de pouvoir vérifier le contenu des
écrits. Après vérification, la compagnie interdira la publication des documents seulement s’ils
contiennent des renseignements confidentiels qu’elle a fournis ou si un groupe de chercheurs
prenant part à des essais effectués par plusieurs équipes a tenté de publier ses résultats avant les
autres équipes de recherche.
- En général, lorsqu’une compagnie de produits pharmaceutiques détient des renseignements de
nature hautement délicate, elle ne les met pas à la disposition de chercheurs universitaires,
préférant plutôt effectuer les essais à l’interne ou les confier au secteur privé en vertu de contrats
accompagnés d’une rigoureuse entente de non-divulgation. Cette pratique, bien qu’elle réduise
l’accès des chercheurs universitaires à certaines données, préserve néanmoins leur liberté de
publier les résultats de leurs recherches.
- L’industrie déplore que le Canada hésite à faire respecter pleinement les brevets protégeant les
produits pharmaceutiques. Selon ses porte-parole, on en voit la preuve évidente dans les soidisant
règlements « d’établissement de liens ». En principe, ces règlements sont conçus en vue
de restreindre la capacité d’un fabricant de produits génériques à faire approuver un
médicament pour la commercialisation avant l’expiration du brevet protégeant le médicament
original en question. En réalité, d’après le secteur pharmaceutique, ces règlements ne sont pas
assez puissants pour empêcher les compagnies de médicaments génériques de prendre une
bonne avance sur l’approbation de leurs produits pendant la durée de vie du brevet.
- Les participants venus de l’industrie appuient l’instauration d’une loi visant les médicaments non
parrainés au Canada. Aux termes d’une telle loi, si l’industrie acceptait de créer et de
commercialiser des médicaments qui sont utiles à seulement un petit nombre de personnes au
Canada, elle recevrait en retour certains avantages, dont l’exclusivité sur le marché et des
stimulants fiscaux. Les fabricants croient que de telles mesures législatives sont nécessaires pour
encourager la recherche-développement visant le traitement de maladies rares. Il arrive, à
l’occasion, que l’industrie pharmaceutique se lance dans l’étude de maladies rares, mais elle le
fait habituellement lorsque ces recherches peuvent lui apporter des connaissances d’application
plus vaste. Des mesures législatives sur les médicaments non parrainés encourageraient d’autres
intervenants, en particulier les petites entreprises de biotechnologie, à effectuer des recherches
sur les maladies rares.
Biotechnologie animale
- Dans le secteur de la biotechnologie animale, le plus gros problème n’est pas lié à la protection
des droits de propriété intellectuelle, mais plutôt au manque de réglementation. Selon son
représentant à la séance, le secteur souffre d’une absence totale de réglementation, notamment
en ce qui concerne la préservation de l’environnement et le soin des animaux, et on ne trouve
aucune loi ni aucun règlement régissant le soin des animaux génétiquement modifiés, la façon
d’en disposer et les déchets produits par ces animaux. Tout nouveau règlement, quel qu’il soit,
serait préférable à la carence totale qui règne actuellement en cette matière. Dans la situation qui
prévaut aujourd’hui, l’industrie est incapable d’évaluer ses responsabilités et ne peut procéder à
aucune planification à long terme au sujet des animaux génétiquement modifiés, puisqu’il n’existe
pas de cadre de réglementation.
- Le Canada est très en retard sur les autres pays pour ce qui est de se doter de ses propres
règles et règlements concernant les animaux génétiquement modifiés. Selon le représentant de ce
secteur, le Canada aurait cinq ans de retard sur les États-Unis dans ce domaine.
Biotechnologie agricole
- L’industrie internationale de la biotechnologie agricole s’appuie sur divers régimes de propriété
intellectuelle dont les brevets, le secret commercial et le certificat d’obtention végétale. Tout
comme dans d’autres secteurs, les politiques canadiennes touchant la biotechnologie agricole
sont sensiblement en retard sur celles des États-Unis et de l’Europe.
- La plupart des pays industrialisés permettent aux inventeurs de choisir entre plusieurs régimes de
propriété intellectuelle, c’est-à-dire, de choisir de protéger un végétal au moyen d’un brevet,
d’un certificat d’obtention végétale ou du secret commercial. Étant donné que le Canada ne
permet pas la protection par brevet dans le cas des végétaux, les créateurs ne peuvent recourir
qu’au secret commercial ou au certificat d’obtention végétale. Selon le représentant de cette
industrie, ce choix restreint a des incidences négatives sur la recherche au Canada, puisque les
créateurs sont de plus en plus nombreux à opter pour la protection par le secret commercial.
- Traditionnellement, les créateurs de végétaux ont toujours partagé ouvertement leurs
technologies. Avec l’avènement de la manipulation génétique, que l’industrie estime
insuffisamment protégée par les certificats d’obtention végétale, ces créateurs se tournent vers la
protection offerte par le secret commercial. Puisque cette protection est conditionnelle au
maintien d’une confidentialité totale autour de leurs inventions, les créateurs se trouvent dans
l’impossibilité de continuer ce partage ouvert de la technologie.
- Selon ce qu’affirme le participant venu de ce secteur, s’il était possible de breveter les végétaux,
les créateurs reprendrait leur tradition d’ouverture, puisque les végétaux brevetés seraient
divulgués librement par l’entremise même du processus de brevetage. Ainsi, les sélectionneurs
pourraient plus facilement se faire part mutuellement de leurs idées sans craindre de perdre la
protection de leurs créations.
- Un bon nombre des réalisations en biotechnologie végétale ayant tendance à produire des
technologies plates-formes, il est extrêmement important de pérenniser la tradition du partage
des renseignements. Néanmoins, puisque les droits conférés par brevet sont beaucoup plus
vastes que ceux offerts par les certificats d’obtention végétale, il reste le risque que tel ou tel
sélectionneur de végétaux ne se conforme pas à la norme sectorielle d’ouverture. Le droit des
brevets devrait, de l’avis du représentant de l’industrie, contenir des mécanismes qui permettent
de prévenir cette thésaurisation de la technologie. Il serait utile de prévoir une exemption de
large envergure concernant l’usage expérimental, mais il y a lieu aussi d’étudier d’autres
possibilités.
- D’après le participant venu de ce secteur, le meilleur moyen à prendre par le Canada pour aller
de l’avant en biotechnologie végétale serait de déposer de nouveau et d’édicter l’ancien projet
de loi C-10, qui visait à réviser et codifier certaines lois relatives aux aliments, les produits
agricoles, les produits aquatiques et les facteurs de production agricole, à modifier la Loi sur
l’Agence canadienne d’inspection des aliments, la Loi sur les sanctions administratives
pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, la Loi sur la santé des
animaux, la Loi sur la protection des végétaux et la Loi sur la protection des obtentions
végétales, et à abroger et modifier d’autres lois en conséquence. S’il était adopté, le projet de
loi C-10 aurait pour effet d’harmoniser les lois canadiennes protégeant les droits des
sélectionneurs de végétaux avec celles en vigueur aux États-Unis et en Europe.
- Actuellement, le Canada se conforme à la Convention UPOV de 1978 sur les Droits des
sélectionneurs. D’autres pays industrialisés suivent maintenant les normes établies dans la
Convention UPOV de 1991, qui non seulement permettent le brevetage des végétaux mais
étendent la portée de la protection des droits des sélectionneurs. Le projet de loi C-10 était
conçu de façon à relever la norme canadienne au niveau de celle de la Convention UPOV de
1991.
- Le projet de loi C-90 touchait un bon nombre de questions importantes couvertes par la
Convention UPOV de 1991. Tout d’abord, tel que déjà mentionné, il permettait le brevetage
des végétaux. Ensuite, il définissait ce qui constitue un usage expérimental dans le contexte des
droits des sélectionneurs. Troisièmement, il élargissait la protection en incluant non seulement les
obtentions végétales elles-mêmes, mais aussi les végétaux dérivés de ces obtentions (en effet, le
projet de loi C-10 introduisait le concept d’obtentions végétales essentiellement dérivées) ainsi
que les substances prélevées sur les obtentions végétales. Cette dernière protection est tout
spécialement importante en ce qui concerne les plantes d’ornement et l’horticulture. En
quatrième lieu, le projet de loi maintenait le privilège en vertu duquel les agriculteurs peuvent
semer des graines récoltées l’année précédente. Et enfin, en cinquième lieu, le projet de loi
aurait permis à un sélectionneur de se prévaloir de la protection offerte par le certificat
d’obtention végétale même dans les cas où une version antérieure du végétal a déjà été vendue
au Canada.
Conclusion
- La séance d’information organisée par le président du CCCB illustre à la fois les points
communs et certaines des divergences entre les différents secteurs de la biotechnologie. Même
si leurs représentants soulignent tous l’urgence de rétablir la perception étrangère du climat qui
entoure la biotechnologie au Canada, et de rendre plus efficace le régime canadien de
brevetage, les secteurs d’activité en biotechnologie expriment des besoins très variés dont
certains sont en conflictuels. Là où le conflit est le plus important, c’est en ce qui a trait aux
types d’utilisation que des tiers pourraient être légitimement autorisés à faire d’une invention
brevetée sans enfreindre le brevet. Les industries sans tradition de partage de l’information
demandent des exceptions étroites; celles à forte tradition de partage optent pour des
exceptions plus larges.
1Le représentant de l’industrie qui a fait valoir ce point a effectivement déclaré, pendant la
séance d’information, que le Canada devrait adopter une procédure semblable à celle en usage aux
États-Unis pour ce qui est des brevets provisoires. Étant donné que les modifications de 1996 ne
touchent que les demandes présentées après le 1er octobre 1996, ce participant ne savait peut-être pas
que le Canada avait déjà agi en ce sens.
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