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Chapitre
5
Tout comme ce fut le cas après la Première Guerre mondiale, le Canada émergea de la seconde avec encore plus d'assurance et de confiance en lui. Et pour cause. Même avec une population de moins de 12 millions d'habitants, le Canada avait énormément contribué, au chapitre de la main-d'oeuvre et du matériel, à l'effort de guerre des Alliés et, conséquemment, avait créé toute une gamme de nouvelles industries durables. Cependant, le Canada a payé cher sa participation à la guerre : 43 000 hommes et femmes y ont perdu la vie et la dette nationale a quadruplé. Pourtant, le nombre de blessés était beaucoup moins important qu'il ne l'avait été durant le conflit précédent. En outre, la plupart des dépenses de guerre avaient été engagées au Canada, ce qui avait doublé le produit national brut. Le Statut de Westminster (1931) avait marqué la reconnaissance juridique du statut du Canada en tant que dominion autonome. Dix ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale est venue confirmer la place du Canada dans le monde. Elle obligea également notre pays à prendre de l'expansion sur le plan technologique. Forcés par la guerre à réduire leur dépendance à l'égard des biens européens et américains, les chefs de file de l'économie canadienne faisaient maintenant preuve de beaucoup plus d'audace, d'innovation et d'autonomie. Ainsi, la diversité et le volume de la production industrielle canadienne augmentèrent de façon remarquable. À la fin de la guerre, les capacités de l'industrie sidérurgique canadienne avaient plus que doublé et les usines fabriquaient de nombreux produits comme des avions, du plastique, des moteurs diesels, de l'équipement électronique, qu'elles ne produisaient pas auparavant. Même si tout le monde s'attendait à ce que la Seconde Guerre mondiale, comme la Première, soit suivie d'une grave récession, cette prédiction ne s'est pas concrétisée. Le pays connut au contraire une vague de prospérité. Provoquée par les dépenses de guerre, cette prospérité allait durer, sauf quelques fluctuations mineures, jusqu'au début des années 1970, alimentée par une demande sans cesse croissante de biens de consommation. Les Canadiens avaient de l'argent en poche et ils étaient prêts à le dépenser. Corollaire de cette nouvelle prise de conscience du Canada au cours de ses années de prospérité : la montée d'un nationalisme vigoureux qui s'exprima par l'adoption de la première Loi sur la citoyenneté canadienne. La grande majorité des Canadiens croyaient que la guerre avait véritablement confirmé le Canada en tant que pays souverain et ils voulaient que le reste du monde reconnaisse le nouveau statut que venait d'acquérir notre pays. Pour cela, il fallait cependant se défaire des vestiges encore visibles du colonialisme et les remplacer par les symboles d'une nation indépendante. Or, on dut mettre beaucoup de temps avant d'y arriver. Il fallut attendre 1949 pour que la pratique d'en appeler des décisions de la Cour suprême du Canada au Comité judiciaire du Conseil privé à Londres soit abolie; il fallut attendre 1952 pour avoir au Canada un gouverneur général né ici; et il fallut attendre deux décennies avant qu'un véritable drapeau canadien ne voie le jour. Mais l'un des symboles importants de l'indépendance de la nation -- la citoyenneté canadienne -- allait être reconnu, juridiquement parlant, en 1947, deux ans après la guerre. Jusqu'à ce moment-là, les ressortissants canadiens étaient définis comme des sujets britanniques tant au Canada qu'à l'étranger.
C'est à M. Paul Martin, ministre du Cabinet libéral de l'époque, que l'on doit d'avoir parrainé le projet de reconnaissance juridique de l'expression « citoyen canadien ». Le ministre Martin conçut d'abord l'idée d'une citoyenneté canadienne distincte lors de la Seconde Guerre mondiale, mais ce n'est qu'après s'être rendu au cimetière militaire de Dieppe après la guerre que l'idée germa pour de bon. À Dieppe, après avoir examiné le statut de ceux qui avaient servi leur pays et qui étaient morts là-bas, il résolut d'inclure dans la loi une définition de ce qui constituait un Canadien. L'état déplorable des lois canadiennes sur la naturalisation ajoutait à l'urgence de sa mission. Non seulement la notion de citoyen canadien était absente de la loi, mais il y avait aussi des ambiguïtés dans la Loi de naturalisation de 1914, dans la Loi sur les ressortissants canadiens de 1921 (laquelle comprenait une définition de « ressortissant canadien », exigence nécessaire pour permettre au Canada de participer à la Société des Nations et de devenir membre de la Cour internationale de justice), et dans la Loi sur l'immigration de 1910, les trois mesures législatives qui portaient sur la citoyenneté. Comme le précisa M. Martin au Parlement, tout cela se traduisait par une confusion et un embarras incessants. Il y avait aussi d'autres anomalies. Les femmes mariées, par exemple, n'exerçaient pas le plein contrôle sur leur statut national. Classées dans la même catégorie que les mineurs, les fous et les idiots « étant atteints d'une infirmité », elles ne pouvaient être naturalisées ni contrôler leur statut national en tant que personnes indépendantes, sauf dans des circonstances très particulières. Lorsqu'il déposa le projet de loi sur la nationalité et la naturalisation, à la Chambre des communes le 22 octobre 1945, le Ministre déclara :
La Loi sur la citoyenneté canadienne, adoptée le 27 juin 1946 et mise en vigueur le 1er janvier 1947, prévoyait l'octroi d'une citoyenneté canadienne commune à tous les Canadiens, qu'ils soient nés ou non au Canada. Cependant, la citoyenneté canadienne était considérée comme un privilège accordé uniquement à ceux qui pouvaient démontrer qu'ils la méritaient. La nouvelle Loi apportait entre autres les changements suivants :
Grâce à l'adoption de cette mesure législative révolutionnaire, le Canada devint le premier pays du Commonwealth à créer sa propre citoyenneté, distincte de celle de la Grande-Bretagne. Dès lors, les immigrants qui avaient été naturalisés Canadiens, les sujets britanniques non canadiens qui avaient vécu au Canada pendant cinq ans ou plus et les femmes non canadiennes qui avaient épousé des citoyens canadiens et qui étaient venues vivre au Canada allaient obtenir la citoyenneté canadienne. Lors d'une cérémonie historique et émouvante, qui eut lieu le soir du 3 janvier 1947 à la Cour suprême du Canada, 26 personnes reçurent leur certificat de citoyenneté canadienne. Parmi celles-là se trouvaient le premier ministre William Lyon Mackenzie King, qui reçut le certificat portant le numéro 0001, et Yousuf Karsh, le photographe de renommée internationale.
Comme il fallait s'y attendre, la nouvelle Loi sur la citoyenneté coïncida avec une augmentation de l'immigration après la guerre, recrudescence qui ne se produisit cependant pas immédiatement. Les tenants d'une politique d'immigration plus libérale réclamaient que le Canada réduise ses obstacles à l'immigration dès la fin des hostilités, mais la politique d'immigration du Canada continua d'être très restrictive au cours des deux premières années d'après-guerre. Même s'il avait pu être une terre d'espoir et de promesse pour les gens opprimés de l'Europe épuisés par la guerre, le Canada accepta peu de véritables immigrants et de personnes déplacées (étiquette que l'on accolait aux personnes qui avaient été déracinées ou déplacées de leur propre pays par la guerre) durant cette période. Des obstacles bloquaient également l'entrée à la plupart des réfugiés (c'est-à-dire ceux qui avaient fui des régimes totalitaires avant le début de la guerre et ceux qui, dès 1945, avaient quitté les pays d'Europe de l'Est qui étaient maintenant sous le joug du communisme). Peu importe leur nom -- réfugiés ou personnes déplacées -- toutes ces personnes étaient essentiellement des réfugiés qui n'avaient plus de pays, de maison, de biens matériels ou d'avenir, et leur sort inquiétait de plus en plus de Canadiens. Malgré ces observateurs qui faisaient preuve de compassion et qui réclamaient une politique d'immigration plus humaine, les portes du Canada demeuraient en fait fermées à tous les nouveaux arrivants. Pour justifier sa rigidité, le gouvernement invoquait souvent l'absence de navires de passagers capables de transporter les gens de l'Europe au Canada. Pourtant, quelques-uns de ces bâtiments réussirent à traverser l'océan sans problèmes. Parmi les nouveaux arrivants sur les rives du Canada au début de l'après-guerre, on remarquait les épouses de guerre britanniques qui s'étaient mariées avec des membres des Forces canadiennes. Durant et après la guerre, quelque 48 000 d'entre elles arrivèrent au pays souvent avec des poupons dans les bras et de jeunes enfants accrochés à leurs jupes. Bien que la plupart des épouses de guerre et leurs quelque 22 000 enfants s'établirent dans les villes et cités du Canada, certaines d'entre elles s'installèrent dans des régions rurales ou éloignées de notre vaste pays. Par la suite, les exigences d'une économie en pleine effervescence, l'appel du Comité sénatorial permanent de l'immigration et du travail en faveur d'une politique d'immigration plus ouverte, et les pressions de plus en plus fortes des organisations ethniques, des groupes religieux, des sociétés de transport et des diplomates qui rentraient au pays après avoir été témoins des conditions prévalant en Europe réussirent à forcer la main du gouvernement. Face à toutes ces pressions, le gouvernement libéral de Mackenzie King commença à ouvrir lentement les portes du pays aux sans-abri de l'Europe. Les anciens combattants polonais furent parmi les premiers bénéficiaires de la tentative d'ouverture du Canada vers une politique d'immigration plus libérale. Ils furent admis au pays après l'adoption, par le gouvernement, d'un décret en juillet 1946 prévoyant l'admission de quelque 3 000 anciens combattants de l'Armée libre polonaise qui refusaient d'être rapatriés de la Grande-Bretagne à un pays occupé par l'Armée rouge. Chaque ancien combattant était lié par contrat et devait s'engager à travailler dans une ferme pendant un an, après quoi il était libre de renouveler ou non son contrat. Une fois leur contrat terminé, la majorité de ces travailleurs décidèrent de ne pas poursuivre leur travail à la ferme et prirent la direction des villes canadiennes à la recherche d'emplois plus rémunérateurs.
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Date de publication : 2000-10 | ![]() |
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