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Violence familiale : Pertinence dans le droit de la famille

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Septembre 2018

Introduction

Le présent rapport propose un examen des données relatives à la violence au sein des familles, et la présente comme étant un facteur pertinent dont il faut tenir compte dans les litiges en droit de la famille. Dans le contexte du droit de la famille, la violence, la maltraitance et la négligence au sein des familles peuvent engendrer une grande variété de répercussions à long terme. Les tribunaux de la famille et les tribunaux criminels peuvent rendre des décisions contraires qui créent de la confusion et de la frustration et qui pourraient exposer les membres d’une famille à des risques. Et cela entraîne des conséquences sur les plans financier et humain.

La violence familiale est courante

La violence familiale est beaucoup plus répandue que ce que pensent bon nombre de personnes. Les termes employés pour en parler ont changé au fil des ans, ce qui reflète en partie la prise de conscience croissante de la gravité de la violence. La violence familiale peut également être désignée sous le nom de violence dans la famille, de violence conjugale, de violence entre conjoints ou de violence à l’égard du conjoint ou de la conjointe, et elle peut aussi qualifier les mauvais traitements envers les aînés et envers les enfants. La violence au sein des familles couvre un large éventail de comportements qui comprend la violence psychologique, un comportement contrôlant, le harcèlement, la violence physique, les agressions sexuelles et les homicides.

  • En 2015, la police a déclaré que plus de 86 000 personnes au pays avaient subi de la violence familiale, ce qui représente plus de 25 % des personnes victimes d’un crime violentNote de bas de page 1.
  • Selon l’Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation, en 2014, 4 % des Canadiens vivant dans les provinces avec un époux ou une épouse, un ex-époux ou une ex-épouse ou un conjoint ou une conjointe de fait (environ 760 000 personnes) ont déclaré avoir été agressés physiquement ou sexuellement par leur conjoint ou leur conjointe au cours des cinq années précédentesNote de bas de page 2.
  • Selon une étude de 2017, 12 % des résidents des territoires ont déclaré avoir subi de la violence conjugale d’un époux ou d’une épouse, d’un ex-époux ou d’une ex-épouse ou d’un conjoint ou d’une conjointe de fait au cours des cinq années précédentesNote de bas de page 3.
  • Environ 284 000 femmes canadiennes (une femme sur cinquante âgées de 15 ans et plus) ont été harcelées par un partenaire intime au cours des cinq années qui ont précédé l’ESG de 2014Note de bas de page 4.
  • Le phénomène de la violence familiale touche plus particulièrement les femmes. Environ 74 % des personnes qui ont déclaré avoir été harcelées par un partenaire intime – époux ou épouse, ex-époux ou ex-épouse, conjoint ou conjointe de fait, partenaire intime – sont des femmesNote de bas de page 5.
  • Selon l’ESG de 2014, 35 % des personnes qui ont survécu à la violence conjugale ont déclaré avoir été poussées, empoignées, bousculées ou giflées. Environ 25 % de ces personnes ont déclaré avoir été agressées sexuellement, battues, étranglées ou menacées avec une arme à feu ou un couteau. Un pourcentage semblable (24 %) de survivants et de survivantes ont déclaré avoir reçu des coups de pieds, avoir été mordus, avoir été frappés ou avoir été frappés avec un objetNote de bas de page 6.
  • Les femmes ont déclaré avoir été victimes des types de violence conjugale les plus sévères plus souvent que les hommesNote de bas de page 7.

La violence survient souvent après une séparation

On comprend de mieux en mieux qu’il n’est pas toujours facile de quitter une situation de violence. En fait, la période la plus dangereuse pour les victimes ou les survivants de violence est celle qui suit immédiatement une séparation. Dans certains cas, la violence débute ou s’intensifie après une séparation. De 2007 Ã  2011, le risque d’être assassinée par son conjoint était près de six fois plus élevé pour une femme séparée de son conjoint que pour une femme qui vivait avec son conjointNote de bas de page 8.

  • Quelque 13 % des personnes qui étaient séparées ont déclaré avoir subi de la violence conjugale d’un ex-époux au cours des cinq années précédentes, comparativement à 2 % des personnes qui ont déclaré avoir subi de la violence conjugale durant leur relation en coursNote de bas de page 9.
  • Parmi les personnes qui ont déclaré avoir vécu de la violence conjugale après une séparation, 16 % ont affirmé que la violence avait commencé après cette séparationNote de bas de page 10.
  • Près de la moitié des survivants et des survivantes (49 %) ont mentionné que la violence s’était aggravée après la ruptureNote de bas de page 11.
  • Plus de 90 % des infractions liées au harcèlement criminel, à des appels téléphoniques harcelants et à des propos indécents au téléphone ont été commises après une séparationNote de bas de page 12.

Les situations de violence sont rarement signalées à la police

Les gens se demandent parfois pourquoi les survivants de violence ne signalent pas à la police les agressions qu’ils subissent. Les raisons sont diverses; les victimes peuvent par exemple craindre de ne pas être prises au sérieux ou que le signalement de la situation cause de l’embarras ou entraîne l’intensification de la violence. Les victimes peuvent estimer que la violence est une question d’ordre privé dont la police ne devrait pas s’occuper. Dans certains cas, elles peuvent vouloir protéger la réputation de l’agresseur ou vouloir éviter d’entraîner des répercussions dans leurs collectivités. Selon les données, il est plus courant que les victimes ne signalent pas une agression que le contraire.

  • Seulement une personne sur cinq (19 %) a signalé à la police avoir subi de la violence conjugale, alors qu’une personne sur dix (10 %) affirme que la police a eu connaissance de la situation de violence d’une autre façonNote de bas de page 13. La majorité (70 %) des personnes qui ont vécu de la violence conjugale n’ont jamais signalé la situation à la policeNote de bas de page 14.
  • La police n’a pas été informée dans 76 % des cas où la violence était dirigée contre un homme et dans 64 % des cas où la violence était dirigée contre une femmeNote de bas de page 15.

Les répercussions de l’obtention d’ordonnances de protection ou du dépôt d’accusations criminelles

Lorsqu’une situation comporte des risques de violence, les personnes concernées peuvent demander des ordonnances de protection, comme une ordonnance de non-communication, pour leur sécurité personnelle. Si elles sont la cible d’actes de violence qui constituent également une infraction criminelle, elles peuvent déposer des accusations criminelles. Les données indiquent que ces options sont peu utilisées et qu’elles n’ont peut-être pas toujours les effets escomptés.

  • Seulement 22 % des cas de harcèlement par un partenaire intime qui ont été signalés à la police ont débouché sur le dépôt d’accusations criminellesNote de bas de page 16.
  • Selon l’ESG de 2014, 19 % des femmes ont déclaré avoir obtenu une ordonnance de non-communication contre leur conjoint ou leur ex-conjoint, soit quatre fois plus que le nombre d’hommes (5 %) qui ont déclaré avoir obtenu une telle ordonnanceNote de bas de page 17.
  • Dans 37 % des cas de harcèlement par un partenaire intime qui ont été signalés à la police, des ordonnances de non-communication ou des ordonnances de protection ont été obtenuesNote de bas de page 18. Dans près de la moitié (47 %) de ces cas, ces ordonnances n’ont pas été respectées; environ  78 % des personnes qui ont constaté de telles infractions l’ont signalé à la policeNote de bas de page 19.

Le système de justice familiale doit tenir compte de la violence

Certaines formes de violence familiale peuvent être de nature criminelle, alors que d’autres ne constituent pas une infraction criminelle. Il importe de souligner qu’une situation de violence familiale peut être invoquée dans le cadre d’un litige en droit de la famille, peu importe si cette situation a été ou non signalée à la police ou aux services de protection de l’enfance. Souvent, la communication d’informations entre les différents tribunaux est insuffisante, et il arrive que les juges ignorent que des personnes qui font face à des accusations criminelles devant un tribunal comparaissent pour obtenir un droit de garde devant un autre tribunal. Les décisions rendues par les différents tribunaux peuvent se contredire et créer de la confusion et de la frustration dans les famillesNote de bas de page 20.

  • L’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille (ICRDF) a mené un examen des données recueillies en 2011 et en 2012 en ce qui concerne 328 dossiers judiciaires de cas « complexes Â» de divorce en Alberta, où les couples qui divorçaient avaient au moins un enfant. Il était fait mention de violence familiale dans 14,6 % des dossiers examinésNote de bas de page 21.
  • Dans un rapport du ministère de la Justice de 2013, un examen des dossiers des tribunaux où la cour avait rendu une décision définitive sur des questions relatives à la garde entre 2000 et 2005 a révélé que la violence familiale a été mentionnée dans 8 % des cas de divorceNote de bas de page 22.
  • Dans un sondage canadien de 2016 auprès d’avocats et de juges en droit de la famille, les avocats ont déclaré que la violence familiale posait problème dans 21,7 % de leurs dossiers et les juges, dans 25,3 % de leurs dossiersNote de bas de page 23.
  • Des études réalisées au Royaume-Uni indiquent que le taux d’actes de violence dans les cas de divorce est plus élevé d’après des données d’enquêtes autodéclarées que d’après les examens des affaires portées devant les tribunaux ou les enquêtes auxquelles des avocats ont réponduNote de bas de page 24.
  • Selon les résultats de l’enquête de 2016, 93,9 % des juges et 68,8 % des avocats ont déclaré que, dans les affaires relevant du droit de la famille où la violence est en cause, les parties sont parfois ou souvent concernées en même temps par des infractions criminellesNote de bas de page 25.
  • Selon les répondants aux enquêtes, les mesures le plus souvent prises par un tribunal du droit de la famille relativement à des cas de violence familiale sont l’ordonnance civile interdisant le harcèlement ou réglementant le contact entre les parents (avocats = 54,7 %, juges = 71 %), le refus de la garde au parent violent (avocats = 38,7 %, juges = 50 %) et l’ordonnance de visites supervisées (avocats = 36,2 %, juges = 54,6 %) ou l’ordonnance d’échanges supervisés (avocats = 30,4 %, juges = 48,5 %) et les services de consultation (avocats = 37,3 %, juges = 23,3 %)Note de bas de page 26.

Les enfants sont souvent exposés à la violence

La violence peut avoir des répercussions importantes sur les enfants. Les enfants qui sont témoins ou victimes de violence risquent d’avoir des problèmes de santé physique ou mentale à long termeNote de bas de page 27. Les enfants peuvent souffrir du trouble de stress post-traumatique (TSPT) et avoir de la difficulté à acquérir les habiletés nécessaires pour entretenir des relations de confiance qui dureront toute leur vieNote de bas de page 28. Ils présentent un risque de vivre de la violence ou de perpétuer la violence dans leurs relations futures en tant qu’adultesNote de bas de page 29.

  • Quelque 51 % des parents qui ont déclaré avoir subi de la violence conjugale ont également déclaré que leurs enfants avaient peut-être déjà été témoins oculaires ou auriculaires des agressions qu’ils ont subiesNote de bas de page 30. Les services de protection de l’enfance ont été avisés dans 31 % des cas où un enfant avait été témoin de violence conjugaleNote de bas de page 31.
  • Environ 72 % des personnes qui ont des enfants et qui ont subi de la violence après une séparation ont affirmé que leur enfant avait été témoin de violenceNote de bas de page 32.
  • L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ECI) de 2008 a examiné des incidents de maltraitance envers des enfants âgés de 15 ans et moins au sujet desquels les systèmes de protection de l’enfance avaient mené une enquête. La plupart du temps, les catégories de violence envers les enfants qui préoccupent principalement les services de protection de l’enfance sont l’exposition à la violence conjugale et la négligence; chacune de ces catégories représente 34 % des cas corroborés par les enquêtesNote de bas de page 33.
  • Un autre rapport, comparant les résultats de l’ECI aux cas de violence et de négligence envers des enfants autochtones confirmés par des enquêtes, indique que, pour 1 000 cas confirmés de mauvais traitements envers des enfants des Premières nations, 19,9 enquêtes ont révélé que le problème principal était l’exposition à la violence conjugale, à un taux cinq fois supérieur à celui qui concerne les enfants non autochtones (4,2 pour 1 000)Note de bas de page 34.

Les fausses allégations de violence

Il n’existe aucune recherche concluante portant sur le taux de faux signalements délibérés de violence familiale dans le cadre d’un conflit relevant du droit de la famille, quoiqu’on s’entende pour dire que de fausses allégations délibérées sont raresNote de bas de page 35. En ce qui concerne la violence faite aux enfants, il est important de faire la différence entre une fausse allégation faite de manière délibérée dans le but d’obtenir un avantage, dans le cadre d’un conflit relatif à la garde des enfants ou d’un conflit parental, et une allégation non fondée découlant d’un malentendu, mais motivée par des inquiétudes à l’égard de l’enfant. Des études ont montré que la plupart des fausses déclarations sont le résultat d’une erreur commise de bonne foi, de l’anxiété parentale et d’une mauvaise interprétation des déclarations de l’enfant, et plutôt que des mensonges intentionnelsNote de bas de page 36. Des recherches sur les signalements de cas de maltraitance envers les enfants aux services de protection de l’enfance fournissent certaines données, étant donné qu’il existe dans les lois provinciales et territoriales sur la protection de l’enfant des dispositions qui prévoient l’« obligation de faire rapport Â»Note de bas de page 37. Les mauvais traitements envers les enfants peuvent comprendre un éventail de comportements comme la violence physique, la violence sexuelle, la négligence, la violence psychologique et l’exposition à la violence conjugaleNote de bas de page 38. L’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants (ECI) fait le suivi des fausses allégations délibérées de négligence et de violence communiquées aux agences de protection de l’enfance, à partir des enquêtes menées par des travailleurs sociaux auprès des enfantsNote de bas de page 39.

  • De tous les signalements de cas de maltraitance envers les enfants où il y avait également un conflit entre les parents concernant la garde des enfants, 10 % ont été considérés comme intentionnellement faux par les enquêteurs de protection de l’enfanceNote de bas de page 40.
  • Ces signalements intentionnellement faux peuvent avoir été faits par le parent ayant la garde ou par l’autre parent, par un autre membre de la famille, un voisin, un professionnel (comme un professeur) ou provenir d’une source anonymeNote de bas de page 41.
  • Par contre, dans 60 % des cas où il y avait un différend relatif à la garde, le signalement de maltraitance d’un enfant était confirmé par les enquêteurs de la protection de l’enfance ou ces derniers soupçonnaient que l’enfant était victime de maltraitanceNote de bas de page 42. Dans 18 % des cas, ils ont jugé que le signalement de maltraitance n’était pas fondé, mais que l’auteur du signalement n’avait pas d’intention malveillanteNote de bas de page 43. Une autre tranche de 12 % de cas ont été jugés non fondés, mais rien n’indique si le signalement était malveillant ou nonNote de bas de page 44.

La violence entraîne des coûts personnels et sociaux importants

Il ne fait aucun doute que la violence familiale coûte très cher aux personnes qui la vivent et à celles qui en sont témoins. De tels coûts peuvent être transmis de génération en génération. Les gouvernements doivent également se préoccuper du fait que la violence familiale coûte cher; elle impose un lourd fardeau financier aux personnes concernées, à la collectivité et aux systèmes judiciaires.

  • Selon une étude portant sur les répercussions économiques de la violence conjugale réalisée en 2012Note de bas de page 45, le système judiciaire aurait assumé 7,3 % (545,2 millions de dollars) des répercussions économiques de la violence conjugale; le système de justice pénale en a assumé une part de 320,1 millions de dollars et le système de justice civile, une part de 225,1 millions de dollars.
  • Sur les coûts assumés par le système de justice civile, on estime qu’un montant de 181 903 737 $ (80,8 %) a été consacré aux systèmes de protection de l’enfance, un montant de 40 941 889 $ (18,2 %), aux cas de séparation et de divorce, et un montant de 2 272 200 $ (1 %), à des ordonnances civiles de protectionNote de bas de page 46, Note de bas de page 47.

Notes de bas de la page

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