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Services de police communautaires, contractuels et autochtones

Ce projet a été entrepris par un chercheur externe indépendant afin d’explorer l’enjeu et fournir de l’information sur le sujet. L’opinion exprimée est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle de la Gendarmerie royale du Canada ou du gouvernement du Canada.


Recherche et ÉvaluationCollectivités, contrebande et conflit : Envisager des mesures réparatrices pour réparer les préjudices implicites de la contrebande sur la nation mohawk d’Akwesasne

Collectivités, contrebande et conflit: Envisager des mesures réparatrices pour réparer les préjudices implicites de la contrebande sur la nation mohawk d?Akwesasne
Par : E. J. Dickson-Gilmore, Ph.D.
Carleton University
Sous-direction de la recherche et de l’évaluation
Direction des services de police communautaires, contractuels et autochtones
Gendarmerie royale du Canada
Ottawa, Avril 2002

 

 

PDF Les opinions exprimées sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de la Gendarmerie royale du Canada ou du Gouvernement du Canada.

Tables des matières

Sommaire

Le présent document est composé de trois parties. Dans la première, les conclusions tirées de la recherche et des documents qui existent sur le crime organisé au Canada, et sur le crime organisé de souche autochtone en particulier, sont résumées et commentées. On a pu constater que la recherche sur le crime organisé au Canada est limitée et de qualité passable, tandis que celle sur le crime organisé de souche autochtone est quasi inexistante. Les recherches dans ce dernier domaine n’ont révélé que trois articles directement axés sur l’activité transfrontalière, qu’ils considèrent une forme du crime organisé de souche autochtone, bien qu’il existe diverses sources d’information sur le peuple iroquois mohawk qui décrivent l’activité transfrontalière comme une manifestation du crime organisé. Le moment est venu d’entreprendre une étude plus approfondie et systématique du domaine afin de combler ce vide.

Dans la deuxième partie du document, un tableau préliminaire est dressé de l’incidence de l’activité transfrontalière sur les résidants d’Akwesasne, essentiellement d’après des entrevues et les recherches limitées effectuées sur le commerce. Il est évident que la contrebande est à la source d’un large éventail de préjudices directs et indirects qui touchent la collectivité, dont seule une petite partie est recensée par les organismes d’application de la loi et peut faire l’objet de mesures de justice réparatrice auxquelles ont recours les résidants d’Akwesasne. On fait remarquer dans cette partie du document que l’ambivalence de nombreux Mohawks devant le commerce lui-même constitue le facteur convaincant tant pour documenter les préjudices que pour mobiliser les organismes communautaires afin qu’ils réagissent à ces préjudices et aux personnes qui en sont la cause.

Ensuite, la troisième partie du présent document est consacrée à une description du « répertoire de mesures réparatrices » actuel à Akwesasne. On y présente des théories sur le potentiel d’une initiative réparatrice à grande échelle qui engloberait la prévention communautaire du crime en ciblant l’ambivalence des Mohawks à l’égard des activités transfrontalières. Une discussion sur la proposition de projet de bien plus grande envergure visant à définir, à formuler et à évaluer un tel projet occupe la plus grande partie de ce dernier chapitre du document.

Introduction

Notre peuple à Akwesasne a montré qu’il était contre la contrebande; il a coopéré avec la police, et notre propre police mohawk a effectué un certain nombre d’opérations antidrogue. Les cigarettes sont peut-être le moindre de nos soucis. Les stupéfiants, l’alcool, les armes automatiques, qui nuisent tous à notre peuple, ont été apportés en grandes quantités sur le territoire. Notre communauté a dit que cela était contraire à nos lois, qu’une frontière existe ou non... Ni la communauté ni la Confédération iroquoise n’appuient la contrebande (Richardson, 1989, 130).

Les preuves manifestes de deux décennies de trafic de contrebande transfrontalière hautement rémunérateur et ostensible donnent à penser que l’unanimité de la position affichée dans la déclaration qui précède peut ne pas être aussi grande que le souhaiteraient certains membres de la collectivité. Depuis qu’il a été porté à l’attention du public pour la première fois au début des années 80, le commerce ou le trafic des cigarettes en franchise de taxe s’est maintenant élargi pour englober une vaste gamme d’éléments comme l’alcool, les stupéfiants, les armes, les pierres précieuses et, plus récemment, les immigrants clandestins. La collectivité d’Akwesasne, absorbée dans les débats sur les droits ancestraux et les droits issus des traités, la souveraineté et le patriotisme perpétuels de la nation mohawk, l’autodétermination économique et les politiques de la résistance, a été déchirée par le trafic et s’est acquis une réputation de plus en plus répandue à l’échelle nationale de capitale du « crime organisé de souche autochtone ».

Il faut formuler de nouvelles stratégies pour composer avec toutes les victimes et traiter tous les préjudices découlant directement et indirectement du commerce, bien qu’il existe déjà un éventail de stratégies d’application de la loi adaptées à la surveillance, à l’arrestation et au contrôle des activités de ceux qui participent directement au commerce illicite qui traverse Akwesasne. L’une des sources de telles solutions se trouve dans le domaine encore relativement récent de la justice réparatrice. Le présent document a pour objet principal d’entreprendre l’examen préliminaire du potentiel que présentent les mesures réparatrices pour relever les défis que posent les activités de contrebande d’Akwesasne, en mettant l’accent sur le développement d’un projet de recherche de bien plus grande envergure et à plus long terme sur le sujet. Il est nécessaire, avant d’entreprendre une telle démarche, de discuter tout d’abord de l’état des connaissances sur le commerce de contrebande en tant que manifestation du crime organisé de souche autochtone en général, et à Akwesasne en particulier. De là, le point de mire du document se tournera vers une exploration de l’efficacité éventuelle de mesures réparatrices sur les préjudices causés par la contrebande. On y examinera la nature des défis qui pourraient se poser à la programmation de mesures réparatrices et, à la lumière de ceux-ci, des types de programmes qui pourraient s’avérer réalisables dans ce contexte; elle sera fondée sur des documents pertinents déjà produits et sur des renseignements recueillis auprès d’un petit échantillon de personnes soigneusement choisies qui sont au courant des activités de contrebande à Akwesasne et de leurs répercussions. Comme l’on prévoit que cette recherche préliminaire soulèvera d’importantes questions sur les mesures réparatrices, l’étude se terminera sur des suggestions visant un projet de recherche de plus vaste envergure qui pourrait jeter la lumière sur le potentiel de succès de la mise en œuvre de telles mesures à Akwesasne et, éventuellement, dans d’autres collectivités autochtones qui connaissent des problèmes similaires de criminalité et de perturbation de l’ordre.

L’état actuel des connaissances: le crime organisé de souche autochtone et d’autres formes de crime organisé au Canada

Toute tentative de dresser le profil du niveau de raffinement du crime organisé au Canada en général, et du crime organisé de souche autochtone en particulier, doit être précédée d’un examen de la nature de la recherche et des documents déjà disponibles sur le sujet. Aux fins de la présente étude, on a examiné un large éventail de sources, y compris les sources savantes traditionnelles, les articles de la presse et des médias populaires ainsi que les sources d’Internet, du gouvernement et des organismes d’application de la loi. Par la suite, on a trié les résultats de ces recherches et établi un ordre de priorité en vue d’accorder une attention particulière aux ressources ayant un point de mire canadien et à celles qui sont axées sur le crime organisé de souche autochtone, surtout sur le commerce de contrebande tel qu’il se manifeste dans les collectivités mohawks. Le deuxième point de mire était le crime organisé comme concept théorique ou conceptuel, une attention particulière étant accordée aux études sur le terrain non autochtones ou à la documentation qui constitue un fondement pragmatique à des discussions théoriques. Bien qu’une étude exhaustive et critique de la documentation ne puisse être effectuée en raison des contraintes temporelles, le travail accompli jusqu’à maintenant dans le cadre de la présente étude nous a pourtant permis de tirer certaines conclusions prudentes et préliminaires sur cette documentation pour ce qui est du crime organisé de souche autochtone au Canada.

La documentation sur le crime organisé en général au Canada

La portée des conclusions tirées de la recherche et des documents consultés va de la théorie (Lippens, 2001, 319-331) et de l’histoire (Haller, 1990, 207-235) à des efforts plus soutenus visant à décrire le domaine d’étude et le phénomène du crime organisé (Beare, 1998). Une bonne part de ces ressources sont centrées sur des cas particuliers d’activité criminelle organisée, comme le trafic de stupéfiants, la mafia ou « l’entreprise criminelle familiale » ou sur les célèbres éléments du crime organisé dans l’histoire. À ces sources parallèles s’ajoutaient celles des organisations gouvernementales ou d’application de la loi, comme le Service canadien de renseignements criminels, et une grande quantité d’informations diffusées par les médias, lesquelles doivent toujours être prises avec une certaine dose de prudence et en tenant compte des objectifs et des limites de la recherche qu’effectuent les médias.

Nonobstant la nature préliminaire de la présente étude, il convient de noter que l’examen de la base de ressources sur laquelle se fonde la recherche sur le crime organisé au Canada présente un certain nombre de difficultés. On a pu constater des opinions divergentes dans le domaine au sujet de nombreux éléments centraux du crime organisé, y compris des débats sur son ampleur et ses structures (Schloenhardt, 1999, 214), ainsi que des incertitudes et des désaccords quant aux tentatives de le définir à la fois comme un phénomène et un objet d’étude (Beare, 1998, 1). Bien que de tels débats puissent être le signe d’une saine lutte intellectuelle et amplement contribuer à la qualité et à la profondeur de l’examen effectué, à peu d’exceptions près, cela ne semble pas avoir été le cas de la recherche sur le crime organisé. Même un bref examen de la recherche historique révèle une diversité remarquable dans la qualité générale des travaux, diversité découlant de problèmes de méthodologie ou d’un développement conceptuel inadéquat, à un échec plus fondamental dans la réalisation d’analyses assez approfondies. C’est loin d’être le premier exemple, ou un cas isolé, de telles critiques du domaine, comme le fait remarquer un expert du domaine social:

Le domaine de la recherche sur le crime organisé souffre, en termes modestes, d’« atrophie intellectuelle ». Il y a peu d’écrits sur le sujet qui méritent notre attention, et ceux qui existent, souvent, ne sont pas représentatifs de la réalité (Martens, 1993, 35).

L’inégalité de la qualité des recherches effectuées est aggravée par le nombre relativement modeste de documents sur le crime organisé. Selon Beare, on pourrait attribuer ces lacunes, du moins en partie, aux difficultés implicites que pose l’examen d’une activité entourée de secret (Beare, 1998, 20-21). Elle fait remarquer que la collecte de données est freinée par la réalité que ceux qui participent à l’activité criminelle organisée n’ont rien à gagner s’ils parlent aux chercheurs. Elle fait remarquer que :

... le moment venu de situer les sources de données, il faut, pour la recherche sur le crime organisé, convaincre d’autres personnes de vous donner accès à leur milieu de travail hautement protégé, où ils ont un quasi-monopole sur le flux d’information (Beare, 1998, 22).

Ces lacunes sont très évidentes dans les recherches réunies et analysées pour la présente étude. Il existe très peu de documents de recherche uniquement ou spécifiquement axés sur le Canada, et les renseignements présentés ne font qu’illustrer la qualité inégale du domaine de recherche dans on ensemble1. Dans la mesure où il semble qu’on ait accordé peu d’attention au phénomène qu’est le crime organisé au Canada, on en a encore moins porté aux manifestations particulières du crime organisé dans des contextes autochtones.

 1Cette tendance est particulièrement évidente dans l’étude préparée pour la Commission du droit par Beare et Naylor qui, tout en poursuivant l’objectif établi de « positionner et situer en contexte les vieux débats, de clarifier le nouveau concept et de préciser l’évolution de notre façon de voir la gamme des activités criminelles qui devraient être examinées à travers le même prisme – et les activités qui doivent être considérées et traitées de façon séparée » (Enjeux majeurs sur le crime organisé, p. 1), confrontent souvent le lecteur à l’exposé non approprié de concepts clés et à des fondements insuffisants pour lui permettre de comprendre pleinement leurs arguments. Bien que l’on consulte souvent les travaux de la Commission du droit pour extraire des renseignements et exposés de base relativement à l’élaboration de politiques, ce document est un excellent exemple des plus grandes difficultés que pose ce domaine de la recherche.

La documentation sur le crime organisé de souche autochtone

Après un examen de la documentation criminelle, on remarque que seuls trois documents portent directement sur la contrebande comme une manifestation du crime organisé de souche autochtone et dans lesquels on mentionne directement le commerce de contrebande à Akwesasne (Jamieson, 1999, 259-272; Jamieson et al., 1998, 245-272; Jamieson et al., 1998, 285-319). Ailleurs, des auteurs comme Mme Beare portent brièvement leur attention sur le sujet, mais l’approfondissent rarement de façon significative (Beare, 1998, 77). On peut étendre la portée de la présente recherche en examinant les documents qui traitent spécifiquement de la contrebande dans les collectivités mohawks de Kahnawake, Kahnesatake ou Akwesasne, comme l’œuvre de Hornung intitulée One Nation Under the Gun: Inside the Mohawk Civil War (1991), People of the Pines (1991) de York et Pindera, ou In Defense of Mohawk Land (1997) de Pertusati. À l’exception de ce dernier ouvrage, qui découle du mémoire de doctorat de l’auteur, ces sources sont des recueils de l’expérience de journalistes qui ont fait la chronique des conflits et de l’activisme politique dans les collectivités mohawks. Bien que les livres que produisent les auteurs actifs dans les médias soient souvent instructifs et convaincants, il importe de ne pas oublier qu’ils renferment peu d’exposés clairs, voire aucun, des méthodes appliquées dans la conception ou la réalisation des recherches. En l’absence de détails sur les modèles de collectes des données et de structures d’entrevue, entre autres, on ne peut dire en toute certitude la mesure dans laquelle ces conclusions sont dignes de foi ou généralisables et, par conséquent, on doit utiliser les sources journalistiques avec prudence et réserve. Il faut également tenir compte du fait que le but des recherches journalistiques est fort différent de celui des recherches en sciences sociales. Cela étant dit, on peut ajouter une ressource supplémentaire à une gamme très restreinte d’ouvrages de recherche grâce à l’utilisation prudente des livres écrits par des journalistes. On peut aussi y ajouter des articles de journaux et de revues, qui sont relativement nombreux, mais comme les ouvrages populaires journalistiques, ils sont d’une utilité limitée pour les recherches. Il existe des documents plus fiables, bien que trop brefs et hors contexte, sous la forme des mises à jour sur les « aspects surveillés et éléments nouveaux » dont parle le SCRC dans ses rapports annuels.

Dans l’ensemble, la société savante ne semble porter qu’une attention limitée au phénomène du crime organisé au Canada en général; l’attention accordée à la contrebande au sein des groupes autochtones semble, quant à elle, quasi inexistante. Par contraste avec l’importance de l’attention portée au conflit autochtone avec la loi en général, et plus particulièrement à la sur représentation des Autochtones dans le régime de justice pénale du Canada, le crime organisé de souche autochtone n’est tout simplement pas un sujet qui a été examiné de manière significative, ni comme élément du conflit autochtone avec la loi, ni en tant que facteur participant à la sur représentation2. Et bien qu’en matière de justice autochtone, on accorde une place remarquablement importante à la justice réparatrice, il ne semble pas qu’on ait étudié de mesures réparatrices pour ce qui est du crime organisé. Cela est peut-être attribuable, du moins en partie, à la tendance des programmes de justice réparatrice à se limiter aux actes criminels de nature relativement bénigne, ce que n’est pas le crime organisé. C’est aussi sans le moindre doute une manifestation du manque général d’attention à l’égard du crime organisé de souche autochtone en tant que sujet d’étude. Ainsi, de toute évidence, il est urgent de diriger davantage l’attention des chercheurs sur le phénomène croissant du crime organisé de souche autochtone au Canada, ainsi que sur le potentiel de programmes plus novateurs au chapitre des initiatives de justice réparatrice et communautaire.

2 De fait, il convient de remarquer que, bien que l’intérêt de la recherche pour le sujet de la surreprésentation ne se soit manifesté que depuis 25 ou 30 ans, on a produit, grâce à cet intérêt, une quantité remarquable de données d’analyses – bien que l’on en convienne, peu aillent dans le sens de solutions visant à améliorer ce problème impérieux et, jusqu’ici, insoluble. En même temps, la recherche sur le crime organisé est réputée avoir eu ses origines dans les années 60, et a donné lieu à remarquablement peu de données et d’analyses au Canada, et même en notre époque où les enjeux autochtones sont des « sujets populaires », pratiquement aucune recherche n’a été faite en profondeur soit sur des formes particulières de déviance qui pourrait être assignées à la catégorie du crime organisé, ni aucune analyse cohérente des activités comme la contrebandedans le paradigme du crime organisé. C’est d’autant plus remarquable lorsque l’on pense que la contrebande est devenue manifeste en des endroits comme Akwesasne alors même que l’intérêt pour le domaine de recherche des peuples autochtones, de la criminalité et des conflits avec la loi s’est tellement aiguisé. Comment se peut-il que cet aspect du champ plus vaste ait pu être négligé et quelles en sont les implications pour les enjeux comme la surreprésentation ou l’avenir de la politique de justice pénale pour ce qui est des peuples autochtones?

Définir l’expression « crime organisé »

Malgré les limites de cette recherche, il est indispensable de commencer par établir les balises définitionnelles de cette expression avant de lancer un débat sur le crime organisé, qu’il soit de souche autochtone ou autre (Beare & Naylor, 1999, 2; Van Duyn, 1996, 343; Stamler, 2000, 430). Qu’entendons-nous par « crime organisé », particulièrement dans le contexte des Mohawks d’Akwesasne? Tenter d’établir une définition unique et générale capable d’englober toutes les formes du crime organisé semble illusoire, si l’on tient compte de la gamme d’activités que semble pouvoir recouvrir logiquement cette expression, et risquerait d’embrouiller davantage la nature du crime organisé que de l’éclairer en tant que catégorie de comportement criminel. La difficulté que pose la conceptualisation de ce terme réside, du moins partiellement, dans la tendance qu’ont les chercheurs à mettre l’accent sur ce qui pourrait être considéré comme des sous-catégories. Cette tendance entraîne ensuite une propension à définir le concept plus vaste de crime organisé en fonction de la sous-catégorie particulière faisant l’objet d’une étude, comme la mafia à l’ancienne ou l’« entreprise familiale ». Les chercheurs ont donc eu tendance à formuler des définitions du crime organisé en s’appuyant sur les caractéristiques attribuées à un éventail d’activités du crime organisé particulières et différentes. Bien qu’élaborer la définition d’une catégorie complète d’actes ou de comportements en additionnant les traits communs des définitions de leurs sous-catégories constitutives ne soit pas problématique en soi, l’inégalité d’une grande partie de la recherche rend plus hasardeuse l’application de ce procédé dans le domaine du crime organisé. Autrement dit, il faut sélectionner avec soin les définitions qu’on utilise pour forger le sens plus large du domaine du crime organisé en général.

Bien que l’on reconnaisse la difficulté que posait l’établissement d’une définition, la recherche donne à penser qu’il faut comprendre le crime organisé comme un processus ou une méthode permettant de commettre des types particuliers d’actes criminels (Beare, 1996, 14-15; Stamler, 2000, 431-432) plutôt que comme un type particulier d’activité criminelle. La forme d’organisation démontrée par les personnes qui s’adonnent à l’activité illégale semble constituer un élément essentiel de ce processus. Cependant, les débats tournent beaucoup autour du degré d’organisation et de ses objectifs mis en évidence dans différents types d’activités criminelles organisées. En général, les débats semblent être alimentés, aux deux extrêmes, par ceux qui comprennent le phénomène en le comparant à un modèle d’entreprise et ceux qui le comprennent en le comparant à un modèle de réseau (Schloenhardt, 1999, 214). Les tenants du modèle d’entreprise considèrent que le crime organisé est doté d’une structure d’entreprise centralisée, hiérarchique et bureaucratique (Schloenhardt, 1999, 214). Bien que cette conception semble avoir dominé une bonne partie des premiers travaux réalisés dans le domaine, des recherches plus récentes semblent indiquer qu’on attribue peut-être à tort des structures organisationnelles hiérarchisées et hautement rigides aux groupes du crime organisé tels que la Cosa Nostra ou la Mafia3. Cette position est cohérente avec l’existence d’un modèle de réseau du crime organisé qui présente la structure des groupes du crime organisé comme le fait d’organisations diversifiées et décentralisées où les relations entre les principaux acteurs sont définies horizontalement (Schloenhardt, 1999, 214). Ici, les chercheurs comme Haller ont suggéré que bon nombre des organisations pouvant relever du crime organisé ressemblent davantage à des ensembles de partenariats qu’à des organisations complexes (Haller, 1990, 229). Albini semble d’accord avec Haller et fait remarquer qu’en dépit de ses caractéristiques « rationnelles » certaines, il est plus juste de décrire le groupe du crime organisé ou le groupe cartellaire comme un [Traduction] « système souple de relations entre patrons et clients ou de relations hiérarchiques que comme la manifestation d’un système rigoureusement organisé et bureaucratique » (Albini, 1998, 350).

3 La notion de la famille criminelle hautement organisée et strictement réglementée est plus souvent associée à Donald Cressey dans son ouvrage intitulé Theft of the Nation, New York, Harper and Row, 1969.

Margaret Beare laisse aussi entendre dans ses ouvrages sur la situation au Canada qu’il est de plus en plus probable qu’il s’agisse d’une organisation à structure horizontale plutôt que hiérarchique, mais elle nuance ses propos en présentant l’hypothèse selon laquelle les structures du crime organisé tendront à varier en fonction des activités visées (Beare, 1996, 15). Toutefois, malgré ces distinctions, Mme Beare constate que les opérations criminelles organisées partagent généralement trois caractéristiques essentielles :

  • une structure qui permet l’élimination et le remplacement des criminels sans mettre en péril la viabilité de l’activité criminelle;
  • une activité criminelle marquée par la préparation constante de complots criminels (c.-à-d. une activité criminelle constante et répétitive plutôt qu’un ou deux actes criminels commis pour le profit);
  • la capacité d’opérer par la corruption politique ou le potentiel de violence ou les deux (Beare, 1996, 15).

Bien qu’on ne puisse vérifier la valeur théorique de ces caractéristiques qu’en tentant de les appliquer dans le monde réel, il conviendrait peut-être de mentionner quelques corollaires avant d’aborder le modèle de Beare sur Akwesasne. Mme Beare propose que l’une des caractéristiques communes de la plupart des groupes modernes du crime organisé est leur capacité d’éliminer et de remplacer du personnel dans les relations liées à des activités criminelles répétitives. Selon toute vraisemblance, lorsqu’il s’agit de ce genre d’activités, surtout si elles sont commises dans une petite collectivité comme celle d’Akwesasne et dans un domaine comme celui de la contrebande de cigarettes, où les partenaires potentiels sont peu nombreux, le choix de « remplaçants » semble limité, et la tendance à éliminer et à remplacer les partenaires pourrait constituer une pratique douteuse (bien qu’elle le soit moins si elle vise à masquer les activités de quelqu’un). Dans la mesure où des commentateurs comme Haller ou Albini ont raison, il semble logique de suggérer qu’au moins une partie des partenariats ou des relations patron-client assurant le fonctionnement de l’organisation dépendront, jusqu’à un certain point, de la personnalité du sujet. C’est-à-dire que les gens ne s’engageront dans des « complots criminels » qu’avec les personnes qu’ils croient connaître et auxquelles ils estiment pouvoir faire confiance4. Si une relation particulière dépend de la perception des partenaires, on en déduit logiquement que l’« élimination » et le « remplacement » de partenaires peuvent mettre en péril les relations entre partenaires. Les risques inhérents au remplacement peuvent prendre des dimensions intéressantes dans un contexte comme celui d’Akwesasne, où le commerce de contrebande semble fonctionner à l’interne grâce à des réseaux subordonnés à des obligations ou à de contraintes créées par les liens de parenté et à des partenariats établis entre personnes non apparentées fondés sur la communauté d’intérêts économiques et, à divers degrés, à des positions stratégiques ou politiques essentielles à la réussite des partenariats. Il est peu probable que le modèle de Beare, qui sera considérablement examiné dans les pages qui suivent, s’intéresse à la mesure dans laquelle ces complots et les activités qu’ils permettent et favorisent nécessitent la complicité de la classe politique ou d’agents de l’application de la loi.

4 Sur la « confiance » dans les relations dans l’organisation criminelle, voir aussi : Dick Hobbs et Colin Dunnighan, « Global Organized Crime: Context and Pretext » dans Vincenzo Ruggiero, Nigel South et Ian Taylor (éd.), The New European Criminology: Crime and Social Order in Europe, New York, Routlege, 1998, p. 289-301, part. p. 292 et 293.

Le crime organisé de souche autochtone en contexte : la nation mohawk d’Akwesasne

La collectivité de la nation mohawk d’Akwesasne se compose d’environ 12 000 à 13 000 Mohawks, descendants d’un petit groupe de Mohawks qui ont toujours été les résidants de la communauté à Kahnawake. On pense que les fondateurs d’Akwesasne ont quitté Kahnawake vers 1755 en raison de l’épuisement de la terre, des conflits entre factions et, peut-être aussi, du vœu des Français d’établir un poste de plus dans le Haut Saint-Laurent (Fenton & Tooker, 1978, 473; Reid, 1981, 118). Étant donné ces origines, le groupe dissident d’Akwesasne a nécessairement un passé – et un présent – largement similaire à celui de Kahnawake. La « tradition du commerce » se situe au cœur de cette histoire commune et est l’une des raisons qui, à l’origine, ont incité certains Mohawks à quitter leur foyer du sud, dans la partie Nord de l’État de New York, pour s’établir sur les rives du Saint-Laurent. La stratégie des collectivités parties vivre au nord pour des « raisons économiques » est claire : fonder une collectivité sur l’une des « autoroutes du commerce » a permis aux Mohawks de monopoliser le rôle d’intermédiaire dans le commerce de la fourrure. De leurs villages riverains, les Mohawks pouvaient intercepter les groupes de chasseurs de fourrures en route vers Montréal pour échanger, acheter ou voler leurs peaux et les détourner vers les marchés plus lucratifs de New York par la « voie mohicane ».

Bien que de nombreux spécialistes croient que le commerce nord-sud n’a pris naissance que dans le sillon du développement de l’économie mohawk consécutive à la colonisation européenne5, les Mohawks des temps modernes croient fermement que le « commerce » est un facteur déterminant de leur culture et de leur histoire. Le fait que les frontières internationales, provinciales et d’État aient englobé leurs propres frontières et celles de leurs voisins et partenaires commerciaux indigènes n’a pas beaucoup ébranlé cette croyance ni le postulat connexe sur la liberté de circulation et de commerce dans leurs territoires traditionnels.

5 On peut retrouver un sommaire condensé et relativement accessible de l’histoire des pratiques de commerce des Mohawks dans Mitchell c. M.R.N., op. cit. Voir aussi Francis Jennings, The Ambiguous Iroquois Empire: The Covenant Chain Confederation of Indian Tribes with English Colonies from Its Beginnings to the Lancaster Treaty of 1744, New York, W.W. Norton & Co., 1988.

Les Mohawks qui se sont établis à Akwesasne, le « lieu où la perdrix bat le tambour », comprenaient sans doute la valeur de la vie sur la rivière. Cependant, ils n’ont probablement pas pu prévoir la valeur stratégique de l’emplacement et des frontières de leur collectivité ni qu’un jour ils feraient l’objet de contestations. Telle qu’elle existe aujourd’hui, Akwesasne est traversée par la frontière entre le Canada et les États-Unis, et les frontières du Québec, de l’Ontario et de l’État de New York. C’est pourquoi en tant que groupe autochtone distinct, les Mohawks d’Akwesasne sont assujettis à un éventail remarquable de lois provinciales et fédérales, canadiennes et américaines, et leurs services de police sont assurés par au moins sept organismes différents d’application de la loi.

On ne peut donc sous-estimer les répercussions de cette division sur ce que les Mohawks considèrent comme leur foyer et une partie importante des territoires tribaux traditionnels qu’il leur reste. En tant que nation dont Akwesasne ne représente qu’une partie, les Mohawks ne reconnaissent généralement pas la frontière entre le Canada et les États-Unis ni aucune souveraineté touchant leurs terres n’ayant pas été établie par leur propre nation. Cependant, même si ces frontières constituent une source d’inconvénients considérables pour de nombreux Mohawks, l’ironie du sort est que la présence de ces frontières contribue non seulement au fervent nationalisme qui est un élément important de la culture politique moderne des Mohawks, mais également à leur prospérité économique interne. Tandis qu’ils se plaignent des frontières avec véhémence, ces dernières représentent une source importante d’activité économique illicite et de prospérité relative dans un contexte où les possibilités légitimes sont souvent bloquées et parfois inexistantes6. À ce propos, Jamieson a fait remarquer qu’Akwesasne est l’un des endroits les plus pollués d’Amérique du Nord, ce qui a nettement des répercussions sur les pratiques traditionnelles de subsistance. La pollution élimine aussi en grande partie la possibilité de développer une économie touristique ou toute autre forme de développement économique devenue monnaie courante chez les Premières nations. Les choix, à Akwesasne, semblent clairs et limités: l’exode à la recherche d’éducation et d’emploi; l’attente dans l’espoir d’obtenir un emploi dans l’une des industries qui contribuent actuellement à la détérioration de l’environnement ou de décrocher un des rares postes en administration locale au Conseil des Mohawks; ou la participation à l’économie illicite, de contrebande, sans contredit plus risquée mais beaucoup plus lucrative, dans un contexte stimulant et politisé d’activisme autochtone. Étant donné les possibilités inexistantes de prendre part de façon légitime au développement économique, on ne s’étonne guère que de nombreux Mohawks choisissent la voie de la criminalité. Comme on le verra, le contexte politique et économique plus général de l’activité de contrebande pose l’un des plus grands défis aux mesures visant à réparer les préjudices causés par l’économie illicite à Akwesasne.

6 Dans un monde idéal, les choix de politique visant à améliorer la situation résultant de l’économie souterraine dans les endroits comme Akwesasne seraient axés sur la revitalisation de l’environnement physique et l’accès accru au développement économique légitime; mais le monde n’est pas parfait et nous devons composer avec ce que nous avons.

Bien que les « nationalistes mohawks » ou les « traditionalistes », tels que les membres actifs des Sociétés des guerriers et des groupes de la longue maison, soient les plus prolixes dans la promotion de la souveraineté mohawk et des politiques de la contrebande, les sentiments qu’affichent les « radicaux » ne se limitent certainement pas à ces groupes. De fait, la souveraineté et les droits ancestraux font l’objet d’un consensus remarquable parmi les citoyens mohawks, en dépit des conflits souvent hautement fractionnels et fratricides qui les opposent sur la façon dont ils devraient utiliser ces droits7. Que les personnes de l’extérieur soient d’accord ou non avec ces positions – et comme nous le verrons, le désaccord à l’extérieur est évident, percutant et figure au nombre des éléments déterminants des politiques d’État – tout organisme désireux de mettre en œuvre des politiques à Akwesasne doit tenir compte des positions des Mohawks ainsi que de la ténacité et de la passion avec lesquelles ces derniers les défendent. C’est particulièrement vrai dans le cas des initiatives communautaires. Si l’on ne tient pas compte d’éléments essentiels de la collectivité, on ne peut pas vraiment s’attendre à ce qu’elle appuie les politiques ou les projets que l’on veut promouvoir.

7 Je l’ai observé, ayant moi-même habité à Kahnawake et prenant encore une part active dans les activités de cette collectivité et, dans une moindre mesure, dans celle d’Akwesasne; Mme Jamieson reprend cette idée dans son excellent article intitulé « Contested jurisdiction border communities’ and cross-border crime - the case of Akwesasne », dans Crime, Law and Social Change, vol. 30, 1999, p. 263.

Les perspectives des Mohawks d’Akwesasne sur les droits transfrontaliers

Dans le domaine du commerce et de la contrebande transfrontaliers, les arguments énoncés par les Mohawks d’Akwesasne correspondent principalement à trois courants qui ne s’excluent pas mutuellement, soit ceux (1) des droits souverains, (2) des droits issus des traités, et (3) des droits ancestraux. Bien que nous puissions distinguer ces courants aux fins de la présente étude, ils sont clairement liés dans l’esprit des Mohawks et ils se confondent et se chevauchent souvent dans la rhétorique qui caractérise les débats entourant la « contrebande » dans cette collectivité.

Le commerce transfrontalier comme droit fondé sur la souveraineté mohawk perpétuelle

Tout en défendant l’argument selon lequel leurs droits ont été reconnus dans une série de traités (dont il est question plus loin), la nation mohawk ne considère pas que ces traités créent ces droits. Selon eux, plutôt, tous les droits outre-frontière leur viennent de leur statut de nation jouissant d’une souveraineté perpétuelle, qui n’a jamais été conquise par aucun pouvoir colonial, et qui n’a jamais cédé aucun de ses droits. Il s’agit donc d’un rejet net de la position du gouvernement selon laquelle la souveraineté du Canada a préséance sur toute souveraineté mohawk. Le concept de « souveraineté fusionnée » proposé par la Commission royale sur les peuples autochtones, qui suggère que « les Canadiens autochtones et non autochtones forment ensemble une entité souveraine munie d’une certaine communauté d’objectifs et d’efforts... » (en italique dans l’original) (Mitchell, 2001, 35), est lui aussi rejeté. En tant que collectivité d’une nation souveraine, les seules frontières que reconnaissent les Mohawks d’Akwesasne sont celles de leurs propres territoires et collectivités.

En ce qui concerne précisément la question des cigarettes, certains Mohawks, du moins, surestiment leurs droits relatifs à cet aspect du commerce en considérant qu’ils leur accordent également le droit de transporter et de vendre du tabac détaxé en vertu de la « propriété spirituelle des Premières nations sur le tabac » (Jamieson, 1999, 263). Pareille revendication, à certains égards, prête beaucoup plus à controverse que les revendications fondées sur le nationalisme et la souveraineté perpétuelle. Car bien qu’il n’existe aucune distinction d’ordre technique entre « l’Église et l’État » dans la culture politique historique des Iroquois Mohawks, le fait de fonder les revendications touchant la propriété du tabac sur des motifs essentiellement religieux ou spirituels, puis d’exploiter cette revendication à des fins lucratives n’est pas bien accueilli à tout le moins par certains. Comme le fait remarquer Jamieson, ceux qui participent au commerce transfrontalier font leurs propres choix moraux (Jamieson, 1999, 267), et le fait de fonder ces choix sur leur perception parfois bizarre de la culture et de l’histoire mohawks constitue un élément important du factionalisme inspiré par les affrontements que suscite une telle perception, et du commerce lui-même.

Le commerce transfrontalier comme droit issu d’un traité

Les Mohawks sont d’avis que leur droit relatif à la liberté de circulation et de commerce à la frontière qui sépare le Canada des États-Unis, droit ancré dans leur souveraineté et dans leur statut de Première nation, est reconnu et protégé par la première série de traités coloniaux signés au XVIe et au XVIIe siècles. D’après les Mohawks, ces traités, et particulièrement le Traité d’Utrecht de 1713, les articles II et III du traité Jay et l’article IX du Traité de Gand de 1815, reconnaissent le droit des membres de la nation mohawk de traverser librement la frontière. Le traité Jay est plus souvent cité à ce propos, puisque l’article II reconnaît la liberté de circulation des peuples autochtones aux fins de commerce et d’activités diplomatiques, tandis que l’article III stipule qu’aucun droit de douane ne peut leur être imposé sur les marchandises rapportées pour usage personnel ou communautaire (Jamieson, 1999, 263; Leslie, 1979; Salisbury, 1977). Pris en bloc, ces traités sont considérés par les Mohawks comme les instruments qui les libèrent de l’obligation de verser des droits ou des taxes d’accise sur les marchandises qu’ils achètent et transportent de l’autre côté de la frontière. Dans le fond, la frontière n’existe tout simplement pas pour eux. Bien que le gouvernement du Canada ait accordé une certaine latitude en ce qui concerne certains biens personnels, il ne soutient aucunement la position des Mohawks au-delà de celle-ci (Mitchell, 2001).

Le commerce transfrontalier comme droit ancestral

Les Mohawks d’Akwesasne se sont vus refuser les droits outre-frontière comme élément intégrant de leurs droits ancestraux, plus récemment par la Cour suprême du Canada dans une cause type au sujet de l’importation de marchandises aux fins de commerce qu’avait lancée un ancien grand chef des Mohawks d’Akwesasne (Mitchell, 2001). Dans cette affaire, l’ancien chef Mike Mitchell soutenait que les Mohawks d’Akwesasne avaient le droit ancestral « de rapporter au Canada des marchandises des États-Unis à des fins d’usage communautaire et de commerce avec d’autres Premières nations sans payer de droits de douane » (Mitchell, 2001). Le gouvernement fédéral soutenait qu’un tel droit n’existait pas car, premièrement, aucune preuve ne l’étaye et, deuxièmement, un tel droit est incompatible avec la souveraineté du Canada. La Cour suprême a conclu que la preuve soutenant la revendication des droits ancestraux n’avait pu être établie et a rejeté la revendication des Mohawks. La question de la souveraineté n’a été abordée et confirmée qu’indirectement dans le texte de l’arrêt sur la souveraineté partagée. Selon la Cour, « les Autochtones ne s’opposent pas à la souveraineté canadienne et ils ne lui sont pas asservis : ils en font partie » (Mitchell, 2001). Cependant, ce n’est pas parce que le plus haut tribunal du Canada a adopté cette position qu’il en va de même dans le cœur des Mohawks d’Akwesasne.

Sans égard aux réalités juridiques allant à l’encontre de la position des Mohawks d’Akwesasne sur leurs droits outre-frontière, de nombreux Mohawks, qu’ils participent directement ou non au commerce, continuent d’affirmer que l’enchevêtrement de frontières qui traversent leurs territoires n’a pour eux aucun sens et qu’ils conservent le droit légitime de traverser ces frontières librement et sans pénalité. Toute tentative de mobilisation de la collectivité dans le cadre de l’adoption d’une mesure visant à réparer les préjudices attribuables à la contrebande devra tenir compte de cette réalité : la majorité des gens fermement opposés au commerce de marchandises illicites ou de contrebande défendront souvent précisément les mêmes positions sur l’autonomie nationale, la souveraineté et les droits outre-frontière que ceux qui participent aux activités de contrebande. Ici, comme dans de nombreuses collectivités factionalisées, les conflits portent moins sur les droits eux-mêmes que sur la manière dont ces droits sont interprétés ou revendiqués. Autrement dit, ils concernent davantage les moyens que la fin.

Le niveau de raffinement du crime organisé de souche autochtone à Akwesasne

Des historiens ont résumé avec justesse le génie historique des Mohawks en le situant non seulement dans leur capacité considérable à reconnaître un avantage, mais dans leur aptitude phénoménale à en profiter et à le maximiser. Il s’agit très certainement d’une bonne description de leur approche à l’égard des innombrables frontières, règlements et restrictions qui caractérisent leur vie à Akwesasne. On ne s’entend pas tout à fait sur le moment et les motifs qui ont poussé les Mohawks à décider de tirer parti de l’avantage stratégique que leur offre leur situation géographique. Selon la marchandise visée, on peut dire que l’activité transfrontalière a vu le jour au début des années 80, avec la naissance de la contrebande de cigarettes, directement liée à l’évolution des jeux de hasard tant à Akwesasne qu’à Kahnawake, ou un peu plus tard, avec l’importation d’armes de contrebande. À cet égard, selon Mme Beare, les armes figurent parmi les premières marchandises à avoir fait l’objet d’une contrebande en vue de soutenir les activités militantes des collectivités mohawks (Beare, 1996, 77), mais il semble tout aussi probable que le commerce des cigarettes ait été la source de financement principale des jeux de hasard et des armes, qui semblent former un complément tout naturel de l’activité transfrontalière mais aussi, de plus en plus, des manifestations activistes autochtones. De fait, les sources internes de la GRC font remarquer qu’au lendemain des crises d’Oka et de Kahnawake, l’importation d’armes de contrebande semblait s’être intensifiée et que les armes de gros calibre demeurent un important moteur du commerce. Il convient en outre de souligner que, selon ces mêmes sources, l’été 1990 a constitué non seulement un catalyseur des activités de contrebande menées à l’échelle du Canada dans les collectivités autochtones chevauchant ou jouxtant la frontière canado-américaine, mais aussi un stimulant pour l’activisme dans de nombreuses collectivités des Premières nations.

La naissance du commerce de cigarettes aurait donc probablement précédé celle du commerce des armes de contrebande, ou du moins se serait produite à peu près en même temps, puisqu’il fallait financer mais aussi protéger le commerce des armes. De plus, il est peu probable que les Mohawks aient disposé d’autant d’argent sans que le commerce du tabac vienne soutenir d’autres développements économiques illicites – et légitimes. C’est certainement le cas des exploitations de bingo et de jeux de hasard à enjeux élevés, dont il sera question plus loin dans le document.

Tandis que certains commentateurs désignent les années 80 comme l’ère de l’activité transfrontalière, Jamieson soutient que la « zone de libre-échange mohawk » a été créée beaucoup plus tôt. Il fait remarquer qu’elle est une part active du paysage économique et politique d’Akwesasne depuis [Traduction] « au moins les années 50 » (Jamieson, 1999, 265). En fait, il semble logique que l’existence d’une telle zone puisse remonter à la création des frontières et que cette idée n’ait fait son chemin dans la conscience du public qu’au moment où ce dernier s’est sensibilisé davantage au « nationalisme autochtone » en général, aux préoccupations relatives aux « frontières poreuses » et au potentiel de criminalité et de perturbation de l’ordre public inhérent à ces deux phénomènes.

Quelle que soit la date d’apparition que l’on veuille attribuer à la contrebande à Akwesasne, il semble évident qu’une circulation transnationale de biens personnels de relativement faible envergure à l’origine ait explosé en un commerce très important et lucratif de marchandises illégales et de contrebande. Selon Mme Beare, la naissance de ce commerce et la forme ultérieure qu’il a prise sont moins attribuables à l’initiative des Mohawks qu’aux circonstances.

Le crime organisé de souche autochtone se concentre sur les crimes « opportunistes ». Aux premiers stades d’opération, une occasion d’activité très lucrative est saisie plutôt que recherchée et développée. Cependant, une fois l’infrastructure d’un réseau de distribution en place, d’autres marchandises peuvent être et sont substituées aux premières (Beare, 1996, 77).

Ainsi, à l’importation illégale de cigarettes de contrebande et d’armes à autorisation restreinte au sein des collectivités mohawks et entre celles-ci, se sont ajoutés la contrebande d’alcool, le trafic de stupéfiants et, fait peut-être plus troublant, le passage transnational d’immigrants clandestins (Beare, 1996, 77; Jamieson, 1999, 265-267; CISC, 2001). Les sources du gouvernement laissent entendre que cette liste n’est probablement pas exhaustive (Communication personnelle, mars 2002). L’ampleur du commerce est phénoménale et les profits, évalués à des millions de dollars, sont prodigieux, compte tenu surtout des dimensions relatives des collectivités et du nombre de Mohawks qui y participent directement. Si nous ne nous penchons que sur le commerce du tabac, cette activité revêt pour les Mohawks et les gouvernements à la frontière une importance évidente. Selon Jamieson, au plus fort du commerce de cigarettes, en 1993-1994, le gouvernement fédéral estimait que le marché du tabac au Canada était constitué à 40 % de « cigarettes de contrebande » (Jamieson, 1999, 265). La perte fiscale associée à cette portion du marché serait évaluée à quelque 12,4 milliards de dollars8. Bien que ces marchandises aient pénétré le marché par diverses sources, il ne fait aucun doute qu’elles ont pour la plupart transité par Akwesasne.

8  Ibid. Beare ajoute aux coûts monétaires de ces cigarettes de contrebande les « coûts de leur consommation pour la santé publique » ainsi que les coûts liés à l’application de la loi, aux activités supplémentaires de vérification aux frontières, etc. Voir « Enjeux majeurs sur le crime organisé... », partie E.

À Akwesasne, le commerce est généralement dirigé par des hommes mûrs qui organisent et supervisent les opérations et emploient des hommes et des femmes plus jeunes comme passeurs (Jamieson, 1999, 266), soit les personnes qui transportent physiquement les cigarettes d’un côté à l’autre de la frontière par un vaste réseau de voies terrestres et fluviales. Comme on l’a dit plus haut, parmi les participants aux activités de contrebande, on trouve des familles entières et des personnes agissant seules ou en petits groupes composés de gens de confiance. Les participants se livrent à ces activités sous l’égide d’entreprises permanentes « bien organisées et informatisées » ou le font « à l’improviste », « de façon opportuniste » (Jamieson, 1999, 22; Hornung, 1991). Le processus est relativement simple. Une grande partie des cigarettes entrées en fraude sont en fait fabriquées au Canada et exportées aux États-Unis, où elles sont achetées à des grossistes américains avant de rapidement repasser la frontière par les voies mohawks, pour être vendues à des prix largement réduits et non assujettis aux droits de douane ou aux taxes (Jamieson, 1999, 266). On a tracé un réseau de voies terrestres et fluviales pour contourner les frontières et élaboré une série de stratégies pour y parvenir. Parfois, les trafiquants chargeaient une voiture de quelques boîtes de cigarettes et demandaient à un passeur débutant de passer la frontière. Les trafiquants appelaient les autorités douanières afin de leur donner un tuyau sous le couvert de l’anonymat. Les autorités s’affairaient alors à appréhender le passeur dénoncé et à saisir son chargement illicite. Cette diversion permettait alors à un véritable chargement de passer la frontière. Une autre méthode consistait à envoyer une voiture la nuit à un point frontalier et à la faire suivre à peu de distance par un camion roulant à grande vitesse, transportant tout un chargement de contrebande, tous phares éteints, afin d’éviter d’attirer l’attention. Dans ces deux cas, un passage réussi de la frontière était suivi d’une course folle vers Kahnawake, où les cigarettes étaient distribuées afin d’être vendues dans les quelque 70 débits de tabac qui ponctuaient le paysage de la collectivité à l’époque où ce commerce était florissant. Bien que le commerce de cigarettes ait diminué depuis les modifications apportées par le gouvernement fédéral à la structure fiscale, en 1994, dans l’espoir de le contrer9, les pertes subies ont été quelque peu neutralisées par le développement du commerce d’autres marchandises, comme l’alcool et les drogues illicites.

9 Chambre des communes, Affaires courantes, le mardi 8 février 1994. Dans son Rapport annuel de 2001, le SCRC fait remarquer qu’« une nouvelle structure fiscale concernant le tabac canadien a été introduite en avril 2001 et elle comprend, entre autres changements, des augmentations de taxes dans les cinq provinces les moins taxées (l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard) [...] Jusqu’à maintenant, les effets de cette nouvelle structure fiscale sur la dynamique du marché illicite du tabac demeurent indéterminés » (La contrebande. Tabac. Rapport annuel 2001, p. 3).

Il est peu probable qu’une indemnité du même ordre ait été versée pour compenser la perte des contributions très importantes que ce commerce apportait à l’économie locale légitime. Au plus fort du trafic de cigarettes, on savait que des contrebandiers achetaient comptant des voitures et des bateaux aux marchands de la collectivité ontarienne de Cornwall et les abandonnaient ensuite après s’en être servis ou pour échapper à la détection, alors qu’ils étaient pourchassés par les autorités. La police a découvert les restes de bateaux coulés dans le Saint-Laurent. Dans un cas, elle a trouvé les coussins d’un bateau de course bourrés de munitions d’armes semi-automatiques de gros calibre. Ici, nous voyons un facteur important du succès du crime organisé en général, soit la concertation entre les activités légitimes et les activités illicites. Dans le contexte du trafic de cigarettes, les vendeurs légitimes de voitures et de bateaux situés dans des collectivités non mohawks adjacentes à la réserve sont complices du trafic transfrontalier, dans la mesure où ils fournissent apparemment en connaissance de cause des marchandises nécessaires à la survie du commerce. À cet égard, ils participent tout autant que les grossistes et les fabricants de cigarettes à ce commerce. Ces « gens d’affaires légitimes » ont certainement subi durement les contrecoups de la baisse du trafic de cigarettes, et on ne sait pas exactement dans quelle mesure ces pertes ont été absorbées par le développement du commerce d’autres marchandises. Puisque les voitures et les bateaux sont encore nécessaires pour faire passer la frontière à l’alcool ou aux immigrants clandestins, on peut trouver là une part du marché à exploiter.

La complicité d’entreprises légitimes aux activités criminelles organisées (Haller, 1990, 228; Jamieson et al., 1998, 298-299) a pris des dimensions beaucoup plus vastes au milieu des années 90, lorsqu’il est devenu évident qu’une telle coopération dépassait largement la participation à la petite semaine des entreprises et des grossistes locaux et s’étendait jusqu’aux grandes sociétés comme R.J. Reynolds. En 1998, Northern Brands, une filiale de R.J. Reynolds, a été reconnue coupable et condamnée à payer une amende à la suite de la confirmation des rapports qu’elle entretenait avec des trafiquants de cigarettes. L’essentiel de cette relation consistait à ramener au Canada, en passant par Akwesasne, des cigarettes de Northern Brands de fabrication canadienne qui avaient été exportées aux États-Unis sous prétexte d’être exportées en Europe de l’Est. Ce procédé permettait à la compagnie d’éviter de verser des sommes considérables en droits de douane et en taxes10 au Canada et aux États-Unis. Cet incident montre très clairement la complicité des entreprises dans les activités du crime organisé, mais elle ne s’en distingue que par le degré. Les entreprises légitimes demeurent des protagonistes importants dans le marché de contrebande, au même titre que les « citoyens respectueux de la loi » qui ne considèrent pas l’achat de cigarettes de contrebande comme une forme d’évasion fiscale ou de soutien de l’activité criminelle organisée.

10 CBC Newsworld, 22 décembre 1998; Associated Press, le mardi 22 décembre 1998; [Traduction] «Une société affiliée de fabricants de tabac plaide coupable à des accusations de participation à la contrebande », Washington Post, le mercredi 23 décembre 1998; [Traduction] « Une société affiliée d’une compagnie de tabac plaide coupable à des accusations de commerce de contrebande », Los Angeles Times, 23 décembre 1998; [Traduction] «Une filiale de RJR plaide coupable à des accusations de contrebande », New York Times, le 23 décembre 1998.

En raison de la participation d’« éléments non criminels » aux activités illicites, il est encore plus difficile de relever le défi qui consiste à adapter des mesures efficaces d’application de la loi au crime organisé, et cela soulève d’intéressantes questions dans l’esprit de ceux qui envisagent la possibilité d’adopter des mesures visant à réparer les préjudices causés par ce genre de crime. La complicité d’« innocents citoyens » dans une telle activité illicite envoie des messages contradictoires aux auteurs d’actes illicites. Le fait que des « citoyens ordinaires » appuient des activités criminelles, par exemple en achetant des cigarettes de contrebande, met en doute la nature véritablement criminelle du statut du trafiquant et de l’activité de contrebande. De même, les implications de ces crimes deviennent moins évidentes. Perdues dans la transaction relativement banale entre le vendeur de cigarettes de contrebande à Akwesasne ou Kahnawake et les étrangers qui n’entrent dans les réserves que pour profiter de l’économie de contrebande, se trouvent les conséquences du commerce pour ceux qui vivent dans la réserve et doivent subir les effets, visibles et moins visibles, de l’existence de ce commerce. Bien que les étrangers puissent feindre d’ignorer les conséquences du commerce de cigarettes et se dire qu’elles ne touchent qu’un petit nombre de « victimes qui le méritent », soit un gouvernement qui impose des taxes trop lourdes et s’attire ainsi la perte de recettes fiscales et les personnes qui choisissent de fumer, on accepte moins bien ces lieux communs lorsqu’on remarque par exemple le rôle de monnaie d’échange que semblent tenir les cigarettes de contrebande dans des activités criminelles beaucoup plus insidieuses11, ou lorsque l’attention se porte sur d’autres formes de commerce. Si les cigarettes ou l’alcool de contrebande occupent une extrémité d’un continuum de criminalité perçu comme des activités suscitées par les gouvernements trop portés sur les taxes, on peut s’attendre à ce que le Canadien moyen soit moins indifférent au trafic de drogues et d’armes ou au passage de migrants clandestins. Le fait que les répercussions négatives de telles activités puissent dépasser les frontières de collectivités comme Akwesasne pour atteindre un bassin beaucoup plus vaste de victimes potentielles pourrait aider les organismes d’application de la loi à mobiliser davantage le public sur l’adoption de modèle de lutte contre la criminalité allant au-delà des modèles traditionnels et à entreprendre un paradigme de justice réparatrice de contrôle social grâce au renforcement du pouvoir communautaire.

11 Beare parle d’une [Traduction] « enquête récente qui a révélé des preuves selon lesquelles les trafiquants de cocaïne de la communauté vietnamienne d’Edmonton se servaient des cigarettes de contrebande comme monnaie d’échange pour obtenir de la cocaïne » («Criminal Conspiracies », p. 77). Si l’on reconnaît que Beare figure au nombre des chercheurs qui soulignent la nature peu fiable d’une grande part de l’information sur le crime organisé, on espère qu’elle ne reprend que l’information qu’elle juge de source fiable. Comme elle ne fait aucune déclaration sur l’authenticité de cette affirmation, les lecteurs devront l’accepter telle quelle.

Il fait peu de doute que ce que Mme Beare définit comme les composantes du crime organisé, à quelques modifications près, sont des éléments du commerce transfrontalier à Akwesasne. Certes, les activités transfrontalières d’Akwesasne et de Kahnawake sont dotées d’une vaste structure et tolèrent une certaine interchangeabilité des participants, ne serait-ce que dans une certaine mesure. Par exemple, les principaux participants au commerce dans les deux collectivités demeurent les mêmes, même si dans le cas où ils limitent leurs activités aux cigarettes, leur degré de participation peut avoir diminué. De même, lorsqu’un certain nombre d’entre eux sont membres d’une « entreprise familiale », la substitution et le sacrifice de participants ne sont peut-être pas aussi faciles ou courants que le modèle de Mme Beare semble le présumer. De plus, il est clair que le trafic est rendu possible par l’existence de réseaux permanents de complots criminels, mais qu’en plus de ceux qui s’engagent dans la « récidive criminelle », une partie du commerce fonctionne par l’entremise des activités d’auteurs de « un ou deux actes criminels » perpétrés principalement « pour le gain ». Le commerce, qui apparaît hautement organisé et soutenu par les mêmes « technologies d’entreprise » assurant le succès d’entreprises légitimes, est évidemment aussi fortement enclin à utiliser la violence et les menaces pour lubrifier les rouages de ses activités (Beare, 1996, 77). Il est donc presque certain que l’activité transfrontalière à Akwesasne correspond théoriquement au modèle de l’activité criminelle organisée.

Dans la collectivité, cependant, on fait preuve d’une ambivalence beaucoup plus marquée lorsqu’il s’agit de qualifier de « criminel » ce commerce et d’évaluer le type et l’ampleur des préjudices qui lui sont associés. Plusieurs facteurs semblent influer sur les perceptions qu’ont les Mohawks du commerce, dont la nature des marchandises de contrebande, les opinions personnelles sur la souveraineté et les droits ancestraux ainsi que les avis sur les coûts du commerce pour la collectivité. Par exemple, alors que de nombreux Mohawks se montrent bien plus ambivalents à l’égard du commerce du tabac que de celui d’autres marchandises comme les stupéfiants, ils peuvent adopter une toute autre position lorsqu’il est question des implications de ce commerce. D’une part, il y a ceux qui font l’éloge de ce commerce et des trafiquants pour leurs contributions au développement économique légitime d’Akwesasne et de Kahnawake. Dans cette dernière en particulier, tout le monde, sauf une « famille de trafiquants », versait des « droits » dans une caisse collective administrée par l’une des longues maisons locales sous la forme de prêts sans intérêts servant à lancer des entreprises ou à construire des maisons12 . La situation, à cet égard, semble quelque peu différente à Akwesasne. Bien que l’on signale l’existence de systèmes de « dîme » à Akwesasne, on fait aussi état de la disparition de fortes sommes « dans les poches de quelqu’un ». Lorsqu’on a tenté d’accéder au fonds, il avait disparu sans explication valable13. Cet échec à créer un bon système de reddition des comptes a été attribué par certaines personnes au courant du commerce à Kahnawake et à Akwesasne, du moins en partie, au conflit qui entoure les activités d’Akwesasne en particulier14. Cela étant dit, bien que cela n’ait pas constitué une pratique absolument systématique, certains participants au commerce à Akwesasne étaient connus pour leur grande prodigalité avec leurs gains, offrant voitures et maisons à ceux qui étaient dans le besoin, se faisant ainsi une place toute particulière dans le cœur de nombreux membres de la collectivité.

12  Entrevue avec «A », Mohawk de Kahnawa:ke, notes en possession de la chercheuse.

13  Entrevue avec «B », Mohawk de Kahnawa:ke, notes en possession de la chercheuse.

14 Ibid.

Il semble probable qu’une plus grande source de conflit au sujet du commerce vienne de l’association des produits du trafic de cigarettes, des maisons de jeux sur le territoire américain d’Akwesasne et des bingos où se jouent de grosses sommes à Kahnawake, et les perceptions associées au spectre de la présence d’organisations criminelles traditionnelles ayant la mainmise sur de telles maisons (Jamieson, 1999, 266; Hornung, 1991, 1-25). Nourris des tensions politiques que suscite l’exploitation perçue de la souveraineté et des traditions ancestrales qui soutiennent les activités illicites, de nombreux Mohawks craignent que leur peuple conclue des alliances contre nature avec des personnages de plus en plus douteux. De nombreux Mohawks sont troublés par la diffusion de plus en plus fréquente de rapports selon lesquels le commerce auquel leurs membres se livrent en vertu d’un droit porte avec lui la responsabilité d’une vaste gamme de préjudices sociaux. Le fait que les cigarettes de contrebande pourraient servir de monnaie d’échange dans le trafic des stupéfiants et que ce trafic signifie des liens avec les Hells Angels15 ou des groupes de trafiquants de souches ethniques diverses, ou que le passage de migrants clandestins est synonyme de liens avec les groupes du crime organisé de souche asiatique donne au trafic local une dimension qui effraie de nombreux Mohawks et les mobilise contre le commerce de contrebande. Le fait de vivre avec l’angoisse que suscite de telles perceptions et la possibilité que les conflits entourant le commerce en général et la concurrence qui existe entre les trafiquants en particulier puisse engendrer la violence sont l’un des préjudices que des mesures pourraient être appelées à réparer.

15 Communication personnelle avec un résidant d’Akwesasne, mars 2002.

Définir les préjudices causés par le crime organisé de souche autochtone à Akwesasne : le défi de fixer les cibles des initiatives réparatrices

On ne peut douter de l’ampleur des préjudices causés à la collectivité d’Akwesasne par le développement de l’économie de contrebande à l’intérieur de ses limites. Il est vital de cerner la nature de ces répercussions et leur orientation pour déterminer les mesures réparatrices, pour autant que les programmes de justice réparatrice s’efforcent de résoudre les conflits entre victimes et délinquants, et ainsi rétablir un certain équilibre dans leurs relations et la vie de ceux qui sont touchés par ce conflit. La détermination des préjudices, le repérage des victimes et le recensement des collectivités touchées sont donc les précurseurs essentiels de tout examen de mesures réparatrices possibles à l’égard des activités criminelles organisées à Akwesasne. Il est extrêmement important de souligner que l’exposé qui suit est largement fondé sur les perceptions de la chercheuse à l’égard de la situation d’Akwesasne, fondées sur les recherches effectuées et quelques entrevues choisies. Si l’on entreprenait la mise en œuvre d’un projet de justice réparatrice à Akwesasne qui soit directement lié aux préjudices causés par la contrebande, il serait absolument indispensable, dans le cadre de la préparation de ce projet, de tenir de vastes consultations auprès de la collectivité sur la façon dont elle perçoit, à l’échelle locale, les préjudices, les victimes et la nature des actes de victimisation et, en somme, les problèmes à résoudre au moyen d’un projet de justice réparatrice. Les projets véritablement conçus pour répondre aux besoins de la collectivité (par opposition aux perceptions externes de ces besoins) et élaborés par la collectivité qu’ils servent et appartenant à cette dernière doivent suivre la voie d’une telle consultation.

Les préjudices attribuables au crime organisé à Akwesasne sont ressentis à divers niveaux. En résumé, ils touchent l’ensemble de la collectivité qui s’est acquis, sur une période relativement brève de son histoire, soit tout au plus 50 ans mais pas moins de 20 ans, une réputation de capitale du crime organisé de souche autochtone au Canada. Il n’est guère facile de se défaire du poids d’un tel fardeau. Il est lié à la réalité du racisme et d’un sentiment anti-autochtone, bien documentée dans la recherche16 et reconnue par les tribunaux du Canada (R. v. Williams, 1998), qui alimente encore les stéréotypes liés à la nature criminogénique des collectivités et des peuples autochtones et contribue peu à habiliter et à encourager les nouvelles générations de Mohawks à Akwesasne. Par exemple, une informatrice d’Akwesasne m’a récemment dit qu’au plus fort de la période de contrebande de cigarettes, en particulier, toute personne « ressemblant à un Mohawk » qui se présentait chez un concessionnaire de Cornwall se faisait invariablement demander par le vendeur si la voiture allait être payée comptant, question enracinée dans le postulat selon lequel tous les Mohawks sont des trafiquants et, partant, des criminels17. On ne peut sous-estimer l’incidence de ce type de comportement sur les enfants accompagnant leurs parents pour voir des voitures ou d’autres « gros articles de consommation », particulièrement en ce qui concerne les messages transmis aux enfants concernant leurs parents, leur contexte culturel et leur collectivité. Lorsqu’une hypothèse fondée sur des perceptions externes de criminalité est associée à l’absence de possibilité lucratives légitimes dans la collectivité et à l’appât d’une richesse plutôt spectaculaire qu’offre la contrebande, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi des jeunes Mohawks appauvris et marginalisés seraient prêts à saisir les occasions de gains illicites. De plus, comme nous le verrons plus loin, lorsque ces occasions sont rationalisées non pas comme des activités criminelles mais comme un moyen d’exprimer une position sur la souveraineté et les droits ancestraux mohawks, la plupart des raisons de ne pas y participer qui restent perdent de leur pouvoir de conviction.

16 Voir, par exemple, la Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, ministère de l’Approvisionnement et des Services du Canada, 1998, part. vol. 1, p. 247-249.

17 Entrevue avec «C »,Akwesasne, mars 2002.

Si l’association de la collectivité avec la contrebande rend la vie difficile hors d’Akwesasne, le défi de vivre avec la contrebande en son sein peut rendre la vie quasi insupportable. Les informateurs de la collectivité ont parlé d’une série de préjudices, dont certains sont plus tangibles que d’autres. Parmi les préjudices tangibles, on note l’incidence de l’appât du gain facile sur les jeunes et les familles vulnérables, la menace constante d’actes de violence allant de pair avec la présence de trafiquants, la fragilité de la loyauté à l’égard de tout ce qui n’est pas le lucratif, et les arsenaux et les actions des coupe-jarret qui ponctuent les conflits relatifs aux circuits et aux fournisseurs. La présence de marchandises illicites n’est pas moins dommageable. Les stupéfiants et l’alcool de contrebande font peser le risque sur tout autant, sinon plus, les enfants et les jeunes Mohawks que sur les étrangers formant le plus gros de la clientèle complaisante qui achète de telles marchandises. Outre la toxicomanie et l’alcoolisme qu’elle entraîne, citons la multiplicité des activités criminelles associées particulièrement à la culture des stupéfiants, y compris les infractions contre les biens perpétrées pour alimenter la toxicomanie et le nombre de délits contre la personne qui tend à augmenter lorsque les gens sont sous l’influence de stupéfiants ou d’alcool. Ces préjudices sont souvent directs et précis et ont des répercussions tangibles sur la qualité de la vie quotidienne à Akwesasne.

De même, bien que le commerce de cigarettes et d’autres marchandises de contrebande ait apporté une richesse sans précédent à la collectivité, il a aussi, bien souvent, contribué à créer une structure socio-économique d’une asymétrie spectaculaire. Alors que certains Mohawks ont connu un niveau de richesse quasi obscène, d’autres restent englués dans une pauvreté désespérée, exclus des « actes de charité de la contrebande » par l’absence de parents ou d’amis participant au commerce. Le ressentiment et la frustration que suscitent les occasions bloquées sont des facteurs courants dans la plupart des réserves autochtones du Canada, mais ils sont particulièrement saisissants à Akwesasne, où l’on empêche certains résidants d’accéder non seulement aux moyens légitimes de s’enrichir, mais aussi aux moyens illégitimes.

Les préjudices s’associent maintenant aussi à la prospérité qu’ont connue certains Mohawks, mais pas d’autres. Ceux qui ont pris position contre la contrebande ont trop souvent vu leurs actes récompensés par la pauvreté et les difficultés, alors que les trafiquants ont accès à des quantités apparemment inépuisables d’argent facilement acquis. L’honnêteté peut avoir ses propres récompenses, mais la gratification est rarement immédiate, ni l’ampleur de celle que génère la malhonnêteté. En deux mots, à Akwesasne, l’adoption de la voie d’évitement des activités transfrontalières semble rarement directement récompensée.

Les défis qu’affrontent ceux qui s’opposent moralement au commerce de la cigarette sont de taille, particulièrement lorsque cette moralité a été acquise par le biais d’une expérience directe avec les activités de contrebande. Une informatrice, manifestement encore perturbée émotionnellement par sa participation au commerce, a dit avoir été passeuse à plusieurs occasions alors qu’elle était adolescente, à peine émoulue de l’école secondaire18. Elle a parlé de ce que l’on ressent à compter un million de dollars en billets de vingt et de cinquante dollars, et l’attrait d’une telle richesse était perceptible. En même temps, elle était troublée par la mentalité « macho » qu’affichaient particulièrement les jeunes hommes à qui elle livrait les cigarettes à Kahnawake, à l’issue d’une course folle au milieu de la nuit, entre la frontière et Akwesasne. Le canon d’une mitraillette pointée sur son visage et un « sac d’argent » jeté dans sa direction avaient été offensants et avaient exacerbé le sentiment de honte et de culpabilité que lui avait laissé sa brève expérience du commerce. Bien que le fait que cette personne soit sortie des rangs des « délinquants » puisse être considéré comme une victoire pour la loi et les mesures générales de dissuasion (même si son évolution semble plus attribuable à des motifs internes qu’externes), il est clair qu’elle demeure une victime du commerce comme en font foi les émotions extrêmes qu’elle a manifestées lors de l’entrevue. Puisque ses délits n’ont pas été détectés, elle ne peut espérer accéder aux avantages potentiels de la programmation réparatrice liée au système de justice historique d’Akwesasne, et pourtant elle en aurait nettement besoin.

18  Informatrice «C », mars 2002.

Bien que cette informatrice ait tourné le dos à la contrebande, son poids sur sa vie et sur la collectivité dans son ensemble laisse entrevoir l’ampleur de la victimisation implicite du commerce. La participation à la contrebande, même brièvement, a créé une profonde rupture pour elle. En même temps que sa marginalisation de la « société blanche », laquelle a été accrue par les policiers et les agents des douanes qui la poursuivaient, son sens d’appartenance à son propre peuple a été ébranlé par les jeunes hommes mohawks dont les liens communautaires et ethniques avec elle ne les avaient pas empêchés de diriger le canon d’armes de gros calibre sur une autre Mohawk. La vie dans un endroit comme celui-là, sans aucun sens de communauté, fait naître une approche individualisée de la vie, qui ne peut que miner les rapports humains et l’unité d’action ou d’objectif qui est un élément central de la vie communautaire. Il semble, selon toute apparence à Akwesasne, que de nombreux Mohawks ont perdu contact avec le concept de leur communauté précisément de cette manière.

La « confusion » qui marque ceux qui ont participé à la contrebande dans le passé est profonde, et certainement pas limitée à ceux qui ont abandonné le « domaine » de leur plein gré. Les informateurs parlent de jeunes de la collectivité dont les parents participaient à la contrebande de cigarettes, mais dont l’avantage concurrentiel avait été éliminé par les modifications à la structure fiscale du Canada. Déchus de la richesse à une situation très modeste, ces familles s’efforcent maintenant de se mettre dans la peau des enfants qui ont du mal à comprendre comment les 200 $ qu’ils avaient l’habitude d’aller dépenser chaque semaine au centre commercial sont devenus une maigre allocation mensuelle de 20 $, et qui ressentent de la colère et de la rancune pour la réduction de leur niveau de vie19. Ces jeunes, qui n’ont connu que la prospérité relativement facile qui est le pendant de nombreuses activités illicites, n’ont aucun cadre de référence pour accéder aux voies légitimes de l’aisance financière, ni aucune motivation pour les rechercher. Leur aliénation est profonde, et leur perception de la prospérité faussée; le défi qu’ils présenteront pour la collectivité sera probablement d’envergure. Ces jeunes s’insèrent dans une autre catégorie de victimes créée par la contrebande; ils n’ont pas accès aux programmes réparateurs historiques parce qu’ils n’ont pas encore entrepris de participer à des actes criminels et à la perturbation de l’ordre. Il est probable qu’ils le feront. Il est malheureux que les programmes qui pourraient leur être bénéfiques ne s’appliquent que dans un contexte de réaction; la nécessité de solutions réparatrices préventives est manifeste et pressante.

19 Informatrice «C », Akwesasne, mars 2002.

Viennent s’ajouter à tous les aspects et à toutes les expressions du commerce les tensions politiques profondes, qui accompagnent les débats sur la contrebande comme expression légitime de la souveraineté et des droits ancestraux mohawks, lesquels sont alimentés par le factionalisme de destruction réciproque d’une profondeur et d’une durabilité sidérantes. Ce factionalisme est, paraît-il, si répandu et déroutant que ce n’est pas exagérer que de dire qu’il pourrait être l’effet le plus flagrant et le plus dommageable de la contrebande sur la collectivité. Ses répercussions sont d’autant plus troublantes si l’on songe que l’ambivalence affichée à l’égard du factionalisme de l’activité transfrontalière est facilement exploitée par les contrebandiers, et ainsi favorise ces mêmes activités qui sont responsables de cet effet nocif au départ.

La remise en question de cette ambivalence risque fort de saper la contrebande et de restaurer la collectivité. Cependant, la difficulté réside dans le fait que ces mêmes tensions politiques constituent aussi l’une des principales pierres d’achoppement du genre de programme de mesures réparatrices susceptible de faciliter cette guérison et de faire basculer l’ambivalence vers l’habilitation de la collectivité. La réalité veut que ce même désaccord qui règne parmi les Mohawks sur les liens entre la souveraineté et la contrebande fausse aussi les perceptions des victimes, des délinquants et des évaluations des préjudices associés au commerce. Dans l’esprit de ceux qui soutiennent que leur droit d’importer des cigarettes ou toute autre marchandise est enraciné dans la souveraineté (ou qui adoptent ce point de vue publiquement parce que c’est à leur avantage de le faire), leurs actes ne sont pas criminels, ils sont politiques. Et ce n’est que parce que leurs actes sont de nature politique que l’État choisit de les criminaliser, comme l’ont toujours fait les gouvernements contre ceux qui contestent l’ordre établi. C’est un point de vue convaincant et romantique de l’acte criminel, point de vue d’autant plus attrayant aux yeux des collectivités comme Akwesasne qui se voient déjà comme ayant toujours vécu en marge de la société.

Les trafiquants, dans leur propre esprit, défendent donc leurs droits en tant que Mohawks, position qui renie leur appellation de « criminels » et, par voie de conséquence, celle de leurs concitoyens mohawks comme la gamme de leurs « victimes ». Bien que ce déni ait une consonance plutôt vide dans les situations où les trafiquants n’ont nettement aucune intention de « partager la richesse » et à qui, alors, il est plus facile d’attribuer l’appellation de « délinquant » ou de « criminel » et qui la portent avec plus de pertinence, le malaise est nettement plus grand parmi les membres de la collectivité lorsqu’il faut assigner cette étiquette à ceux qui ont utilisé les gains de la contrebande pour aider d’autres Mohawks et soutenir des activités de renforcement de la collectivité20. Du point de vue technique, ces trafiquants enfreignent encore la loi et se servent des droits des Mohawks pour justifier cette activité illicite, mais cela représente aussi un défi pour la collectivité que de voir ces trafiquants comme des criminels et, partant, aussi pour ceux que l’on pourrait qualifier de victimes. Un acte criminel est-il moins criminel si le fait que certains en souffrent est compensé par celui que d’autres en tirent des avantages? Est-ce moins nocif si ceux qui subissent les préjudices sont ceux qui en profitent aussi, indirectement sinon directement? Si je fais partie des Mohawks qui rejettent la contrebande comme une violation fondamentale de ma culture et de mon histoire, mais que l’argent que je reçois d’un parent ou d’un ami trafiquant paie ma facture de chauffage ou me permet d’acheter une maison, alors qu’aucune banque n’accepterait de m’accorder une hypothèque, je commencerais probablement à nuancer prudemment mon opinion sur les « criminels » qui m’offrent des solutions que les sources légitimes ne peuvent ou ne veulent pas m’offrir. Qui sera appelé la victime et qui sera le délinquant dans un tel contexte? Et dans la mesure où, le plus souvent, le programme de justice réparatrice a besoin de se doter de définitions claires et distinguer clairement les victimes des délinquants, sans parler du concept de préjudice, comment un tel programme peut-il relever les défis que pose la contrebande? Comment les paysans britanniques auraient-ils réagi à la suggestion selon laquelle Robin des Bois devrait reconnaître ses « crimes » et accepter de participer à un programme de justice réparatrice?

20 Entrevue avec l’informatrice « C », Akwesasne, mars 2002.

Les premières étapes : Projet de recherche et rôle accru de la GRC dans la justice réparatrice à Akwesasne

Il convient de souligner à prime abord qu’Akwesasne semble être une collectivité très bien pourvue en « solutions réparatrices », bien que toutes aient un lien direct avec le système de justice officiel et sont conçues autour des définitions traditionnelles des victimes et des délinquants. C’est-à-dire que les programmes visent une ou des personnes qui ont été accusées d’une infraction et, selon le programme, reconnues coupables. Les victimes sont les personnes qui ont ressenti des répercussions directes de l’acte criminel sur leur vie, c’est-à-dire que ce sont celles dont les biens ont été endommagés ou volés. Les programmes, à Akwesasne, qui visent la restauration des relations au sein de cette dyade classique comprennent un programme appelé « Old Ways » (Traditions), qui fonctionne de la même manière qu’une structure de conférence communautaire. Ce programme accueille les délinquants après la décision, dans le cadre d’une solution de détermination de la peine, et consiste à réunir le délinquant, la victime et leur entourage avec un intermédiaire dûment formé, dans le but de communiquer au sujet de l’infraction qu’ils ont en commun, de déterminer la meilleure façon de réagir face aux préjudices qu’elle a pu causer et de les réparer. Bien qu’il y ait généralement une certaine réticence à participer à de telles mesures réparatrices lorsqu’il y a eu crime grave contre la personne, le programme « Old Ways » a pu composer avec des situations aussi graves que l’agression sexuelle21.

21 Entrevue avec Rena Smoke, coordonnatrice du Programme de justice communautaire et d’assistance parajudiciaire aux Autochtones, Akwesasne Justice Department, 26 mars 2002.

Outre le programme « Old Ways », le tribunal provincial de Cornwall a la réputation d’appuyer les conseils de détermination de la peine par l’entremise du Neh-Kanikonrii Council de la collectivité d’Akwesasne, particulièrement dans les affaires touchant des jeunes Mohawks22. Récemment, cette pratique a été mise en péril en raison, surtout, de changements de juges qui ont eu des répercussions négatives sur les efforts communautaires de maintien des conseils. Ces changements ne semblent pas avoir eu la même incidence sur le programme « Akwesasne Courtworker » qui fonctionne, lui aussi, comme un complément pour les Autochtones du tribunal provincial.

22 La chercheuse était observatrice au conseil local Neh-Kanikonrii, conférence familiale (conseil de détermination de la peine), Le territoire mohawk d’Akwesasne, Cornwall (Ontario), ainsi qu’experte-conseil au tribunal provincial le 22 novembre sur la cohésion des mesures réparatrices avec les traditions des Iroquois Mohawks et la pertinence de ces solutions dans la cause à l’étude.

Il ne fait pas de doute qu’Akwesasne est bien pourvue en solutions de justice réparatrice, et pourtant un bref contact avec la collectivité révèle la grande profondeur des besoins et de la dysfonction, attribuable en grande partie à l’activité de contrebande qui a acquis aux Mohawks une réputation considérable. Cette réalité soulève des interrogations sur la valeur des solutions réparatrices comme un bon choix de programme pour la collectivité, étant donné la nature encore floue de leur incidence positive, et sur la pertinence d’envisager encore une nouvelle solution réparatrice. Ces questions sont particulièrement appropriées à la lumière des revendications plutôt vastes des promoteurs de la justice réparatrice relativement au potentiel de leurs programmes à contribuer à l’améliorer le sentiment de bien-être et d’action communautaires23, résultat remarquablement absent à Akwesasne. Les programmes actuels ne semblent pas guérir la collectivité et on ne sait pas très bien s’ils peuvent guérir, ni dans quelle mesure, les victimes et les délinquants individuellement.

23 Stuart est particulièrement enthousiasmé par les promesses de la justice réparatrice à ces égards, affirmant que les cercles de détermination de la peine en particulier ont la capacité, entre autres, <<d'eliminir les causes du crime, de susciter un sens communautaire et de créer des communautés sécuritaires>> (barry Stuart, <<Sentencing Circles...Making Real Differences>>, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 1996, p. 45. Pour un examen critique de ces déclarations, voir Julian Roberts et Carol LaPrairie, <<Sentencing Circles: Some Unanswered Questions>>, , vol. 39, 1996, p. 69-83.

Il y a probablement peu à gagner si l’on veut ajouter des éléments à ces programmes annexés au système, et pourtant il ne fait aucun doute que la collectivité demeure le récepteur passif d’une quantité considérable de préjudices découlant du commerce de contrebande et des phénoménales répercussions politiques, sociales et personnelles de ces préjudices. Très nettement, une grande partie des préjudices découlant des activités transfrontalières illicites ne sont pas détectés ou ciblés par les programmes actuels. Cela est attribuable à une gamme de facteurs, notamment les définitions limitées données au mot « communauté », qui semblent être appliquées dans la plupart des programmes historiques (p. ex. les dyades victime-délinquant ou victime-délinquant et entourages choisis), ainsi que les restrictions sur l’accès au programme, qui comprennent généralement une accusation au criminel et une détermination de culpabilité. Étant donné que la plupart des programmes de justice réparatrice sont intimement liés au régime de justice pénale, ils constituent essentiellement des mécanismes de réaction pour la prévention du crime plutôt que des mécanismes proactifs. À l’heure actuelle, l’absence de mesures communautaires pour faire face à ces conflits ou à ces préjudices qui échappent au mécanisme de détection du système (ou qui ne peuvent pas facilement prendre la forme d’accusations criminelles) représente une importante lacune des programmes communautaires de mesures de justice réparatrice. Élément encore plus important, l’incapacité de réagir efficacement à ceux qui subissent les préjudices peut saper d’autres efforts de prévention du crime et, ainsi, exacerber le conflit avec la loi. Il apparaît clairement qu’à Akwesasne, il faut plus que cela.

Les démarches de justice réparatrice peuvent offrir plus, mais elles devront être formulées en tenant compte de deux défis de taille. Tout d’abord, les définitions des bénéficiaires d’un programme doivent être élargies et reformulées. Une attention minutieuse doit être portée à un large éventail de préjudices, de catégories de victimes et de défis que pose la définition des délinquants, et il sera indispensable d’aller au-delà d’une simple approche dyadique; les définitions de « communauté » doivent assumer une plus grande complexité. Deuxièmement, les programmes doivent être conçus en tenant compte de ces perceptions plus compliquées de la communauté qu’ils devront servir et des défis du factionalisme politique, des conflits internes et des schismes traditionnels qui feront obstacle à des projets de justice réparatrice de plus grande portée24. Ce ne seront pas de simples obstacles, et ils ne seront pas facilement franchis.

24 D’une certaine façon, l’ampleur du défi que devra relever tout programme correspondra à la mesure dans laquelle le projet définit la communauté qu’il sert. Par exemple, dans la forme la plus ancienne des programmes de justice réparatrice, les médiations victime-agresseur (aussi appelées projets de réconciliation victime-agresseur), la « communauté » servie par le projet était limitée à l’entourage de la victime et de l’agresseur – si un accord était conclu, maintenu et respecté, la « communauté » avait été réparée. Dans la conférence de groupe familial, la « communauté » servie est beaucoup plus vaste et englobe la ou les victimes, l’agresseur ou les agresseurs et leurs « entourages » composés de personnes assistant à la conférence pour soutenir les intéressés ou pour exprimer leurs sentiments ou leurs perceptions des préjudices découlant du conflit ou de la dispute qui avait justifié la tenue de la conférence. Les cercles de détermination de la peine ont adopté une approche d’apparence similaire, à laquelle participent tous ceux qui se sentent directement touchés par l’acte criminel en question, ainsi que la victime, le délinquant, les juges et autres membres du personnel du tribunal. Tandis que ces programmes peuvent être bénéfiques pour la collectivité dans un sens plus large en guérissant les victimes et en encourageant les agresseurs à devenir de « meilleurs citoyens en réduisant les récidives et la criminalité dans la collectivité», c’est peut-être aller trop loin que de dire, comme le fait Stuart plus haut, que la collectivité au sens plus large se restaure grâce à ces programmes. Un mur de brique peut être fait de briques et chaque brique peut être intégrale, mais si l’ensemble est en train de s’effondrer, l’ajout de quelques briques reformées à la fois pourrait ne pas réparer le mur assez vite pour répondre aux besoins de ceux qui vivent au sein de tels murs ou avant qu’ils renoncent à y apporter des réparations. Cela ne vise pas à suggérer qu’il faut abandonner la fabrication de briques mais plutôt inciter au réalisme relativement au plan de réparation et encourager la recherche continue de meilleures techniques de construction.

La « communauté de conflit » qui doit être servie à Akwesasne affiche clairement une configuration beaucoup plus complexe des victimes et des délinquants que la dyade traditionnelle associée le plus souvent aux programmes de justice réparatrice. Il existe une vaste gamme de préjudices attribuables à la contrebande, et ses victimes sont partout. Ces victimes ne sont pas limitées à celles qui tombent lors des violentes confrontations entre trafiquants, aux gens dont la vie est ravagée par les stupéfiants et l’alcool importés, ou blessés ou encore tués par les armes de contrebande. Il ne s’agit pas non plus des immigrants désespérés et vulnérables qui traversent clandestinement la frontière comme de vulgaires bagages et qui sont abandonnés à la première occasion par les passeurs, seulement pour être trouvés, gelés et affamés, par des membres de la collectivité ou des policiers, ou encore pire. Ce sont, on pourrait le soutenir, les victimes muettes ou rendues muettes de la contrebande comme une forme de criminalité organisée; elles ne prendront jamais part à un conseil de détermination de la peine ou à une conférence communautaire. Elles sont peu susceptibles de pouvoir bénéficier directement, un jour, d’une « audience traditionnelle ». Cependant, elles pourraient en bénéficier indirectement si les mesures réparatrices peuvent contribuer à la formulation d’une position commune à Akwesasne sur les préjudices que l’on ne peut ignorer et que subit la collectivité en raison de son rôle de « couloir de l’activité criminelle ».

Même dans les limites de la présente étude très brève des activités transfrontalières à Akwesasne, il a paru avec évidence que l’ambivalence de la collectivité au sujet des activités transfrontalières constitue un facteur important pour faciliter le commerce et réduire au minimum l’efficacité des sanctions de l’État. C’est aussi largement en raison du fait que l’ambivalence au sujet de la contrebande, qui naît de la nature politisée du commerce, est l’un des principaux moyens utilisés par les trafiquants pour légitimer en partie leurs activités, ou les faire paraître moins manifestement criminelles dans l’esprit de nombreux Mohawks. Il semble logique, alors, que la capacité de réduire efficacement cette ambivalence pourrait entraîner que l’on considère une mobilisation importante de la collectivité contre la contrebande comme une activité intrinsèquement nocive.

Dans la mesure où les stratégies réactives d’application de la loi à divers niveaux ont eu une incidence importante mais, néanmoins, fragmentaire sur le commerce, démontrant ainsi de fait une capacité d’abattre plusieurs arbres sans pour autant réduire les dimensions de la forêt, le temps est peut-être venu de réorienter les mesures proactives. Si l’ambivalence est un problème aussi central qu’il semble l’être, une politique de prévention efficace pourrait être fondée sur deux éléments : premièrement, la compréhension claire de la nature et de la profondeur de l’ambivalence qui règne dans la collectivité et, deuxièmement, une stratégie bien détaillée pour mettre à l’épreuve cette ambivalence en constituant un consensus communautaire autour de la vaste gamme de préjudices et de formes de victimisation que comporte le commerce. Cette stratégie doit être formulée en tenant compte de la plus grande complexité de la communauté à laquelle elle s’adresse, comme nous l’avons déjà expliqué.

Le défi consiste à susciter dans la population un sentiment renouvelé de propriété à l’égard de sa propre collectivité, à instiller un sens de responsabilité des mesures prises contre ceux qui s’y attaquent. Les démarches antérieures fondées sur les exhortations externes caractérisant les activités transfrontalières comme étant criminelles ou dommageables ont eu peu d’emprise moralement sur de nombreux membres de la collectivité. Des affirmations similaires, articulées par une ample proportion de la collectivité sur fond de paradigme de justice réparatrice auraient-elles plus d’effet? Si les rapports très limités qui sont actuellement disponibles décrivent les effets des programmes de justice réparatrice sur les sentiments de communauté et de guérison que ressentent les participants, il semble très probable que la démarche pourrait avoir une beaucoup plus grande incidence.

Si la collectivité pouvait être encouragée à engager un dialogue rationnel sur ces problèmes, et peut-être même à atteindre un consensus sur le concept, particulièrement, des victimes du commerce, cela pourrait grandement contribuer à mobiliser la collectivité contre la contrebande. L’élément clé réside dans la manière d’amorcer le mouvement. La première étape doit être un sondage de la collectivité sur la contrebande, la victimisation et les perceptions des préjudices, dont les conclusions pourraient permettre de déterminer la profondeur de l’ambivalence et des moyens possibles de la mettre à l’épreuve. Au fond, ce sondage contribuera à cerner non seulement la nature et les limites de la communauté à cibler par un programme de mesures réparatrices, mais aussi ce que pense la collectivité dans son ensemble des activités transfrontalières, élément qui peut à son tour constituer l’assise de l’étape suivante : la formulation d’un programme de mesures réparatrices qui peut faciliter et soutenir les discussions de la collectivité sur la criminalité organisée à Akwesasne, dans l’objectif précis de mettre à l’épreuve l’ambivalence locale sur la contrebande et les préjudices qu’elle cause. L’essentiel est de constituer un contexte structuré par lequel la collectivité peut contester l’opinion de certains de ses membres, selon laquelle la contrebande est un « crime sans victime » et la remplacer par la sensibilisation au fait que ce n’est vraiment pas le cas et que sa principale victime pourrait bien être l’une des dernières collectivités encore existantes de la nation mohawk.

D’après la présente étude et les observations qu’elle renferme, il est recommandé que la GRC augmente ses activités de justice réparatrice dans les collectivités autochtones au-delà du niveau de la programmation de mesures principalement réactives qu’entreprend généralement l’organisation, afin d’y ajouter des mesures beaucoup plus généralisées et préventives visant la mobilisation de la collectivité en faveur de la prévention du crime. Ce mouvement s’insère tout à fait dans le cadre des activités actuelles de la GRC, surtout en ce qui a trait aux forums de justice communautaire et à un engagement plus généralisé envers la prévention concertée du crime. Comme on l’indique plus loin, un engagement manifeste à l’égard de ce genre de recherche et de développement de programme ne fera pas qu’accroître la réputation de la GRC en matière de justice réparatrice, mais permettra aussi à l’organisation de mettre en valeur son rôle dans le domaine de la prévention du crime et, particulièrement, dans le contexte autochtone, du développement communautaire comme moyen de prévenir le crime et la perturbation de l’ordre. Il renforcera aussi la réputation de l’organisation au titre de la capacité de recherche, puisque le projet décrit dans les lignes qui suivent prévoit un engagement de procéder à une évaluation intégrale et approfondie, élément remarquablement absent de la plus grande partie des programmes et activités de recherche dans le domaine de la justice réparatrice.

La recherche et le développement en vue de la formulation d’un projet communautaire de justice réparatrice à grande échelle se font en deux parties; celles-ci sont décrites brièvement dans les lignes qui suivent. Les coûts du projet seront fournis sur demande.

PHASE UN – Première année : Sondage des attitudes et entrevues dans la collectivité

Tâches

  • Préparation d’un instrument de recherche sous forme de questionnaire de sondage conçu pour obtenir des membres de la collectivité des réponses sur les perceptions à l’égard de la contrebande; des activités de contrebande; des préjudices qu’elle cause; des profils du délinquant et de la victime; des contextes politique, social et économique des activités transfrontalières.
  • Réalisation du sondage pour constituer l’assise des entrevues menées par un groupe d’attachés de recherche qui feront des entrevues de porte à porte jusqu’à ce qu’un échantillon de taille suffisante soit généré, qui puisse permettre de tirer avec certitude des conclusions sur l’opinion de la collectivité à l’égard des activités transfrontalières qui se déroulent à Akwesasne.
  • Les données d’entrevue sont encodées et analysées au moyen de tests standards; on prévoit que les sondages produiront à la fois des données quantitatives et qualitatives.

Résultats anticipés

  • Résultats anticipés de la première année : rapport de recherche décrivant les opinions et perceptions de la collectivité au sujet du commerce transfrontalier à Akwesasne et propositions de choix possibles de programmes de mesures réparatrices. Résultats anticipés connexes à discuter, relativement à la pertinence des données recueillies pour d’autres besoins de recherche du titulaire du contrat.

PHASE DEUX – Deuxième année : Sensibilisation de la collectivité, développement et mise en oeuvre du projet

Tâches

  • Tenue d’une série d’assemblées communautaires aux fins d’information sur les résultats du sondage et de proposition de solutions réparatrices; remise du rapport aux autorités locales jugées pertinentes par les chercheurs.
  • Entreprise du développement et de la mise en œuvre du résultat anticipé pour la collectivité : projet communautaire à grande échelle de justice réparatrice.
  • Entreprise des évaluations de projet : évaluations formatives après quatre et huit mois; évaluation sommative après un an.

Résultats anticipés

  • Résultats anticipés de la deuxième année : rapport de recherche sur la mise en œuvre du projet; rapports d’évaluation formative et sommative.

Il est probable que la valeur des données générées par le sondage dépassera ce qui est nécessaire pour former un projet de justice communautaire relatif aux perceptions à l’égard des préjudices et des besoins plus profonds de guérison par opposition à celles qui concernent les victimes et les délinquants particuliers. Un tel programme, en dépit de sa forme précise, enclencherait le processus de prévention du crime par l’intermédiaire du rétablissement de la collectivité en général et éloignerait la justice réparatrice du processus de justice pénale pour l’insérer dans un contexte réellement communautaire. En outre, une initiative communautaire concertée peut faire basculer l’ambivalence de la collectivité à l’égard de la contrebande en recensant clairement les préjudices et les victimes, les délinquants se trouveront de plus en plus isolés et leurs activités feront de plus en plus l’objet d’un examen minutieux de la part de leur propre collectivité. Une collectivité mobilisée et acquise à la lutte est un atout précieux pour la police; si un projet communautaire de justice réparatrice peut contribuer à mobiliser et à unir la collectivité d’Akwesasne contre la contrebande, cela pourrait avoir une importante incidence potentiellement positive pour la collectivité et la prévention du crime.

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