Projet de loi C-26 (2012 L.C. ch. 9)
Réforme de la légitime défense et
défense des biens :
Guide technique à l’intention des praticiens

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Ministère de la Justice, Canada
Mars 2013

Résumé

Le projet de loi C‑26, Loi sur l’arrestation par des citoyens et la légitime défense,

L.C. 2012 ch. 9, entrera en vigueur le 11 mars 2013. Il remplacera alors les anciennes dispositions du Code criminel relatives à la légitime défense et à la défense des biens par de nouveaux moyens de défense améliorés.

Objet du guide technique

Toute réforme en profondeur du droit crée un certain flottement pendant la période de transition. Le présent guide vise avant tout à favoriser l’émergence, au sein de la communauté juridique, d’une compréhension commune de l’objet et de l’effet des mesures de réforme ainsi que d’un ensemble commun d’arguments quant à leur application et à leur interprétation, et ce, de manière à ce qu’une jurisprudence utile et cohérente puisse se dégager le plus rapidement possible en évitant toute possibilité de confusion et d’incertitude.

Pour atteindre cet objectif, le présent Guide décrit l’intention du législateur relativement à ces nouvelles dispositions, présente un aperçu global des changements et examine de façon détaillée chaque article des nouveaux moyens de défense en ce qui a trait aux éléments ci-après :

  • Aspects des nouvelles dispositions qui reprennent les anciens moyens de défense et une explication des aspects qui diffèrent des anciennes dispositions législatives;
  • Principaux éléments de la jurisprudence rendue sous le régime des anciennes dispositions législatives, qui ont été incorporés dans les nouvelles;
  • Extraits pertinents de l’examen parlementaire des nouvelles dispositions législatives.

Objectif législatif et aperçu des nouveaux moyens de défense

En adoptant le projet de loi C-26, le législateur voulait avant tout simplifier le texte législatif qui prévoit les moyens de défense. Actuellement, la légitime défense et la défense des biens occupent neuf articles dans le Code criminel (art. 34 à 42). On trouve plusieurs versions distinctes de chaque moyen défense, chacune visant apparemment des circonstances légèrement différentes pour son application. Pendant des décennies, cette approche législative à l’égard des moyens de défense a été la cible de critiques du fait de son caractère trop complexe et détaillé, et donnant lieu à des versions en soi incompatibles du même moyen de défense. C’était pour les juges une source de problèmes pour la formulation de directives à l’intention du jury, et les erreurs dans les directives au jury ont ainsi donné lieu à de nombreux appels inutiles. Le public n’était pas servi par un texte législatif que même les juges avaient de la difficulté à comprendre et à expliquer.

Approche législative : remplacer des moyens de défense multiples par un seul

Malgré les problèmes liés au texte des dispositions législatives, il y a eu relativement peu de préoccupations soulevées quant à l’application des moyens de défense dans les dossiers. Dans l’ensemble, on estimait que les tribunaux et les jurés prenaient les bonnes décisions en faisant appel au bon sens et en tirant profit de leur propre expérience. Dans le cadre de la réforme de ces moyens de défense, le législateur visait à adopter des moyens de défense qui expriment les principes fondamentaux derrière les règles de droit en matière de légitime défense et de défense des biens, pour que le droit corresponde à l’approche adoptée par les jurés pour trancher ces affaires. Pour atteindre cet objectif, les nouveaux moyens de défense puisent dans les anciennes dispositions les éléments communs de chaque moyen de défense, et les codifient dans un seul cadre simple qui permet d’évaluer tout moyen de défense revendiqué dans toute situation. Les nouvelles dispositions législatives donnent effet aux principes qui sous-tendent les moyens de défense d’une façon plus transparente; elles rendront plus facile la formulation des directives au jury et permettront aux décideurs de tirer plus facilement et simplement des conclusions.

Plusieurs moyens de défense liés à des circonstances particulières ayant été remplacés par un moyen de défense unique d’application générale, il s’ensuit que certaines des anciennes exigences minimales ne font plus partie du nouveau moyen de défense à titre dexigences minimales. Cela dit, les nouvelles dispositions continuent de permettre l’examen d’éléments qui, par le passé, servaient à établir des distinctions entre les diverses versions de formulation des moyens de défense dans les anciennes dispositions législatives. En particulier, certaines des exigences en vertu des anciennes dispositions (qui auraient pu permettre de déterminer si le moyen de défense devait ou non être retenu) ont été converties en facteurs qui ne sont pas déterminants, mais peuvent être pris en considération dans l’évaluation des éléments clés du moyen de défense, s’il y a lieu, au cas par cas. Par exemple, sous le régime des anciennes dispositions législatives de la légitime défense, différentes versions du moyen de défense pouvaient s’appliquer selon que l’attaque avait ou non été provoquée par l’accusé, que l’accusé avait ou non des motifs raisonnables d’appréhender la mort ou selon qu’il avait ou non battu en retraite (s’il était l’instigateur de la confrontation) avant d’employer une force meurtrière. En vertu du nouveau moyen de défense d’application générale, ces éléments ne constituent plus des conditions auxquelles il faut obligatoirement satisfaire pour que la défense soit retenue, mais il s’agit néanmoins de facteurs qui peuvent être pertinents dans certains cas, selon les circonstances.

Éléments fondamentaux des moyens de défense

Les nouveaux moyens de défense sont regroupés dans une règle de base unique. En ce qui concerne la légitime défense, cette règle comporte trois éléments essentiels :

  • Existence de motifs raisonnables qu’une personne emploie ou menace d’employer la force contre une autre personne (perception subjective de l’accusé vérifiée objectivement));
  • L’acte commis par l’accusé visait à se défendre (état d’esprit subjectif de l’accusé);
  • L’accusé soit avoir agi de façon raisonnable dans les circonstances (évalué objectivement).

Les nouvelles dispositions législatives sur la légitime défense renferment une liste non exhaustive de facteurs applicables à l’évaluation du caractère raisonnable des actes de l’accusé dans les circonstances. Cette liste vise à faciliter la transition vers les nouvelles dispositions en énonçant certains facteurs pertinents qui sont déjà bien établis par la jurisprudence ou les politiques ou qui constituaient des exigences minimales de l’un des moyens de défense des anciennes dispositions à l’égard de circonstances particulières. La liste devrait aider à préciser comment il est tenu compte de la jurisprudence antérieure dans les nouvelles dispositions législatives et devrait aider les juges dans la formulation d’instructions à l’intention des jurés et permettre à la fois aux juges et aux jurés de décider plus facilement si le moyen de défense sera ou non retenu dans un cas donné.

Pour le nouveau moyen de défense relatif aux biens, les éléments de base sont les mêmes que pour la légitime défense, à l’exception du fait que la menace déclenchant le moyen de défense doit être une menace d’atteinte au bien (plutôt qu’une menace d’emploi de la force contre une personne). En outre, le nouveau moyen de défense relatif aux biens reprend l’exigence de l’ancienne disposition portant que le défenseur du bien doit avoir la « possession paisible » du bien au moment où surgit la menace d’atteinte au bien.

Éléments saillants des nouvelles lois

Voici quelques-uns des principaux éléments constitutifs des deux nouveaux moyens de défense :

  • un juste équilibre entre des considérations objectives et subjectives (mais selon un assemblage différent de celui des anciennes dispositions
  • une nouvelle exigence explicite prévoyant l’acte a été commis dans le « but de se défendre »
  • la personne a agi « de façon raisonnable dans les circonstances »
  • Les moyens de défense vise les « actes » qui ont été commis dans le but de se défendre contre une menace, non pas seulement « l’emploi de la force »
  • une règle spéciale prévoyant l’exclusion des moyens de défense dans le contexte de l’exécution de la loi, sauf lorsque l’accusé croît pour des motifs raisonnables que l’auteur n’agit pas de façon légitime.

Texte des Nouvelles Dispositions de lÉgitime dÉfense et de dÉfense des Biens

Legitime Defense

34. (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

  • a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;
  • b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;
  • c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

34(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l'acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

  • a) la nature de la force ou de la menace;
  • b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;
  • c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;
  • d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;
  • e) la taille, l'âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;
  • f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
    • f.1) l'historique des interactions ou communications entre les parties en cause;
  • g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;
  • h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

34(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

Defense des Biens

35. (1) N'est pas coupable d'une infraction la personne qui, à la fois :

  • a) croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle a la possession paisible d'un bien ou agit sous l'autorité d'une personne — ou prête légalement main-forte à une personne — dont elle croit, pour des motifs raisonnables, qu'elle a la possession paisible d'un bien;
  • b) croit, pour des motifs raisonnables, qu'une autre personne, selon le cas :
    • i) sans en avoir légalement le droit, est sur le point ou est en train d'entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée,
    • ii) est sur le point, est en train ou vient de le prendre,
    • iii) est sur le point ou est en train de l'endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant;
  • c) commet l'acte constituant l'infraction dans le but, selon le cas :
    • i) soit d'empêcher l'autre personne d'entrer dans ou sur le bien, soit de l'en expulser,
    • ii) soit d'empêcher l'autre personne de l'enlever, de l'endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant, soit de le reprendre;
  • d) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

35 (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si la personne qui croit, pour des motifs raisonnables, avoir la possession paisible du bien — ou celle que l’on croit, pour des motifs raisonnables, en avoir la possession paisible —, n’invoque pas de droit sur le bien et que l’autre personne a légalement droit à sa possession.

35 (3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si l’autre personne accomplit un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

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