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Référence : Zambon Group S.P.A. c. Teva Pharmaceu-tical Industries Ltd. (C.F.), 2005 CF 1585, (2005), [2006] 2 R.C.F. 722
Date : 23 novembre 2005
Dossier : T-213-04
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T‑213‑04

 

2005 CF 1585

 

Zambon Group S.P.A. (demanderesse)

 

c.

 

Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (défenderesse)

 

et entre

 

Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (demanderesse reconventionnelle)

 

c.

 

Zambon Group S.P.A., Zambon Corporation, Apotex Inc., et Torpharm Inc. (défendeurs reconventionnels)

 

Répertorié : Zambon Group S.P.A. c. Teva Pharmaceu-tical Industries Ltd. (C.F.)

 

Cour fédérale, juge Hansen—Toronto, 19 septembre; Ottawa, 23 novembre 2005.

 

Brevets — Pratique — Appel d’une décision par laquelle un protonotaire a rejeté la requête présentée par Teva Pharmaceutical Industries Ltd. en vue de faire radier des paragraphes de la défense reconventionnelle modifiée dans laquelle Apotex alléguait que le brevet de Teva est nul par application de l’art. 53(1) de la Loi sur les brevets parce qu’il contient une allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité — Teva soutient que les moyens invoqués dans les paragraphes en question ne pouvaient être retenus parce qu’ils ne renferment pas l’élément essentiel du « caractère délibéré » exigé par l’art. 53(1) de la Loi — Recension de la jurisprudence relative aux allégations importantes non conformes à la vérité —  Bien que le juge Binnie, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (C.S.C.), et le juge Stone dans l’arrêt 671905 Alberta Inc. c. Q’Max Solutions Inc. (C.A.F.) aient déclaré que, pour que le brevet soit nul, il faut une déclaration inexacte importante faite volontairement, il s’agissait d’opinions incidentes qui ne portaient pas sur la question de l’importance — Le débat reste ouvert sur la question de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel — La jurisprudence est flottante sur la question de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel du premier motif d’invalidité prévu à l’art. 53(1) de la Loi — Appel rejeté.

 

Il s’agit de l’appel d’une décision par laquelle un protono-taire a rejeté la requête présentée par Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (Teva) en vue de faire radier des paragraphes de la défense reconventionnelle modifiée dans laquelle Apotex alléguait que le brevet canadien no 2410867 (le brevet ʹ867) de Teva est nul par application du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets parce que la pétition contient une allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, en l’occurrence que les personnes nommément désignées dans la pétition sont les inventeurs et qu’il existe effectivement une invention. Teva soutenait que les moyens invoqués dans les paragraphes en question ne pouvaient être retenus parce qu’ils ne renfermaient pas l’élément essentiel du « caractère délibéré » exigé par le paragraphe 53(1) de la Loi. Le paragraphe 53(1) permet d’invalider un brevet si la pétition renferme une allégation importante non conforme à la vérité ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire et que l’omission ou l’ajout en question a été fait volontairement dans le but d’induire en erreur. Le protonotaire a conclu que l’on pouvait affirmer que le libellé du paragraphe 53(1) n’exige pas le caractère délibéré lorsque la validité du brevet est contestée pour le motif que la pétition renferme une allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité et il a rejeté la requête.


La question en litige dans le présent appel était celle de savoir s’il est « évident et manifeste » que l’allégation d’invalidité formulée dans les paragraphes contestés ne pouvait être retenue et, plus particulièrement, celle de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel aux termes du paragraphe 53(1).

 

Jugement : l’appel doit être rejeté.

 

Recension de la jurisprudence relative aux allégations importantes non conformes à la vérité. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., le juge Binnie a déclaré que, pour que le refus d’attribuer à des coinventeurs la paternité de l’invention rende le brevet nul par application du paragraphe 53(1) de la Loi, il faut établir que cette omission constituait une déclaration inexacte « importante » qui était « volontaire-ent faite pour induire en erreur ». Le protonotaire a eu tort d’établir une distinction entre la présente espèce et les affaires Wellcome Foundation et 671905 Alberta Inc. c. Q’Max Solutions Inc. (un arrêt de la Cour d’appel fédérale dans lequel le juge Stone a cité et adopté les propos du juge Binnie) au motif qu’elles portaient, non pas sur des « allégations importantes », mais sur des « omissions ». Toutefois, comme les propos tenus dans ce contexte par les juges Binnie et Stone au sujet du « caractère délibéré » constituaient des opinions incidentes et que le juge Binnie n’a pas traité de la question de l’importance, le débat reste ouvert sur la question de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel ou si ce type d’affaire sera tranchée à l’avenir sur le fondement de la question de l’importance. Enfin, compte tenu du fait que 1) les affaires Q’Max Solutions et Wellcome Foundation ne portaient pas sur le genre d’allégations qui sont soulevées en l’espèce; 2) les tribunaux répugnent à invalider un brevet en raison d’une erreur commise de bonne foi en ce qui concerne la désignation des inventeurs; 3) depuis la décision du juge Walsh dans l’affaire Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy (un jugement rendu en 1984 par la Section de première instance de la Cour fédérale), les tribunaux ne se sont pas directement penchés sur l’interprétation du paragraphe 53(1), de sorte que la jurisprudence est flottante sur la question de savoir si le « caractère délibéré » constitue un élément essentiel du premier motif d’invalidité prévu au paragraphe 53(1). Il n’était donc pas « évident et manifeste » que les moyens invoqués dans les paragraphes contestés ne sauraient être retenus.

 

lois et règlements cités

 

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 53.

 

jurisprudence citée

 

décisions examinées :

 

671905 Alberta Inc. c. Q’Max Solutions Inc., [2003] 4 C.F. 713; 2003 CAF 241; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153; 2002 CSC 77; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1991), 35 C.P.R. (3d) 417; 42 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.); conf. par [1993] A.C.F. no 659 (C.A.) (QL); Bayer AG c. Apotex Inc. [1998] A.C.F. no 1593 (1re inst.) (QL); Jules R. Gilbert Ltd. v. Sandoz Patents Ltd. (1970), 64 C.P.R. 14 (C. de l’É.); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [1998] A.C.F. 382 (1re inst.) (QL); Beloit Canada Ltée. c. Valmet Oy, [1984] A.C.F. no 124 (1re inst.) (QL); inf. par (1986), 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.); Proctor & Gamble Co. c. Bristol Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.); DEC International, Inc. c. A.L. LaCombe & Associates Ltd., [1989] A.C.F. no 631 (1re inst.) (QL); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495 (C.A.).

 

décision citée :

 

Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459; 2003 CAF 488.

 

APPEL d’une décision par laquelle un protonotaire a rejeté la requête présentée par Teva Pharmaceutical Industries Ltd. en vue de faire radier des paragraphes de la défense reconventionnelle modifiée dans laquelle Apotex alléguait que le brevet de Teva est nul par application du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Appel rejeté.


 

ont comparu :

 

Aucune comparution pour la demanderesse.

 

Ruth E. Promislow et Paul Taylor pour la défenderesse.

 

David E. Lederman pour les défendeurs reconventionnels.

 

avocats inscrits au dossier :

 

Riches, McKenzie & Herbert LLP, Toronto, pour la demanderesse.

 

Bennett Jones LLP, Toronto, pour la défenderesse.

 

Goodmans LLP, Toronto, pour les défendeurs reconventionnels.

 

Ce qui suit est la version française des motifs de lordonnance et de lordonnance rendus par

 

[1]La juge Hansen : Teva Pharmaceutical Industries Ltd.  (Teva), la défenderesse/demanderesse reconven-tionnelle, a déposé une requête en vue de faire radier les paragraphes 13 à 36 de la défense reconventionnelle modifiée dApotex Inc. (Apotex). Un protonotaire a rejeté la requête. La Cour est saisie de lappel de cette décision.

 

[2]Il nest pas nécessaire, dans les présents motifs, de retracer en détail la genèse de linstance. Teva, qui est propriétaire du brevet canadien no 2410867 (le brevet ʹ867), accuse Apotex de contrefaire plusieurs des revendications du brevet ʹ867. Dans les paragraphes contestés de sa défense, Apotex allègue que le brevet ʹ867 est nul par application du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 (la Loi), parce que « la pétition [] contient [une] allégation importante qui nest pas conforme à la vérité ». Dans sa défense, Apotex soutient essentiellement que la demande relative au brevet ʹ867 renferme des allégations qui induisent en erreur, en loccurrence que les personnes nommément désignées dans la pétition sont les inventeurs et quil existe effectivement une invention. Suivant Apotex, les pétitionnaires savaient que leur présumée invention était divulguée dans le dossier dantériorité et que Teva avait offert cette invention en vente avant la date pertinente en lespèce.

 

[3]Dans sa requête en radiation, Teva a soutenu que les moyens invoqués dans les paragraphes en question ne pouvaient être retenus parce quils ne renferment pas l’élément essentiel du « caractère délibéré » exigé par le paragraphe 53(1) de la Loi.

 

[4]Les paragraphes 53(1) et (2) de la Loi sont ainsi libellés :

 

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui nest pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins quil nest nécessaire pour démontrer ce quils sont censés démontrer, et si lomission ou laddition est volontairement faite pour induire en erreur.

 

(2) Sil apparaît au tribunal que pareille omission ou addition est le résultat dune erreur involontaire, et sil est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet, le tribunal rend jugement selon les faits et statue sur les frais. Le brevet est réputé valide quant à la partie de linvention décrite à laquelle le breveté est reconnu avoir droit.

 

[5]Le protonotaire a conclu que lon pouvait affirmer que le libellé du paragraphe 53(1) nexige pas le caractère délibéré lorsque la validité du brevet est contestée pour le motif que la pétition renferme une allégation importante qui nest pas conforme à la vérité. Pour en arriver à cette conclusion, le protonotaire a fait observer ce qui suit :


[traduction] Larrêt 671905 Alberta Inc. c. QMax Solutions Inc., [2003] 4 C.F. 713 de la Cour dappel fédérale et lopinion incidente formulée par le juge Binnie dans larrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 94 (C.S.C.), semblent imposer le caractère délibéré comme quatrième facteur auquel il faut satisfaire pour établir linvalidité dun brevet lorsquil est allégué que la pétition renferme une allégation importante non conforme à la vérité. Il est toutefois possible d’établir une distinction entre ces deux affaires et la présente pour le motif quelles portaient, non pas sur des allégations importantes, mais sur des omissions. À défaut de décision interprétant explicitement le libellé du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets comme imposant le caractère délibéré comme condition essentielle devant être respectée pour obtenir gain de cause sur le premier motif dinvalidité prévu à ce paragraphe, je me contenterais dapprouver la décision rendue par la Cour dans laffaire Bayer AG c. Apotex, [1998] A.C.F. no 1593, au paragraphe 22, ainsi que les propos non équivoques tenus par les auteurs Hughes et Woodleys dans leur ouvrage Hughes and Woodleys on Patents, paragraphe 17b), à la page 383 :

 

[traduction] Selon cette disposition de la Loi, il suffit, pour quun brevet soit nul, que la pétition renferme une allégation importante qui nest pas conforme à la vérité; aucune preuve du caractère délibéré nest nécessaire.

 

[6]Selon Teva, le protonotaire a mal interprété les arrêts 671905 Alberta Inc. c. QMax Solutions Inc., [2003] 4 C.F. 713 (C.A.); et Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, lorsquil a établi une distinction avec ces affaires pour le motif quelles portaient sur des « omissions » plutôt que sur des « allégations ». Teva soutient que cette distinction est indéfendable parce que, dans les deux affaires en question, le tribunal a assimilé les « omissions » aux « allégations » visées au paragraphe 53(1).

 

[7]Teva soutient que, dans larrêt QMax Solutions,  la Cour dappel fédérale a, en appliquant larrêt Wellcome Foundation, de la Cour suprême du Canada, explicitement écarté linterprétation restrictive que le juge de première instance avait donnée du paragraphe 53(1) et qui aurait exigé la preuve du caractère délibéré dans le cas des ajouts et des omissions constatés dans le mémoire descriptif ou les dessins mais non dans le cas des allégations importantes. Par conséquent, invoquant le principe de lautorité de la chose jugée, Teva affirme quaucune valeur ne devrait être accordée à la décision du tribunal inférieur sur laquelle le protonotaire sest fondé, pas plus qu’à louvrage de doctrine quil cite.

 

[8]Bien que le protonotaire nait pas expressément abordé la question, Teva soutient également que les moyens articulés dans les paragraphes en question ne peuvent être retenus parce quils révèlent ce qui constitue essentiellement un argument tiré de lantériorité et quune allégation dantériorité ne permet pas dinvoquer valablement un moyen de défense fondé sur le paragraphe 53(1).

 

[9]Se fondant sur le libellé du paragraphe 53(1), Apotex fait valoir que le caractère délibéré ne constitue pas un élément essentiel lorsquune allégation importante qui nest pas conforme à la vérité est formulée. À lappui de cet argument, Apotex invoque les décisions Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1991), 35 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.); conf. par [1993] A.C.F. no 659 (C.A.) (QL), et Bayer AG c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 1593 (1re inst.) (QL). Apotex affirme quil y a lieu d’établir une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux dont avait été saisie la Cour dappel fédérale dans laffaire QMax Solutions. Elle prétend que cette affaire ne sapplique pas au genre dallégation importante non conforme à la vérité dont il est question dans le cas qui nous occupe. Au sujet de largument de Teva suivant lequel un argument tiré de lantériorité ne permet pas dinvoquer un moyen de défense fondé sur le paragraphe 53(1), Apotex rétorque que les mêmes faits peuvent étayer des arguments juridiques différents et quelle a le droit de faire valoir tous les moyens de droit qui lui sont ouverts.

 

[10]Comme les questions soulevées dans la requête de Teva auront une influence déterminante sur lissue de laffaire, je vais statuer sur le présent appel en reprenant laffaire depuis le début, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui mest conféré (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.F.)).

 

 


[11]La question en litige dans le présent appel est celle de savoir sil est « évident et manifeste » que lallégation dinvalidité formulée dans les paragraphes contestés ne peut être retenue et, plus particulièrement, celle de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel en vertu du paragraphe 53(1).

 

[12]Le paragraphe 53(1) prévoit deux motifs permettant dinvalider un brevet : premièrement, la présence dans la pétition dune allégation importante non conforme à la vérité et, deuxièmement, le fait que le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins quil nest nécessaire et le fait que lomission ou lajout en question a été fait volontairement dans le but dinduire en erreur (Rothmans, à la page 428).

 

[13]En ce qui a trait à la question de savoir ce qui constitue une allégation « importante », toujours dans la décision Rothmans, le juge Rouleau a cité la décision Jules R. Gilbert Ltd. v Sandoz Patents Ltd. (1970), 64 C.P.R. 14 (C. de l’É.), dans laquelle le juge Thurlow [tel était alors son titre] sest dit davis que les allégations « importantes » contenues dans la pétition sont lallégation que le demandeur a fait linvention sur laquelle le monopole est accordé et lallégation des faits qui sont nécessaires pour satisfaire aux dispositions de la loi.

 

[14]Plus tard, dans laffaire Bayer AG c. Apotex Inc., au paragraphe 22, le juge Gibson sest penché sur le paragraphe 53(1) (qui était alors le paragraphe 55(1) de la Loi) dans le contexte de lomission de divulguer des demandes et des brevets présentés à l’étranger. Au sujet des exigences relatives au premier motif dinvalidité, le juge a signalé les trois éléments suivants : 1) lallégation est faite dans la pétition, 2) lallégation nest pas conforme à la vérité et 3) lallégation est importante.

 

[15]Dans laffaire Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [1998] A.C.F. no 382 (1re inst.) (QL), le débat tournait notamment autour de la paternité de linvention. Les demanderesses ont allégué que lomission de nommer les deux coinventeurs constituait une allégation importante non conforme à la vérité qui rendait le brevet nul pour le premier motif prévu au paragraphe 53(1). Les défenderesses ont soutenu que, pour obtenir gain de cause sur ce moyen, les demanderesses devaient établir que lallégation non conforme à la vérité avait été faite volontairement dans le but dinduire en erreur. Les défenderesses ont soutenu par ailleurs que, si elle est faite par inadvertance et de bonne foi, lomission de nommer les inventeurs ne peut entraîner linvalidité du brevet.

 

[16]En première instance, le juge Wetston a conclu, au vu de lensemble de la preuve, que les deux personnes en cause étaient des coinventeurs. Il a signalé que le cas qui lui était soumis sapparentait à laffaire Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1984] A.C.F. no 124 (1re inst.) (QL) (infirmée sur dautres moyens à (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.)) dans laquelle le juge Walsh a dit aux pages 28 et 29 :

 

Même sans tenir compte de la jurisprudence, il suffit de lire attentivement larticle 55(1) [maintenant le paragraphe 53(1)] de la Loi sur les brevets (précité) pour savoir quun brevet peut être nul sil contient quelque allégation importante qui ne soit pas conforme à la vérité. Cette disposition étant suivie du mot « ou » et se terminant par « et si lomission ou laddition est volontairement faite pour induire en erreur », cela ne sapplique de toute évidence qu’à la deuxième et à la troisième phrases de larticle car sa première phrase na trait ni aux omissions ni aux additions. Le paragraphe 2 permet à la Cour destimer que lomission ou laddition est le résultat dune erreur involontaire, et que le breveté a droit au reste de son brevet. Il ne sapplique toutefois qu’à la deuxième et à la troisième phrases du paragraphe 1. Ce que la Cour est tenue de déterminer dans le cas présent, qui na trait ni aux omissions ni aux ajouts qui sont faits dans les mémoires descriptifs ou sur les dessins, cest si les allégations erronées de la pétition sont « substantielles », aucune preuve de la fraude ni de lintention dinduire en erreur n’étant nécessaire.

 

[17]Comme la preuve ne permettait pas de conclure que lomission de nommer les deux coinventeurs avait été faite volontairement dans le but dinduire en erreur, le juge Wetston a estimé que la question en litige était de savoir si le défaut de nommer tous les véritables inventeurs constituait une omission suffisamment importante pour rendre le brevet nul.

 


[18]Le juge Wetston a conclu que lomission de nommer les coinventeurs ne constituait pas une allégation importante. Pour en arriver à cette conclusion, il sest fondé sur la décision Jules R. Gilbert Ltd. v. Sandoz Patents Ltd., au sujet de ce qui constitue une allégation importante, et sur la décision Proctor & Gamble Co. c. Bristol Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), à la page 157, où le juge Addy a expliqué que le fait que le demandeur soit linventeur ou lun de deux coinventeurs est sans conséquence pour le public, puisque ce fait ne touche ni la durée ni lessence du brevet ni même le fait dy avoir droit. Il a également souscrit à l’énoncé que lon trouve dans la décision DEC International, Inc. c. A.L. LaCombe & Associates Ltd., [1989] A.C.F. no 631 (1re inst.) (QL) suivant lequel les tribunaux devraient chercher à protéger les droits des inventeurs véritables et que les erreurs commises de bonne foi sur la paternité de linvention ne sauraient renverser la présomption de validité du brevet.

 

[19]En  appel, la Cour dappel fédérale a conclu, dans larrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495, que les deux personnes en question n’étaient pas des coinventeurs. Le juge Sexton a poursuivi en examinant larticle 53 de la Loi pour le cas où cette conclusion de fait savérerait par la suite erronée. Sur la question de savoir « si lomission de nommer un coinventeur dans la pétition relative à un brevet constitue, au sens de larticle 53 de la Loi sur les brevets, une allégation importante suffisante pour invalider un brevet », le juge Sexton a dit, au paragraphe 47 :

 

Je souscris à la décision du juge de première instance selon laquelle lomission de nommer un coïnventeur dans une demande de brevet ne constitue pas une « allégation importante » qui nest pas conforme à la vérité, suffisante pour invalider un brevet conformément à larticle 53 de la Loi sur les brevets. Comme le juge Addy la statué dans laffaire Procter & Gamble Co. c. Bristol‑Myers Canada Ltd. ((1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.); conf. par (1979), 42 C.P.R. (2d) 33 (C.A.F.)), « le fait que le demandeur soit linventeur ou lun des coïnventeurs est sans conséquence pour le public, puisque ce fait ne touche ni la durée ni le fond du brevet ni même le fait dy avoir droit » (ibid., à la p. 157). Jestime que le juge de première instance a donc conclu à juste titre que lomission de nommer un coinventeur dans une pétition relative à un brevet ne constitue pas une « allégation importante » qui entraîne linvalidité dun brevet conformément à larticle 53 de la Loi sur les brevets.

 

[20]Après que la Cour dappel eut rendu larrêt Wellcome Foundation, mais avant que la Cour suprême du Canada ne prononce sa décision dans la même affaire, la Section de première instance de la Cour fédérale a jugé laffaire QMax Solutions. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer lidentité du véritable inventeur du brevet en litige. Le juge Gibson a conclu, au vu de la preuve, que le véritable inventeur était quelquun dautre que les deux inventeurs nommés.

 

[21]Le juge Gibson a fait remarquer que lespèce qui lui était soumise sapparentait aux affaires Wellcome Foundation, et Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, étant donné quil n’était pas allégué que lerreur commise dans la désignation des inventeurs avait été faite volontairement dans le but dinduire en erreur. Il a toutefois établi une distinction entre les faits de la cause dont il était saisi et ceux de laffaire Wellcome Foundation, en signalant que, dans ce dernier cas, lerreur avait consisté, non pas à désigner quelquun qui s’était avéré ne pas être linventeur, mais plutôt dans le fait quon avait omis de nommer les coinventeurs. Il a conclu que le brevet était nul en raison de lexistence dune allégation importante non conforme à la vérité.

 

[22]Cest alors que la Cour suprême du Canada a rendu larrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153. Pour analyser la question de savoir si c’était à tort, comme laffirmaient les appelantes, que lon avait refusé dattribuer à deux personnes la paternité de linvention, le juge Binnie a déclaré ce qui suit en guise dintroduction [au paragraphe 94] :

 

Pour que cet argument joue en faveur des appelantes (par opposition aux Drs Broder et Mitsuya), celles‑ci doivent en outre établir que cette omission constituait une déclaration inexacte « importante » qui était « volontairement faite pour induire en erreur ». Si tel était le cas, le brevet serait nul conformément au par. 53(1) de la Loi sur les brevets.

 

[23]Après une analyse approfondie du rôle joué par les deux personnes en question, le juge Binnie a conclu quelles n’étaient pas coinventeurs du brevet en litige.


[24]Au sujet de l’« importance de la paternité conjointe de linvention » et de la conclusion du juge Wetston suivant laquelle lomission de nommer les coinventeurs dans le brevet ne constituait pas une déclaration inexacte importante qui justifierait linvalidation du brevet, le juge Binnie a estimé quil n’était pas nécessaire dexaminer davantage la question de limportance, non seulement en raison de la conclusion que les deux personnes en cause n’étaient pas, en fait, des coinventeurs, mais encore parce quil nexistait aucune preuve que lomission de les désigner avait été « volontairement faite pour induire en erreur » au sens du paragraphe 53(1).

 

[25]La décision la plus récente qui est pertinente pour la présente discussion est larrêt QMax Solutions, de la Cour dappel fédérale. Au sujet de la question de la paternité de linvention, le juge Stone a confirmé la conclusion du juge Gibson selon laquelle les inventeurs dont le nom figurait dans le brevet n’étaient pas les véritables inventeurs. Il a ensuite examiné largument des appelantes suivant lequel il n’était pas loisible au juge de première instance dinvalider le brevet en vertu du paragraphe 53(1) étant donné que personne ne soutenait que lerreur de désignation avait été « faite volontairement pour induire en erreur ».

 

[26]Après un examen de la jurisprudence, le juge Stone a cité larrêt Wellcome Foundation, de la Cour suprême du Canada et notamment les propos du juge Binnie aux paragraphes 94 et 109, pour conclure, au paragraphe 31 :

 

Par conséquent, la position qui est adoptée de nos jours est quune « allégation importante » non conforme à la vérité qui consiste à omettre de désigner les coinventeurs dans une pétition visant lobtention dun brevet na pas pour effet de rendre le brevet nul si lallégation n’était pas « volontairement faite pour induire en erreur ».

 

[27]Pour ce qui est de largument quil était possible de faire une distinction avec laffaire Wellcome Foundation, parce que, dans cette dernière, les personnes qui étaient désignées comme inventeurs étaient en fait les inventeurs, alors que dans le cas soumis à la Cour dappel, les personnes nommément désignées n’étaient pas les inventeurs, le juge Stone a estimé que cette distinction navait pas pour effet de faire tomber laffaire sous le coup du paragraphe 53(1) parce que les personnes en question navaient pas été « délibérément désignées comme inventeurs pour induire en erreur » [au paragraphe 32].

 

[28]À la lumière de la décision DEC International, Inc. c. A.L. LaCombe & Associates Ltd., le juge Stone a également estimé que, si les personnes en cause navaient pas lintention dinduire volontairement en erreur en se désignant comme inventeurs, lomission de désigner le véritable inventeur ne justifiait pas la réparation « draconienne » prévue au paragraphe 53(1).

 

[29]Compte tenu de cette recension de la jurispru-dence, voici maintenant mes conclusions. Je dois dabord me dissocier de la conclusion du protonotaire suivant laquelle il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et les affaires Wellcome Foundation et QMax Solutions, pour le motif quelles portaient sur des « omissions » et non sur des « allégations importantes ». Il ressort à l’évidence des diverses décisions qui ont été rendues dans ces deux affaires au sujet de la paternité de linvention que c’était le premier motif dinvalidité prévu au paragraphe 53(1) qui était en cause. De même, dans ces deux affaires, un des éléments essentiels de lanalyse du tribunal était la question de savoir si lomission de nommer les coinventeurs ou le fait de ne pas avoir mentionné le nom du véritable inventeur constituait une allégation « importante ». Bien que je convienne avec le protonotaire quil nexiste aucune décision dans laquelle le tribunal a explicitement interprété le libellé du paragraphe 53(1) comme exigeant le caractère délibéré comme condition essentielle à lapplication du premier motif, il ressort implicitement des motifs du juge Stone que, lorsque linventeur dont le nom est mentionné dans la pétition nest pas le véritable inventeur et que lidentité du véritable inventeur nest pas précisée, il faut, pour que le brevet puisse être jugé invalide, démontrer que la désignation erronée de linventeur a été « volontairement faite pour induire en erreur».

 


[30]Dans le cas de lomission de nommer un coinventeur, le juge Sexton a souscrit à lanalyse du juge Wetston, suivant lequel il ne sagit pas là dune allégation « importante ». Compte tenu du fait que les propos tenus dans ce contexte par les juges Binnie et Stone au sujet du « caractère délibéré » constituaient des opinions incidentes et que le juge Binnie na pas traité de la question de limportance, le débat reste ouvert sur la question de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel ou si ce type daffaire sera tranchée à lavenir sur le fondement de la question de limportance.

 

[31]Enfin, compte tenu du fait que :

 

a) ces deux affaires portaient expressément sur la paternité de linvention et non sur le genre dallégations qui sont soulevées en lespèce;

 

b) les tribunaux répugnent à invalider un brevet en raison dune erreur commise de bonne foi en ce qui concerne la désignation des inventeurs;

 

c) depuis la décision du juge Walsh dans laffaire Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, les tribunaux ne se sont pas directement penchés sur linterprétation du paragraphe 53(1);

 

je ne suis pas convaincue, eu égard aux circonstances de la présente espèce, quil est bien établi par la jurisprudence que le « caractère délibéré » constitue un élément essentiel du premier motif dinvalidité prévu au paragraphe 53(1). En conséquence, je ne suis pas persuadée quil est « évident et manifeste » que les moyens invoqués dans les paragraphes contestés ne sauraient être retenus. Vu cette conclusion, il nest pas nécessaire dexaminer le second argument invoqué par Teva.

 

[32]Pour ces motifs, lappel est rejeté et les dépens sont adjugés à Apotex.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que lappel soit rejeté et que les dépens soient adjugés à Apotex.

     
   
Mise à jour : 20070412 Page facile à imprimer Avis Importants
   
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