Nationalistes ou pluralistes? Faut-il vraiment choisir?
Michel Seymour - Professeur au département de philosophie de l'Université de Montréal
9 février 2010
Actualités en société
![](https://bac-lac.wayback.archive-it.org/web/20100218002654im_/http://www.ledevoir.com/images_galerie/d_45271_59474/multiculturalisme.jpg)
Photo : Illustration: Christian Tiffet
Le débat sur les accommodements raisonnables reprend de plus belle. Une opposition tranchée est en train de se former entre nationalistes et partisans du pluralisme. Pour prendre position dans ce débat, encore faut-il comprendre la source du malaise identitaire vécu par le peuple québécois.
Ce dernier a fait face à de nombreuses rebuffades de la part de l'État canadien depuis les 50 dernières années. Il s'est fait imposer contre son gré un nouvel ordre constitutionnel en 1982 et l'Accord du lac Meech, qui visait à réparer les pots cassés, a été rejeté. Le peuple québécois a aussi pendant la même période subi deux échecs référendaires. Il est donc toujours dans un no man's land constitutionnel et il vit dans des limbes juridiques. Plus profondément, il n'est pas reconnu comme peuple à l'échelle internationale et pas reconnu comme peuple au sein du Canada. Il souffre donc d'un besoin de reconnaissance et d'un manque d'affirmation nationale.
La cause du malaise identitaire
Mais quel rapport y a-t-il entre le statut constitutionnel du Québec et la problématique des accommodements? La situation politique du Québec explique en bonne partie la réaction de plusieurs personnes face à la multiplication des exemples d'accommodements. Ces Québécois ont été placés en face de citoyens qui parviennent à s'affirmer, à réclamer la reconnaissance de leurs pratiques culturelles et à défendre leurs droits, alors que le peuple québécois dans son ensemble ne semble pas être en mesure d'obtenir une reconnaissance analogue au sein du Canada.
La constitution canadienne reconnaît les nations autochtones, la minorité franco-canadienne et la minorité anglo-québécoise, et on se rend compte maintenant qu'elle reconnaît aussi les minorités issues de l'immigration grâce à la politique de multiculturalisme et grâce à la Charte des droits et libertés. On ne trouve pourtant pas dans la Constitution canadienne une quelconque mention du peuple québécois. C'est la prise de conscience de la reconnaissance constitutionnelle consentie aux immigrants et de l'absence d'une reconnaissance équivalente pour le peuple québécois qui explique en grande partie la raison pour laquelle certains Québécois sont sortis de leurs gonds face aux accommodements.
Ils ont senti qu'ils devaient eux aussi réclamer la reconnaissance. Malheureusement, plusieurs d'entre eux l'ont fait en blâmant les «immigrants». Lors des audiences de la Commission de consultation, on a même parfois assisté à des propos choquants, racistes, antisémites et islamophobes. Mais il faut aller plus loin que la simple condamnation de ces propos et chercher à comprendre d'où provient le malaise identitaire qui s'est exprimé par la population.
Le fossé se creuse
La problématique des accommodements raisonnables est un autre chapitre dans la longue saga constitutionnelle du Québec. Malheureusement, ceux qui tiennent compte de la question nationale québécoise dans le présent débat sont aussi fortement critiques à l'égard de l'interculturalisme qu'ils assimilent au multiculturalisme, ainsi que très critiques à l'égard des accommodements, de la laïcité ouverte et du cours d'éthique et de culture des religions (ECR).
Mais à l'opposé, ceux qui promeuvent les valeurs de pluralisme ne semblent pas réaliser que la problématique des accommodements soulève la question nationale québécoise. Les pluralistes recrutent surtout en leur sein des personnes qui critiquent le nationalisme québécois ou qui restent très discrètes sur la question nationale. Plusieurs d'entre eux sont indifférents à l'égard du contentieux Québec-Canada, mais ils n'hésitent pas à dénoncer le nationalisme québécois.
L'affirmation nationale comme remède
En mettant de côté la problématique de la reconnaissance du Québec dans le présent débat, on fait plus qu'omettre un enjeu majeur. On passe à côté de la solution. Une politique vigoureuse d'affirmation nationale contribuerait à faire baisser la tension suscitée par les accommodements.
Si le peuple québécois pouvait être reconnu et être en mesure de s'affirmer comme peuple, il pourrait être plus conciliant et ouvert à l'égard du pluralisme. Mais plus les pluralistes refuseront de dénoncer l'intransigeance de l'État canadien face au Québec, plus ils justifieront l'équation que certains nationalistes sont tentés d'établir entre le pluralisme et le refus de reconnaître le Québec.
Si l'on garantissait la reconnaissance du Québec comme peuple, ce dernier pourrait être plus favorablement disposé face aux exigences du pluralisme. Certes, tous les problèmes ne seraient pas réglés pour autant. On peut comme en Allemagne refuser le port du kirpan à l'école. On peut refuser le port du niqab ou de la burqa dans les lieux publics lorsque cela implique des échanges entre les citoyens.
Sur la question du voile, je me range sans hésiter du côté de la Fédération des femmes du Québec et de Québec solidaire, et non du côté du Conseil du statut de la femme et du PQ qui, à mon humble avis, errent tous les deux en cette matière. Mais la réticence que les Québécois ont exprimée dans les sondages ou lors des audiences de la commission Bouchard-Taylor s'explique d'abord et avant tout par le malaise identitaire qui affecte le peuple québécois. Elle trouve son origine dans une carence d'affirmation nationale.
Qu'est-ce que l'affirmation nationale?
Il faudrait doter le Québec d'une constitution interne dans laquelle serait instaurée une citoyenneté québécoise et affirmé que la langue française est la langue de la citoyenneté. Cette constitution doit incorporer la Charte des droits et libertés et la Charte de la langue française, comprise comme l'expression des droits collectifs du peuple québécois et non, ainsi que l'interprète malencontreusement la Cour suprême du Canada dans son jugement contre la loi 104, comme une mesure transitoire visant seulement à assurer la survivance de la langue française.
Il faut y affirmer le principe de l'égalité homme-femme et la laïcité de nos institutions. En plus d'une constitution interne, il faut également étendre la loi 101 aux écoles privées non subventionnées, obliger les non-anglophones ou non-autochtones à s'inscrire dans un collège de langue française s'ils n'ont pas fait l'essentiel de leur parcours primaire et secondaire en français, et étendre la francisation des entreprises à celles qui ont dix employés et plus. Il faut aussi renforcer les institutions québécoises, à commencer par Télé-Québec, mais il faut aussi créer Radio-Québec pour remplacer la défunte chaîne culturelle à la radio FM de la SRC. Il faut consolider les budgets du CALQ et de la SODEC. Il faut renflouer les universités, doter le Québec d'une véritable politique muséale, empêcher la vente de biens institutionnels publics à des intérêts privés (comme le 1420 Mont-Royal et le Collège Marianapolis) et instaurer un véritable cours d'histoire nationale au primaire et au secondaire.
Le juste milieu et non les extrêmes
Si l'on adoptait des mesures de ce genre, je crois que les Québécois n'auraient aucun problème à souscrire au pluralisme. Il est aberrant de constater que certains nationalistes québécois empruntent une tangente qui, comme en France, critique toute forme pluralisme. Mais je suis tout aussi estomaqué de voir à quel point ceux qui vantent le pluralisme font la sourde oreille face au manque de reconnaissance du peuple québécois.
Il faut affirmer haut et fort notre ouverture à l'égard du pluralisme culturel. Il faut reconnaître les droits collectifs des peuples autochtones et de la minorité anglophone. Il faut enchâsser une politique d'interculturalisme, le concept de laïcité ouverte et le principe de l'accommodement raisonnable. Mais tout cela n'a pas de sens sans l'affirmation nationale et la reconnaissance du Québec comme nation.
Ceux qui ne se prononcent pas ouvertement en faveur d'une politique d'affirmation nationale et qui ne posent pas le problème de la non-reconnaissance du Québec au sein du Canada n'obtiendront pas grand-chose en dénonçant la fermeture de certains nationalistes à l'égard du pluralisme. Ils risquent même d'obtenir l'effet inverse de celui qui est escompté. Mais les pluralistes sont-ils prêts à soulever la question de l'accommodement du Québec au sein du Canada?
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Michel Seymour - Professeur au département de philosophie de l'Université de Montréal
Ce dernier a fait face à de nombreuses rebuffades de la part de l'État canadien depuis les 50 dernières années. Il s'est fait imposer contre son gré un nouvel ordre constitutionnel en 1982 et l'Accord du lac Meech, qui visait à réparer les pots cassés, a été rejeté. Le peuple québécois a aussi pendant la même période subi deux échecs référendaires. Il est donc toujours dans un no man's land constitutionnel et il vit dans des limbes juridiques. Plus profondément, il n'est pas reconnu comme peuple à l'échelle internationale et pas reconnu comme peuple au sein du Canada. Il souffre donc d'un besoin de reconnaissance et d'un manque d'affirmation nationale.
La cause du malaise identitaire
Mais quel rapport y a-t-il entre le statut constitutionnel du Québec et la problématique des accommodements? La situation politique du Québec explique en bonne partie la réaction de plusieurs personnes face à la multiplication des exemples d'accommodements. Ces Québécois ont été placés en face de citoyens qui parviennent à s'affirmer, à réclamer la reconnaissance de leurs pratiques culturelles et à défendre leurs droits, alors que le peuple québécois dans son ensemble ne semble pas être en mesure d'obtenir une reconnaissance analogue au sein du Canada.
La constitution canadienne reconnaît les nations autochtones, la minorité franco-canadienne et la minorité anglo-québécoise, et on se rend compte maintenant qu'elle reconnaît aussi les minorités issues de l'immigration grâce à la politique de multiculturalisme et grâce à la Charte des droits et libertés. On ne trouve pourtant pas dans la Constitution canadienne une quelconque mention du peuple québécois. C'est la prise de conscience de la reconnaissance constitutionnelle consentie aux immigrants et de l'absence d'une reconnaissance équivalente pour le peuple québécois qui explique en grande partie la raison pour laquelle certains Québécois sont sortis de leurs gonds face aux accommodements.
Ils ont senti qu'ils devaient eux aussi réclamer la reconnaissance. Malheureusement, plusieurs d'entre eux l'ont fait en blâmant les «immigrants». Lors des audiences de la Commission de consultation, on a même parfois assisté à des propos choquants, racistes, antisémites et islamophobes. Mais il faut aller plus loin que la simple condamnation de ces propos et chercher à comprendre d'où provient le malaise identitaire qui s'est exprimé par la population.
Le fossé se creuse
La problématique des accommodements raisonnables est un autre chapitre dans la longue saga constitutionnelle du Québec. Malheureusement, ceux qui tiennent compte de la question nationale québécoise dans le présent débat sont aussi fortement critiques à l'égard de l'interculturalisme qu'ils assimilent au multiculturalisme, ainsi que très critiques à l'égard des accommodements, de la laïcité ouverte et du cours d'éthique et de culture des religions (ECR).
Mais à l'opposé, ceux qui promeuvent les valeurs de pluralisme ne semblent pas réaliser que la problématique des accommodements soulève la question nationale québécoise. Les pluralistes recrutent surtout en leur sein des personnes qui critiquent le nationalisme québécois ou qui restent très discrètes sur la question nationale. Plusieurs d'entre eux sont indifférents à l'égard du contentieux Québec-Canada, mais ils n'hésitent pas à dénoncer le nationalisme québécois.
L'affirmation nationale comme remède
En mettant de côté la problématique de la reconnaissance du Québec dans le présent débat, on fait plus qu'omettre un enjeu majeur. On passe à côté de la solution. Une politique vigoureuse d'affirmation nationale contribuerait à faire baisser la tension suscitée par les accommodements.
Si le peuple québécois pouvait être reconnu et être en mesure de s'affirmer comme peuple, il pourrait être plus conciliant et ouvert à l'égard du pluralisme. Mais plus les pluralistes refuseront de dénoncer l'intransigeance de l'État canadien face au Québec, plus ils justifieront l'équation que certains nationalistes sont tentés d'établir entre le pluralisme et le refus de reconnaître le Québec.
Si l'on garantissait la reconnaissance du Québec comme peuple, ce dernier pourrait être plus favorablement disposé face aux exigences du pluralisme. Certes, tous les problèmes ne seraient pas réglés pour autant. On peut comme en Allemagne refuser le port du kirpan à l'école. On peut refuser le port du niqab ou de la burqa dans les lieux publics lorsque cela implique des échanges entre les citoyens.
Sur la question du voile, je me range sans hésiter du côté de la Fédération des femmes du Québec et de Québec solidaire, et non du côté du Conseil du statut de la femme et du PQ qui, à mon humble avis, errent tous les deux en cette matière. Mais la réticence que les Québécois ont exprimée dans les sondages ou lors des audiences de la commission Bouchard-Taylor s'explique d'abord et avant tout par le malaise identitaire qui affecte le peuple québécois. Elle trouve son origine dans une carence d'affirmation nationale.
Qu'est-ce que l'affirmation nationale?
Il faudrait doter le Québec d'une constitution interne dans laquelle serait instaurée une citoyenneté québécoise et affirmé que la langue française est la langue de la citoyenneté. Cette constitution doit incorporer la Charte des droits et libertés et la Charte de la langue française, comprise comme l'expression des droits collectifs du peuple québécois et non, ainsi que l'interprète malencontreusement la Cour suprême du Canada dans son jugement contre la loi 104, comme une mesure transitoire visant seulement à assurer la survivance de la langue française.
Il faut y affirmer le principe de l'égalité homme-femme et la laïcité de nos institutions. En plus d'une constitution interne, il faut également étendre la loi 101 aux écoles privées non subventionnées, obliger les non-anglophones ou non-autochtones à s'inscrire dans un collège de langue française s'ils n'ont pas fait l'essentiel de leur parcours primaire et secondaire en français, et étendre la francisation des entreprises à celles qui ont dix employés et plus. Il faut aussi renforcer les institutions québécoises, à commencer par Télé-Québec, mais il faut aussi créer Radio-Québec pour remplacer la défunte chaîne culturelle à la radio FM de la SRC. Il faut consolider les budgets du CALQ et de la SODEC. Il faut renflouer les universités, doter le Québec d'une véritable politique muséale, empêcher la vente de biens institutionnels publics à des intérêts privés (comme le 1420 Mont-Royal et le Collège Marianapolis) et instaurer un véritable cours d'histoire nationale au primaire et au secondaire.
Le juste milieu et non les extrêmes
Si l'on adoptait des mesures de ce genre, je crois que les Québécois n'auraient aucun problème à souscrire au pluralisme. Il est aberrant de constater que certains nationalistes québécois empruntent une tangente qui, comme en France, critique toute forme pluralisme. Mais je suis tout aussi estomaqué de voir à quel point ceux qui vantent le pluralisme font la sourde oreille face au manque de reconnaissance du peuple québécois.
Il faut affirmer haut et fort notre ouverture à l'égard du pluralisme culturel. Il faut reconnaître les droits collectifs des peuples autochtones et de la minorité anglophone. Il faut enchâsser une politique d'interculturalisme, le concept de laïcité ouverte et le principe de l'accommodement raisonnable. Mais tout cela n'a pas de sens sans l'affirmation nationale et la reconnaissance du Québec comme nation.
Ceux qui ne se prononcent pas ouvertement en faveur d'une politique d'affirmation nationale et qui ne posent pas le problème de la non-reconnaissance du Québec au sein du Canada n'obtiendront pas grand-chose en dénonçant la fermeture de certains nationalistes à l'égard du pluralisme. Ils risquent même d'obtenir l'effet inverse de celui qui est escompté. Mais les pluralistes sont-ils prêts à soulever la question de l'accommodement du Québec au sein du Canada?
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Michel Seymour - Professeur au département de philosophie de l'Université de Montréal
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