Le temps d'aimer
L'époque est rude pour l'amour et c'est sans doute une des premières explications à l'engouement pour la Saint-Valentin. Il faut bien fixer une journée pour fêter l'amour dans notre monde obsédé par le temps.
Si la passion, fugace et consumante de par sa nature même, se vit dans la frénésie, l'amour exige du temps, ce temps devenu contrainte même chez les tout-petits, qu'on encadre désormais avec des horaires comme à l'armée. Le rythme de vie actuel ne respecte donc ni les sentiments, ni les émotions, ces élans du coeur qui ont besoin de temps pour se déployer.
C'est sans doute parce que les gens ne savent plus perdre leur temps dans l'amour qu'ils n'ont de cesse de dire «je t'aime». On n'a qu'à tendre l'oreille autour de soi. «J'arriverai plus tard que prévu, je suis retenu dans une réunion», dira l'amoureux, en ajoutant «je t'aime» sans même changer de ton. Le «je t'aime» qui est devenu une autre façon de dire bonjour ou au revoir est trop systématique pour ne pas être suspect. Et il y a sans doute une contradiction entre travailler et aimer au point où l'un peut altérer l'autre.
Comment envier les jeunes couples qui courent du matin au soir entre la garderie, le travail, les courses et qui en fin de soirée, épuisés par les multiples tâches, se retrouvent face à face dans un état d'esprit peu favorable à la sentimentalité?
L'amour dans son expression la plus intime, où le désir, la tendresse, la sexualité se conjuguent au bonheur, exige du temps, c'est-à-dire des minutes et des heures. En ce sens, les amoureux pressés ou stressés font d'une certaine façon offense à l'amour. Et plus rares qu'on ne le croit sont les hommes qui consentent à perdre du temps pour aimer les femmes.
J'ai connu jadis un homme, au physique ingrat, mal attifé, levant trop facilement le coude, radin de surcroît, mais qui séduisait de nombreuses femmes, intelligentes, élégantes et souvent très belles. «Comment fais-tu?», lui ai-je un jour demandé, sans que cela l'importune, au contraire, car il connaissait son pouvoir. «J'ai toujours consacré ma vie aux femmes et, pour cela, j'ai réduit mes ambitions professionnelles. J'ai besoin de leur présence, j'aime les écouter et j'y mets le temps qu'il faut. Heureusement pour moi, les hommes en général ne prennent plus le temps de faire la cour. Ils sont expéditifs. Moi, j'aime l'attente et j'aime le désir d'une femme.»
Ce sage devenu vieux continue d'avoir du succès, d'autant plus que les femmes seules au-delà de cinquante ans sont en progression exponentielle. Elles seront nombreuses en ce jour de la Saint-Valentin à éprouver un très léger pincement au coeur car, quel que soit leur statut social ou leur bonne fortune, la plupart des femmes demeurent des midinettes dans l'âme. Quant aux hommes, ceux de la génération des baby-boomers secoués par leurs contemporaines ou abandonnés à eux-mêmes, ils abordent l'amour comme on escalade l'Himalaya. Avec prudence et inquiétude.
L'amour ne s'apprend ni dans les livres ni sur Internet. C'est un sentiment qui échappe à toutes prévisions. À vrai dire, la flèche lancée par Cupidon demeure l'image la plus juste de cet état de grâce provoqué par le choc amoureux. Le vocabulaire décrit aussi l'espoir amoureux que seuls les cyniques ou les éclopés de l'amour prétendent ne pas ou ne plus éprouver. Ne cherche-t-on pas la «perle rare», «l'âme soeur», le «prince charmant», le «double»? L'amour est un mystère qui s'effrite si l'on tente de le percer.
Pourquoi aime-t-on tel être parmi tous les autres? Pourquoi, en ouvrant l'oeil le matin, éprouve-t-on une bouffée de tendresse pour celui qu'on découvre à nos côtés? Comment expliquer le plaisir ressenti à la pensée de retrouver l'être cher quelques heures seulement après l'avoir momentanément quitté? Qu'est-ce donc que cette peur aussi subite qu'irrationnelle qui nous habite dès que l'autre manifeste un léger retard? Peut-on aimer sans la crainte de perdre l'autre, et ce, en dehors de tout sentiment de jalousie?
Quand l'amour perdure, les engueulades et les légères bouderies participent du plaisir d'être ensemble. Ne serait-ce que pour retomber dans les bras l'un de l'autre. Les amoureux, ceux qui maintiennent la flamme contre vents et marées, n'ont pas besoin de la Saint-Valentin pour se rappeler à leurs devoirs, qui sont avant tout des plaisirs et des petites joies cumulatives.
La commercialisation à outrance ne favorise ni l'amour ni le désamour. Mais avouons que, devant un gâteau en coeur, des fleurs, du chocolat aux cerises, ces surprises qui n'en sont pas et à odeur de guimauve en plus, on sera nombreux à s'attendrir. La gravité même de l'amour nous oblige à pratiquer une légèreté sans laquelle l'angoisse de perdre l'être aimé serait paralysante. C'est pourquoi les amoureux ne sont pas seuls au monde, ils vivent une douce folie, car le coeur a ses raisons qu'il impose à la raison elle-même.
Si la passion, fugace et consumante de par sa nature même, se vit dans la frénésie, l'amour exige du temps, ce temps devenu contrainte même chez les tout-petits, qu'on encadre désormais avec des horaires comme à l'armée. Le rythme de vie actuel ne respecte donc ni les sentiments, ni les émotions, ces élans du coeur qui ont besoin de temps pour se déployer.
C'est sans doute parce que les gens ne savent plus perdre leur temps dans l'amour qu'ils n'ont de cesse de dire «je t'aime». On n'a qu'à tendre l'oreille autour de soi. «J'arriverai plus tard que prévu, je suis retenu dans une réunion», dira l'amoureux, en ajoutant «je t'aime» sans même changer de ton. Le «je t'aime» qui est devenu une autre façon de dire bonjour ou au revoir est trop systématique pour ne pas être suspect. Et il y a sans doute une contradiction entre travailler et aimer au point où l'un peut altérer l'autre.
Comment envier les jeunes couples qui courent du matin au soir entre la garderie, le travail, les courses et qui en fin de soirée, épuisés par les multiples tâches, se retrouvent face à face dans un état d'esprit peu favorable à la sentimentalité?
L'amour dans son expression la plus intime, où le désir, la tendresse, la sexualité se conjuguent au bonheur, exige du temps, c'est-à-dire des minutes et des heures. En ce sens, les amoureux pressés ou stressés font d'une certaine façon offense à l'amour. Et plus rares qu'on ne le croit sont les hommes qui consentent à perdre du temps pour aimer les femmes.
J'ai connu jadis un homme, au physique ingrat, mal attifé, levant trop facilement le coude, radin de surcroît, mais qui séduisait de nombreuses femmes, intelligentes, élégantes et souvent très belles. «Comment fais-tu?», lui ai-je un jour demandé, sans que cela l'importune, au contraire, car il connaissait son pouvoir. «J'ai toujours consacré ma vie aux femmes et, pour cela, j'ai réduit mes ambitions professionnelles. J'ai besoin de leur présence, j'aime les écouter et j'y mets le temps qu'il faut. Heureusement pour moi, les hommes en général ne prennent plus le temps de faire la cour. Ils sont expéditifs. Moi, j'aime l'attente et j'aime le désir d'une femme.»
Ce sage devenu vieux continue d'avoir du succès, d'autant plus que les femmes seules au-delà de cinquante ans sont en progression exponentielle. Elles seront nombreuses en ce jour de la Saint-Valentin à éprouver un très léger pincement au coeur car, quel que soit leur statut social ou leur bonne fortune, la plupart des femmes demeurent des midinettes dans l'âme. Quant aux hommes, ceux de la génération des baby-boomers secoués par leurs contemporaines ou abandonnés à eux-mêmes, ils abordent l'amour comme on escalade l'Himalaya. Avec prudence et inquiétude.
L'amour ne s'apprend ni dans les livres ni sur Internet. C'est un sentiment qui échappe à toutes prévisions. À vrai dire, la flèche lancée par Cupidon demeure l'image la plus juste de cet état de grâce provoqué par le choc amoureux. Le vocabulaire décrit aussi l'espoir amoureux que seuls les cyniques ou les éclopés de l'amour prétendent ne pas ou ne plus éprouver. Ne cherche-t-on pas la «perle rare», «l'âme soeur», le «prince charmant», le «double»? L'amour est un mystère qui s'effrite si l'on tente de le percer.
Pourquoi aime-t-on tel être parmi tous les autres? Pourquoi, en ouvrant l'oeil le matin, éprouve-t-on une bouffée de tendresse pour celui qu'on découvre à nos côtés? Comment expliquer le plaisir ressenti à la pensée de retrouver l'être cher quelques heures seulement après l'avoir momentanément quitté? Qu'est-ce donc que cette peur aussi subite qu'irrationnelle qui nous habite dès que l'autre manifeste un léger retard? Peut-on aimer sans la crainte de perdre l'autre, et ce, en dehors de tout sentiment de jalousie?
Quand l'amour perdure, les engueulades et les légères bouderies participent du plaisir d'être ensemble. Ne serait-ce que pour retomber dans les bras l'un de l'autre. Les amoureux, ceux qui maintiennent la flamme contre vents et marées, n'ont pas besoin de la Saint-Valentin pour se rappeler à leurs devoirs, qui sont avant tout des plaisirs et des petites joies cumulatives.
La commercialisation à outrance ne favorise ni l'amour ni le désamour. Mais avouons que, devant un gâteau en coeur, des fleurs, du chocolat aux cerises, ces surprises qui n'en sont pas et à odeur de guimauve en plus, on sera nombreux à s'attendrir. La gravité même de l'amour nous oblige à pratiquer une légèreté sans laquelle l'angoisse de perdre l'être aimé serait paralysante. C'est pourquoi les amoureux ne sont pas seuls au monde, ils vivent une douce folie, car le coeur a ses raisons qu'il impose à la raison elle-même.
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