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Discours

Notes pour une allocution de Karen Kain à l’Art Gallery of Alberta

Notes pour une allocution de
Karen Kain, présidente
Conseil des Arts du Canada
À l’Art Gallery of Alberta
Edmonton (Alberta)
Le lundi 5 juin 2006

Je suis ravie d’être de nouveau à Edmonton. L’automne dernier, la tournée du Ballet national du Canada m’amenait à Edmonton. J’étais alors ici non seulement à titre de directrice artistique du Ballet, mais aussi à titre de présidente du Conseil des Arts du Canada. Je garde d’excellents souvenirs de cette visite. À cette occasion, j’ai rencontré différentes personnes de la communauté artistique ainsi que le conseiller municipal Michael Phair. Ce dernier me confiait alors vouloir présenter au conseil municipal une proposition visant à appuyer la campagne de la Coalition canadienne des arts, campagne qui, je le rappelle, militait pour un accroissement du soutien fédéral aux arts et, conséquemment, pour une augmentation des fonds accordés au Conseil des Arts du Canada.

Comme ce fut le cas dans plusieurs autres grandes villes canadiennes, le conseil municipal d’Edmonton a adopté la proposition. Combinées aux autres efforts de la Coalition, ces démarches ont eu un réel écho à Ottawa auprès du précédent gouvernement. De fait, quelques mois à peine après ma visite à Edmonton, le gouvernement annonçait une augmentation considérable du crédit parlementaire du Conseil. Tout cela est désormais de l’histoire ancienne, et il est temps de passer à une nouvelle réalité!

Depuis longtemps, le Conseil entretient de nombreux liens avec Edmonton.

Sur le plan financier, nous accordons plus de 3 M$ d’appui au florissant milieu artistique d’Edmonton.

Au fil des ans, le Conseil des Arts a bénéficié de la présence d’éminents Albertains à son conseil d’administration, dont l’ancienne présidente Gertrude Laing, Sandra LeBlanc, Jeanne Lougheed et l’incomparable sénateur Tommy Banks. Aujourd’hui, Esther Ondrack, femme d’affaires, bénévole et mécène des arts d’Edmonton, siège à notre conseil d’administration. Bel exemple du dévouement typique aux Albertains, elle est l’un des atouts du Conseil.

Récemment, l’Alberta adhérait au réseau regroupant les trois ordres de gouvernement, réseau au sein duquel participe activement le Conseil. Réunissant régulièrement les principaux bailleurs de fonds du domaine des arts, soit les gouvernements fédéral, provincial et municipal, ainsi que les fondations, ce forum a pour objet de favoriser l’échange de renseignements et de pratiques exemplaires et le traitement de dossiers d’intérêt commun, et de susciter une collaboration plus efficace entre les participants.

Sur le plan artistique, Edmonton est certes remarquable. Cette ville de festivals, dont le célèbre festival Fringe, possède un milieu artistique débordant de vitalité, une vibrante communauté francophone ainsi qu’une formidable infrastructure, et il va sans dire qu’elle fourmille de projets. Guidée par un maire dynamique et un conseil municipal qui appuient fermement les arts, la ville d’Edmonton peut aussi compter sur l’efficace Edmonton Arts Council. Au fil de son histoire, Edmonton a aussi tiré profit de la présence de leaders et de philanthropes réputés et elle en bénéficie encore aujourd’hui. En ce qui a trait au soutien de philanthropes aux arts ainsi qu’à celui du secteur privé, l’Alberta se classe au premier rang des provinces. Il importe de souligner le rôle essentiel joué par nos collègues de la Alberta Foundation for the Arts, car ceux-ci ont contribué à stimuler les arts et la culture en Alberta et à favoriser l’apport des universités et collèges albertains au développement des arts de la province. Le Conseil appuie et encourage la Alberta Foundation dans ses efforts pour obtenir les ressources qui lui permettront de suivre le rythme de croissance des arts dans la province.

Bref, vous jouissez ici d’une vie artistique et culturelle très enviable.

Je remercie sincèrement le Edmonton Arts Council ainsi que Catrin Owen et John Mahon, qui m’ont invitée à prendre la parole ce soir. Si je profite de cette occasion pour parler des arts en général et, plus particulièrement, du Conseil des Arts du Canada dans le contexte de la planification culturelle de votre ville, c’est qu’il est encourageant d’apprendre qu’Edmonton emprunte justement la voie de la planification culturelle.

Vous m’avez invitée à parler de l’avenir des arts, et je le ferai. Toutefois, j’aimerais d’abord ouvrir une parenthèse afin de vous faire part des derniers développements survenus au Conseil des Arts du Canada.

À la fin d’avril, le Conseil a appris que le gouvernement avait accepté la recommandation de la candidature de Robert Sirman au poste de directeur, recommandation faite par son conseil d’administration. La nomination de M. Sirman a été confirmée la semaine dernière par le Comité permanent du patrimoine canadien, et nous avons bien hâte d’accueillir notre nouveau directeur cet été. Actuellement directeur administratif de l’École nationale de ballet, M. Sirman remplacera M. John Hobday, dont le mandat a pris fin en janvier dernier.

Au poste de directeur, M. Sirman devra faire preuve d’un esprit visionnaire et pragmatique, d’un esprit capable de guider et de mobiliser le Conseil, et de l’amener à atteindre de nouveaux sommets d’excellence. L’avenir laisse présager de nombreux défis. Tout en faisant preuve d’ouverture à l’égard des nouvelles pratiques artistiques et des besoins culturels d’une population de plus en plus diversifiée, le Conseil devra répondre aux besoins des artistes et des organismes artistiques établis. Le Conseil devra continuer de refléter les préoccupations régionales à l’intérieur d’un contexte artistique d’envergure nationale.

Nous sommes persuadés que M. Sirman sera à la hauteur de ces attentes.

Plus récemment, nous avons appris avec plaisir que de nouveaux fonds seraient alloués au Conseil des Arts dans le budget fédéral. Puisque le gouvernement avait souligné à maintes reprises qu’il ne traiterait que de cinq dossiers prioritaires ― parmi lesquels les arts ne figuraient pas ―, cette nouvelle a été bien accueillie. En réalité, le Conseil estimait avoir peu de chance d’obtenir de nouveaux fonds.

Avant cette annonce, alors que les perspectives en matière de financement des arts semblaient plutôt sombres, la communauté artistique a sans relâche fait valoir l’importance et l’urgente nécessité d’accroître les fonds investis dans les arts. À l’échelle nationale, la Coalition canadienne des arts a sans cesse défendu la cause de l’accroissement des fonds alloués aux arts et, corollairement, celle de l’accroissement du budget du Conseil des Arts. Son message a été renforcé par les provinces et les municipalités, notamment par des villes comme Montréal.

L’augmentation cumulative de 50 M$ répartie sur deux ans ― qui signifie concrètement une augmentation de 30 M$ à notre crédit parlementaire la deuxième année ― est déterminante parce qu’elle reconnaît :

  • la volonté continue du gouvernement d’assumer ses responsabilités à l’égard du financement des arts;
  • le rôle d’intermédiaire que joue le Conseil des Arts entre le gouvernement et la population en ce qui a trait à la responsabilité fédérale de soutien aux arts;
  • les besoins urgents dans le domaine artistique;
  • les avantages qu’apporte un secteur artistique vigoureux, créatif et viable aux Canadiennes et aux Canadiens, ainsi qu’à leurs communautés.

Nous sommes reconnaissants envers le gouvernement de ces fonds additionnels et de son projet d’élimination de l’impôt sur les gains en capital, gains liés aux dons faits aux œuvres de bienfaisance ― dont ceux faits aux arts ― sous forme de titres à valeur accrue. Cette dernière mesure aura d’importantes retombées sur les centaines d’organismes artistiques qui dépendent d’activités de financement pour suppléer aux revenus provenant du secteur public ou d’autres sources.

L’annonce de l’augmentation des fonds accordés au Conseil ne signifie pas que le débat public sur le financement des arts par les gouvernements soit clos, mais elle indique plutôt que la discussion avec le présent gouvernement est bien amorcée. Pour cette raison, nous avons accueilli avec enthousiasme cette nouvelle budgétaire et avons ainsi fait écho aux nombreux encouragements reçus de la grande communauté artistique pancanadienne.

Bien que le financement qu’accorde le gouvernement fédéral aux arts soit évidemment important, le soutien aux arts est une responsabilité que se partagent les autres ordres de gouvernement. Toutefois, le soutien fédéral a un effet d’entraînement que nous avons parfois tendance à sous-estimer.

Lorsque le gouvernement fédéral investit dans une activité, son appui a un effet de persuasion, voire de légitimation, auprès des autres ordres de gouvernement ainsi qu’auprès du secteur privé et des particuliers. Si la contribution du gouvernement fédéral est dérisoire, cela transmet le message que le soutien aux arts n’est guère important.

Le financement du Conseil des Arts est donc essentiel non seulement à cause de ses effets immédiats sur les collectivités canadiennes, mais aussi en raison de son incidence à plus long terme sur l’appui d’autres sources de financement des secteurs public et privé, ainsi que de la grande entreprise.

Une étude menée récemment par McKinsey & Company, pour le compte du Conseil pour le Monde des Affaires et des Arts du Canada, décrit clairement comment le financement du secteur public exerce un effet d’entraînement et de légitimation auprès du secteur privé. Le rapport souligne que, au Canada, grâce aux revenus de fréquentation et à l’accroissement du tourisme, le secteur des arts génère un excellent rendement. Les arts de la scène, par exemple, offrent, lorsqu’on inclut les avantages directs et indirects, un rendement de plus de 200 %. Comme l’indique la conclusion du rapport McKinsey, les collectivités canadiennes sont les réels bénéficiaires de l’investissement culturel.

Permettez-moi de vous citer un extrait de ce rapport :

« Le résultat le plus important de l’étude ne repose pas sur des bases économiques.

Si les chefs des grandes entreprises ont trouvé les chiffres saisissants, ils ont toutefois reconnu que le “rendement” réel de la culture n’est pas pécuniaire. Nous ne créons pas des œuvres d’art pour des raisons économiques, et le facteur économique n’explique pas la nécessité des arts dans nos vies.

L’art exprime notre unicité : l’art préserve l’histoire de nos vies, suscite les débats d’idées, rehausse notre niveau d’éducation, favorise l’engagement communautaire, sert de fondement à l’identité nationale et encourage l’expression de nos multiples cultures.

L’art contribue au renouveau des quartiers, attire des employés créatifs, favorise l’engagement du personnel au sein des entreprises et offre d’uniques perspectives de commercialisation aux entreprises.

Les partenariats artistiques publics-privés sont les assises financières de la créativité qui, elle, confère une valeur unique à la société, à la communauté et à l’entreprise. »

(Fin de la citation)

Nous continuerons donc à établir le bien-fondé d’investissements additionnels dans les arts, à collaborer avec la ministre du Patrimoine canadien, Bev Oda, et avec le gouvernement, et à mettre en valeur la formidable contribution qu’apportent les arts dans la vie des Canadiennes et des Canadiens, dans leurs villes, dans leurs communautés. J’espère que les gens d’Edmonton se porteront à nouveau à la défense de cette cause auprès des députés fédéraux et des dirigeants politiques.

Parallèlement, nous veillerons à répartir de la façon la plus efficace qui soit les fonds additionnels prévus au budget. Si l’approbation de ces initiatives budgétaires suit son cours normal, le Conseil des Arts devrait recevoir ces fonds, au plus tôt, à la fin de 2006.

La répartition de ces nouveaux fonds pose au Conseil des défis complexes. L’organisme devra entreprendre un examen lucide des besoins du secteur des arts, des perspectives de ce secteur et de ses propres processus opérationnels.

Bien que nos principales orientations soient déjà clairement posées, le conseil d’administration du Conseil devra établir et examiner les modalités des dépenses; et les différentes subventions seront toujours accordées selon le procédé habituel d’évaluation par les pairs.

Le Conseil des Arts doit s’assurer que les fonds seront investis de manière à produire d’importantes retombées auprès des artistes, des organismes artistiques et des communautés de tout le pays, et il doit veiller à rentabiliser le plus possible son investissement.

En d’autres mots, le Conseil des Arts ne fera pas simplement que diviser, selon, par exemple, un pourcentage égal et fixe, les nouveaux fonds parmi les centaines de subventions accordées aux organismes artistiques et artistes. Il veillera à investir stratégiquement ces fonds de manière à stimuler grandement la création, la production et la diffusion artistiques. Il veillera aussi à établir comment ces fonds pourront produire des résultats probants qui traduiront l’amélioration de la qualité de vie de tous nos concitoyens. Essentiels, ces résultats justifieront nos futures demandes de fonds additionnels.

Nous n’aurons effectivement d’autre choix que de demander des fonds additionnels : le Canada arrive loin derrière bon nombre de pays développés sur le plan du soutien aux arts par habitant. Je parle ici du soutien accordé par l’entremise de conseils des arts. Ce soutien, qui varie de plus de 24 $ (24,36 $) en Angleterre à près de 11 $ (10,97 $) en Norvège ou à près de 7 $ (6,91 $) en Australie, ne se chiffre qu’à environ 5,50 $ au Canada, et ce, en tenant compte de l’augmentation du dernier budget. Collectivement, nous aurons donc fort à faire pour combler cet écart.

Il faut agir de façon stratégique. Tout en maintenant l’excellence artistique comme critère premier, il faut :

  • reconnaître le rôle de source de créativité que jouent les organismes artistiques;
  • accroître les tournées artistiques et la diffusion des arts aux échelles locale, régionale, nationale et internationale, multiplier les occasions qu’ont les Canadiennes et les Canadiens d’être exposés aux arts et accroître la participation de ces derniers à la création artistique;
  • offrir à nos artistes les plus prometteurs les moyens et les occasions de perfectionner leur art en les appuyant aux moments clés de leur cheminement professionnel.

Nous sommes conscients que le gouvernement, la communauté artistique, les médias et le public surveilleront de près l’utilisation que fera le Conseil des Arts de ces nouveaux fonds. Mes collègues du conseil d’administration partagent mes préoccupations et mon enthousiasme à l’égard de l’avenir, et nous sommes prêts à relever ces défis.

Cependant, il importe de tenir compte de l’histoire et de l’évolution d’un organisme et, heureuse coïncidence, le Conseil des Arts du Canada célébrera son 50e anniversaire en mars 2007, soit 50 années de croissance exceptionnelle des arts partout au pays.

En 1957, le gouvernement de l’époque avait profité de la somme inattendue que représentaient les 100 M$ en droits de succession perçus au décès de deux financiers des Maritimes pour créer le Conseil des Arts. Cette décision était audacieuse et visionnaire.

Deux années après la création du Conseil des Arts du Canada, le gouvernement de l’Alberta créait une division responsable de la culture. L’Alberta a ainsi été l’une des premières provinces (après la Saskatchewan, qui avait créé un conseil des arts en 1948) à adopter une mesure si proactive pour le soutien aux arts.

La création du Conseil des Arts du Canada découlait de la recommandation de la Commission Massey-Lévesque, qui avait examiné la situation des arts, des lettres et des sciences partout au pays, à la fin des années 1940 et au début des années 1950. La Commission avait alors constaté que les Canadiennes et les Canadiens étaient animés d’une véritable « passion pour les arts » et qu’une activité artistique florissante balayait tout le pays.

Cependant, à cette époque, les arts professionnels étaient essentiellement inexistants.

Les artistes quittaient le Canada faute de pouvoir y gagner leur vie. La quasi-totalité de nos livres venait de Grande-Bretagne ou de France; les artistes de la scène étaient des Américains en tournée; et les spectacles étaient offerts dans les gymnases et les auditoriums d’écoles. Le Canada était totalement absent de la scène culturelle internationale.

La création du Conseil des Arts du Canada avait donc pour objet de donner libre cours au riche potentiel de talents créatifs canadiens, de satisfaire la vive soif de la population du pays pour ses propres artistes et ses propres récits, et d’assurer la participation de toutes les cultures du Canada sur la scène internationale.

En 1957, aurait-on pu prévoir la transformation qui allait par la suite s’opérer?

Nous vivons actuellement dans un monde où priment le rendement et la valeur quantifiable des choses. Aussi, lorsque nous contemplons les réalisations passées, nous ne pouvons que constater à quel point l’investissement soutenu et patient de fonds publics dans les arts, par l’entremise du Conseil des Arts, des provinces et des municipalités, a eu de profondes répercussions sur notre pays, sur nos vies et sur nos communautés. Les statistiques quantifiant la contribution artistique à nos communautés témoignent de ces répercussions.

Depuis quelques décennies déjà, la main-d’œuvre du secteur artistique et culturel augmente trois fois plus rapidement que l’ensemble de la main-d’œuvre. Cette réalité n’est pas sans rappeler celle du secteur de l’énergie en Alberta!

Le secteur des arts et de la culture apporte près de 40 milliards de dollars au produit intérieur brut (PIB) et emploie près de 600 000 personnes (soit 4 % de la main-d’œuvre).

Le Canada compte 131 000 artistes professionnels, ce qui représente une augmentation de presque 30 % par rapport à la dernière décennie.

Ce qui importe encore plus, ce sont les effets non quantifiables, mais irréfutables sur la perception que nous avons de nous-mêmes en tant que Canadiennes et Canadiens partageant des valeurs communes, une identité et un sens de l’humour, et sur l’enrichissement de notre qualité de vie individuelle et collective.

Pouvez-vous imaginer ce que serait la ville d’Edmonton ou toute autre ville ou communauté au pays sans les fonds investis dans les arts? Pensez ici aux fonds publics des différents gouvernements, aux dons des mécènes des arts et des entreprises. Edmonton serait assurément moins attrayante.

Aujourd’hui, au Canada, les arts sont clairement et distinctement canadiens : ils proviennent de tous les coins du Canada, évoluent dans les deux langues officielles et sont offerts aux quatre coins du pays.

Inclusives, les créations artistiques reflètent les différentes communautés culturelles du pays, ainsi que celles des Peuples autochtones. Les artistes et les organismes artistiques, toute taille et tout genre confondus, font appel aux différents moyens d’expression artistique pour créer des œuvres d’envergure internationale qui s’inscrivent dans des répertoires tant contemporains que traditionnels ou dans des courants pluridisciplinaires.

Plus encore, nos œuvres font le bonheur du public du monde entier.

Si, alors que nous célébrons 50 années de réalisations artistiques, nous contemplons inévitablement ce que nous avons accompli, nous ne devons pas oublier d’envisager l’avenir.

Nous ne pouvons prédire exactement ce qui nous attend dans 50 ou même 25 ans. Cependant, nous, citoyennes et citoyens du Canada ayant à cœur les arts, savons que nous traversons une tumultueuse période de transformations fondamentales. Aucune facette de notre vie quotidienne n’est à l’abri d’éventuels changements. Parmi les principales réalités dont nous devons désormais tenir compte figurent les faits suivants :

  • les changements démographiques rapides et importants au sein de la population canadienne, notamment l’essor des différentes cultures et une présence autochtone accrue dans les principaux centres urbains;
  • l’évolution d’un Canada qui figure maintenant parmi les nations les plus urbanisées au monde, évolution qui pose des défis aux centres métropolitains en pleine croissance ainsi qu’aux villages et milieux ruraux plus modestes qui, eux, se dépeuplent;
  • l’implacable cadence de la technologie, qui modifie à peu près tous les aspects de la création, de la production et de la diffusion d’œuvres d’art, ainsi que l’expérience vécue par le public;
  • les transformations des pratiques artistiques qui repoussent les frontières au profit de pratiques englobantes, pluridisciplinaires et interdisciplinaires, auxquelles se livrent, entre autres, les jeunes artistes, les artistes autochtones et ceux des différentes cultures;
  • l’évolution des attentes et de l’attitude du public à l’égard des arts, les changements de perception des arts, la nécessité de démontrer clairement les avantages du financement public des arts sur l’ensemble de la société et la volonté commune de participer davantage aux décisions sur la prestation de services publics, notamment aux décisions liées à l’expérience artistique.

À mon avis, nous sommes déjà, et serons toujours, à l’écoute de ces réalités. Le Conseil a la réputation d’être un organisme ouvert et inclusif, un organisme aux pratiques transparentes. Il doit tenir compte de la présente conjoncture pour devenir le meilleur outil de soutien aux arts du 21e siècle et, ainsi, offrir des avantages tangibles aux Canadiennes et aux Canadiens.

Conséquemment, le Conseil des Arts et la communauté artistique du pays doivent examiner leurs interventions à la lumière de ce nouveau contexte ― non pas dans le but d’abandonner leurs valeurs fondamentales sur le plan artistique, mais plutôt dans le but d’accroître leur pertinence et leur légitimité actuelles et futures.

Ainsi, dans un monde en profonde et rapide mutation, le Conseil doit sérieusement réfléchir à sa propre orientation s’il veut maintenir son rôle d’intervenant incontournable et efficace dans le secteur canadien des arts et de la culture, et de représentant auprès de la société canadienne.

Un examen d’une telle ampleur ne signifie pas que le Conseil cessera d’être un organisme national autonome de soutien aux arts ou qu’il abandonnera le recours à l’évaluation par les pairs pour les décisions relatives aux subventions. Le principe de l’autonomie, qui a servi de fondement au Conseil lors de sa création, garantit que ni l’aile politique ni l’aile administrative du gouvernement ne peuvent s’immiscer dans les décisions liées au soutien des œuvres d’art ou ne peuvent déterminer les formes, contenus ou applications des œuvres recevant une aide. Ce principe reflète des valeurs démocratiques profondes et immuables respectées par les gouvernements de toutes les allégeances politiques, qui se sont succédé depuis 50 ans et il ne disparaîtra sûrement pas de sitôt.

De même, le processus d’évaluation par les pairs, c’est-à-dire le processus qui permet à des personnes compétentes et à l’abri des influences politiques d’évaluer des demandes d’aide en fonction de leur mérite artistique, a franchi l’épreuve du temps. Si le processus peut ― et devrait ― être adapté et modifié au fil des ans de manière à refléter la réalité du moment, le principe fondamental qui le sous-tend devrait, lui, demeurer inchangé.

J’aimerais souligner que le principe de l’autonomie ainsi que l’évaluation par les pairs n’ont pas pour objet d’isoler le Conseil ou la communauté artistique dans une tour d’ivoire. Le Conseil n’est ni coupé de la société ni insensible à l’évolution de la société. L’histoire nous montre que les grandes institutions publiques ont dû maintes fois reprendre et alimenter le dialogue avec la société dans laquelle elles évoluaient et, parfois, pour survivre, elles ont dû redéfinir leurs rapports avec la société.

Je suis persuadée que le Conseil des Arts et la communauté artistique sauront emprunter la voie du dialogue et, ainsi, maintenir leur rôle de participants essentiels à la vie quotidienne au Canada.

Parlons maintenant d’avenir. Alors que nous réfléchissons aux 50 prochaines années ou, à tout le moins, aux 10 ou 20 prochaines années, je crois que certains facteurs méritent d’être considérés.

Dans un premier temps, nous devrons continuellement suivre l’évolution des pratiques artistiques et le développement culturel des collectivités canadiennes.

Deuxièmement, nous devrons avoir les moyens d’anticiper les importants développements dans le domaine des arts ainsi que dans les milieux sociaux et politiques qui influent directement sur les arts.

Troisièmement, nous devrons continuer de nous opposer à la marchandisation de plus en plus poussée des arts ainsi qu’à la trop forte tendance à assujettir le développement culturel aux forces du marché.

Quatrièmement, nous devrons aussi maintenir notre niveau élevé d’expertise, d’ouverture et de connaissance dans toutes les disciplines artistiques afin de mener à bien la tâche complexe, subjective et risquée qui consiste à découvrir, à favoriser et à appuyer toutes les pratiques artistiques dignes de mérite.

Enfin et surtout, nous devrons nous rapprocher davantage des Canadiennes et des Canadiens, et les faire participer plus activement à la vie artistique et créative du pays. Nous devrons aussi partager avec eux l’énorme joie et les riches sentiments d’inspiration et de satisfaction que procure l’expérience artistique. J’oserais même dire que ce volet est plus important aujourd’hui que jamais.

Tout en renouvelant notre engagement pour les arts auprès des Canadiennes et des Canadiens, je pense qu’il faudra aussi ouvrir la voie à de nombreuses discussions avec la population canadienne et réexaminer les rapports que nous entretenons avec celle-ci.

Parce que nous avons tous à cœur l’avenir de nos collectivités, nous devrons établir des liens directs avec toute la population canadienne en engageant de sérieuses discussions sur la valeur des arts.

Je suis persuadée que nous devrons répondre plus directement et plus fermement que jamais aux nouvelles réalités de notre milieu et prendre des risques en connaissance de cause.

Ces défis sont complexes. Isolément, nous ne pourrons pas relever ces défis.

Le Conseil des Arts du Canada joue un important rôle : il doit favoriser et promouvoir la création et la diffusion des œuvres d’art. À mesure que nous avançons dans cette direction, notre présence nationale doit, comme par le passé, s’intensifier et s’enrichir par la voix des arts qui sont solidement présents à l’échelle communautaire. Par votre présence ici aujourd’hui, vous ajoutez votre propre voix à celles des autres.

Le message sur la valeur et le financement public des arts ne devrait pas parvenir aux décideurs politiques et aux gouvernements uniquement de la bouche des artistes et des gestionnaires des arts.

Les leaders du monde des affaires, les bénévoles, les chefs de file des organismes de la société civile, les mécènes, les étudiants et les personnes qui s’intéressent au développement culturel devraient aussi tenir ce discours auprès des principaux décideurs de la classe dirigeante. Ne pouvant ignorer ce concert populaire, ces derniers devraient entendre ces voix et les vôtres.

Partout dans le monde, les gens comprennent mieux les éléments clés de la réussite des collectivités, ainsi que l’apport des arts et de la culture à la création de lieux novateurs, sains et diversifiés, de lieux bâtis à l’échelle humaine, de lieux où il fait bon vivre.

Différents chercheurs ont démontré que le développement social et économique est étroitement lié au développement culturel et qu’il en dépend considérablement.

Il est aussi reconnu que, pour devenir de futurs leaders économiques, les villes doivent avoir les moyens et la volonté d’alimenter, d’appuyer et de célébrer la créativité sous toutes ses formes.

Le Conseil canadien des chefs d’entreprise, regroupement des principaux P.D.G. et entrepreneurs du Canada, a convenu de cette réalité dans son récent rapport intitulé Du bronze à l’or : un plan de leadership canadien dans un monde en transformation.

Dans ce rapport, si le Conseil canadien reconnaît le succès financier et économique du Canada, il souligne toutefois que, pour se hisser au sommet de l’échelle internationale, le Canada devra s’appuyer sur une économie plus créative. Il est évident que le développement culturel est un aspect déterminant de ce type d’économie. Les P.D.G. ont déclaré, et je cite : « La qualité de l’infrastructure culturelle d’une collectivité a […] un effet sur la qualité de vie et, donc, sur la compétitivité des collectivités à attirer des personnes et des investissements. »

Partout dans le monde, dans un nombre croissant de villes, les arts et la culture sont au cœur des nouvelles stratégies qui alimentent les trois aspects fondamentaux du développement de l’être humain : apprendre à être, apprendre à connaître et apprendre à vivre ensemble. En établissant des liens entre les citoyens et en favorisant les conditions propices à la réflexion, à la planification et à l’action, les artistes et les organismes artistiques peuvent, sous le signe de l’imagination, devenir les architectes de leur communauté.

L’avenir des arts au Canada ne sera viable que si nos institutions, incluant le Conseil des Arts, s’appliquent, pour le plus grand bien du plus grand nombre, à protéger et à encourager la conquête de sommets artistiques et culturels élevés. Je suis entièrement convaincue que ce que vous accomplissez avec vos concitoyennes et concitoyens d’Edmonton pour assurer la place vitale des arts dans votre vie quotidienne alimente cette vision de l’avenir.

Je félicite votre ville et votre conseil des arts d’avoir entrepris de développer un plan qui assurera la place entière des arts et de la culture dans la vie de tous les concitoyens d’Edmonton. Je vous assure que vous pourrez compter sur notre collaboration pour faire face aux enjeux communs qui nous attendent.

Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui. Je vous souhaite beaucoup de succès dans cette importante tâche qu’est l’inclusion des arts et de la culture au cœur de la planification de l’avenir de votre grande ville d’Edmonton.