DISCOURSSOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW, MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL, DEVANT LE COMITÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DE L'AUSTRALIE SYDNEY, Australie Le 2 juin 2000 Introduction C'est un grand plaisir pour moi d'avoir l'occasion de prendre la parole devant un groupe de gens d'affaires australiens et canadiens qui cherchent des moyens de former entre eux de plus forts partenariats dans un environnement nouvellement mondialisé. En fait, j'ai eu l'honneur d'être présent hier quand plusieurs marchés commerciaux ont été signés entre des entreprises canadiennes et australiennes. Je suis donc très heureux de constater que cette mission commerciale est couronnée de succès. Je trouve exceptionnel que les entreprises du Canada et celles de l'Australie ne se considèrent plus les unes les autres seulement comme de simples concurrents, mais aussi comme des partenaires potentiels. Le fait est que les grands intervenants, comme les États-Unis, le Japon et l'UE [Union européenne], sont les vrais concurrents sur les marchés hautement disputés, comme ceux de l'Asie du Sud-Est et même des États-Unis. Je crois que des partenariats plus forts entre nos entreprises nous donnent mutuellement de meilleurs moyens de croître. Cela s'applique dans plusieurs secteurs différents, comme l'électricité et les nouvelles énergies, l'environnement et les nouvelles industries environnementales, la biotechnologie et la santé, les technologies de l'information et des communications, l'industrie aérospatiale, l'agroalimentaire, les ressources, la construction, l'éducation, et particulièrement le télé-enseignement, secteur que nos deux pays extrêmement étendus souhaitent développer davantage. Australie et Canada : beaucoup en commun Notre géographie, nos grandes étendues ne sont pas tout ce que nous avons en commun. Nos structures fédérales sont très semblables. Nous partageons des usages politiques, juridiques et commerciaux. Mais nous avons beaucoup plus encore en commun. Par exemple, nous partageons des locaux diplomatiques à différents endroits dans le monde. L'ambassadeur du Canada à Phnom Penh est installé à l'ambassade d'Australie, tandis que le haut-commissariat australien à Bridgetown se trouve dans la chancellerie canadienne. De plus, l'ambassade d'Australie au Venezuela partage les locaux de la chancellerie du Canada à Caracas. Nous nous comprenons et nous nous faisons mutuellement confiance. Nous pouvons faire le commerce des produits intellectuels et culturels aussi facilement que nous échangeons des vins, de la laine ou des avions. Nous brassons déjà beaucoup d'affaires ensemble. Des sociétés canadiennes comme CAE Électronique, Nortel, McCain Foods, CanWest Global Television, Hydro-Québec et bien d'autres ont d'importants investissements dans votre pays. En fait, quelque 160 entreprises canadiennes ont des installations en Australie. Et il en va de même pour vos entreprises. Des sociétés australiennes comme la Ridley Corporation, Mayne Nickless, Cash Converters, BHP Minerals, North Ltd. et plusieurs autres ont de gros placements au Canada. Malgré les grandes distances, il nous est relativement facile de faire affaire ensemble. Nous pouvons en outre compter chacun sur l'infrastructure de l'autre et utiliser mutuellement nos systèmes d'affaires et autres systèmes de communications aussi facilement que si c'était les nôtres. Cela est particulièrement précieux pour les nombreuses PME [petites et moyennes entreprises] qui jouent un rôle si important dans l'économie canadienne. En effet, ce sont elles qui créent le plus grand nombre d'emplois, qui contribuent le plus à notre PIB [produit intérieur brut] et qui forment la majorité de nos exportateurs. Le Canada : une nation commerçante Par rapport à sa population, le Canada est maintenant l'une des plus grandes nations marchandes de la terre. Près de 43 p. 100 de notre PIB est directement lié au commerce, par rapport à 25 p. 100 seulement il n'y a que 10 ans! Proportionnellement, ces chiffres sont quatre fois plus élevés que ceux des États-Unis. Ils sont aussi de trois fois supérieurs à ceux du Japon et se situent à plus du double de ceux de l'Australie. Aujourd'hui, un emploi sur trois au Canada est relié à nos activités commerciales et environ 80 p. 100 des 2 millions de nouveaux emplois nets créés dans l'économie canadienne depuis 1993 sont attribuables à notre succès sur les marchés internationaux. C'est un motif suffisant pour continuer à intensifier nos efforts de commercialisation à l'étranger. Voilà d'ailleurs pourquoi nous sommes ici! En fait, c'est au moins en partie la raison de notre présence en Australie. Nous sommes également venus pour assister à la réunion des ministres du Commerce de l'APEC [Coopération économique Asie-Pacifique] qui, comme vous le savez, a lieu cette année à Darwin. J'espère que nous réussirons à progresser sur plusieurs questions de facilitation du commerce et sur différents sujets qui intéressent particulièrement les pays de la région du Pacifique. De toute évidence, nous, ministres du Commerce de l'APEC, jugeons que nous sommes très importants et que le monde observe avec attention tout ce que nous faisons! Je soupçonne cependant que le monde s'intéressera bien plus aux Jeux olympiques que vous accueillerez cet été. Les épreuves olympiques sont toujours fascinantes. Au nom du gouvernement du Canada, je voudrais vous offrir mes félicitations et mes meilleurs voeux de succès. Je tiens également à vous exprimer mes félicitations et mes meilleurs voeux à l'occasion du 1er janvier 2001, qui marquera le premier centenaire de l'Australie. Ayant mentionné ces points communs entre nos deux pays, je ne peux pas m'empêcher d'ajouter que nous sommes aussi deux des plus anciens membres du Commonwealth et que nous avons accédé au statut de nations indépendantes sans guerre civile et sans grands bouleversements. Il n'y a pas beaucoup de pays qui peuvent se vanter d'en avoir fait autant! Le Canada et l'Australie sont ce qu'il convient d'appeler des « puissances moyennes ». À ce titre et à défaut d'une influence économique considérable ou d'extraordinaires capacités militaires, il est de notre intérêt d'avoir un régime commercial international fort et fondé sur des règles. Autrement, nous serions à la merci des grandes puissances, chaque fois qu'elles sont tentées de faire étalage de leur force. C'est la raison pour laquelle nos deux pays appuient énergiquement le processus de l'OMC [Organisation mondiale du commerce]. La « bataille de Seattle » Toutefois, comme l'a montré la « bataille de Seattle », ce processus tombe parfois sur des obstacles de taille! Beaucoup de gens semblent croire que ces pourparlers n'ont pas permis de s'entendre sur le lancement de nouvelles négociations commerciales, à cause des manifestants qui sont sortis dans les rues pour protester contre la mondialisation. Ce n'est pas du tout ainsi que je vois les choses. À mon avis, même en l'absence des manifestants, ces pourparlers auraient échoué, pour des raisons très traditionnelles : l'affrontement Nord-Sud et les différences de perception entre gouvernements quant aux intérêts réels de leurs citoyens dans le cadre d'un accord commercial international. Il faut se rappeler qu'à Genève, en 1982, nous n'avions pas non plus réussi à lancer de nouveaux pourparlers commerciaux. Mais nous l'avons fait en 1986. De même, il ne nous avait pas été possible en 1990, à Bruxelles, de conclure les mêmes entretiens du cycle de l'Uruguay, mais nous y sommes parvenus trois ans plus tard. Par conséquent, les retards et les reports des pourparlers commerciaux internationaux n'ont rien de nouveau. Je suis persuadé qu'ils commenceront à un moment ou à un autre. Nous déployons d'ailleurs de grands efforts pour que cela se produise. Internationalisation et mondialisation, deux phénomènes différents Je crois que les protestations de Seattle se fondaient sur une mauvaise information, surtout à cause de la grande confusion qui existe entre les notions d'internationalisation et de mondialisation. Il s'agit de deux phénomènes très différents. Pour moi, la nouvelle ère de la mondialisation, qui ne se manifeste que depuis dix ou quinze ans, a deux dates de naissance, l'une économique et l'autre politique. Sur le plan économique, la mondialisation a vu le jour dans le milieu des années 1980 lorsque nous avons établi une liaison électronique entre les trois grandes bourses de valeurs du monde, celles de Tokyo, de Londres et de New York. Sur le plan politique, la mondialisation est née le jour de la chute du Mur de Berlin en novembre 1989. La mondialisation est un phénomène radicalement différent et même à l'opposé du phénomène plus traditionnel de l'internationalisation, qui, lui, remonte à des millénaires. Ce qui se passe à l'OMC n'a pas grand-chose à voir avec la mondialisation. À mon avis, les discussions de l'OMC portent toutes sur l'internationalisation. Il s'agit d'États traitant avec d'autres États. De gouvernements traitant avec d'autres gouvernements. Il s'agit de la conclusion d'accords de coopération dans tous les domaines, depuis le commerce jusqu'à la réduction des tensions et des conflits dans le monde. L'internationalisation a affirmé le rôle des États Après la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements occidentaux ont pensé qu'en rendant les pays plus interdépendants, nous avions plus de chances d'assurer une paix durable. La croissance et le développement économiques faisaient également partie du plan d'internationalisation. L'internationalisation, par conséquent, consiste pour des gouvernements à se réunir et à négocier des mesures de facilitation et de collaboration mutuelle. L'étymologie du mot est très claire : international signifie « entre nations » ou « entre pays ». Le terme même reconnaît et affirme l'existence de frontières. Il reconnaît aussi le pouvoir légitime des gouvernements de mener des négociations et, chacun dans ses propres frontières, de mettre en oeuvre des accords internationaux. Il s'agit d'une forme verticale de gestion, qui rappelle l'organigramme de n'importe quelle entreprise. Au sommet, il y a les présidents ou les premiers ministres, puis les représentants élus, les cours suprêmes, les gouvernements provinciaux et d'État, et ainsi de suite jusqu'aux simples citoyens. La mondialisation est qualitativement différente Qualitativement, la mondialisation est d'un ordre tout à fait différent. Tandis que l'internationalisation est verticale, la mondialisation est horizontale. La mondialisation vise la suppression des frontières. Elle fait abstraction des frontières politiques et économiques aussi rapidement que le permettent les nouveaux développements technologiques. En même temps, elle remet en question le rôle du gouvernement plutôt que de l'affirmer et va jusqu'à contester le droit d'intervention de l'État à cet égard. La mondialisation est le résultat des progrès techniques, surtout dans les domaines des technologies de l'information, de la libéralisation du commerce et de la déréglementation. Par conséquent, elle fait abstraction aussi bien des frontières économiques que des frontières politiques. Dans cette nouvelle ère, les sociétés intègrent les fonctions d'un emplacement -- et d'un pays -- à un autre, sans tenir compte des frontières. Elles mènent leurs activités comme si les frontières n'existaient pas. Pour moi, la mondialisation est le triomphe de la gestion horizontale, de la puissance horizontale contre le pouvoir vertical de l'État sur un territoire donné. Et ce sont là des forces très, très différentes. Seattle, ou le choc de deux mondes Même si, comme je l'ai dit, la réunion de Seattle a abouti à un échec dans la salle de conférence, et non à cause des manifestants, il n'en est pas moins vrai que beaucoup des préoccupations exprimées étaient très légitimes. Je considère ce qui s'est produit à Seattle comme le choc de deux mondes qui sont maintenant juxtaposés sur la scène mondiale, à tous les coins de la terre. Il y avait d'une part le monde de l'ordre international représenté par 135 ministres du Commerce réunis dans une salle. Puis il y avait un autre monde à l'extérieur, que la plupart des gens ont vu pour la première fois à Seattle. C'était un monde très bizarre, composé d'un nombre infini de participants, qui n'appartenaient pas à des catégories bien définies, qui n'étaient pas du tout prévisibles et qui allaient dans toutes les directions. Si on le compare au monde dit de l'ordre international, celui-ci mérite à mon avis d'être appelé le monde du « désordre international ». La mondialisation ne touche pas seulement les entreprises La mondialisation n'est pas un simple phénomène d'entreprises. Greenpeace a tout autant de ramifications dans le monde qu'IBM ou Microsoft et se sert, pour maintenir ses contacts et s'organiser, des mêmes outils de communication que les plus grosses sociétés transnationales. En fait, beaucoup des gens qui circulaient à l'extérieur, dans les rues de Seattle, appartenaient à des organisations transnationales. Des organisations dont un grand nombre sont en train d'acquérir beaucoup de pouvoir et d'influence partout dans le monde. Et, tout comme les sociétés transnationales, elles agissent comme s'il n'y avait pas de frontières. C'est ce que j'appelle un monde multicentrique, c'est-à-dire un monde qui a beaucoup de centres différents et qui s'en va dans toutes sortes de directions. Et c'est ce monde qui constitue l'univers de la mondialisation. Je ne veux pas donner l'impression qu'à mes yeux, ce nouveau monde multicentrique est uniformément mauvais. Ce n'est pas du tout mon intention. En fait, une grande partie de ce monde est très bonne. Par exemple, l'aide que les ONG [organisations non gouvernementales] prodiguent aux populations qui en ont besoin, où qu'elles soient dans le monde, dépasse l'aide fournie par tout le réseau des institutions des Nations Unies, à l'exclusion de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Il faut dire en outre que la croissance des ONG dans le domaine de l'environnement est phénoménale. L'attention que les ONG accordent aux problèmes mondiaux va au-delà des questions environnementales pour s'étendre à la survie des peuples autochtones, à la justice sociale, aux droits de la personne et à l'économie. Comme nous le savons, les ONG ont porté des jugements sévères sur la dette mondiale, le commerce et la légitimité du rôle des banques dans le développement international. Dans un certain nombre de domaines, le pouvoir de négociation des plus grandes ONG peut influer sur l'action d'un État. Ainsi, la mondialisation a créé ou, du moins, a considérablement renforcé les intervenants mêmes qui s'y attaquent. C'est à Seattle qu'ils se sont manifestés pour la première fois avec autant de force. Et l'ironie de la chose, c'est qu'ils sont venus pour dénoncer le mouvement même qui leur a permis d'arriver là où ils en sont! Avec la juxtaposition de ces deux mondes, nous sommes en présence d'un ensemble très complexe d'allégeances. Le monde de l'État se fonde sur l'exclusivité des allégeances de ses citoyens et dépend de sa capacité d'agir avec le plein engagement d'un certain nombre de personnes. À l'inverse, un monde multicentrique est fondé sur un réseau d'allégeances qui ne sont pas du tout bien définies et dont la nature et l'intensité dépendent du bon vouloir des intervenants en cause. Quand ces deux mondes se sont rencontrés à Seattle, ils n'ont pas sympathisé et ne se sont pas du tout compris. Le résultat était prévisible : une tension considérable qui, à mon avis, durera très longtemps encore. Bien sûr, les gouvernements devront en tenir compte, mais cette tension ne s'exercera pas seulement entre gouvernements. Elle mettra en cause des secteurs concurrents de la société, des industries ainsi que des blocs sociopolitiques, culturels, ethniques et économiques entiers, en même temps que les États-nations traditionnels. Beaucoup trop de gens croient que la mondialisation est une création des gouvernements et ne comprennent pas que c'est un phénomène que les gouvernements aussi doivent affronter. Ce n'est pas non plus l'oeuvre des sociétés ou des grandes entreprises, puisque beaucoup d'entre elles trouvent également très difficile d'y faire face. Il fut un temps où une multinationale devait reproduire tous ses services fonctionnels dans chaque pays, ce qui alourdissait singulièrement ses structures organisationnelles. Il n'en reste pas moins que les multinationales étaient très grosses et très bien portantes dans l'ancien ordre international. Aujourd'hui, elles sont remplacées par des sociétés mondiales qui ont réalisé une intégration horizontale de leurs fonctions sans tenir compte des frontières, aux endroits qu'elles ont jugés les plus attrayants et les plus rentables à développer. Ainsi, les multinationales, menacées elles aussi par la mondialisation, sont en train d'être remplacées par des sociétés mondiales beaucoup plus flexibles. Aujourd'hui, les multinationales commencent à ressembler à des dinosaures. Voilà le genre de monde différent dans lequel nous vivons. Renouveau politique À mon avis, loin de représenter l'effondrement final d'un processus de négociation commerciale qui se poursuivra quoi qu'on en dise, Seattle est probablement le point de départ d'un processus de renouveau politique. Seattle nous a rafraîchi la mémoire en nous rappelant que l'objet de l'activité économique est d'améliorer la vie des gens. Les manifestants ont renvoyé chez eux les dirigeants politiques en les sommant de respecter les valeurs humanistes que l'Occident s'est tant efforcé de promouvoir. Nous avons été témoins à Seattle d'une façon différente de faire les choses dont l'efficacité ne fait aujourd'hui aucun doute. Nous avons également assisté à une démonstration des différences de temps de réaction qui existent entre les gouvernements et les organisations mondialisées : nous sommes lents et elles sont très rapides! Nous devons consulter nos citoyens, réussir à nous faire élire, veiller à ce que nos politiques et nos programmes soient démocratiques et soient appliqués démocratiquement. Nous avons des chartes de protection des droits de la personne, nous avons l'obligation de consulter les groupes régionaux et les communautés ethniques et nous devons déterminer ce que les tribunaux pensent de chaque chose. Il nous faut donc une éternité pour agir. Les organisations mondialisées, elles, peuvent aller beaucoup plus vite parce qu'elles n'ont pas à se préoccuper de ce qu'on pourrait appeler les « embarras du gouvernement », c'est-à-dire la nécessité de rendre compte de ce qu'on fait à tous les citoyens plus ou moins également. Ce phénomène de réduction des pouvoirs des États démocratiques et d'accroissement de ceux des organisations horizontales mondialisées (mais non démocratiques) est connu sous le nom de « déficit démocratique ». Cette analyse nous amène à reconnaître qu'à titre de gouvernements, nous allons devoir repenser notre action pour parvenir à une plus grande efficacité. Nous devons nous-mêmes tirer parti des nouvelles technologies pour améliorer et accélérer le processus politique et la consultation. Le problème de l'exclusion L'un des premiers défis -- et peut-être le plus grand problème de politique publique auquel les gouvernements sont confrontés aujourd'hui un peu partout dans le monde -- est d'affronter l'effet secondaire le plus notoire de la mondialisation, l'exclusion. Je crois que nous devrons faire preuve d'imagination pour trouver des moyens novateurs de mieux affronter ce phénomène troublant. Pour cerner le problème de l'exclusion, nous devons comprendre en quoi il diffère des problèmes que nous avons connus dans le passé. Le principal objet de la mondialisation était de passer du capitalisme industriel au capitalisme financier. Le capitalisme industriel a sûrement mené l'humanité au niveau de développement économique, social et culturel le plus élevé qu'elle ait jamais connu. Il nous a donné une prospérité sans précédent, que la plupart des sociétés ont appris à redistribuer d'une façon assez efficace. Toutefois, le capitalisme industriel a eu pour corollaire l'exploitation qui, j'en suis sûr, est assez connue pour que je puisse me dispenser de la définir. La mondialisation, par ailleurs, a donné naissance à la première génération du capitalisme financier, dans laquelle la richesse est créée d'une manière radicalement différente. Un régime de capitalisme financier n'a pas besoin de beaucoup de gens pour créer de la richesse. C'est ainsi que de nombreuses personnes sont laissées pour compte. Quelle est la différence entre l'exploitation et l'exclusion? La différence fondamentale, c'est que si vous êtes exploité, le régime du capitalisme industriel a encore besoin de votre travail et de votre sueur. Par conséquent, vous pouvez vous organiser, défendre vos droits, former un syndicat qui luttera pour vous ou chercher à obtenir une législation du travail plus favorable en votant pour tel ou tel parti. Le phénomène de l'exclusion est de loin plus radical que celui de l'exploitation. Si vous êtes exclu, vous n'avez personne à combattre et personne avec qui négocier. Vous êtes totalement à l'écart, ignoré et oublié. Nous devons donc travailler ensemble pour prévenir la création d'une classe permanente de « personnes exclues » dans notre société. Je crois qu'il s'agit là du plus grand défi que les gouvernements auront à affronter dans les années à venir. Nous devons également combattre l'exclusion au niveau international, parce que nous ne devons pas oublier que l'exclusion peut toucher non seulement des individus, mais des sociétés entières, ce qui peut, à long terme, avoir des conséquences désastreuses pour tous. À part l'impératif moral, aussi évident qu'impérieux, il y a de bonnes raisons économiques de combattre l'exclusion. Si, par suite de nos grands progrès, nous permettons que des gens soient exclus, qui achètera nos produits? Comment engendrer plus de richesse et de prospérité pour nous-mêmes si de moins en moins de gens peuvent acheter nos biens et nos services? Nous parlons de pratiquer un développement durable pouvant préserver notre environnement pour les générations futures. Nous devons également parler de l'édification d'économies et de sociétés pouvant elles-mêmes assurer un développement durable de nos propres populations. L'éducation, clé du succès dans la lutte contre l'exclusion Voilà pourquoi je crois que l'éducation, qui est à la base de tout développement humain et qui constitue le fondement de la lutte contre l'exclusion, revêt une importance primordiale. Heureusement, la technologie moderne permet de renforcer considérablement la puissance de l'éducation et de la mettre à la portée de plus de gens que cela n'a jamais été possible dans l'histoire. En d'autres termes, si les nouvelles technologies peuvent engendrer l'exclusion, elles permettent aussi de la combattre. C'est là un heureux paradoxe, dont le pouvoir politique doit tirer parti dans tous les pays. Nous devons habiliter les gens, les doter des connaissances et des compétences nécessaires pour qu'ils puissent éviter l'exclusion économique et sociale. Une nouvelle éthique et un nouveau rôle important pour les femmes Je crois en outre que les femmes joueront un rôle central dans beaucoup des solutions que nous imaginerons face au nouveau phénomène de la mondialisation. Je dis cela parce que j'ai l'impression qu'un nouveau sens des responsabilités est en train de donner lieu à ce que la littérature féministe appelle l'éthique de la compassion. Nous commençons, je pense, à aller au-delà de l'éthique de la justice, que nous avions adoptée à l'avènement du Siècle des lumières, pour nous orienter vers une nouvelle éthique de la compassion. Nous avions la conviction que la justice, c'est-à-dire un traitement égal de chacun devant la loi, était l'objectif ultime vers lequel toute société devrait tendre. Dans la nouvelle ère de la mondialisation, en présence d'États qui ne sont pas maîtres de toutes les règles et de toutes les lois régissant la vie de leurs citoyens, il y a lieu d'élargir notre souci d'égalité devant la loi pour nous préoccuper du bien-être des gens, où qu'ils vivent. Je crois très sincèrement que cela se produira un jour. Les gouvernements ne sont peut-être pas toujours en tête de file, mais je crois qu'ils doivent nécessairement jouer un rôle de tout premier plan dans le développement de la nouvelle éthique de la compassion. L'avenir de l'OMC Je suis en outre très optimiste quant aux chances d'entreprendre un nouveau cycle de négociations commerciales dans le cadre de l'OMC. Nous ne le ferons peut-être pas la semaine prochaine ou le mois prochain, mais je ne doute pas que ces pourparlers s'engageront. Nous devons continuer et continuerons à jouir d'un régime commercial international réglementé, qui évoluera pour s'adapter aux besoins changeants des citoyens et des entreprises de tous les pays membres de l'OMC, y compris l'Australie et le Canada. Je dois ajouter que l'OMC comptera bientôt la Chine dans ses rangs. C'est certes un développement des plus significatifs en ce début du XXIe siècle! Un développement qui revêtira une grande importance pour vous aussi, en Australie, qui vivez si près de cette nouvelle économie géante qui se développe en Asie. En fait, beaucoup d'entreprises canadiennes s'établissent en Australie, non seulement pour vendre leurs produits sur votre marché intérieur, mais pour s'en servir comme base d'une stratégie plus vaste visant le marché de la région Asie-Pacifique. Nous croyons que c'est l'un des avantages les plus importants que le Canada et l'Australie peuvent s'offrir l'un l'autre : des bases régionales et des points de lancement pour l'exploration des marchés voisins. Pour les entreprises australiennes, un établissement au Canada est un point d'accès à la plus grande zone de libre-échange du monde, à une population aisée dont le nombre s'élèvera bientôt à 400 millions de personnes et à un PIB combiné de 11 billions de dollars, approximativement égal à celui de toute l'Europe de l'Ouest! La raison pour laquelle une entreprise australienne a intérêt à s'établir au Canada est que nos frais d'affaires sont beaucoup moins élevés qu'aux États-Unis, comme en témoigne une étude indépendante du cabinet international d'experts-comptables KPMG, qui a comparé les frais d'affaires dans les pays du G-7 et en Autriche. Nous avons été enchantés d'apprendre, en examinant les conclusions de cette étude, que dans les neuf grands secteurs industriels analysés, les frais d'affaires au Canada étaient uniformément parmi les plus bas, et que l'avantage était encore plus important dans les secteurs de pointe à valeur ajoutée, comme celui des logiciels. Je vous transmets donc une invitation ouverte! Conclusion : une collaboration favorable aux deux pays Pour terminer, je voudrais dire que nous pouvons et devons continuer à travailler ensemble, non comme concurrents dans tous les domaines, mais comme partenaires. Je suis persuadé que nous pourrons tous développer nos activités en collaborant et en tirant parti de nos forces et de nos compétences mutuelles pour ouvrir de nouveaux marchés et exploiter les nouveaux débouchés qui existent presque partout dans le monde. De plus, nos gouvernements respectifs doivent continuer à collaborer étroitement pour contribuer à la relance des négociations de l'OMC et à l'établissement d'un régime commercial réglementé plus fort. Notre héritage commun ainsi que nos valeurs et nos objectifs communs ont fait de nous des amis. J'espère sincèrement qu'au cours des prochaines années, nous saurons bâtir des partenariats encore plus robustes qui cimenteront davantage notre amitié. Je vous remercie. |