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Référence : Minet Inc. c. Canada (C.A.), [1998] 3 C.F. 638
Date : 20 mai 1998
Dossier : A-646-96
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A-646-96

Minet Inc. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Minet Inc. c.Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Létourneau et McDonald, J.C.A."Toronto, 18 mars; Ottawa, 20 mai 1998.

ImpôtCalcul du revenuAppel d'une décision de la C.C.I. ajoutant au revenu tiré de l'entreprise de l'appelante des commissions payées par des assurés américains à deux sociétés américaines apparentéesL'appelante jouait le rôle d'intermédiaireen négociant des plans d'assurance complexes au nom d'assurés américains auprès d'assureursLes lois en matière d'assurances dans 11 États américains interdisant aux assureurs de payer une commission à l'appelante car elle ne détenait aucun permis de courtage de l'État, celle-ci s'est servie de deux sociétés américaines apparentées comme intermédiairesL'assuré déposait la prime dans le compte de banque de l'appelante à New YorkL'appelante investissait la primeÀ la date de remise à l'assureur, l'appelante transférait la prime à l'intermédiaire et conservait les intérêts à son profitLes intermédiaires ont rendu leservice essentielde fournir le permis de courtage, bien que leur travail ait été minime comparativement à celui de l'appelanteLa C.C.I. a jugé que l'appelante agagnéetreçule revenuAppel accueilli (le juge Létourneau, J.C.A., dissident sur la seconde question)1) L'art. 56(2) de la L.I.R. exigeant l'inclusion dans le revenu de paiements effectués à toute autre personne suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable lorsque ces paiements sont effectués au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désire voir accorder à cette autre personneL'art. 56(2) ne constitue pas le fondement de la nouvelle cotisation ni n'a fait l'objet de plaidoirie ou d'argumentation devant la C.C.I.Il serait inéquitable envers le contribuable de permettre l'application de l'art. 56(2) car ce sujet n'a jamais été exploré en interrogatoire préalable et aucun élément de preuve à l'encontre de l'application de l'art. 56(2) n'a été produit2) La C.C.I. a commis une erreur en jugeant que les commissions n'étaient pas caractérisées par une fiducieL'appelante considérait les primes comme des sommes en fiducieAucune portion des primes ne constituait des fonds propres de l'appelanteL'appelante acceptait qu'elle avait l'obligation de payer la totalité des primes aux assureurs américainsLes primes payées par les assurés américains étaient manifestement destinées aux assureurs américainsEn se contenant de conserver et de recevoir des primes, et de gagner des intérêts sur elles, l'appelante n'a pas reçu de commissions de la part des assureurs américainsSelon la jurisprudence, un montant ne constitue pas un revenu lorsqu'il ne fait pas l'objet d'un droit absoluEn raison des lois étatiques en matière d'assurances, l'appelante ne possédait pas les commissions ni n'avait un droit absolu sur ellesLes commissions ne constituaient pas un revenu tiré d'une entreprise.

Il s'agissait de l'appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle certaines commissions constituaient des revenus tirés de l'entreprise de l'appelante. L'appelante, jouant le rôle d'intermédiaire, mettait sur pied et négociait des plans d'assurance complexes au nom des assurés américains, bien qu'elle n'était détentrice d'un permis de courtage en assurance d'aucun État américain. Dans les cas n'impliquant pas un assureur américain à qui la loi interdisait de payer une commission à l'appelante, celle-ci facturait l'assuré américain pour la prime due. L'assuré américain déposait la prime dans le compte de banque détenu par l'appelante à New York. L'appelante investissait la prime jusqu'à sa date de remise à l'assureur et gardait pour elle tout intérêt gagné sur celle-ci. La prime était en bout de ligne remise à l'assureur, déduction faite de la commission de l'appelante. Lors de la période en question (1985 à 1989), des assureurs américains, répartis dans 11 États, ont prévenu l'appelante que les lois étatiques leur interdisaient de lui payer une commission parce que l'appelante ne détenait pas de permis de courtage en assurance, comme le prévoient les lois étatiques. Plutôt que de refuser ces occasions d'affaires ou d'obtenir un permis de courtage américain, l'appelante a choisi deux sociétés américaines apparentées (MIPI et Bowes), chacune d'elles détenant le permis de courtage requis, pour agir en tant que courtier dûment mandaté relativement aux garanties d'assurance concernées, puisque chacune d'elles détenait le permis de courtage requis. MIPI, Bowes et l'appelante appartenaient à la même société mère, une société du Royaume-Uni. Ni MIPI ni Bowes ne possédaient d'expertise dans la mise en place des garanties d'assurance pour lesquelles il leur était demandé d'agir à titre de courtier dûment mandaté. Dans les cas où MIPI ou Bowes participaient à l'opération, l'appelante ne dérogeait à sa pratique habituelle que lorsque venait le temps de remettre la prime à l'assureur. À ce moment, l'appelante transférait la prime à MIPI ou à Bowes, conservant à son profit seulement les intérêts gagnés sur les primes investies. L'assureur américain facturait MIPI ou Bowes pour la prime due. La société concernée officialisait alors l'opération en faisant en sorte que soit émise une police la mentionnant à titre de courtier dûment mandaté et remettait alors la prime, déduction faite de la commission convenue, à l'assureur. Bien que le travail de MIPI et de Bowes relativement à la négociation de garanties d'assurance ait été minime comparativement à celui de l'appelante, elles ont rendu "un service absolument essentiel" en fournissant le permis de courtage. MIPI et Bowes ont déclaré comme revenus les commissions reçues des assureurs américains dans leurs déclarations de revenus américaines respectives.

Le ministre a cotisé de nouveau l'appelante en ajoutant, dans le calcul de son revenu, les montants payés à titre de frais de courtage ou de commissions par les assurés américains à MIPI et à Bowes. Le juge de la Cour de l'impôt est arrivé à la conclusion que l'appelante avait, à la fois, "gagné" et "reçu" les commissions et qu'elle avait "récolté tous les fruits" des sommes reçues des assureurs américains, sous forme d'intérêts. Le fait que la commission de courtage n'était pas "caractérisée par une fiducie" revêtait une importance significative pour la Cour de l'impôt.

L'intimée a tenté de recourir au paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour justifier le rejet de l'appel, lequel prévoit que les paiements effectués à toute autre personne suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable doivent être inclus dans le revenu d'un contribuable lorsque ces paiements sont effectués au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désire voir accorder à cette autre personne. Le paragraphe 56(2) ne constituait pas le fondement de la nouvelle cotisation. Son application aux faits de la présente cause n'a pas non plus fait l'objet d'argumentation ou de plaidoirie devant le juge de la Cour de l'impôt.

Les questions en litige étaient de savoir si (1) le paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu était applicable, et si (2) les commissions faisaient partie du revenu de l'appelante.

Arrêt (le juge Létourneau, J.C.A., dissident en partie): l'appel doit être accueilli.

Le juge Stone, J.C.A. (le juge McDonald, J.C.A., y souscrivant): (1) Pour les motifs énoncés par le juge Létourneau, le paragraphe 56(2) ne peut être invoqué en l'espèce.

(2) La conclusion que les commissions n'avaient "pas été caractérisées par une fiducie" était fondée sur une appréciation erronée de la preuve. Bien qu'il n'existait aucune entente écrite entre l'appelante et les assureurs américains que les primes devaient être détenues en fiducie par l'appelante, il était évident que l'appelante considérait les primes comme des sommes détenues en fiducie au bénéfice des assureurs américains. Les fonds propres de l'appelante ne comprenaient aucune partie des primes. L'appelante acceptait qu'elle avait l'obligation de payer, directement, selon ses pratiques habituelles, ou par l'entremise de MIPI ou de Bowes, la totalité des primes aux assureurs américains.

La simple réception des primes ne signifiait pas, à elle seule, que l'appelante a touché des revenus de commission imposables. Les primes payées par les assurés américains n'étaient manifestement pas destinées à l'appelante mais plutôt aux assureurs américains. Elles constituaient la contrepartie en retour de laquelle les assureurs américains acceptaient de garantir les risques des assurés américains. Elles ne pouvaient jamais être considérées comme les fonds propres de l'appelante. En se contentant de recevoir et de conserver les primes pendant un certain temps et en gagnant des intérêts sur celles-ci, l'appelante n'a pas reçu de commissions de la part des assureurs américains.

MIPI, Bowes et l'appelante formaient des entités juridiques complètement distinctes. La jurisprudence, tant au Canada qu'aux États-Unis, tend fortement à ne pas considérer comme revenu d'un contribuable un montant que celui-ci ne possède ni ne maîtrise de façon absolue. C'était le cas en l'espèce. Les lois étatiques américaines interdisant purement et simplement aux assureurs américains de payer des commissions à un courtier non agréé, l'appelante ne pouvait pas posséder les commissions ou détenir quelque droit sur elles, ce qu'elle n'a pas fait. En conséquence, les commissions ne constituaient pas des revenus tirés de son entreprise.

Le juge Létourneau, J.C.A., (dissident en partie): L'appel doit être rejeté. (1) Le paragraphe 56(2) (qui est considérée comme une disposition anti-évitement quoique la Cour ait étendu sa portée) ne pouvait pas recevoir application. Un appelant ne peut soulever un point qui n'a pas été plaidé ou débattu au procès, sauf si toute la preuve pertinente figure au dossier. La considération la plus importante demeure l'absence de préjudice pour l'autre partie, comme le démontre le fait que toute la preuve pertinente ou tous les faits substantiels nécessaires à l'application de la disposition se trouvent au dossier. Cela n'était pas le cas en l'espèce. L'appelante n'a jamais été prévenue de l'application possible du paragraphe 56(2). Elle n'a jamais exploré ce sujet en interrogatoire préalable ni produit d'élément de preuve pour démontrer, par exemple, qu'elle ne désirait pas, en fait ou en droit, conférer des avantages à ses compagnies apparentées ou profiter elle-même des paiements effectués à ces compagnies. La spéculation quant à savoir si des éléments de preuve supplémentaires suffisants et convaincants auraient pu être produits ou non ne constitue pas la question. La véritable question est celle de l'équité envers le contribuable, d'autant plus qu'il lui incombe de réfuter, selon la probabilité la plus forte, les hypothèses sur lesquelles le ministre se fonde généralement pour établir une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 56(2). L'appelante a été privée de cette possibilité tout au long des procédures et, en particulier, au stade de la présentation de la preuve. Il serait injuste envers l'appelante de permettre une telle modification à cette étape-ci.

(2) L'appelante a gagné les commissions en litige. Les commissions étaient dues et ont effectivement été payées pour le travail effectué par l'appelante; c'est l'appelante qui les a touchées en facturant les assurés et en percevant les primes au nom des assureurs, et celles-ci ont été déposées dans le compte de banque de l'appelante. L'appelante a fait l'effort ou le travail qui a créé la valeur que l'on veut échanger.

Cependant, le fait de gagner un revenu nécessite que la récompense du travail ait été reçue ou qu'elle soit à recevoir. Les commissions n'étaient pas "à recevoir" car elles ne bénéficiaient pas, sur le plan juridique, d'un droit sans équivoque. La loi interdisait aux assureurs américains de payer des commissions à un courtier non agréé. Il n'était pas interdit à l'appelante de recevoir ces commissions au Canada. De toutes manières, les sommes illégalement reçues par un contribuable n'en constituent pas moins des revenus imposables de ce contribuable.

L'appelante a soumis qu'elle n'a jamais reçu les commissions car elle détenait les primes reçues des assurés en fiducie au bénéfice des assureurs. Le compte bancaire détenu par l'appelante à New York n'était pas un compte en fiducie mais, afin de conserver la confiance de ses clients, elle l'utilisait comme tel. Les sommes reçues par l'appelante, dont les commissions qui faisaient partie des primes brutes, n'étaient pas, du point de vue juridique, détenues en fiducie. Il est manifeste que l'appelante a gagné, en fait et en droit, les commissions payées par les assureurs et qu'elle les a reçues, comme le démontrent le fait qu'elles ont été déposées à sa demande dans son compte de banque ainsi que le degré de contrôle qu'elle exerçait sur elles et les profits qu'elle en a tirées. Les sommes reçues ne constituent pas des revenus d'un contribuable tant et aussi longtemps que son droit sur elles n'est pas absolu. L'appelante a exercé une grande part de contrôle sur les commissions qu'elle a générées, gagnées et reçues. Les commissions constituaient des revenus de l'appelante.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 4.

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 3, 9(1), 56(2) (mod. par L.C. 1987, ch. 46, art. 15).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 4.

Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.

jurisprudence

décisions appliquées:

Wilson v. Avec Audio-Visual Equipment Ltd., [1974] 1 Lloyd's Rep. 81 (C.A.); Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458; (1996), 140 D.L.R. (4th) 235; [1997] 1 W.W.R. 97; 81 B.C.A.C. 243; 132 W.A.C. 243; Equitable Life Assurance Society of the United States v. Larocque, [1942] R.C.S. 205.

décisions examinées:

Commissioner v. First Security Bank of Utah, N. A., 405 U.S. 394 (1972); Proctor & Gamble Co. v. C.I.R., 961 F.2d 1255 (6th Cir. 1992); Tower Loan of Mississippi, Inc. v. Commissioner of Internal Revenue, 71 T.C.M. 2581 (U.S. Tax Ct. 1986); Minister of National Revenue v. Atlantic Engine Rebuilders Ltd., [1967] R.C.S. 477; (1967), 67 D.L.R. (2d) 145; [1967] C.T.C. 5155; Kenneth B.S. Robertson Ltd. v. Minister of National Revenue, [1944] R.C.É. 180; [1944] C.T.C. 75; (1944), 2 D.T.C. 655; Dominion Taxicab Assn. v. Minister of National Revenue, [1954] R.C.S. 82; [1954] 2 D.L.R. 273; [1954] C.T.C. 34; (1954), 54 DTC 1020; Wm. Wrigley Jr. Co. Ltd. v. Provincial Treasurer of Manitoba, [1947] R.C.S. 431; [1947] 4 D.L.R. 12; [1947] C.T.C. 304.

décisions citées:

Canadian Fruit Distributors Ltd. v. Minister of National Revenue, [1954] R.C.É. 551; [1954] C.T.C. 284; (1954), 54 D.T.C. 1145; Winter c. Canada, [1991] 1 C.F. 585; [1991] 1 C.T.C. 113; (1990), 90 DTC 6681; 127 N.R. 69 (C.A.); Fraser Companies Ltd c La Reine, [1981] CTC 61; (1981), 81 DTC 5051 (C.F. 1re inst.); Smith, D.N. c. La Reine (1993), 93 DTC 5351 (C.A.F.); Minister of National Revenue v. John Colford Contracting Co. Ltd., [1960] R.C.É. 433; (1960), 26 D.L.R. (2d) 15; [1960] C.T.C. 178; 60 DTC 1131; R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727; (1972), 29 D.L.R. (3d) 389; 9 C.C.C. (2d) 32; [1972] CTC 412; 72 DTC 6329 (C.A.); Minister of National Revenue v. Eldridge, Olva Diana, [1965] 1 R.C.É. 758; [1964] C.T.C. 545; (1965), 64 DTC 5338.

doctrine

Cockerell, Hugh and Gordon Shaw. Insurance Broking and Agency: The Law and the Practice, London: Witherby & Co., Ltd., 1979.

Shorter Oxford English Dictionary, 8th ed., Oxford: Clarendon Press, 1990. "earn".

Waters, D. W. M. Law of Trusts in Canada, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1984.

APPEL d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt (Minet Inc. c. R., [1996] 3 C.T.C. 2108; (1996), 96 DTC 1405) selon laquelle des montants de commissions étaient imposables comme revenus du contribuable canadien, jouant le rôle d'"intermédiaire", lorsque des assurés américains étaient facturés et les primes déposées dans le compte de banque du contribuable à New York mais que, avant la date de remise de la prime, celle-ci était transférée à des sociétés américaines apparentées agissant à titre de courtier dûment mandaté afin de contourner les lois étatiques interdisant le paiement de commissions à quiconque ne détenant pas de permis de courtage de l'État. Appel accueilli (le juge Létourneau, J.C.A., étant dissident).

avocats:

Richard W. Pound, c.r., et Gary Nachshen pour l'appelante.

Luther P. Chambers, c.r. et Anne-Marie Lévesque pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Stikeman, Elliott, Montréal, pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: La principale question en litige dans le présent appel est de savoir si les "revenus" de l'appelante, pour les années d'imposition examinées, doivent comprendre des "commissions" qui, selon les prétentions de l'intimée, ont été gagnées et reçues par l'appelante alors que celle-ci, pratiquant à partir de son siège social à Montréal, agissait en tant que courtier d'assurance et négociait des plans d'assurance avec des assureurs aux États-Unis (assureurs américains) au nom de divers assurés américains (assurés américains).

Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les commissions constituaient des revenus tirés de l'entreprise de l'appelante, en application de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (la Loi).

Les faits

Les faits de la cause sont résumés dans les motifs du jugement du juge de la Cour de l'impôt1. J'estime toutefois que ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui sont importants, mais bien s'ils établissent en droit que l'appelante a reçu les commissions que le ministre a cotisées à titre de revenus, ou si elle en a profité. À cet égard, il est utile d'énoncer les principaux faits et de mentionner brièvement les éléments de preuve pertinents produits à leur appui.

Pendant les années d'imposition visées et lors des années précédentes, l'appelante a exploité son entreprise de courtage en assurance principalement à partir de son siège social situé à Montréal. Elle n'avait ni bureau ni place d'affaires aux États-Unis et n'était détentrice d'un permis de courtage en assurance d'aucun État américain.

Le rôle de l'appelante consistait en grande partie à mettre sur pied et à négocier des plans d'assurance complexes au nom des assurés américains et ce, sur une base de souscription ou d'assurance par niveaux. La différence entre une souscription et une assurance par niveaux est expliquée au paragraphe 5 de la plaidoirie écrite de l'appelante:

[traduction] Dans ce qui est appelé une "souscription", l'appelante pourrait, par exemple, se faire offrir des conditions, pour une garantie d'assurance égale à 20 pour 100 d'une protection maximale donnée, par un assureur œuvrant dans le marché des assurances de Londres ou dans celui des États-Unis. L'appelante rechercherait donc, dans les marchés des assurances londonien et américain, d'autres assureurs acceptant de souscrire la protection restante de 80 pour 100. Dans ce qui est appelé une "assurance par niveaux", l'appelante impliquerait différentes parties des marchés des assurances de Londres et des États-Unis à divers niveaux d'assurance. Par exemple, un assureur ou un groupe d'assureurs pourrait, sur une base de souscription, proposer des conditions pour un premier niveau de garantie d'assurance au montant de 5 millions de dollars. Un deuxième assureur ou groupe d'assureurs pourrait proposer des conditions pour un deuxième niveau de garantie d'assurance au montant de 10 millions de dollars, s'ajoutant au premier montant, et ainsi de suite jusqu'au montant de garantie d'assurance désiré.

La preuve faite au procès démontre que l'appelante jouait un rôle "d'intermédiaire", entre les assurés américains et les assureurs, dans le but d'obtenir une garantie d'assurance de risques aux meilleures conditions possibles pour l'assuré. Il appert que la pratique normale de l'appelante consistait à obtenir plusieurs plans différents de la part d'assureurs potentiels puis à conseiller les assurés américains quant au choix de l'un d'eux. Lorsqu'il choisissait l'assureur potentiel dont les conditions lui semblaient acceptables, l'assuré américain donnait instruction à l'appelante d'en aviser l'assureur en question. Comme l'appelante, n'étant pas courtier agréé, n'était mandataire d'aucun des assureurs américains, l'assureur concerné s'engageait lui-même à donner une garantie d'assurance provisoire, laquelle était confirmée par une "note d'assurance" envoyée par l'appelante à cet assureur2 . La véritable police était émise par l'assureur américain.

Dans les cas n'impliquant pas un assureur américain à qui la loi interdisait de payer une commission à l'appelante, celle-ci, à titre de courtier dûment mandaté, contractait elle-même une garantie d'assurance au nom d'un assuré américain et facturait celui-ci pour la prime due. Alors, l'assuré américain déposait, suivant les instructions de l'appelante, la prime dans le compte de banque détenu par cette dernière à New York, dans lequel cette prime demeurait jusqu'à ce que l'appelante doive la remettre à l'assureur. L'appelante investissait alors la prime dans des certificats de dépôt à court terme et gardait pour elle tout intérêt gagné sur celle-ci. La prime était en bout de ligne remise à l'assureur, déduction faite de la commission de l'appelante.

Lors des années d'imposition en question, divers assureurs américains, répartis dans onze États, dont l'État de New York, ont prévenu l'appelante que les lois étatiques pertinentes leur interdisaient de l'accepter en tant que courtier dûment mandaté et de lui payer une commission sur les garanties d'assurance qu'elle avait mises sur pied et négociées3. Les assureurs américains ont adopté cette ligne de conduite parce que l'appelante ne détenait pas de permis de courtage en assurance, comme le prévoient les lois étatiques. Une proportion n'excédant pas 20 pour cent de l'ensemble des garanties d'assurance contractées par l'appelante a été négociée auprès d'assureurs américains refusant de payer une commission à cette dernière.

Vu les circonstances, l'appelante a jugé que ses intérêts seraient mieux servis si elle confiait la garantie d'assurance à un courtier américain dûment autorisé afin que celui-ci régularise la garantie avec l'assureur et reçoive le paiement de la commission. L'appelante a jugé préférable d'agir de la sorte plutôt que d'obtenir un permis de courtage ou de refuser des offres d'assurance de la part des assureurs américains qui tenaient à ce que la garantie d'assurance soit négociée par un courtier autorisé.

L'appelante a choisi deux sociétés américaines apparentées, Minet International Professional Indemnity Brokers Inc. (MIPI) et Bowes & Company (Bowes), pour agir en tant que courtier dûment mandaté relativement aux garanties d'assurance concernées, puisque chacune d'elles détenait le permis de courtage requis. La preuve démontre que Bowes était un courtier de gros dont la spécialité consistait à négocier avec d'autres courtiers d'assurance. MIPI était un courtier de détail exploitant une entreprise différente de celle de l'appelante4. MIPI et Bowes ne possédaient pas d'actions de l'appelante et l'appelante ne possédait pas d'actions de MIPI ou de Bowes. Toutefois, les trois compagnies étaient contrôlées par Minet Holding PLC, une société exploitée au Royaume-Uni.

Dans les cas où l'appelante a fait appel à MIPI et à Bowes, elle a exploité son entreprise d'assurances (notamment la facturation des primes aux assurés, le dépôt des primes dans le compte de banque de New York et leur placement dans des certificats de dépôt à court terme), de la même façon qu'elle le faisait habituellement lorsqu'elle traitait avec d'autres assurés et assureurs américains. Elle ne dérogeait à sa pratique habituelle que lorsque venait le temps de remettre la prime à l'assureur américain. Peu avant la date de remise de la prime, l'appelante la transférait à MIPI ou à Bowes. L'appelante conservait aussi à son profit les intérêts gagnés sur les certificats de dépôt à court terme. L'assureur américain facturait MIPI ou Bowes, selon le cas, pour la prime due5. La société concernée officialisait alors l'opération en faisant en sorte que soit émise une police la mentionnant à titre de courtier dûment mandaté. Elles remettaient alors la prime, déduction faite de la commission convenue, à l'assureur américain.

La preuve présentée au procès indique que, bien que le travail de MIPI et de Bowes relativement à la négociation de garanties d'assurance ait été minime comparativement à celui de l'appelante, elles ont rendu [traduction] "un service absolument essentiel"6 en fournissant le permis de courtage et elles ont fourni [traduction] "le lien vital sans lequel l'opération n'aurait pas pu se réaliser"7. Cette preuve n'a pas été contredite. La preuve indique aussi que ces courtiers agréés se sont occupés de certains détails dans des cas de nature particulière et qu'ils figurent à titre de courtier dûment mandaté sur les polices d'assurance qui ont été émises par la suite.

Personne ne conteste que MIPI et Bowes ont déclaré comme revenus les commissions reçues des assureurs américains dans leurs déclarations de revenus américaines respectives8.

L'appelante a fait témoigner à titre de témoin expert Thorn Rosenthal, qui est membre du Barreau de l'État de New York, pour faire la preuve des lois pertinentes de chacun des 11 États concernés. M. Rosenthal a été qualifié d'expert sur les lois pertinentes de chacun de ces États par le juge de la Cour de l'impôt. Il a été contre-interrogé par l'intimée. Le juge de la Cour de l'impôt, aux pages 2111 et 2112 de ses motifs du jugement, a renvoyé au témoignage de M. Rosenthal, écrivant:

Dans sa déclaration sous serment, M. Rosenthal concluait:

QUE, vu le fait que l'appelante n'était pas titulaire d'un permis de courtage de l'État de New York durant l'une quelconque des années 1985 à 1989 inclusivement, les dispositions de l'Insurance Law et de la Penal Law examinées précédemment (soit des règles en matière de droit des assurances et de droit pénal) interdisaient le paiement de commissions à l'appelante par un assureur vendant de l'assurance dans l'État de New York et interdisaient le partage avec l'appelante d'une part quelconque des commissions payées par un assureur à la MIPI ou à tout autre courtier détenant un permis de l'État de New York;

QUE, par conséquent, il était raisonnable de la part des assureurs américains de refuser de payer des commissions à l'appelante relativement à des assurances vendues dans l'État de New York, et il était raisonnable de la part de la MIPI et tous les autres courtiers titulaires d'un permis de l'État de New York de refuser de partager avec l'appelante les commissions tirées de ces assurances;

QUE, si l'appelante avait intenté une poursuite devant les tribunaux de l'État de New York contre ces assureurs ou courtiers pour obtenir le paiement des commissions en question ou de parties de ces commissions, elle n'aurait pas réussi à établir quelque droit légal sur ces montants; . . .

Le témoin a affirmé que les lois des autres États avaient la même portée générale9. Aucun élément de preuve à l'effet contraire n'a été produit lors du procès.

Le jugement de première instance

Le juge de la Cour de l'impôt est arrivé à la conclusion que l'appelante avait, à la fois, "gagné" et "reçu" les commissions et qu'elle avait "récolté tous les fruits" des sommes reçues des assureurs américains, sous forme d'intérêts. Il a considéré que le fait que l'appelante, MIPI et Bowes étaient des "sociétés liées" au sens de la Loi, revêtait une importance significative. À son avis, comme il l'a mentionné à la page 2122 de ses motifs, l'appelante "a consenti à ce que les commissions qu'elle gagnait soient payées à la Bowes et à la MIPI", ce qu'il jugeait différent "des cas où, en raison d'une contrainte légale, aucune commission n'est payée". Selon lui, il en résulte que les commissions ont été payées à des sociétés liées et que le groupe, soit la société mère, en a bénéficié, de sorte qu'elles sont restées "dans la famille". Il a conclu que l'appelante y était "pour quelque chose en ce qu'elle convenait d'une manière quelconque que les fonds soient payés à la Bowes et à la MIPI" et que cela indiquait "un certain contrôle ou pouvoir" sur les commissions. Le juge de la Cour de l'impôt a considéré important le fait que, comme il l'indique à la page 2122 de ses motifs:

Ce ne sont pas tous les fonds reçus par l'appelante qui étaient "caractérisés par une fiducie" en faveur de l'assureur. La portion représentant la commission de courtage ne l'était pas. Voir la citation ci-dessus, tirée de la pièce A-14. La somme représentant la commission de courtage appartenait à l'appelante10 .

Analyse

Comme mon collègue le juge Létourneau, j'estime que le paragraphe 56(2) [mod. par L.C. 1987, ch. 46, art. 15] de la Loi ne peut être invoqué en l'espèce. J'adopte les propos de mon collègue sur cet aspect du litige.

La dernière question à laquelle il faut répondre est de savoir si les commissions en question peuvent valablement être considérées comme constituant des revenus de l'appelante lors des années d'imposition concernées. L'article 3 de la Loi prévoit que le "revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, aux fins de la présente Partie, . . . a ) . . . constituent . . . le revenu du contribuable pour l'année", déterminé en fonction des règles qui y sont spécifiées. Les règles fondamentales pour déterminer le revenu tiré d'une entreprise se trouvent à la sous-section b de la section B de la partie I, qui comprend le paragraphe 9(1) de la Loi:

9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

Comme le ministre l'a admis lors du procès, il n'est pas question d'évitement fiscal en l'espèce11.

J'estime que la réponse à la question de savoir si, dans un cas donné, un montant doit être considéré comme un revenu à des fins fiscales, dépend en très grande partie de la preuve produite dans ce cas. Bien que la jurisprudence portant sur ce qui fait l'objet du présent litige ne soit pas encore définitivement fixée au Canada, les décisions rendues en cette matière nous éclairent sur la question de savoir si les sommes qu'un contribuable a dûment reçues, sous réserve du respect de certaines conditions, devraient normalement être considérées comme des revenus de ce contribuable.

Dans l'arrêt Dominion Taxicab Assn. v. Minister of National Revenue, [1954] R.C.S. 82, il a été décidé que les dépôts reçus des membres de l'association ne constituaient pas des profits tirés de son entreprise et que, à ce titre, ils n'étaient pas assujettis à l'impôt aux termes de l'article 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, en raison du fait que les dépôts n'étaient pas devenus la propriété de l'association. La Cour a tenu compte du fond plutôt que de la forme des opérations. S'exprimant au nom de la majorité, le juge Cartwright a dit, à la page 86:

[traduction] Bien que la méthode de tenue de livres adoptée par les parties ne soit concluante ni en faveur de la partie que l'on veut imposer ni contre elle, je suis d'avis qu'en l'espèce, l'appelante a correctement traité le montant de 40 500 $ comme une dette à long terme envers ses membres, et qu'à moins que les conditions nécessaires à ce que l'appelante obtienne la propriété absolue d'un dépôt et que sa dette envers le membre déposant s'éteigne ne soient remplies, ce dépôt ne peut, à bon droit, être considéré comme un profit tiré de l'entreprise de l'appelante.

Dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Atlantic Engine Rebuilders Ltd., [1967] R.C.S. 477, la question en litige était de savoir si un dépôt en argent remboursable tombait sous l'application de l'article 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148. Concluant que tel n'était pas le cas, le juge Cartwright, s'exprimant au nom de la majorité, a dit, aux pages 479 et 480:

[traduction] Dans l'arrêt Dominion Taxicab Association c. Ministre du Revenu national, ([1954] R.C.S. 82, à la p. 85, 2 D.L.R. 373), la Cour a dit dans son jugement majoritaire:

Il est bien établi qu'il faut tenir compte du fond et non de la forme d'une opération particulière pour juger si elle est conforme ou non à la Loi de l'impôt sur le revenu.

En l'espèce, il me semble que la question qu'il faille se poser est de savoir si l'intimée, lorsqu'elle a déclaré ses profits annuels, aurait pu vraisemblablement y inclure la somme en question. À mon sens, la seule réponse possible est qu'elle n'aurait pas pu. Elle savait qu'elle pourrait ne pas être en mesure de conserver quelque part que ce soit de cette somme et qu'il était probable que 96 pour cent de celle-ci doive être remise dans les dépôts dans un proche avenir. À mon avis, le fait que l'intimée soit devenue propriétaire des montants déposés auprès d'elle, sans qu'ils l'aient été en fiducie, n'est pas pertinent. La même chose peut être dite au sujet des montants déposés par un client dans une banque, ces montants faisant partie des actifs de la banque mais non de ses profits. Ce serait faire fi de la situation dans son ensemble que de considérer ces dépôts comme des reçus commerciaux ordinaires de l'intimée.

Les motifs au soutien de la décision du juge Thurlow semblent être appuyés par la majorité de la Cour dans l'arrêt Dominion Taxicab Association c. Ministre du revenu national, supra, à la p. 85, où il est déclaré qu'au fur et à mesure qu'un montant était déposé auprès de l'association et venait gonfler son actif, un montant égal venait s'ajouter, de façon correspondante, à ses dettes éventuelles. Il s'agissait là de l'un des motifs pour lesquels il a été jugé que les dépôts ne faisaient pas partie des profits de l'association. Depuis que cette décision a été rendue, la rédaction des articles de la Loi de l'impôt sur le revenu sur lesquels l'appelante s'appuie n'a fait l'objet d'aucune modification importante.

J'estime qu'est concluant le fait que, vu la situation dans son ensemble, il n'y a aucun fondement pouvant justifier l'inclusion de ces dépôts, à titre de reçus commerciaux ordinaires, dans le calcul des profits annuels de l'intimée.

Deux décisions de la Cour de l'Échiquier du Canada méritent également d'être mentionnées. Dans l'arrêt Kenneth B.S. Robertson Ltd. v. Minister of National Revenue, [1944] R.C.É. 180, le président Thorson, aux pages 182 et 183, a adopté le critère suivant pour déterminer si un montant reçu par un contribuable est de la nature d'un revenu:

[traduction] Est-ce que son droit au paiement est absolu, libre de toute restriction contractuelle ou autre quant à sa disposition, son usage ou sa jouissance? Autrement dit, est-il possible de considérer une somme confiée à un contribuable comme un bénéfice ou un gain tiré de son entreprise durant toute la période où il garde cette somme sous réserve de conditions précises et non remplies et où le droit de la garder et d'en faire usage ne lui est pas encore dévolu et peut ne jamais lui être dévolu?

Le président Thorson a appliqué le même critère dans l'arrêt Canadian Fruit Distributors Ltd. v. Minister of National Revenue, [1954] R.C.É. 551, aux pages 559 et 560.

Au soutien de sa prétention que les commissions concernées ne doivent pas être considérées comme des revenus devant lui être imputés, l'appelante invoque un certain nombre de décisions rendues par les tribunaux américains. Il s'agit des arrêts Commissioner v. First Security Bank of Utah, N. A., 405 U.S. 394 (1972); Proctor & Gamble Co. v. C.I.R., 961 F.2d 1255 (6th Cir. 1992); et Tower Loan of Mississippi, Inc. v. Commissioner of Internal Revenue, 71 T.C.M. 2581 (U.S. Tax Ct. 1986).

Je suis d'accord avec le juge de la Cour de l'impôt pour dire que ces affaires doivent faire l'objet d'une distinction non seulement, à mon avis, parce que les faits sont différents, mais aussi parce que les lois sur lesquelles ces décisions ont été fondées sont différentes. D'un autre côté, je suis d'avis qu'il faut en tenir compte, d'une certaine façon, surtout lorsqu'il s'agit d'une décision de la Cour suprême des États-Unis, afin de vérifier si elles contiennent quelque principe ou ligne directrice qui serait de nature à aider la Cour dans le présent cas. Comme l'a bien dit le juge Rinfret dans l'arrêt Equitable Life Assurance Society of the United States v. Larocque, [1942] R.C.S. 205, à la page 239, bien que les décisions rendues par la Cour suprême des États-Unis ne lient pas les tribunaux de ce pays, [traduction] "il va sans dire qu'elles ont droit au plus grand respect".

Tous les arrêts américains invoqués par l'appelante avaient trait à l'interprétation d'un article de l'Internal Revenue Code des États-Unis qui permettait aux autorités fiscales de répartir les revenus bruts de deux ou plusieurs entités commerciales possédées ou contrôlées par la même entité si cela était jugé nécessaire afin de refléter le véritable revenu de chacune d'elles. Ces arrêts étaient tous caractérisés par le fait qu'une loi, qu'elle soit étatique, fédérale ou étrangère, interdisait expressément que certains paiements soient effectués au membre d'un groupe au sujet duquel les autorités désiraient attribuer les revenus à d'autres membres du groupe. Dans chaque cas, les tribunaux ont conclu qu'étant donné que la loi interdisait les paiements, aucun contrôle, tel que défini dans l'article, ne pouvait être exercé, et il ne pouvait par conséquent y avoir aucune attribution.

Dans l'arrêt First Security, précité, à la page 403, le juge Powell, s'exprimant au nom de la majorité, a énoncé le principe suivant:

[traduction] À notre connaissance, jamais notre Cour n'a rendu de décision concluant à l'existence, entre les mains d'une personne, d'un revenu qu'elle n'avait pas reçu et qu'elle n'était pas autorisée à recevoir. Dans les causes relatives au concept de revenu, il a été présumé que la personne à qui le revenu était attribué aurait pu le recevoir. L'hypothèse sous-jacente a toujours été que, pour être imposé au titre d'un revenu, un contribuable doit avoir un contrôle total sur ce revenu. "Le revenu assujetti à la maîtrise totale d'un homme et que celui-ci est libre d'utiliser comme bon lui semble peut être imposé en tant que revenu lui appartenant, qu'il juge bon de l'utiliser ou non". Corliss v. Bowers, 281 U.S. 376, à la p. 378 (1930).

J'ai déjà fait état des motifs pour lesquels le juge de la Cour de l'impôt a conclu que les commissions devraient être considéré[e]s comme des revenus de l'appelante. Au départ, l'un de ces motifs mérite que l'on s'y attarde. Le juge était d'avis que les commissions n'avaient pas été "caractérisé[e]s par une fiducie" parce qu'un contrat intervenu entre l'appelante et une compagnie d'assurances canadienne (pièce A-14) stipulait expressément que "[t]outes les primes perçues au nom de la compagnie, moins la commission du courtier, appartiennent à la compagnie et doivent être détenues en fiducie dans une banque ou une compagnie de fiducie". Cette conclusion est manifestement fondée sur une appréciation erronée de la preuve. La pièce invoquée n'a aucune incidence sur la relation juridique entre l'appelante et l'un ou l'autre des assureurs américains. Cette pièce énonce les conditions d'un contrat conclu entre l'appelante et un assureur canadien. D'ailleurs, au paragraphe 16 de sa plaidoirie écrite, l'intimée admet que ce contrat [traduction ] "n'était pas pertinent aux fins des questions en litige" car il ne concernait pas les affaires de l'appelante aux États-Unis. À mon avis, la pièce A-14 ne prouve pas que les commissions visées ont été reçues avec les primes, que ces commissions appartenaient à l'appelante ou que les primes n'étaient pas détenues en fiducie.

Le dossier ne contient aucune preuve manifeste de la relation exacte de l'appelante avec les assureurs américains. Bien qu'il n'existe aucun élément de preuve, sous la forme d'ententes écrites entre l'appelante et les assureurs américains, que les primes devaient être détenues en fiducie par l'appelante, il est évident que l'appelante considérait les primes comme des sommes détenues en fiducie au bénéfice des assureurs américains12. Le dossier montre que les fonds propres de l'appelante ne comprenaient aucune partie des primes. L'appelante acceptait qu'elle avait l'obligation de payer, directement, selon ses pratiques habituelles, ou par l'entremise de MIPI ou de Bowes, la totalité des primes aux assureurs américains.

Je crois que ce qui ressort du dossier, c'est que, jusqu'au moment où la prime devait être remise à un assureur américain à qui la loi interdisait de payer une commission à l'appelante, cette dernière menait ses affaires avec un assuré et un assureur américains à peu près de la même manière qu'elle le faisait avec n'importe quel autre assuré et assureur américains. La pratique de l'appelante consistait à facturer les assurés américains peu après que les assureurs américains s'étaient engagés à fournir une garantie d'assurance et ce, dans le but de recevoir les montants des primes et de les investir dans des certificats de dépôt à court terme afin de gagner des revenus d'intérêts, qu'elle a gardés et déclarés au ministre. La pratique normale de l'appelante consistait à déduire de la prime un taux de commission préalablement convenu et à remettre le montant net à l'assureur américain. Lorsque le moment susmentionné approchait, l'appelante dérogeait à cette pratique en remettant la totalité de la prime à MIPI ou à Bowes et en ne conservant aucune partie, à titre de commission, pour elle-même.

Je pense que la preuve démontre assez clairement que, dans les cas où la loi étatique n'interdisait pas le paiement d'une commission à l'appelante, celle-ci jugeait que la commission était gagnée lorsqu'elle facturait l'assuré américain pour la prime due à l'assureur américain13. Bien que la preuve ne le démontre pas clairement, il semble également qu'il existait, entre l'appelante et les assureurs américains, une sorte d'entente tacite ou de pratique propre à cette industrie, par laquelle l'appelante avait le droit de déduire la commission des primes qu'elle avait perçues.

On peut avoir un bref aperçu de la pratique de l'industrie ayant cours au Royaume-Uni et ailleurs quant au paiement de la rémunération d'un courtier ou d'un agent par un assureur aux pages 106 et 107 de l'ouvrage de H. Cockerell et G. Shaw, intitulé Insurance Broking and Agency: The Law and the Practice (Londres: Witherby & Co., Ltd., 1979), où ils expliquent:

[traduction] Les courtiers et les agents d'assurance ne sont jamais récompensés par leurs clients mais bien par la réception de commissions ou de frais de courtage de la part des assureurs avec qui ils traitent pour les assurances de leurs clients. Cette anomalie apparente a beaucoup été critiquée dans le passé, mais le début de cette pratique est presque concomitant avec la naissance de l'assurance. Cela s'est toujours passé ainsi et le côté international du marché de courtage du Royaume-Uni serait en danger si un changement était effectué. Ainsi, un courtier américain désirant faire appel au marché de Londres pour obtenir une garantie d'assurance importante demandera naturellement une proportion des frais de courtage en résultant comme récompense de sa démarche. Puisque les intermédiaires d'assurance des États-Unis, du Canada et de presque tous les autres pays sont payés en fonction du système britannique, un changement au système de frais causerait de très graves difficultés . . .

. . .

Il s'ensuit que la condition essentielle de formation d'un contrat en bonne et due forme entre l'assuré et le courtier ou l'agent est l'acceptation par le premier qu'un pourcentage de la prime, ou parfois, de la somme faisant l'objet de l'assurance, ou de la rente, sera payé par des tiers n'étant pas partie au contrat, soit les divers assureurs avec qui l'affaire est ou sera traitée.

Comme l'intimée l'a prétendu, il semblerait logique de déduire l'existence d'une certaine forme d'entente qui régissait les relations entre l'appelante et chacun des assureurs américains14. L'appelante a apparemment agi au nom des assurés américains dans la négociation de garanties d'assurance en partant du principe que les assureurs paieraient la commission, dont le taux était apparemment compris dans la prime exigée. Il semble que les assurés américains n'encouraient pas l'obligation de payer une commission. Le paiement de la commission était vraisemblablement une affaire ne regardant que l'appelante et les assureurs américains. Ainsi, il semble y avoir eu deux relations contractuelles distinctes entre les parties en cause; une entre l'appelante et l'assuré américain et l'autre entre l'appelante et l'assureur américain.

Le lord juge Edmund Davies a émis les commentaires suivants sur l'existence de ces relations dans l'arrêt Wilson v. Avec Audio-Visual Equipment Ltd., [1974] 1 Lloyd's Rep. 81 (C.A.), à la page 82:

[traduction] Il ne fait aucun doute que le demandeur a été autorisé à agir au nom des assurés potentiels, les défendeurs, afin d'obtenir une garantie d'assurance pour eux. Il s'agissait d'un mandataire non payé puisque (comme c'est bien connu), en de telles circonstances, les courtiers d'assurance comme le demandeur reçoivent leur rémunération au moyen de commissions versées par les compagnies d'assurances avec qui ils font affaires. Dans des cas comme en l'espèce, il y a, en fait, deux contrats distincts. Il y a un contrat (on s'attendrait à ce qu'il soit par écrit, bien qu'aucune entente écrite n'ait été produite en l'espèce) entre un courtier et une compagnie d'assurances, lequel prévoit le paiement de commissions pour les affaires réalisées par la compagnie d'assurances grâce à l'apport du courtier. Il y a aussi un contrat entre le courtier, demandeur en l'espèce, et les défendeurs, lequel autorise le demandeur à agir à titre de mandataire des défendeurs aux fins d'obtenir pour eux une garantie d'assurance.

Selon moi, la simple réception des primes ne signifie pas, à elle seule, que l'appelante a touché des revenus de commission imposables. Les primes payées par les assurés américains n'étaient manifestement pas destinées à l'appelante mais plutôt aux assureurs américains. Elles constituaient la contrepartie en retour de laquelle les assureurs américains acceptaient de garantir les risques des assurés américains. Vu les faits de l'espèce, elles ne pourraient jamais, à mon avis, être considérées comme les fonds propres de l'appelante.

Naturellement, il est vrai que l'appelante déduisait couramment ses commissions des primes perçues et que MIPI et Bowes faisaient de même. Il est également vrai que l'appelante remettait normalement le solde des primes à l'assureur américain. Dans le présent cas, l'appelante ne pouvait toutefois pas utiliser cette pratique car la loi interdisait aux assureurs américains de payer quelque commission que ce soit à l'appelante. Ce fait crucial a été prouvé au moyen de la déposition du témoin expert Thorn Rosenthal. Considérant ce fait, je ne vois pas comment on peut dire qu'en se contentant de recevoir et de conserver les primes pendant un certain temps et en gagnant des intérêts sur celles-ci, l'appelante a aussi reçu les commissions de la part des assureurs américains.

Si mon analyse est exacte, je ne vois pas comment le juge de la Cour de l'impôt a pu conclure que l'appelante a "reçu" les commissions ou accepté qu'elles soient payées à MIPI ou à Bowes, de façon à les garder "dans la famille", ou que l'appelante a exercé un "certain contrôle ou pouvoir" sur elles. Les trois compagnies formaient des entités juridiques complètement distinctes. Les lois étatiques américaines interdisaient purement et simplement aux assureurs américains de payer des commissions à un courtier non agréé comme l'appelante. Je suis donc d'avis que l'appelante ne pouvait pas posséder les commissions ou détenir quelque droit sur elles, ce qu'elle n'a pas fait. En conséquence, les commissions ne constituaient pas des revenus tirés de son entreprise. Les lois étrangères pertinentes empêchaient que cela ne se produise. Comme nous l'avons vu, la jurisprudence, tant au Canada qu'aux États-Unis, tend fortement à ne pas considérer comme revenu d'un contribuable un montant que celui-ci ne possède ni ne maîtrise de façon absolue. J'estime que c'est le cas en l'espèce.

Je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens, d'infirmer le jugement de la Cour canadienne de l'impôt et de renvoyer l'affaire au ministre pour qu'il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que les commissions concernées ne constituent pas un revenu tiré de l'entreprise de l'appelante et qu'à ce titre, elles ne sont pas imposables comme revenu de l'appelante.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A. (dissident en partie): J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue, le juge Stone, et je suis malheureusement incapable de partager son opinion ainsi que sa qualification des événements ayant donné naissance à la présente affaire. Je vais résumer les faits nécessaires à la bonne compréhension de ma position quant à l'évaluation juridique de la nature de l'implication de l'appelante dans le processus qui est à l'origine des commissions que l'intimée veut imposer.

Les faits et les questions en litige

La Cour canadienne de l'impôt a rejeté avec dépens l'appel des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) concernant les années d'imposition 1985 à 1989 de l'appelante. Le ministre avait cotisé de nouveau l'appelante en ajoutant, dans le calcul de son revenu pour ces années, des montants générés par elle à titre de frais de courtage ou de commissions. Ces commissions, qui formaient un montant total de 7 065 641 $ et étaient payées par des assureurs américains, étaient reçues, en fin de compte, par deux compagnies américaines, Bowes Holdings Inc. (Bowes) et Minet International Professional Indemnity Brokers Inc. (MIPI), qui appartenaient à la société mère de l'appelante, Minet Holdings, PLC, située au Royaume-Uni (Minet R.-U.). Elles étaient remises aux deux filiales américaines de Minet R.-U. puisque, comme le prétend l'appelante, celle-ci n'avait pas le droit de les recevoir en raison des lois de plusieurs États américains, n'étant pas détentrice d'un permis de courtage dans ces États.

La société appelante est agréée pour exploiter une entreprise de courtage en assurances partout au Canada mais elle ne l'est pas en ce qui a trait aux États américains. En raison de son expertise dans la négociation de garanties d'assurance complexes auprès des marchés de Londres et des États-Unis, l'appelante a attiré de nombreux clients corporatifs importants situés aux États-Unis. Dans la majorité des cas, l'appelante contracte elle-même une garantie d'assurance au nom de l'assuré américain et envoie par la suite une facture à ce dernier pour les primes dues en vertu de la police d'assurance pertinente. L'assuré américain dépose alors les primes dans un compte ouvert par l'appelante dans une banque de New York. L'appelante perçoit et conserve les primes au nom des assureurs. Par la suite, l'appelante investit les primes dans des certificats de dépôt à court terme jusqu'à ce qu'elle doive remettre les primes aux assureurs. Enfin, l'appelante remet les primes aux assureurs, déduction faite des commissions qui lui sont dues et de tout revenu d'intérêts gagné sur les primes alors qu'elles étaient investies.

Cependant, étant donné que l'appelante n'était pas agréée pour exploiter une entreprise de courtage aux États-Unis, certains assureurs américains ont refusé de lui payer des commissions, craignant que de tels paiements contreviennent aux lois interdisant le paiement de commissions à des courtiers non agréés. Ces lois interdisent le paiement de commissions à un courtier ne détenant pas un permis dans l'État où se trouve le bien assuré. Dans de tels cas, qui équivalaient à 19 ou 20 p. 100 de ses affaires, l'appelante a chargé Bowes ou MIPI, deux sociétés américaines appartenant à la même société mère qu'elle (Minet R.-U.), d'agir en tant que courtier dûment mandaté, celles-ci ayant le droit de recevoir les commissions que l'appelante ne pouvait toucher. L'appelante a choisi ces deux sociétés car elles n'étaient pas des compétiteurs, étant contrôlées par la même société qu'elle-même. Bowes et MIPI ne tenteraient donc pas d'attirer des clients de l'appelante. L'appelante a également pu exercer les fonctions liées au courtage, ce qui aurait été impossible si une société non apparentée avait agi en tant que courtier dûment mandaté. Bowes et MIPI n'ont effectué rien de plus que ce que l'appelante, en raison de contraintes juridiques, était incapable de faire dans les États américains concernés, soit agir en tant que courtier dûment mandaté, contracter la garantie d'assurance voulue, faire parvenir les primes aux assureurs, produire certains documents et, naturellement, recevoir les commissions que l'appelante ne pouvait garder. Ni Bowes ni MIPI ne possédaient d'expertise dans la mise en place des garanties d'assurance pour lesquelles il leur était demandé d'agir à titre de courtier dûment mandaté. Dans les comptes intercompagnies du groupe Minet R.-U., c'est l'appelante, et non Bowes et MIPI, qui a été désignée comme ayant gagné les commissions concernées.

Finalement, en chargeant Bowes et MIPI d'agir en tant que courtier dûment mandaté pour ces opérations, l'appelante a pu continuer de recevoir les intérêts sur les primes dues par les assurés américains, vu que ces compagnies liées ne s'opposaient pas à cette pratique. Dans les faits, les assurés américains continuaient à déposer les montants dus dans le compte de l'appelante et celle-ci poursuivait sa pratique de les investir dans des titres à court terme sur lesquels elle conservait les paiements d'intérêts. Lorsque venait le temps de remettre les paiements aux assureurs américains, l'appelante gardait seulement les intérêts et remettait les primes à MIPI ou à Bowes. Ces sociétés remettaient alors aux assureurs américains les primes, déduction faite des commissions qu'elles conservaient pour avoir agi à titre de courtier dûment mandaté. MIPI et Bowes ont gardé ces commissions car la loi leur interdisait de les partager avec un courtier non agréé tel l'appelante ou de lui en faire remise. MIPI et Bowes ont inclus les commissions ainsi reçues dans le calcul de leur revenu aux fins de l'impôt américain sur le revenu. L'appelante a inclus les paiements d'intérêts reçus sur ces commissions dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition visées. Elle n'a pas inclus les commissions qu'elle a remises à Bowes et à MIPI. Cependant, elle a inclus, à titre de déductions, l'ensemble des frais encourus dans le cadre de la mise en place des garanties d'assurance même lorsque Bowes ou MIPI ont agi comme courtier dûment mandaté.

Le 10 septembre 1992, le ministre a établi une nouvelle cotisation ajoutant au revenu de l'appelante en application de la partie I, à titre de revenu de commission supplémentaire de 1985 à 1989, les commissions que l'appelante avait remises à Bowes et à MIPI. L'appel interjeté par l'appelante auprès de la Cour canadienne de l'impôt a été rejeté.

La question soumise à la Cour est de savoir si les commissions payées à deux filiales américaines de Minet R.-U., lesquelles ont effectué des travaux, minimes mais nécessaires, d'acheminement de documents, constituent un revenu de l'appelante (également une filiale de Minet R.-U.) qui a exécuté au Canada pratiquement tout le travail de courtage et a déduit tous les frais afférents mais sans conserver les commissions comprises dans les primes reçues des assurés.

En d'autres termes, la présente affaire nécessite que l'on qualifie sur le plan juridique les sommes, soit les primes et les commissions incluses, détenues par l'appelante jusqu'à leur transfert aux deux sociétés apparentées américaines.

Je m'empresse d'ajouter qu'il n'y avait rien d'illégitime dans la manière de l'appelante de mener ses affaires. Cette façon d'agir, de l'aveu même de l'intimée15, ne dénotait pas l'existence d'une machination ou d'une tentative visant à éviter le paiement d'impôts ou à détourner du Canada des revenus vers un autre État. L'appelante, dont la connaissance et l'expertise dans le domaine de l'assurance de même que l'accès aux marchés de l'Europe et de Londres étaient en demande auprès de clients américains, faisait face à une réglementation sévère dans les divers États américains où se trouvaient ses clients. Pour se conformer avec la réglementation américaine, lorsque requis, sans risquer de perdre la clientèle de son entreprise, l'appelante a fait appel à des courtiers pouvant être mandatés pour compléter les opérations au nom de ses clients et a recouru à des sociétés apparentées pour que celles-ci reçoivent les paiements des commissions gagnées.

La décision faisant l'objet de l'appel

Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que ces commissions devraient être comprises dans le calcul du revenu de l'appelante. Cette décision est fondée sur les conclusions suivantes, dont certaines sont contestées par l'appelante:

(1) C'est l'appelante et non la Bowes ou la MIPI qui a gagné les commissions;

(2) Dans tous les cas, l'appelante a reçu des assurés les sommes intégrales, soit non seulement la somme devant constituer la commission de courtage, mais aussi la somme devant être remise à l'assureur en tant que prime. L'appelante plaçait toutes les sommes dans des dépôts à terme et touchait le revenu y afférent. C'était l'usage ou, dans certains cas, c'était prévu par des arrangements particuliers conclus avec les assureurs. Ni l'assureur ni la Bowes et la MIPI, lorsqu'elles intervenaient, ne s'opposaient à cela. L'appelante recevait les sommes totales et, pendant la période où l'argent restait entre ses mains, elle en récoltait tous les fruits, sous la forme d'intérêts sur les placements dans des dépôts à terme;

(3) Ce ne sont pas tous les fonds reçus par l'appelante qui étaient "caractérisés par une fiducie" en faveur de l'assureur. La portion représentant la commission de courtage ne l'était pas (voir l'extrait de la pièce A-14 plus loin). La somme représentant la commission de courtage appartenait à l'appelante;

(4) La Bowes, la MIPI et l'appelante sont des sociétés liées au sens de la Loi. En substance, l'appelante a consenti à ce que les commissions qu'elle gagnait soient payées à la Bowes et à la MIPI. Cela est manifestement différent d'un cas où, en raison d'une contrainte légale, aucune commission n'est payée;

(5) Les commissions étaient payées à des sociétés liées, ce qui fait que les commissions gagnées sous une forme ou une autre par l'appelante revenaient au propriétaire bénéficiaire du groupe, soit la société mère. Comme l'avocat de l'intimée l'a mentionné, l'argent "restait dans la famille". À un moment donné, les fonds quittaient l'appelante et ne lui étaient pas rendus, mais l'appelante y était sûrement pour quelque chose en ce qu'elle convenait d'une manière quelconque que les fonds soient payés à la Bowes et à la MIPI. L'accord ou les instructions de l'appelante quant à savoir à qui les commissions de courtage devaient être payées indiquent assurément un certain contrôle ou pouvoir sur ces fonds;

(6) Certes, l'appelante ne retenait pas réellement les commissions de courtage, mais elle en bénéficiait de deux manières. Elle s'assurait de perspectives d'avenir, entretenant de bonnes relations d'affaires, de bons contacts. De plus, comme je l'ai mentionné précédemment, l'appelante et ses dirigeants ou employés étaient reconnus par la société mère comme étant ceux à qui l'on devait d'avoir gagné les commissions.

La pièce A-14, à laquelle le juge de première instance a renvoyé dans sa troisième conclusion, est une copie d'un modèle d'un contrat de courtage entre l'appelante et une compagnie d'assurances canadienne (Wellington Guarantee). L'article premier de ce contrat porte sur la perception des primes et stipule:

1. Perception des primes"Le courtier est chargé de percevoir toutes les primes pour la compagnie. S'il ne peut percevoir une prime due à la compagnie, il doit, avant la date d'exigibilité de la prime, en aviser par écrit la succursale de la compagnie la plus proche. Toutes les primes perçues au nom de la compagnie, moins la commission du courtier, appartiennent à la compagnie et doivent être détenues en fiducie dans une banque ou une compagnie de fiducie . Les intérêts sur les fonds en fiducie appartiennent au courtier. [Non souligné dans l'original.]

Décision sur l'objection de l'appelante quant à l'application du paragraphe 56(2) de la Loi

Avant d'aborder la principale question en litige, je dois décider d'une objection prise sous réserve, soulevée par l'avocat de l'appelante à l'encontre d'une tentative de l'intimée de recourir au paragraphe 56(2) de la Loi pour justifier le rejet de l'appel.

Le paragraphe 56(2) prévoit que les paiements effectués à toute autre personne suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable doivent être inclus dans le revenu d'un contribuable lorsque ces paiements sont effectués au profit du contribuable ou à titre d'avantage que le contribuable désire voir accorder à cette autre personne.

Cette disposition est connue comme une disposition anti-évitement, mais la Cour a décidé que la généralité de ses termes est telle que son application n'est pas restreinte aux cas manifestes d'évitement fiscal16.

Il faut dire que le paragraphe 56(2) ne constituait pas le fondement de la nouvelle cotisation du revenu de l'appelante pour les années concernées. Son application aux faits de la présente cause n'a pas non plus fait l'objet d'argumentation ou de plaidoirie devant le juge de la Cour de l'impôt.

L'intimée ne s'est aucunement fondé sur le paragraphe 56(2) lorsqu'elle a cotisé l'appelante, mais elle ressent maintenant le besoin d'y recourir pour plus de sûreté. Elle soumet que l'ensemble des faits se trouvent au dossier et qu'ils peuvent justifier que la Cour applique, de façon tardive, ce paragraphe.

Il est vrai que les recueils contiennent des décisions à l'appui de la position de l'intimée, l'une des plus récentes étant l'arrêt de la Cour suprême Athey c. Leonati17. J'estime que l'extrait suivant, se trouvant aux pages 478 et 479 de l'arrêt, résume bien le principe fondamental:

La règle générale est qu'un appelant ne peut soulever un point qui n'a pas été plaidé ou débattu au procès, sauf si toute la preuve pertinente figure au dossier: John Sopinka et Mark A. Gelowitz, The Conduct of an Appeal (1993), à la p. 51. En l'espèce, toute la preuve pertinente faisait partie du dossier. De fait, toutes les conclusions de fait nécessaires avaient été tirées. Le point soulevé par l'appelant était purement une question de droit.

Fait le plus important, les intimés n'ont subi aucun préjudice, puisqu'ils n'auraient pas agi différemment, même si l'appelant s'était appuyé sur les arrêts McGhee c. National Coal Board et Bonnington Castings Ltd. c. Wardlaw, précités, dès le départ. La thèse de la défense était qu'il n'y avait aucun lien de causalité entre l'hernie discale et les blessures subies dans les accidents automobiles. Les intimés n'auraient pu présenter une défense plus vigoureuse que celle-là. Il s'agit d'un cas où [traduction] "même si la question avait été soulevée en temps opportun, elle n'aurait pas été éclaircie davantage": Lamb c. Kincaid (1907), 38 R.C.S. 516, à la p. 539, le juge Duff (plus tard Juge en chef). Comme les arguments de l'appelant soulevaient une question de droit qui n'exigeait pas de preuve additionnelle (ou même de conclusions de fait supplémentaires) et qui n'aurait pas causé de préjudice aux intimés, la Cour d'appel a fait erreur en refusant d'examiner les arguments de l'appelant.

La considération la plus importante demeure sans contredit l'absence de préjudice pour l'autre partie, comme le démontre le fait que toute la preuve pertinente ou tous les faits substantiels nécessaires à l'application de la disposition se trouvent au dossier.

Toutefois, l'appelante prétend, à bon droit selon moi, que cela n'est pas le cas en l'espèce. Elle n'a jamais été prévenue de l'application possible du paragraphe 56(2). On ne l'a pas informée avec précision des hypothèses sur lesquelles le ministre aurait fondé sa nouvelle cotisation aux termes de ce paragraphe. En conséquence, elle n'a jamais exploré ce sujet en interrogatoire préalable. Elle n'a pas interrogé ou contre-interrogé de témoins sous cet angle. Elle n'a pas produit d'élément de preuve pour démontrer, par exemple, qu'elle ne désirait pas, en fait ou en droit, conférer des avantages à ses compagnies apparentées ou profiter elle-même des paiments effectués à ces compagnies.

L'avocat de l'intimée a soutenu qu'il ne voyait pas quel élément de preuve supplémentaire aurait pu être produit à ce sujet. Il se peut qu'il ait raison. Il se peut que l'appelante aurait été capable ou incapable d'établir des faits de nature à empêcher l'application du paragraphe 56(2). Je l'ignore mais il ne nous appartient sûrement pas, à cette étape tardive, de spéculer sur ce que la conduite de l'appelante aurait été ou pourrait avoir été si la question avait été dûment soulevée au départ et débattue dans les actes de procédure.

Avec respect, la spéculation quant à savoir si des éléments de preuve supplémentaires suffisants et convaincants auraient pu être produits ou non ne constitue pas la vraie question sur laquelle nous devons nous pencher. La véritable question en est celle de l'équité envers le contribuable, d'autant plus qu'il lui incombe de réfuter, selon la prépondérance de la preuve, les hypothèses sur lesquelles le ministre se fonde généralement pour établir une nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 56(2)18.

L'appelante a été privée de cette possibilité tout au long des procédures et, en particulier, au stade de la présentation de la preuve.

Selon moi, ce que l'intimée recherche en réalité au moyen de l'application du paragraphe 56(2), ce n'est pas le simple ajout de couvertures ou d'oreillers pour améliorer le confort de son lit, mais plutôt une modification dans la structure même du lit. Il serait injuste envers l'appelante de permettre une telle modification à cette étape-ci. Je suis donc d'avis d'accepter l'objection et de décider que le paragraphe 56(2) ne peut recevoir application en l'espèce.

Analyse et décision

L'appellante a-t-elle gagné et reçu les commissions?

Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que l'appelante a gagné les commissions en litige. J'estime que cette conclusion n'est pas seulement entièrement soutenue par la preuve mais qu'elle est aussi bien fondée en droit.

Comme la preuve l'indique, il n'est pas contesté que l'ensemble du travail de négociation a été effectué par l'appelante, qui était la seule à posséder les connaisssances et l'expertise nécessaires19, et que MIPI et Bowes, en raison du fait qu'elles étaient des courtiers agréés aux États-Unis, ont agi en tant que courtiers dûment mandatés dans le but de recevoir légalement de la part des assureurs les revenus produits par le travail et l'expertise de l'appelante.

Dans son témoignage, M. Middleton, l'administrateur général de l'appelante, a admis en ces termes la contribution minime de MIPI et Bowes20:

[traduction] Nous ne nions pas et nous n'avons jamais nié le fait que l'ampleur des travaux réellement effectués par ces entités était minime et qu'elles ne pourraient donc pas prétendre qu'elles avaient généré elles-mêmes, au bénéfice du groupe Minet, un volume d'affaires ayant rapporté un tel niveau de revenus.

D'ailleurs, pour leurs services à titre de courtiers dûment mandatés, MIPI et Bowes se sont vu attribuer par le groupe Minet, pour les fins de la comptabilité de gestion interne de celui-ci, de faibles honoraires de 5 000 $ par opération pour tenir compte de l'étendue limitée du travail qu'elles avaient effectué21.

Les commissions élevées que le travail de l'appelante a générées ont été gagnées lorsque l'appelante a facturé ses clients pour le paiement de la prime. Cela a été confirmé par l'administrateur général de l'appelante lors de son témoignage22:

[traduction]

Q. Donc, je suppose que dans une comptabilité d'exercice, dès que l'appelante facture son client, la commission est considérée gagnée même si elle n'a pas encore été reçue?

R. Oui, c'est le cas . . .

Q. Ensuite, lorsque le placement d'un risque est complété, une facture est alors expédiée au client?

R. Oui.

Q. Reflétant la période pour laquelle l'ordre d'exclusivité a été donné?

R. Exactement.

Q. À ce moment-là, l'appelante considère que la commission est gagnée?

R. Les commissions afférentes sont considérées gagnées à ce moment-là, oui.

Les assurés américains étaient facturés par l'appelante à partir de son bureau de Montréal23 et ils recevaient instruction de déposer les sommes dans le compte bancaire de l'appelante à New York24, et ils le faisaient. Une copie de la facture du client était envoyée à chaque fois au service des comptes recevables de l'appelante25. Le paiement des commissions versées par les assureurs était complété lorsque l'appelante ou, dans certains cas, ses sociétés apparentées, conservaient une partie de la prime brute reçue par l'appelante de la part des assurés26.

Cette brève revue de la preuve montre qu'en fait, les commissions étaient dues et qu'elles ont effectivement été payées pour le travail effectué par l'appelante, que c'est l'appelante qui les a touchées en facturant les assurés et en percevant les primes au nom des assureurs et que celles-ci ont été déposées dans le compte de banque de l'appelante.

Dans l'arrêt Wm. Wrigley Jr. Co. Ltd. v. Provincial Treasurer of Manitoba27, le juge Taschereau a dit:

[traduction] Essentiellement, "gagner" un revenu ou un profit signifie, à mon sens, faire l'effort ou le travail qui crée la valeur que l'on veut échanger.

Selon le Shorter Oxford English Dictionary, "earn" (gagner) signifie obtenir ou mériter à titre de récompense du travail28 . Il n'y a aucun doute qu'en fait, l'appelante a, pour reprendre l'expression utilisée par le juge Taschereau, fait l'effort ou le travail qui a créé la valeur que l'on veut échanger.

Cependant, l'avocat de l'appelante a soutenu, de manière très habile et à bon droit, selon moi, que le fait de gagner un revenu nécessite, en droit, que la récompense du travail ait été reçue ou qu'elle soit à recevoir. J'accepte l'argument de l'appelante qu'en l'espèce, les commissions n'étaient pas "à recevoir" aux termes de l'article 9 de la Loi car elle ne bénéficiait pas, sur le plan juridique, d'un droit sans équivoque, bien que pas nécessairement immédiat, de les recevoir29 . Il a été établi que la loi interdisait aux assureurs américains de payer des commissions à un courtier non agréé. L'appelante a également attiré notre attention sur certaines décisions rendues par les tribunaux américains et, en particulier, sur ce passage tiré du jugement de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Commissioner v. First Security Bank of Utah, N. A.30:

[traduction] Nous ne connaissons aucune décision de la Cour dans laquelle il a été décidé qu'une personne avait un revenu imposable alors qu'elle n'avait pas reçu ce revenu et qu'il lui était interdit de le recevoir.

Je souligne qu'il n'était pas interdit à l'appelante, qui exploitait son entreprise au Canada, de recevoir ces commissions au Canada. De toute manière, il existe un principe de droit bien établi, tant aux États-Unis qu'au Canada, que les sommes illégalement reçues par un contribuable n'en constituent pas moins des revenus imposables de ce contribuable31. La question qui se pose alors est la suivante: les commissions ont-elles effectivement été reçues par l'appelante, que ce soit de façon illégale ou non?

L'avocat de l'appelante soumet que cette dernière n'a jamais reçu les commissions car elle détenait les primes reçues des assurés en fiducie au bénéfice des assureurs.

Au soutien de sa prétention que les sommes étaient détenues en fiducie, l'appelante a déposé trois documents: un modèle de contrat de courtage32, un contrat de production33 ainsi qu'un mandat34. Je dois dire tout de suite qu'aucun de ces contrats n'est pertinent pour les fins de l'entreprise de l'appelante. Le premier consiste en une entente avec un assureur canadien, alors que l'appelante faisait affaires avec des assureurs situés aux États-Unis. Le deuxième concerne un assureur qui n'était pas partie aux relations d'affaires que l'appelante a choisi de produire à titre d'exemples. De plus, aucune preuve n'a été faite devant la Cour qu'il s'agissait d'un modèle d'un contrat pertinent conclu avec un assureur américain. Le troisième a trait au genre de contrats signés par MIPI dans le cours de ses propres affaires. En réalité, l'appelante n'a déposé aucun exemplaire des contrats qu'elle aurait conclus avec ses clients américains, en supposant que des écrits de ce genre existent. Selon moi, la réponse à la question de savoir si l'appelante a effectivement reçu les commissions se trouve essentiellement dans le témoignage de son administrateur général et dans la correspondance entre celle-ci et ses sociétés apparentées, quoique ces modèles de contrat soient aussi utiles en ce qu'ils apportent un certain éclairage sur le statut des commissions payées pour le travail effectué par l'appelante.

Il ressort clairement du témoignage de l'administrateur général de l'appelante que le compte bancaire détenu par cette dernière à New York n'était pas un compte en fiducie mais que, afin de conserver la confiance de ses clients, l'appelante l'utilisait comme tel afin de s'assurer que le solde du compte serait toujours suffisamment élevé pour effectuer le remboursement des primes aux assureurs35:

[traduction]

Q. Est-ce que, à votre connaissance, le solde du compte plus les montants des dépôts à terme sont déjà descendus sous le niveau du montant total des primes qui étaient dues aux assureurs?

R. Je dirais non, pas à ce que je sache. En fait, je dirais plutôt absolument pas parce qu'en autant que je le sache, cela aurait constitué un grave problème. Nous aurions eu un solde négatif en fiducie.

Q. Alors, à votre connaissance, le compte de banque était utilisé, en réalité, comme un compte en fiducie?

R. Il ne s'agissait pas d'un compte en fiducie au sens où il y avait un acte de fiducie mais il est certain que nous"-à toutes fins utiles, il était utilisé et traité comme un compte en fiducie.

L'appelante retirait de son compte bancaire les sommes reçues des assurés pour les réinvestir sous forme de certificats de dépôt jusqu'à ce que les montants des primes, déduction faite des commissions, deviennent dus aux assureurs, les montants ainsi investis étant alors déposés de nouveau par l'appelante dans son compte de banque. Elle gardait les montants substantiels d'intérêts ainsi accumulés (971 208 $ en 1985, 949 343 $ en 1986, 707 894 $ en 1987, 502 770 $ en 1988 et 856 836 $ en 1989). Au moins dans les cas où les assureurs américains n'exigeaient pas que les commissions soient attribuées à un courtier dûment mandaté, agréé aux États-Unis, l'appelante utilisait une partie des commissions gagnées pour couvrir ses frais d'exploitation. L'administrateur général de l'appelante a décrit de la façon suivante le contrôle que celle-ci a exercé sur les primes et les commissions reçues des assurés36:

[traduction]

Q. Est-ce que cela se fait seulement mécaniquement?

R. En ce qui concerne nos affaires américaines, l'argent était déposé auprès de la banque Marine Midland. Nous retirions seulement auprès de la banque Marine Midland, sauf aux fins d'investir l'argent dans des véhicules de placement à court terme, comme je l'ai mentionné précédemment, nous retirions de ce compte de banque seulement les sommes nécessaires pour payer les assureurs et celles représentant nos propres commissions gagnées, que nous ramenions au Canada pour couvrir nos frais d'exploitation.

Q. Les montants des dépôts à terme étaient pris dans ce compte et y étaient déposés de nouveau?

R. C'est exact.

Q. C'est l'entente que vous aviez avec la banque Marine Midland?

R. C'est cela.

Il est évident que les sommes reçues par l'appelante, dont les commissions qui faisaient partie des primes brutes, n'étaient pas, du point de vue juridique, détenues en fiducie. Bien qu'il ne soit pas pertinent relativement aux faits de cette cause, le contrat de courtage déposé par l'appelante, auquel a fait référence le juge de la Cour de l'impôt, n'en confirme pas moins que les commissions de courtage, qui font partie des primes perçues au nom des assureurs, ne sont pas détenues en fiducie pour la simple et bonne raison que ces commissions ont été gagnées par l'appelante et lui appartiennent à compter de la date à laquelle elle a facturé les assurés. Autrement dit, les sommes appartenant à l'appelante n'ont pas été et ne peuvent avoir été caractérisées par une fiducie au bénéfice d'un tiers.

Il est manifeste que l'appelante a gagné, en fait et en droit, les commissions payées par les assureurs et qu'elle les a reçues, comme le démontrent le fait qu'elles ont été déposées à sa demande dans son compte de banque ainsi que le degré de contrôle qu'elle exerçait sur elles et les profits qu'elle en a tirées.

Les commissions reçues constituaient-elles des revenus de l'appelante?

Les sommes reçues, ou recettes, ne constituent pas des revenus d'un contribuable tant et aussi longtemps que son [traduction] "droit d'en disposer, de les utiliser et d'en profiter n'est pas absolu et libre de toute restriction, contractuelle ou autre"37.

S'appuyant sur cette jurisprudence, l'avocat de l'appelante a soutenu que les commissions n'étaient pas, pour cette dernière, de la nature d'un revenu car l'appelante n'avait que la possession temporaire de ces commissions, lesquelles ont été remises à MIPI et à Bowes, qui agissaient en tant que courtier dûment mandatés. Il a également prétendu que l'appelante n'avait pas sur ces sommes la possession, la maîtrise ou le contrôle nécessaires pour constituer une recette.

Comme je l'ai dit précédemment, l'appelante a exercé une grande part de contrôle sur les commissions qu'elle a générées, gagnées et reçues en raison de son travail. La preuve d'un contrôle plus poussé de ces commissions par l'appelante se retrouve dans les lettres accompagnant la remise de ces sommes à ses sociétés apparentées. Dans ces lettres, par exemple, l'appelante donnait instruction à Bowes and Company Inc. de Chicago, qui agissait en tant que courtier dûment mandaté, de garder un très faible pourcentage (1 ou 2 p. 100) des commissions et de donner le reste des commissions à Bowes and Associates, qui n'avait pas participé à l'opération commerciale38. De plus, dans les états financiers qu'elle a produit conformément à la Loi sur les sociétés par actions [L.R.C., (1985), ch. C-44], l'appelante a décrit comme revenus, à partir de la date de facturation du client, les commissions gagnées:

[traduction] Les commissions gagnées sont considérées comme des revenus lorsque le client est facturé, ce qui arrive généralement à la date d'entrée en vigueur des polices39.

C'est une fausse présentation des faits et du droit que de prétendre, comme l'appelante le fait maintenant, qu'elle s'est contentée d'agir à titre de mandataire de MIPI et de Bowes lorsqu'elle a produit et gagné ces commissions. J'estime que la preuve démontre clairement que, dans les cas où l'on croyait que les lois américaines interdisaient que les paiements soient effectués à l'appelante, l'appelante était le mandant tandis que MIPI et Bowes n'étaient que de simples véhicules servant à percevoir les revenus gagnés par celle-ci. Comme l'administrateur général de l'appelante l'a admis dans son témoignage, c'est l'expertise de l'appelante qui était à la base de toute l'entreprise40 et c'est cette entreprise qui gagnait les revenus. L'appelante a gagné et reçu les commissions et, comme le démontrent les faits, les a attribuées à Bowes ou à MIPI afin de se conformer à la réglementation étatique américaine en matière d'assurances, comme l'exigeaient certains (mais pas l'ensemble) des assureurs américains avec qui l'appelante faisait affaires.

J'estime que les conclusions de fait du juge de la Cour de l'impôt étaient amplement justifiées par la preuve et qu'il n'a commis aucune erreur de droit lorsqu'il a conclu que les commissions s'élevant à 7 065 641 $ constituaient des revenus de l'appelante. Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

1 Voir Minet Inc. c. R., [1996] 3 C.T.C. 2108 (C.C.I.).

2 Témoignage de A. B. Middleton, Dossier d'appel, appendice I, vol. 1, p. 51, l. 15 à 23 et p. 111, l. 12 à la p. 113, l. 9.

3 Les autres États sont l'Arizona, la Californie, le Colorado, le Delaware, la Georgie, l'Illinois, le Minnesota, le New Jersey, l'Ohio et la Pennsylvanie.

4 Supra, note 2, de la p. 75, l. 23 à la p. 76, l. 13.

5 Supra, note 2, de la p. 163, l. 19 à la p. 164, l. 15.

6 Supra, note 2, de la p. 50, l. 9 à 19.

7 Supra, note 2, de la p. 182, ll. 1 à 9.

8 Supra, note 2, de la p. 53, l. 21, à la p. 54, l. 1 et à la p. 135, l. 14 à 17.

9 Témoignage de T. Rosenthal, Dossier d'appel, appendice I, vol. II, de la p. 358, l. 11 à la p. 359, l. 21.

10 L'extrait de la pièce A-14 cité à la p. 2114 des motifs du jugement se lit:

[traduction] 1. Perception des primes"Le courtier est chargé de percevoir toutes les primes pour la compagnie. S'il ne peut percevoir une prime due à la compagnie, il doit, avant la date d'exigibilité de la prime, en aviser par écrit la succursale de la compagnie la plus proche. Toutes les primes perçues au nom de la compagnie, moins la commission du courtier, appartiennent à la compagnie et doivent être détenues en fiducie dans une banque ou une compagnie de fiducie. Les intérêts sur les fonds en fiducie appartiennent au courtier. [Italiques ajoutés.]

11 Témoignage de R. Bernier, Extrait des procédures, à la p. 12, l. 1.

12 Témoignage de A. B. Middleton, supra, note 2, à la p. 31, l. 9 à 15, et à la p. 32, l. 7 à 25. On peut dire que l'appelante se trouvait dans la position d'un "simple fiduciaire" n'ayant aucun intérêt personnel dans les primes et ne devant exercer aucune fonction, au nom des assureurs américains, autre que celle de remettre les primes aux assureurs à une date convenue. Voir D. W. M. Waters, Law of Trusts in Canada , 2e éd. (Toronto: Carswell, 1984), aux p. 27 et 28.

13 Supra, note 2, de la p. 115, l. 7 à la p. 118, l. 18.

14 A. B. Middleton a témoigné, pour l'appelante, sur l'existence d'une "coutume dans l'industrie" à l'appui de la déduction de la commission sur la prime (supra , note 2, à la p. 127, l. 18 à 25), au sujet des "termes commerciaux" entre l'appelante et les assureurs américains (supra , note 2, à la p. 130, l. 6 à 23) et sur "nos conditions de crédit avec l'assureur" (supra , note 2, à la p. 131, l. 2 à 7).

15 Voir le témoignage de M. Chambers, avocat de l'appelante, aux p. 4 et 12 de l'Extrait des procédures.

16 Winter c. Canada, [1991] 1 C.F. 585 (C.A.), à la p. 593; Fraser Companies Ltd c La Reine, [1981] CTC 61 (C.F. 1re inst.).

17 [1996] 3 R.C.S. 458.

18 Smith, D.N. c. La Reine (1993), 93 DTC 5351 (C.A.F.), à la p. 5356.

19 Voir le témoignage de M. Middleton, l'administrateur général de l'appelante, dans le dossier d'appel, appendice I, vol. 2, aux p. 205 et 206. [traduction] "Bowes and Company n'a joué aucun rôle dans ces négociations", "Nous avions une confiance limitée dans leur capacité de traiter ce genre de clients et ce genre d'entreprises de la manière dont nous nous attendrions à ce qu'ils soient traités". Le témoin, en réponse à une question portant sur les contacts qu'auraient eus MIPI et Bowes avec les clients, a dit: [traduction ] "Je n'arrive pas à imaginer un cas où ils auraient eu à le faire".

20 Dossier d'appel, appendice I, vol. 1, à la p. 198.

21 Id., aux p. 197 et 198. Voir aussi le dossier d'appel, appendice I, vol. 2, aux p. 238 et 239.

22 Dossier d'appel, appendice I, vol. 1, aux p. 115 et 116.

23 Id., aux p. 139 et 140.

24 Id., aux p. 141 et 142.

25 Id., aux p. 191 à 194.

26 Id., aux p. 127 et 128. Voir aussi appendice I, vol. 2, aux p. 249 et 250.

27 [1947] R.C.S. 431, à la p. 441.

28 8e éd. Oxford: Clarendon Press, 1990.

29 Minister of National Revenue v. John Colford Contracting Co. Ltd., [1960] R.C.É. 433.

30 405 U.S. 394 (1972), à la p. 403; Proctor and Gamble Co. v. C.I.R., 961 F.2d 1255 (6th Cir. 1992); Tower Loan of Mississippi Inc. v. Commissioner (1986), 71 T.C.M. 2581 (U.S. Tax Ct. 1986).

31 Voir Commissioner v. First Security Bank of Utah, N. A., 405 U.S. 394 (1972), à la p. 405; R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727, à la p. 732 (C.A.); Minister of National Revenue v. Eldridge, Olva Diana, [1965] 1 R.C.É. 758, à la p. 766.

32 Dossier d'appel, vol. 1, à la p. 80.

33 Id., à la p. 84.

34 Id., à la p. 88.

35 Dossier d'appel, appendice I, vol. 1, à la p. 32.

36 Id., aux p. 31 et 32.

37 Canadian Fruit Distributors Ltd. c. Minister of National Revenue, [1954] R.C.É. 551, aux p. 559 et 560; Kenneth B.S. Robertson Ltd. v. Minister of National Revenue, [1944] R.C.É. 180, aux p. 182 et 183.

38 Dossier d'appel, vol. 7, aux p. 856 à 872.

39 Dossier d'appel, vol. 3, à la p. 331. Notes aux États financiers, 31 décembre 1985.

40 Dossier d'appel, appendice I, vol. 1, à la p. 99.


     
   
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