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Services de police communautaires, contractuels et autochtones

Ce projet a été entrepris par un chercheur externe indépendant afin d’explorer l’enjeu et fournir de l’information sur le sujet. L’opinion exprimée est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle de la Gendarmerie royale du Canada ou du gouvernement du Canada.


Justice réparatrice et maintien de l’ordre au Canada Centrer l’attention sur la collectivité

par

Margaret Shaw
et
Frederick Jané
Département de sociologie et d’anthropologie
Université Concordia, Montréal (Québec)

Sous-direction de la recherche et de l’évaluation
Direction des services de police communautaires, contractuels et autochtones
Gendarmerie royale du Canada
Ottawa, Août 1998

Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la Gendarmerie royal du Canada ou du Gouvernement du Canada


Table des matières

  • Remerciements
  • Résumé
  • Introduction
  • Plan du rapport
  • Qu’est-ce que la justice réparatrice?
  • Modèles courants de justice réparatrice
  • Origines et évolution de la justice réparatrice
  • Premières pratiques de rétablissement
  • Résurgence du dédommagement et de la réconciliation
    Controverse concernant la notion de bien
    Programmes de réconciliation entre la victime et le délinquant
    Centres de justice communautaires et de quartier
  • Naissance du modèle communautaire de justice réparatrice
    Conférences familiales - cérémonies de réinsertion
  • L'expérience canadienne: évolution de la justice réparatrice au Canada
  • Justice applicable aux autochtones
  • Conseils de détermination de la peine
  • Le rôle de la police: Émergence des services de police communautaire et leur liens avec la justice réparatrice
  • Initiatives en cours
  • Avantages et limites de la justice réparatrice et problèmes liés à son évolution 68
  • Avantages
  • Limites
  • Problèmes liés à l’évolution de la justice réparatrice
    Élargissement du filet
    Définition et engagement de la collectivité
    Déséquilibres de pouvoir
    Philosophie, objectifs et terminologie
    Obstacles structuraux et législatifs
    Problèmes juridiques
    Coûts et avantages
    Évaluation
  • Problèmes auxquels font face la police et les collectivités au Canada
  • Police Communautaire et justice réparatrice
    Modification de la culture et des pratiques policières
    Formation et stabilité
    Milieu policier
    Rôle de la police dans les conférences
    Établissement de partenariats et de liens interorganismes avec la collectivité
  • Élaboration et exécution des programmes de justice réparatrice
  • Annexe I Enquête sur la justice communautaire en Ontario (1998)
  • Annexe II Élaboration et évaluation des projets communautaires
  • Glossaire
  • Bibliographie

Résumé

Introduction

De nombreux pays se sont joints au vaste mouvement visant à trouver de nouvelles approches pour administrer la justice dans la société. La plupart du temps désigné par les termes « justice réparatrice » ou « justice communautaire », le mouvement suscite de plus en plus d’intérêt parmi les gouvernements et les secteurs du système judiciaire, y compris la police.

Le Canada a grandement contribué à l’émergence de la justice réparatrice grâce à ses initiatives passées et à de plus récentes innovations. Dans le cadre de la réorientation du maintien de l’ordre vers la police communautaire, la GRC, l’OPP ainsi que d’autres services de police et composantes du système judiciaire canadien ont commencé depuis peu à participer de façon beaucoup plus active à la justice réparatrice. La police, qui est une composante clé du système de justice, exerce un rôle de répression déterminant en exerçant son pouvoir décisionnel discrétionnaire. Nombreux sont ceux qui estiment que le système judiciaire en place ne permet ni de réduire la criminalité ni de répondre aux besoins des victimes, des délinquants ou de la collectivité. Cependant, malgré les nombreuses allégations concernant la capacité de la justice réparatrice à régler ces problèmes, des critiques ont été formulées au sujet de ses limites et des préoccupation ont été exprimées quant à l’adoption généralisée de ses pratiques, en particulier par la police.

Le présent rapport vise à examiner les initiatives mises en oeuvre dans le contexte de l’essor de la justice réparatrice au Canada et à l’étranger. Il porte sur l’évolution historique des concepts de justice réparatrice, la philosophie sous-jacente et les objectifs du mouvement et les caractéristiques des principaux modèles; l’évolution de la justice réparatrice au Canada et les initiatives en cours; les avantages et les limites de la justice réparatrice; certains des grands problèmes concernant le rôle de la police dans ce domaine, en particulier à l’étape précédant la mise en accusation.

La section I présente les principes, les buts et les prémisses de base de la justice réparatrice.
La section II porte sur l’évolution des modèles de justice réparatrice à l’échelle internationale.
La section III donne un aperçu de l’évolution de la justice réparatrice au Canada.
La section IV fait état des principaux avantages, des principales limites et des principaux problèmes liés à la justice réparatrice.
La section V présente les problèmes que pose la justice réparatrice pour la police et les collectivités canadiennes.

Qu’est-ce que la justice réparatrice?

La justice réparatrice se veut davantage un ensemble de principes servant à orienter les organismes et les intervenants qu’une pratique particulière. Elle offre des façons différentes de considérer la criminalité, qui mettent l’accent sur le tort que le crime cause à la collectivité et sur les mesures que peut prendre cette dernière, et non l’État, pour intervenir de façon plus satisfaisante face à ce problème. La justice réparatrice peut comprendre diverses approches qui peuvent être appliquées à différentes étapes du processus de justice pénale, aussi bien avant la mise en accusation qu’avant l’imposition de la peine ou, encore, pendant que le délinquant purge sa peine ou après sa libération. On fait souvent une distinction entre le système actuel de justice rétributive, qui considère le crime comme une atteinte envers l’État et met l’accent sur la culpabilité et le châtiment du délinquant, et la justice réparatrice, qui accorde davantage d’importance aux personnes touchées par l’infraction, soit les victimes, les délinquants et la collectivité, et qui vise la réconciliation, la réparation et le rétablissement des relations et des situations.

Les principes directeurs de la justice réparatrice sont les suivants : offrir aux victimes et aux délinquants (ainsi qu’à leurs familles et à leurs collectivités) la possibilité d’avoir leur mot à dire au sujet du crime; considérer les problèmes liés à la criminalité dans leur contexte social; adopter une méthode de résolution de problèmes axée sur l’avenir; offrir une grande liberté d’action. Voici ses objectifs : répondre aux besoins affectifs, matériels et financiers des victimes et des personnes touchées par le crime; essayer de prévenir la récidive en assurant la réinsertion sociale des délinquants; amener les délinquants à assumer la responsabilité de leurs actes; permettre aux collectivités d’acquérir la capacité de faire face aux conséquences de la criminalité et d’en faire la prévention; éviter les interventions judiciaires plus coûteuses face à la criminalité. Selon les prémisses de base, la criminalité découle dans une certaine mesure des conditions et des relations sociales qui règnent dans les collectivités, et les partenariats entre des organismes communautaires, des citoyens et des organismes de justice constituent des composantes essentielles de la lutte contre la criminalité (Marshall, 1998).

La justice réparatrice est perçue commun un nouveau paradigme ou une façon différente d’administrer la justice, qui permet aux victimes et aux collectivités de participer au processus décisionnel de façon plus concrète, qui amène les délinquants à assumer davantage la responsabilité de leurs actes, qui est plus efficace que les châtiments ou les programmes de traitement, qui peut contribuer au renforcement et au rétablissement des collectivités et qui est moins coûteuse. Elle ne doit plus être considérée comme un ajout intéressant à l’éventail des sanctions officielles mais comme une solution de rechange qui permettra de modifier l’administration de la justice. De nombreux pays ou régions d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Australie et de Nouvelle-Zélande appliquent maintenant les principes inhérents à la justice réparatrice. On a constaté une évolution parallèle au chapitre du règlement des différends qui va bien au-delà du système judiciaire. De nombreux partisans de la justice réparatrice font remarquer qu’il ne s’agit pas d’un ensemble de techniques ou de programmes mais d’une approche philosophique. D’ordinaire, on associe au mouvement les quatre grandes initiatives suivantes : les programmes de réconciliation entre la victime et le délinquant; les comités de justice communautaires, de quartier ou pour la jeunesse; les conseils de détermination de la peine et, enfin, les conférences familiales ou de responsabilisation communautaire.

Origines et évolution de la justice réparatrice

On considère habituellement que l’évolution de la justice réparatrice s’est déroulée en trois étapes : i) les pratiques utilisées dans les premières sociétés européennes et occidentales ainsi que dans les sociétés autochtones et d’autres sociétés non occidentales; ii) le regain d’intérêt observé dans les années 70; iii) la récente attention accordée au rôle de la collectivité en matière de justice réparatrice dans les années 90.

i) Les premières pratiques de règlements des conflits dans les sociétés occidentales semblent avoir fait largement appel à la négociation et à la réparation (compenser financièrement les dommages causés), souvent dans un contexte privé ou communautaire, pour rétablir l’équilibre entre les victimes, les délinquants et leurs collectivités. Certaines sociétés traditionnelles et non occidentales utilisent encore des approches similaires. Du iie au xixe siècle, dans la plupart des pays occidentaux, l’État s’est progressivement chargé de régler les différends au nom des victimes et de la collectivité, en poursuivant les délinquants en justice et en les punissant pour avoir violé la loi, de sorte que le châtiment a remplacé la négociation.

ii) Le regain d’intérêt manifesté à l’égard de la justice réparatrice est habituellement associé aux préoccupations concernant l’exclusion des victimes et des citoyens du processus judiciaire. Ainsi, Christie (1977) soutient que les conflits constituent un bien et préconise la création de petits tribunaux de quartier afin de réduire la dépendance exclusive aux professionnels de l’appareil judiciaire. Par ailleurs, la collectivité mennonite prône le recours aux modèles de médiation et de réparation non conflictuels de règlement des différends; elle a élaboré le premier programme de médiation entre la victime et le délinquant ou programme de réconciliation entre la victime et le délinquant (PRVD) (en 1974 à Elmira, en Ontario). Le modèle s’est répandu rapidement, sous diverses formes, au Canada, aux États-Unis et dans des pays européens à partir du milieu des années 70. Les PRVD comprennent la tenue de rencontres entre la victime et le délinquant, animées par un médiateur qualifié, pour discuter des événements et de leurs conséquences et en arriver à une entente. Ils sont habituellement appliqués après la mise en accusation ou à titre de mesures de rechange, souvent avec de jeunes contrevenants. À partir des années 70, des centres de justice communautaires et de quartier ont aussi commencé à faire leur apparition dans plusieurs pays, où on fait appel à des techniques de médiation pour régler des affaires civiles et criminelles.

En général, les PRVD ont suscité des degrés de satisfaction élevés parmi les victimes et les délinquants, mais ils semblent avoir été utilisés de façon sporadique, pour un nombre de cas limités et souvent très mineurs ou sans la présence de la victime. Néanmoins, des réseaux de formation sur la médiation et des centres de liaison ont été établis dans plusieurs pays, ce qui a permis d’acquérir une expérience considérable au cours des 25 dernières années.

iii) En 1990, une philosophie de justice réparatrice beaucoup plus élaborée a vu le jour (p. ex. Zehr, 1990; Braithwaite, 1989); elle était clairement associée au mécontentement croissant à l’égard du système judiciaire officiel, à l’augmentation des peines rétributives, à la peur du crime, à l’engorgement des tribunaux et des établissements et, enfin, à la hausse des coûts. Cette phase communautaire fait une place beaucoup plus importante au rôle de la collectivité et au vaste cercle de personnes concernées par une infraction, elle vise les cas plus difficiles et elle favorise les partenariats. Les conseils de détermination de la peine et les conférences familiales constituent les principaux exemples associés à cette phase. Dans plusieurs pays, des provinces et des États complets envisagent de réorienter leur système correctionnel vers la justice réparatrice.

Les conférences familiales sont apparues en Nouvelle-Zélande au milieu des années 80; elles font appel aux techniques traditionnelles maories de règlement des différends avec les jeunes contrevenants. Les familles et les amis de la victime et du délinquant se réunissent sous la direction d’un animateur (un travailleur social) pour discuter de l’événement et de ses conséquences, en arriver à une entente de dédommagement et assurer la réinsertion sociale du délinquant. Maintenant légalisées à la grandeur de la Nouvelle-Zélande dans le cadre d’une approche de déjudiciarisation globale à l’égard des jeunes contrevenants, les conférences se sont imposées dans plusieurs États australiens. On a beaucoup parlé du modèle dans lequel les renvois et la coordination des conférences sont assurés par la police à l’étape précédant la mise en accusation; on lui doit en grande partie l’expansion rapide des conférences en Amérique du Nord et en Europe.

On soutient que le délinquant, qui discute des conséquences émotives, physiques, sociales et financières d’un événement avec les personnes directement touchées, éprouve de la honte et finit presque toujours par présenter ses excuses à la victime; le processus de réinsertion du délinquant peut alors commencer avec l’élaboration d’un plan concerté qui sera mis en oeuvre sous la surveillance des participants à la conférence. L’expérience est perçue comme une intervention énergique et non pas « molle ». Les conférences ont été utilisées à diverses étapes du processus judiciaire pour des infractions graves ou celles pour lesquelles les programmes non officiels de déjudiciarisation et de mise en garde n’avaient pas fonctionné. La déjudiciarisation des jeunes contrevenants et leur éloignement des tribunaux et des établissements ont entraîné, semble-t-il, des taux élevés de réussite et de satisfaction parmi les participants (quoique moindres parmi les victimes) ainsi que des économies considérables. Les critiques formulées à l’égard des conférences portent principalement sur le rôle de la police dans les programmes dirigés par la police, le manque d’attention accordé aux besoins des victimes, les contraintes auxquelles pourraient être soumises les délinquants et les victimes, leur pertinence en ce qui concerne les sexes et les cultures ainsi que sur les questions de procédures légales et de responsabilisation.

Expérience canadienne : évolution de la justice réparatrice au Canada

Le Canada a joué un rôle déterminant dans le domaine de la justice réparatrice depuis les années 70; en effet, il a mis en oeuvre le premier PRVD et a acquis une vaste expérience en matière de médiation et de réconciliation au cours des 25 dernières années. Plusieurs PRVD ont été établis, souvent par des organismes bénévoles sans but lucratif, à titre de mesures de rechange pour les jeunes contrevenants d’abord, puis pour les adultes, ainsi que comme mesures faisant suite à l’accusation ou comme mesures de rechange à l’incarcération. Un réseau d’organismes communautaires offrant de l’information et de la formation a également été établi. Cependant, comme dans d’autres pays, les premières expériences ont révélé que le nombre de cas aiguillés vers les PRVD sont souvent limités et non appropriés, que la participation des victimes est faible et que l’on fait peu de cas de leurs besoins et, enfin, qu’un certain « élargissement du filet » était survenu.

Les toutes dernières modifications législatives qui préconisent un recours accru à la déjudiciarisation pour les jeunes contrevenants et les adultes, le fait que la nécessité d’appliquer une justice différente aux peuples autochtones est de plus en plus reconnue, l’augmentation des préoccupations des victimes et l’orientation vers la police communautaire sont tous des facteurs ayant contribué à rendre le climat plus réceptif.

La création des conseils de détermination de la peine fait suite au besoin d’appliquer une justice personnalisée et communautaire aux peuples autochtones. Les conseils font appel à la philosophie et aux principes traditionnels des collectivités autochtones, qui mettent l’accent sur le rétablissement de la paix, la médiation et la concertation ainsi que sur le respect des opinions différentes et l’égalité des voix. Ils sont utilisés au Yukon depuis les années 80 et leur usage s’est répandu à la grandeur du Canada dans les collectivités autochtones au cours des années 90, en particulier dans les collectivités rurales même si quelques conseils urbains ont été formés. Le juge, la victime, le délinquant, leurs familles ou des personnes qui les appuient, des Aînés et d’autres représentants du système judiciaire et de la collectivité participent au conseil. Celui-ci formule des recommandations sur la peine à l’intention du juge, qui peut les accepter ou les rejeter. Les comités de justice locaux sont souvent mis à contribution ainsi que des membres de la collectivité chargés de veiller à l’application des peines.

Parmi les critiques formulées à l’égard des conseils de détermination de la peine, mentionnons l’absence de lignes directrices officielles, de garanties procédurales et de procédures légales, les inégalités relatives aux peines imposées, les réalités associées aux pratiques traditionnelles, le degré de participation de la collectivité ainsi que ses forces et sa capacité relatives à appuyer les décisions prises au sujet des peines, la définition du terme «collectivité» et les déséquilibres de pouvoir au sein des collectivités et du processus décisionnel. On a particulièrement déploré le recours aux conseils de détermination de la peine dans les cas de violence sexuelle et physique mettant en cause des proches et remis en question l’«égalité» ou la protection dont bénéficiaient les victimes.

L’essor de la police communautaire a été perçu comme un changement profond au chapitre des méthodes d’intervention et de prévention du crime. Brodeur (1994) expose les cinq principales caractéristiques de la police communautaire : un mandat élargi, une approche proactive, l’établissement de partenariats avec la collectivité, la décentralisation et le recours à un maintien de l’ordre «plus indulgent» faisant appel à la persuasion et à la communication plutôt qu’à la force. La police communautaire a connu un essor considérable au Canada au cours des dix dernières années et la GRC et l’OPP l’ont adoptée comme philosophie au sein de leurs services. En principe, elle est compatible avec de nombreux aspects de la justice réparatrice, qui met l’accent sur la communication, la résolution de problèmes adaptée et les partenariats avec la collectivité.

Éperonnée par les restrictions financières, les préoccupations du public concernant les taux de criminalité et le mécontentement à l’égard du système judiciaire officiel, la justice réparatrice est devenue la «nouvelle vague» au Canada. L’intérêt renouvelé envers les comités de justice pour la jeunesse et la déjudiciarisation des jeunes contrevenants combiné à la légalisation de la déjudiciarisation pour les adultes ont facilité ce mouvement, à l’instar de l’enthousiasme généré par les conférences. Des bénévoles, des organismes locaux et des services de police mettent en place des conférences (dans les écoles, p. ex.). Une série de conférences et d’initiatives nationales et provinciales se sont inspirées de la philosophie globale de la justice réparatrice. Le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux sont en train d’élaborer des stratégies ou d’explorer les possibilités des approches réparatrices, par exemple, le ministère de la Justice, le Service correctionnel du Canada, la Commission nationale des libérations conditionnelles, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et l’Ontario. Récemment, on a élaboré plusieurs compendiums et comptes rendus de projets qui illustrent l’éventail et la variété d’initiatives fondées sur les principes inhérents à la justice réparatrice, et ce à toutes les étapes du système judiciaire, ainsi que des guides pour mettre en place des projets de justice réparatrice.

En Ontario, l’OPP explore activement les nouvelles avenues qui s’offrent à la justice communautaire et encourage l’élaboration de projets individuels ainsi qu’une participation et une formation accrue du Service. Le gouvernement provincial a examiné la portée des programmes de déjudiciarisation officiels et non officiels au cours des six dernières années et s’est aperçu que certains objectifs des projets de justice communautaire chevauchaient ceux de la justice réparatrice. Il encourage actuellement le recours aux comités de justice communautaires et aux conférences à l’étape précédant la mise en accusation ainsi qu’aux étapes subséquentes. A Toronto, un conseil communautaire autochtone a démontré que les peines communautaires pouvaient être purgées en milieu urbain. Une enquête menée par l’OPP en 1998 révèle que plusieurs conférences, conseils de détermination de la peine, comités de justice et programmes de médiation ont été mis en place depuis 1993 au sein des détachements de l’OPP, des services de police municipaux et des Premières nations, sans compter d’autres projets de justice communautaires. Un grand nombre des projets fondés de toute évidence sur les principes de la justice réparatrice sont mis en oeuvre dans des régions où le maintien de l’ordre est assuré par les Premières nations.

En 1995, la GRC a adopté la justice réparatrice comme philosophie de police communautaire, dans le cadre d’une stratégie de déjudiciarisation et de délégation de pouvoirs à la collectivité. Les conférences en constituent une composante majeure, sous la forme de forums de justice communautaires. Le premier projet de conférence a été lancé en 1995, à Sparwood, en Colombie-Britannique. Les responsables des conférences dirigées par la police en Australie ont d’abord offert en 1997 une formation systématique sur les techniques de conférence (séance de trois jours). La GRC offre actuellement aux policiers et aux citoyens de partout au Canada une formation sur les techniques de conférence en collaboration avec le ministère de la Justice et elle est en train de mettre en place des projets de conférences dans plusieurs collectivités au pays. On trouve maintenant une personne qualifiée en formation dans toutes les divisions de la GRC, qui a également produit un guide de ressources.

La justice réparatrice est devenue un concept beaucoup plus vaste et beaucoup plus complexe dans les années 90 au Canada, grâce à sa présence sur la scène internationale, à une vaste gamme d’approches et l’importance de la collectivité, au sein de laquelle la police reconnaît qu’elle joue un rôle beaucoup plus central.

Avantages et limites de la justice réparatrice et problèmes liés à son évolution

Les initiatives de justice réparatrice présentent de nombreux avantages que le système de justice officiel n’offre pas : pour les victimes et les délinquants, elles représentent une façon plus concrète et plus satisfaisante de composer avec les conséquences d’une infraction et elles génèrent habituellement des taux de satisfaction élevés; pour le personnel de justice, elles représentent une façon plus rapide d’administrer la justice, une participation et une satisfaction personnelles accrues et des économies considérables; pour les collectivités, elles représentent une approche plus souple et l’occasion de participer davantage aux décisions juridiques. Au nombre des limites de la justice réparatrice, mentionnons les problèmes liés aux droits individuels, la trop grande importance accordée aux délinquants par rapport aux victimes, les objectifs généraux, la participation de la collectivité et des organismes et le financement. Un grand nombre de ces problèmes sont communs à toutes les formes de justice réparatrice.

La pratique et l’expérience acquises permettent d’éviter de nombreux problèmes, mais il faut tenir compte des huit grands points suivants dans l’élaboration de projets de justice réparatrice et communautaire : l’élargissement du filet; la définition du terme « collectivité »; les déséquilibres de pouvoir; la philosophie, les objectifs et la terminologie; les obstacles législatifs; les questions juridiques; les coûts, les avantages et le financement; l’évaluation.

Élargissement du filet : Il s’agit d’un problème inhérent à tous les programmes de déjudiciarisation et à toutes les mesures de rechange et une critique formulée à l’égard d’un grand nombre d’entre eux. D’une part, des auteurs d’infractions mineures sont pris en charge par le système de justice officiel et reçoivent des sanctions prévues pour des cas plus graves et, d’autre part, les mesures de rechange sont ajoutées aux sanctions prévues.

Définition du terme « collectivité » : Il s’agit d’un terme vague qui a été utilisé à tort et à travers. Les collectivités ne sont pas toutes clairement définissables ni capables de soutenir ou de mettre en place des projets de justice réparatrice. Par ailleurs, les partenariats établis ne sont pas nécessairement représentatifs de tous les groupes de la collectivité. La participation de la collectivité à un programme de justice réparatrice ne doit pas être considérée comme une « solution miracle » à la prévention du crime; certains problèmes communautaires ne peuvent être réglés sans mesures plus globales et interventions à long terme.

Déséquilibres de pouvoir : Les détenteurs de pouvoirs au sein d’une collectivité ne souscrivent pas nécessairement aux principes de la justice réparatrice. Les responsables de l’élaboration de projets de justice réparatrice (p. ex. des conseils ou des conférences) doivent tenir compte des préoccupations concernant les sexes, les cultures et les minorités et prévoir une planification à long terme ou des partenariats permanents. En raison de leurs rôles, les professionnels du domaine de la justice et d’autres figures d’autorité doivent prendre garde de ne pas abuser de leur pouvoir, surtout à l’égard des jeunes.

Philosophie, objectifs et terminologie : Ces trois éléments sont intereliés et doivent être articulés clairement pour éviter « l’intégration » des programmes et l’abandon des principes de la justice réparatrice et pour maintenir un équilibre entre les intérêts des victimes, des délinquants et des membres de la collectivité. L’incompatibilité entre les objectifs des partenaires, souvent attribuable à une formation ou à des méthodes de travail antérieures, exige une attention particulière.

Obstacles structuraux et législatifs : Ces obstacles risquent de restreindre la souplesse et la vision essentielles aux approches de justice réparatrice ou d’empêcher leur utilisation pour des cas plus graves susceptibles de profiter le plus de ces approches.

Questions juridiques : L’absence de procédures légales et de définitions claires, l’imprécision des procédures et les disparités au chapitre des résultats (conseils de détermination de la peine, conférences, programmes non officiels de déjudiciarisation) ont toutes fait l’objet de critiques, bien que le fait que le délinquant admette avoir participé à une infraction est une garantie essentielle. Des injustices peuvent également se produire lorsque les délinquants les plus isolés et les plus marginalisés sont exclus des approches réparatrices.

Coûts et avantages : Les initiatives ne doivent pas être fonction des coûts et les projets faisant appel à des membres du personnel de justice ne peuvent être poursuivis sans financement additionnel particulier, tandis que les organismes communautaires ont besoin d’un financement permanent et non pas à court terme. Le calcul des coûts et des avantages associés aux initiatives de justice réparatrice présentera de « terribles problèmes conceptuels et pratiques » (Knapp, 1992). Il devrait comprendre les coûts directs et cachés et les économies et, comme certains avantages risquent d’être difficiles à quantifier, les coûts varieront en fonction de la taille des projets, de l’endroit où ils sont mis en oeuvre, etc. Il serait peut-être plus rentable de s’attaquer aux cas plus graves qu’aux cas mineurs. Les projets de justice réparatrice, en particulier avant la mise en accusation, généreront des économies, mais les services de soutien doivent continuer à être assurés.

Évaluation : On déplore énormément l’absence d’évaluation des projets de justice réparatrice. L’évaluation permet de déterminer si les objectifs du programme ont été atteints, de prouver son efficacité et de rendre compte aux collectivités et aux bailleurs de fonds. Elle doit être intégrée à l’élaboration des projets et mettre à contribution les intervenants les plus proches. En outre, elle doit porter sur le processus et la mise en oeuvre des projets ainsi que sur les résultats, y compris la sélection des cas, l’engagement et la satisfaction des participants, les ententes conclues, la participation de la collectivité, la réalisation des ententes, etc. Les projets doivent faire l’objet d’une planification soigneuse; des mesures de contrôle doivent être mises en place et la mise en oeuvre doit être évaluée, car une lacune à ce chapitre risque de faire échouer des idées viables. L’évaluation de l’incidence peut porter sur les résultats à court et à moyen terme ou, encore, sur les résultats à long terme, y compris la récidive, et sur une comparaison des coûts et des avantages par rapport au système de justice officiel. Des données qualitatives et quantitatives doivent être recueillies. Toutes les méthodes d’évaluation exigent une dotation en personnel et un financement adéquats.

Problèmes auxquels font face la police et les collectivités au Canada

Pour que la police joue un rôle déterminant en matière de justice réparatrice dans les collectivités et pour redéfinir l’administration de la justice, il ne suffit pas d’accroître l’étendue de la déjudiciarisation ou d’offrir de brèves séances de formation sur des techniques particulières. Il faut que la police délègue certains de ses pouvoirs aux collectivités. Au Canada, la plupart des services de police font l’objet de changements considérables en ce qui concerne l’orientation, la réorganisation et la réduction des effectifs. La justice réparatrice présente plusieurs exigences associées à la police communautaire, avec laquelle elle partage certaines valeurs fondamentales : résolution de problèmes plutôt qu’établissement de la culpabilité; partage des responsabilités avec la collectivité; préoccupations concernant les problèmes sous-jacents et la réinsertion; localisation des initiatives et des activités; concertation à l’aide de la médiation et de la communication au lieu de la confrontation.

Malgré la compatibilité apparente des deux approches, l’adoption d’un modèle de police communautaire ne garantit pas que la philosophie inhérente à la justice réparatrice sera entièrement acceptée ou mise en oeuvre sans problème au sein d’un service de police. Il semblerait également y avoir des différences considérables parmi les services de police canadiens au chapitre de la mise en application de la police communautaire. Pour que la justice réparatrice connaisse un essor important, elle doit avoir une incidence considérable sur le maintien de l’ordre, à toutes les étapes de l’orientation et de la pratique ainsi qu’au niveau de la direction et à l’échelle locale. La mise en place de procédures, de protocoles et de cours de formation officiels sera toutefois insuffisante. La culture professionnelle policière, transmise principalement par des histoires et des anecdotes, est souvent accusée d’être l’une des causes principales de la réticence au changement. On croît que si la police avait des « histoires différentes à raconter » (en raison de son étroite collaboration au processus décisionnel en matière de justice), elle adopterait plus facilement la justice réparatrice (et la police communautaire).

La formation sur les conférences demeure une composante importante, mais elle doit absolument tenir compte de contexte organisationnel entourant l’élaboration des projets. En outre, la stabilité du personnel est essentielle à l’établissement de partenariats communautaires et de bons programmes. Le milieu policier, sa population, les caractéristiques économiques, sociales et criminelles, les attitudes du public face à la criminalité et à la police ainsi que les préoccupations relatives aux minorités requièrent tous une attention particulière. Ils détermineront la mesure dans laquelle les partenaires de la collectivité sont disposés à établir des partenariats avec la police.

La participation de la police aux conférences et la rapidité de leur essor ont suscité des préoccupations au Canada et à l’étranger. Non seulement les observateurs ont-ils souligné les difficultés qu’il y a à apporter des changements au sein des services de police, mais ils ont aussi remis en question la coordination et l’animation des conférences par la police, l’importance accordée aux intérêts des victimes par rapport à ceux des délinquants, les pressions exercées pour amener les délinquants à participer et l’incidence de la méfiance de certains groupes envers la police, en particulier parmi les minorités. Ils recommandent, d’une part, de recourir aux services d’animateurs indépendants et à un processus décisionnel mixte pour la sélection des cas et, d’autre part, de porter une attention particulière aux différences entre les cultures et les sexes ainsi qu’aux besoins des victimes. L’établissement de partenariats multi-organismes et communautaires semble être la meilleure façon d’éviter un grand nombre de problèmes inhérents aux programmes de déjudiciarisation et de justice réparatrice, mais la police être particulièrement attentive au partage des pouvoirs.

En conséquence, même si la police est bien placée pour élaborer des projets de justice réparatrice en raison de son rôle répressif discrétionnaire au sein du système judiciaire, des efforts consentis pour étendre la déjudiciarisation et de sa position privilégiée pour établir des partenariats avec la collectivité, il lui sera peut-être plus difficile qu’à d’autres organismes de s’acquitter de cette tâche de façon appropriée et efficace. Plus que tout autre organisme ou groupe communautaire, la police fait face à d’énormes pressions et attentes, tant à l’interne qu’à l’externe, en ce qui concerne le système de justice rétributive axé sur les délinquants. Elle doit donc absolument établir des partenariats communautaires élargis, bénéficier d’un soutien solide à tous les échelons du service, élaborer des principes, des objectifs et des protocoles clairs et accorder une attention particulière à la planification, à la mise en oeuvre et à l’évaluation.


PDF Afin d'obtenir une copie électronique de ce rapport complet (PDF), veuillez envoyer votre demande par courriel à la Section de recherche et d'évaluation (Services de police communautaires, contractuels et autochtones) de la GRC.
research_evaluation@rcmp-grc.gc.ca