Responsabilite criminelle en cas de deces et de blessures au travail – Infractions au Code criminel et leur application par les tribunaux

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Quelles sont les infractions au Code criminel qui peuvent être utilisées?

Dans le contexte de la responsabilité criminelle pour les décès et les blessures en milieu de travail, plusieurs accusations peuvent être portées contre une organisation ou une personne qui fait preuve de négligence criminelle en dirigeant le travail d’autrui.

Ces infractions sont :

  1. négligence criminelle causant la mort
  2. négligence criminelle causant des lésions corporelles
  3. homicide involontaire coupable par acte illégal
  4. le fait de causer illégalement des lésions corporelles

1. Négligence criminelle causant la mort (article 220)

L’infraction de négligence criminelle causant la mort dans le contexte de la santé et de la sécurité au travail exige la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments suivants :

  • un manquement à l’obligation légale (c.-à-d. l’obligation prévue à l’article 217.1 du Code criminel ou toute autre obligation découlant d’une loi provinciale ou fédérale – y compris une loi provinciale sur la sécurité au travail – ou de la common law)
  • la violation équivaut à une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui
  • une personne est décédée à la suite de ce décès
  • l’acte ou l’omission constituant la violation d’une obligation légale a causé le décès de la personne

Pénalité : Une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité pour un individu, dans le cas d’une organisation, une amende à la discrétion du tribunalNote de bas de page 1.

2. Négligence criminelle causant des lésions corporelles (article 221)

L’infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles dans le contexte de la santé et de la sécurité au travail exige la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments suivants :

  • un manquement à l’obligation légale (c.-à-d. l’obligation prévue à l’article 217.1 du Code criminel ou toute autre obligation découlant d’une loi provinciale ou fédérale – y compris une loi provinciale sur la sécurité au travail – ou de la common law)
  • la violation équivaut à une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui
  • une personne a subi des lésions corporelles en conséquence
  • l’acte ou l’omission constituant la violation a causé les lésions corporelles de la personne

Pénalité : Une peine maximale de dix ans d’emprisonnement (individuel) ou, dans le cas d’une organisation, une amende à la discrétion du tribunal.

Que signifie une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité des autres?

L’exigence selon laquelle le comportement de l’accusé (y compris les omissions) a fait preuve d’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui a été interprétée par la Cour suprême du Canada dans R c J(F), [2008] 3 RCS 215 comme un « Ã©cart marqué et important Â» par rapport à ce que ferait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

Quel type de conduite peut satisfaire à cette norme juridique dans le contexte de la santé et de la sécurité au travail?

Les cas suivants illustrent les scénarios factuels qui ont été retenus par les tribunaux canadiens pour satisfaire à l’exigence selon laquelle une organisation ou une personne qui entreprend ou a le pouvoir de diriger le travail d’autrui a fait preuve d’un « Ã©cart marqué et important Â» par rapport à ce qu’une personne raisonnablement prudente aurait fait dans les mêmes circonstances.

Dans l’affaire R c Metron Construction CorporationNote de bas de page 2, un échafaudage volant transportant un superviseur de chantier et cinq ouvriers s’est effondré, tombant quatorze étages au sol. Le superviseur du chantier et trois ouvriers sont morts. Un travailleur a survécu à la chute, mais a subi des blessures graves. Le sixième travailleur sur l’échafaudage volant était correctement attaché à un cordage de sécurité qui l’empêchait de tomber – il n’a pas été blessé.

Dans cette affaire, Metron Construction a plaidé coupable de négligence criminelle causant la mort. Il a été admis que les faits exposés dans l’exposé conjoint des faits étayaient une conclusion de négligence criminelle. Le plaidoyer était fondé sur le fait que le superviseur du site n’avait pas pris de mesures raisonnables pour prévenir les lésions corporelles et la mort :

  • ordonner ou permettre à six travailleurs (y compris lui-même) de travailler sur un échafaudage volant, alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il n’était pas sécuritaire de le faire (c.-à-d. que l’échafaudage volant ne portait aucune marque, aucun numéro de série, aucun identificateur ou aucune étiquette indiquant sa capacité maximale (comme l’exigent la législation en matière de santé et sécurité et les pratiques industrielles))
  • ordonner ou permettre à six travailleurs (y compris lui-même) de monter à bord d’un échafaudage volant en sachant que seulement deux cordages de sécurité étaient disponibles (c.-à-d. que les normes de l’industrie et les lois sur la santé et la sécurité exigent que tous les employés travaillant à grande hauteur sur des échafaudages soient fixés à un cordage de sécurité)
  • permettre aux personnes sous l’influence de drogues de travailler sur le projet

Dans l’affaire R c ScroccaNote de bas de page 3, un travailleur est décédé au cours d’une opération de déchargement de la terre à l’aide d’une pelle rétrocaveuse. Au cours d’un des voyages de déchargement, les freins de la rétrocaveuse se sont rompus et elle a continué de rouler sur une pente en heurtant un travailleur et en l’immobilisant contre un mur. Le travailleur est mort des suites de ses blessures. Les faits ont démontré que la cause de l’accident était une défectuosité majeure du système de freinage. Le tribunal a fondé sa conclusion selon laquelle M. Scrocca présentait un « Ã©cart marqué et important Â» par rapport à ce qu’une personne raisonnablement prudente aurait fait dans les mêmes circonstances sur les faits suivants :

  • la preuve d’expert a démontré que M. Scrocca n’avait pas vérifié ou n’avait pas fait vérifier les freins pendant au moins cinq ans et probablement beaucoup plus longtemps
  • preuve que la pelle rétrocaveuse était en service depuis trente ans et que, à part un entretien minimal, elle n’a jamais fait l’objet d’une inspection mécanique complète

Dans l’affaire R c Stave Lake Quarries Inc.Note de bas de page 4, une travailleuse a été tuée lorsqu’un transporteur de roches qu’elle opérait s’est retourné et l’a écrasée à mort. Le jour de son décès, l’employée effectuait une simple tâche de transport avant qu’on lui ordonne de cesser de travailler pour la journée. Son superviseur a quitté le site pour obtenir des pièces de rechange pour une autre machine. L’employée n’a pas immédiatement garé son véhicule de transport de roches. Plus tard, elle s’est arrêtée de travailler et a laissé la machine près du sommet d’une pente sans serrer les freins de stationnement ni placer de roches sous ses pneus pour éviter qu’elle ne roule. Les freins à air ont fini par perdre de la pression et le monte-chargeur a commencé à descendre la pente. L’employée a tenté d’entrer dans la cabine de la machine pour l’arrêter, mais alors qu’elle descendait la pente, son côté passager a monté une berme, ce qui a fait rouler la machine sur son côté gauche, écrasant l’employée sous son poids.

Stave Lake Quarries Inc. (SLQ) a plaidé coupable à un chef de négligence criminelle causant la mort, reconnaissant dans l’exposé conjoint des faits que, par l’entremise d’un ou de plusieurs de ses cadres supérieurs, l’entreprise a fait preuve d’insouciance gratuite ou téméraire à l’égard de la vie de son employé. En l’espèce, la culpabilité de SLQ était fondée sur l’effet combiné de l’absence d’un système rigoureux de SLQ : (1) l’embauche; (2) la formation; et (3) la supervision de la carrière. Par exemple :

  • l’employée a été embauchée parce qu’elle était une amie de la famille du propriétaire sans égard au fait qu’elle n’était pas compétente ou qualifiée pour faire le travail
  • l’employée n’était pas titulaire d’un permis pour conduire un véhicule à freins à air comprimé, mais on lui a demandé de le faire le jour de son décès
  • bien que l’employée ait été formée par un opérateur expérimenté, elle n’a reçu qu’une journée de formation avant son décès (c.-à-d. qu’elle n’a reçu aucun livre ni aucun document écrit sur l’utilisation de la machine et qu’on ne lui a pas enseigné les procédures de sécurité de base)
  • aucun des opérateurs expérimentés sur les lieux ne s’est donné la peine de s’assurer que l’employé inexpérimenté avait garé le monte-charge en toute sécurité, ce qui aurait été une tâche simple pour éviter le tragique incident

3. Homicide involontaire coupable par acte illégal (alinéa 222(5)a))

L’infraction d’homicide involontaire coupable par acte illégal exige la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments suivants :

  • la perpétration d’un acte illégal, qui peut être soit une infraction criminelle, soit une infraction réglementaire ou provinciale;
  • l’acte illégal doit être objectivement dangereux et doit causer la mort;
  • la conduite de l’accusé constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstancesNote de bas de page 5;
  • compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu les risques de lésions corporelles.

Pénalité : Une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité ou, dans le cas d’une organisation, une amende à la discrétion du tribunalNote de bas de page 6.

Aux fins de l’homicide involontaire coupable par acte illégal, qu’est-ce qui constitue un écart marqué?

Dans l’affaire R c. FournierNote de bas de page 7, l’employeur travaillait avec un employé à un projet de construction visant à remplacer des conduites d’eau et d’égout souterraines. Les murs de l’excavation n’ont pas été étayés correctement comme l’exige le Code de sécurité du Québec parce que la terre excavée était placée trop près du site de l’excavation. Les murs excavés se sont effondrés et le travailleur a été écrasé par une dalle de béton qui est tombée dans le trou excavé. Le défendeur a finalement été déclaré coupable d’homicide involontaire coupable par acte illégal (alinéa 222(5)a) du Code criminel). La Cour a souligné qu’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances aurait prévu les risques de lésions corporelles et qu’autoriser la poursuite du travail dans ces circonstances constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait respectée. Selon l’arrêt Fournier, l’acte illégal ne doit pas nécessairement constituer une infraction criminelle, mais qu’il doit s’agir d’un acte à la fois illégal et objectivement dangereux.

4. Le fait de causer illégalement des lésions corporelles (article 269)

L’infraction de causer illégalement des lésions corporelles exige la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments suivants :

  • un acte illégal de nature criminelle ou réglementaire (loi fédérale ou provinciale) et qui est objectivement dangereux
  • prévoyance objective de lésions corporelles concomitantes à l’infraction sous-jacente
  • des dommages corporels qui sont plus qu’insignifiants ou transitoires

Pénalité : Pour une personne physique, une peine maximale de dix ans d’emprisonnement sur acte d’accusation ou de 18 mois sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Dans le cas d’une organisation, une amende, le montant à la discrétion du tribunal.

Aux fins de causer illégalement des lésions corporelles, qu’est-ce qui constitue une prévision objective de lésions corporelles qui est concomitante à l’infraction sous-jacente?

Dans l’affaire R c HritchukNote de bas de page 8, le gestionnaire de service défendeur a plaidé coupable d’avoir causé illégalement des lésions corporelles après que des employés ont utilisé une méthode dangereuse pour vider l’essence d’un véhicule et qu’un incendie a causé des blessures permanentes à un employé. Le concessionnaire disposait de l’outil approprié pour effectuer la tâche en toute sécurité, mais il ne fonctionnait pas. Le directeur du service savait que l’appareil était inopérant, mais ne savait pas que l’employé victime utilisait une méthode dangereuse pour vider le gaz. Le gestionnaire de service était chargé de s’assurer que le bon dispositif était disponible et utilisé pour accomplir la tâche, assurant ainsi un environnement de travail sécuritaire. Ces faits étaient suffisants pour appuyer une prévision objective de lésions corporelles.

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