Gouvernement du Canada
Symbole du gouvernement du Canada

Liens de la barre de menu commune

Lettre au ministre de l'industrie - Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE)

Version PDF

Le 16 août 2007

Monsieur Jim Prentice
Tour Ouest Édifice C.D.
Howe 235, rue Queen
Ottawa (Ontario)
K1A 0H5

Monsieur le ministre,

Permettez-moi de vous offrir toutes mes félicitations à l'occasion de votre nomination à titre de ministre de l'Industrie. Vous aurez sans nul doute de forts intéressant défis à relever.

Le ministre de la Justice a créé le Bureau de l’Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels en mars 2007 pour que les autorités fédérales assument leurs responsabilités envers les victimes. Un des aspects du mandat du bureau consiste à cerner les nouvelles questions et à explorer les problèmes systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d'actes criminels. Les enfants victimes d'exploitation sexuelle sur Internet ont été identifiés comme une des grandes priorités du bureau.

Le 19 juillet 2007, j'ai écrit à votre prédécesseur, M. Maxime Bernier, à propos du Quatrième rapport du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique concernant l’examen de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). Le comité a présenté de nombreuses recommandations dont l'une, de l'avis du bureau, est nécessaire pour aider les organismes responsables de l'application de la loi dans leurs activités visant à identifier et à sauver les enfants victimes d'abus sexuels dont la victimisation est accrue au moyen d'Internet.

Le Canada a signé plusieurs déclarations clés des Nations Unies qui portent sur la nécessité de protéger les victimes et les enfants et de promouvoir leur sécurité et la protection de leur vie privée. Le Canada a signé en 2003 la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité; en vertu de laquelle l’administration fédérale s'engage à tenir compte des impératifs de la vie privée des victimes et autant que possible à les respecter, à minimiser les inconvénients subis par les victimes et à prendre les mesures nécessaires afin de protéger celles-ci.

Plus récemment, le Canada et d'autres ministres du G8 ont convenu d'accélérer les efforts pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants. Les ministres du G8 se sont engagés [TRADUCTION] « à veiller à la mise en œuvre et à l'efficacité de nos propres lois en matière de pornographie juvénile et à prendre les mesures pour mettre à jour et améliorer ces lois lorsqu'il est nécessaire et pertinent de le faire. »[1] Les ministres ont également reconnu que le secteur privé, notamment les fournisseurs de services Internet (FSI), ont un rôle à jouer en ce qui a trait à la protection des enfants du monde.

Dans le budget de 2007, le gouvernement a consacré une somme supplémentaire de six millions de dollars pour protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle. Le ministre des Finances, M. Jim Flaherty, a déclaré que : « Le financement accordé fera en sorte que les auteurs de ces infractions odieuses soient traduits en justice. … »

Le Comité permanent a présenté 25 recommandations. La Recommandation 12 intéresse plus particulièrement le Bureau de l'Ombudsman ; la voici :

  • « Le Comité recommande que l’on envisage de préciser ce que l’on entend par « autorité légitime » à l’alinéa 7(3)c.1) de la LPRPDE et que la formule introductive du paragraphe 7(3) soit modifiée pour se lire comme suit : « Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation doit communiquer des renseignements personnels à l’insu de l’intéressé et sans son consentement dans les cas suivants :[…] ».

L'alinéa 7(3)c) de la loi contient des dispositions selon lesquelles une organisation peut communiquer des renseignements personnels sans le consentement de l'intéressé. Cette disposition vise la demande d'une institution publique ayant l’autorité légitime d’obtenir les renseignements personnels aux fins du contrôle d’application du droit, de la tenue d’enquêtes liées à ce contrôle d’application ou de la collecte de renseignements en matière de sécurité en vue de ce contrôle d’application.

Bien que cette disposition ait été destinée à faciliter le contrôle d’application du droit criminel, le Comité a entendu que les organismes de contrôle d'application des lois trouvaient qu'elle constituait une entrave. Cette disposition suscite plus particulièrement des préoccupations dans le cas des enquêtes sur l’exploitation sexuelle présumée d'enfants au moyen d'Internet.

Lorsque des enquêteurs entrent en communication avec un FSI dans le cadre d'une enquête comportant des images d'abus sexuels d'enfants sur Internet et qu'ils demandent le nom et l'adresse du client associé à une adresse de courriel particuliàre, le FSI n'est pas tenu de communiquer les renseignements. Selon certaines estimations, les demandes de ces renseignements de base ne sont satisfaites que dans 50 % des cas. Même si certains soutiennent que ces estimations sont élevées, je suis sùr que vous conviendrez que même une seule demande insatisfaite est une demande de trop, compte tenu de la nature de celle-ci.

M. Clayton Pecknold de l'Association canadienne des chefs de police a témoigné devant le Comité et expliqué les défis avec lesquels les policiers sont actuellement aux prises :

  • … nous constatons de plus en plus que certaines entreprises considèrent que l’autorité légitime doit prendre la forme d’un mandat ou d’une ordonnance du tribunal. Nous vous faisons respectueusement remarquer que cette interprétation n’est pas, selon nous, conforme aux intentions du législateur. Cette interprétation qui témoigne certainement d’un désir légitime de protéger la vie privée des clients de l’entreprise est beaucoup trop limitative et va à l’encontre de l’intention de l’alinéa 7(3)c.1). (13 février 2007)

Le comité a convenu qu'il n'était ni réaliste ni nécessaire de s'attendre à ce que les policiers obtiennent un mandat dans de telles situations. En incluant l'alincéa 7(3)c.1), le législateur n'avait manifestement pas l'intention d'exiger que les organismes d'application des lois soient tenus d'obtenir un mandat.

Certains critiques soutiendront qu'il existe des répercussions visant la protection des renseignements personnels, même s'il faut préciser que les renseignements recherchés par la police à cette étape, c'est-à-dire le nom et l'adresse, ne sont pas de nature attentatoire. Toutefois, toutes les répercussions en matiàre de protection de la vie personnelle des enfants n'ont pas encore été explorées à fond. À notre avis, il n'y a pas plus grande atteinte à la vie privée d'une personne que les images de viol et d'abus échangées comme des cartes de baseball.

M. Tink Palmer, grand spécialiste international de la protection des enfants sur Internet, donne l'explication suivante : « [L]e traumatisme additionnel subi par l’enfant qui sait que son humiliation a été photographié (sic) ou filmé (sic) et que des gens partout à travers le monde peuvent avoir accàs et regarder ce matériel dans un présent immédiat tout comme dans un futur très éloigné, a des implications sérieuses et complexes sur l’assistance nécessaire lors du rétablissement de l’enfant et sur les moyens pris lors des enquêtes portant sur de tels crimes.. »[2]

Un enfant victime d'abus sexuels dont les photos ont été publiées sur Internet a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Habituellement, lorsqu'un enfant est blessé et que l’abuseur va en prison, l'abus prend fin. Mais parce que XXX a publié mes photos sur Internet, l’abus se poursuit toujours … Je suis plus perturbé par les images sur Internet que je ne le suis à propos de ce que XXX m'a fait physiquement. » Selon un autre : [TRADUCTION] « Je ne peux jamais échapper au fait que les photos des abus que j'ai subis sont dans Internet pour toujours. Il faut prendre toutes les mesures possibles pour que les gens cessent de regarder des images d'enfants maltraités. Chaque fois qu'une personne regarde des photographies de moi, c'est comme si je subissais un nouvel abus. »

En 2005, l'inspectrice-détective Angie Howe, de la Police provinciale de l'Ontario, a informé le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles que les images sont de plus en plus violentes et que les enfants photographiés sont de plus en plus jeunes. Elle a déclaré que la police voyait souvent des bébés dans les collections de photos qu'elle trouvait. De plus, selon la surintendante de la GRC Earla-Kim McColl, officière responsable du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants (CNCEE), dans 80 % des cas les images présentent une forme ou une autre de pénétration et un nombre important, soit environ 20 %, présente également de la torture et des situations d'asservissement.

Dans R. c. Sharpe, les juges de la Cour suprême L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache ont déclaré ce qui suit :

  • « La pornographie juvénile sape également le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne que l’art. 7 garantit à l’enfant. …. Nous reconnaissons que le droit à la vie privée est une valeur importante qui sous tend le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives ainsi que le droit à la liberté. Toutefois, le droit à la vie privée des gens qui ont en leur possession de la pornographie juvénile ne constitue pas le seul droit en jeu dans le présent pourvoi. Le droit à la vie privée des enfants qui figurent dans la pornographie juvénile entre en jeu du fait qu’il y production d’un enregistrement permanent de leur exploitation sexuelle. »[3]

Je crois comprendre que votre ministère rédige actuellement une réponse au rapport du Comité et je me sens tenu à titre d'Ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels de vous inciter à examiner tràs attentivement la Recommandation 12. En vertu de la loi actuelle, les enfants peuvent subir d'autres abus. Cette loi nuit à la capacité des organismes d'application de la loi de potentiellement identifier et de sauver ces victimes. À mon avis, la modification recommandée par le Comité est compatible avec les engagements pris par le Canada à l'échelle nationale et internationale envers la protection des enfants.

L'exploitation sexuelle des enfants facilitée par Internet constitue une crise internationale et le Canada doit jouer un rôle de chef de file à l'égard de celle-ci. Il s'agit d'une industrie de plusieurs milliards de dollars. Il est actuellement possible d'accéder à plus d’un million d'images d’abus sexuels d'enfants, visant des dizaines de milliers d'enfants. Comme les ministres du G8 l'ont déclaré : [TRADUCTION] « La pornographie juvénile cause un préjudice grave à tous les enfants : elle cause un préjudice à l'enfant qui est agressé sexuellement lors de la production de l'image ; le même enfant est à nouveau une victime chaque fois qu'une personne regarde cette image ».

Je suis impatient de recevoir votre réponse et je suis disposé à vous rencontrer pour discuter de cette question plus en détail. Compte tenu de l'importance de cette question pour tous les parents du Canada, la présente lettre sera publiée sous peu sur le site Web du bureau.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le ministre, l'expression de mes salutations distinguées.

L’Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels,
Steve Sullivan