Article 2b) – Liberté d’expression

Disposition

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

  1. liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.

Dispositions similaires

Les lois canadiennes et les instruments internationaux suivants ayant un effet contraignant sur le Canada renferment des dispositions semblables, c’est-à-dire : les articles 1d) et f) de la Déclaration canadienne des droits; l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; l’article 13 de la Convention relative aux droits de l’enfant; le sous-article 5d)(viii) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; l’article 21 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées; l’article IV de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme.

Il y a aussi les instruments suivants d’application internationale, régionale ou relevant du droit comparé qui ne sont pas contraignants sur le Canada mais qui contiennent des dispositions semblables : l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; l’article 13 de la Convention américaine sur les droits de l’homme; le Premier amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique.

Objet

La protection de la liberté d’expression repose sur des principes et des valeurs d’importance fondamentale qui favorisent la recherche et l’atteinte de la vérité, la participation à la prise de décisions d’intérêt social et politique ainsi que la diversité des formes d’enrichissement et d’épanouissement personnels (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, page 976; Ford c. Québec, [1988] 2 R.C.S. 712, pages 765 et 766).

La Cour suprême du Canada a statué que le lien entre la liberté d’expression et le processus politique est peut-être la « cheville ouvrière » de la garantie énoncée à l’article 2b) (R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827). La liberté d’expression est une valeur fondamentale entre toutes, car elle réside au cœur d’un gouvernement démocratique. Les deux autres éléments justifiant la protection de la liberté d’expression, soit encourager la recherche de la vérité au moyen d’un échange ouvert d’idées et favoriser l’épanouissement personnel des individus, parce qu’ils touchent directement la dignité humaine de la personne, constituent également des valeurs fondamentales qui sous-tendent l’analyse à la lumière de l’article 2b).

Analyse

Les tribunaux canadiens ont interprété l’article 2b) de façon très large et ont souvent conclu qu’il y avait atteinte à première vue à la liberté d’expression. Dans des cas sans équivoque, le procureur général du Canada admettra qu’il y a eu contravention à cette disposition et s’attachera à justifier la limite imposée à cette liberté en invoquant l’article premier.

Selon la Cour suprême, cet article doit être analysé en fonction d’un critère à trois volets : 1) L’activité en question a-t-elle le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’article 2b)? 2) Le lieu ou le mode d’expression ont-ils pour effet d’écarter cette protection? 3) Si l’activité expressive est protégée par l’article 2b), est-ce que la mesure gouvernementale, de par son objet ou son effet, porte atteinte au droit protégé? (Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2 (« Société Radio-Canada »); Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141; Irwin Toy Ltd., précité.)

1. L’activité en question a-t-elle le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’article 2b)?

L’expression protégée par l’article 2b) a été définie comme « toute activité ou communication qui transmet ou tente de transmettre une ‘signification’ » (Thomson Newspapers, précité, Irwin Toy Ltd., précité). Les tribunaux ont appliqué le principe de la neutralité du contenu lorsqu’ils ont cerné le champ d’application de l’article 2b) de manière à ce que le contenu d’une expression, peu importe son caractère offensant, impopulaire ou troublant, ne puisse la priver de la protection de l’article 2b) (Keegstra, précité). Puisque la Charte ne s’attache aucunement au contenu, elle protège tout autant l’expression de vérités que de faussetés (Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, paragraphe 60; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, paragraphe 36; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, paragraphe 25).

La liberté d’expression comprend plus que le droit d’exprimer des croyances et des opinions; elle protège tout autant celui qui s’exprime que celui qui l’écoute (Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326). Par « expression » s’entendent également toutes les étapes de la communication, depuis le concepteur ou l’expéditeur jusqu’au destinataire, qu’il s’agisse d’un auditeur ou spectateur, en passant par le fournisseur, le distributeur, le détaillant, le locateur et l’exposant (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; Irwin Toy Ltd., précité; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes de l’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232; R. c. Videoflicks (1984), 14 D.L.R. (4th) 10).

Sont protégées les formes d’expression suivantes :

La liberté d’expression s’entend aussi du droit de ne pas s’exprimer : « [L]a liberté d’expression comporte nécessairement le droit de ne rien dire ou encore le droit de ne pas dire certaines choses. Le silence est en soi une forme d’expression qui peut, dans certaines circonstances, exprimer quelque chose plus clairement que des mots ne pourraient le faire. » (Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, page 1080). Par conséquent, le fait de contraindre quelqu’un à s’exprimer peut porter atteinte à l’article 2b) (Slaight Communications, précité; RJR-MacDonald Inc., précité; B.N.C. c. Union des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269). La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’exigence selon laquelle il faut réciter un serment à la Reine lors des cérémonies de citoyenneté ne porte pas atteinte à la liberté d’expression (McAteer c. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 578, autorisation de pourvoi à la CSC refusée le 26 février 2015). Il faut faire preuve de prudence lorsqu’on cite la décision McAteer, précité, puisque cette affaire semble être en contradiction avec l’interprétation large par la Cour suprême de l’article 2b) de la Charte.

Une exigence réglementaire de produire des renseignements ou des rapports peut restreindre la liberté d’expression si l’omission de s’y conformer donne lieu à des sanctions comme des amendes ou l’emprisonnement (Harper, précité, paragraphes 138 et 139). Le fait de se conformer à une loi n’est pas la même chose que d’être contraint à se dire en faveur de cette loi (Rosen v. Ontario (Attorney General) 131 D.L.R. (4th) 708 (C.A. Ont.). De même, le versement obligatoire d’impôts et de taxes au gouvernement en vue de financer des initiatives législatives (par exemple les fonds publics que touchent les candidats à des élections pour couvrir leurs dépenses électorales) ne se traduit pas nécessairement par l’expression d’un appui en faveur de ces initiatives (MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, Lavigne, précité).

Il n’est pas nécessaire que l’expression soit reçue et comprise subjectivement pour être protégée par l’article 2b) (Weisfeld (C.A.F.), précité; R. c. A.N. Koskolos Realty Ltd. (1995), 141 N.S.R. (2d) 309 (C. prov. N.-É.)).

La vente d’un produit sans contenu expressif (des cigarettes) n’a pas été considérée comme une forme d’expression (Rosen (C.A. Ont.)). La coloration jaune de la margarine n’a pas non plus été assimilée à une forme d’expression (UL Canada Inc. c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 143, paragraphe 1).

2. Le lieu ou le mode d’expression ont-ils pour effet d’écarter cette protection?

La Cour suprême a affirmé que le mode ou le lieu de communication d’un message sera exclu de la protection de l’article 2b) si ce mode ou ce lieu est en dissonance avec les valeurs protégées à cet article, c’est-à-dire l’épanouissement personnel, le débat démocratique et la recherche de la vérité (Société Radio-Canada, précité, paragraphe 37; Montréal (Ville), précité, paragraphe 72). Cependant, en pratique, ce critère est habituellement appliqué seulement à une analyse du lieu d’expression; généralement, le mode d’expression est considéré faire partie de la protection prévue à l’article 2b), sauf si l’expression prend la forme de la violence ou de menaces de violence (voir ci-dessous).

(i) Mode d’expression

L’expression qui prend la forme de la violence n’est pas protégée par la Charte : (Irwin Toy Ltd., précité, pages 969 et 970. Selon la Cour suprême, peu importe que la violence physique possède ou non une valeur expressive, elle ne sera pas protégée par l’article 2b) (Keegstra, précité; Zundel (1992), précité; Irwin Toy Ltd., précité). Il en est de même pour les menaces de violence (GVTA, précité, paragraphe 28; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, paragraphes 107 et 108; R. c. Khawaja, 2012 CSC 69, paragraphe 70). À d’autres égards, la forme ou le moyen utilisé pour transmettre un message est généralement considéré faire partie du message et être visé par l’article 2b) (Weisfeld (C.A.F.), précité).

(ii) Lieu de l’expression

La protection de l’article 2b) ne s’étend pas à tous les lieux. Une propriété privée, par exemple, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 2b), à moins que l’État n’y impose une limite à l’expression, car seul un acte de l’État peut enclencher l’application de la Charte. Certains tribunaux inférieurs ont laissé entendre que la liberté d’expression n’englobait pas la violation du droit d’auteur. Cette conclusion se justifie du fait que la liberté d’expression ne signifie pas être libre d’utiliser le bien privé d’autrui (c'est-à-dire son œuvre protégée par un droit d’auteur) aux fins de s’exprimer (Compagnie générale des établissements Michelin c. C.A.W. Canada, [1997] 2 C.F. 306 (1re inst.)). Cependant, il convient de noter que cette interprétation de l’article 2b) semble être incohérente avec l’interprétation vaste de la disposition par la Cour suprême.

L’article 2b) n’est pas appliqué automatiquement parce que le lieu appartient au gouvernement; il faut pousser l’examen plus loin afin de déterminer s’il s’agit du type de propriété de l’État visé par cet article (Montréal (Ville), précité, paragraphes 62 et 71; Comité de la République du Canada, précité). Dans Montréal (Ville) les juges de la majorité de la Cour suprême ont énoncé le critère régissant l’application de l’article 2b) à un bien dont l’État est propriétaire (voir aussi GVTA, précité). C’est au demandeur qu’il incombe de satisfaire à ce critère (paragraphe 73). La question fondamentale quant à l’expression sur une propriété appartenant à l’État consiste à déterminer s’il s’agit d’un endroit public où l’on s’attendrait à ce que la liberté d’expression bénéficie d’une protection constitutionnelle parce que l’expression, dans ce lieu, ne va pas à l’encontre des objectifs que l’article 2b) est censé favoriser, soit : (1) le débat démocratique; (2) la recherche de la vérité; et (3) l’épanouissement personnel. Pour trancher cette question, il faut examiner les facteurs suivants :

  1. la fonction historique ou réelle de l’endroit;
  2. les autres caractéristiques du lieu qui laissent croire que le fait de s’y exprimer minerait les valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression. (Montréal (Ville), paragraphes 73 et 74).

La CSC a souligné que la question ultime porte sur le second facteur (Montréal (Ville), paragraphe 77). Dans Société Radio-Canada, précité, la Cour a ajouté que l’analyse du second facteur devrait être axée sur l’activité expressive essentielle, par opposition aux « débordements » qui pourraient découler de cette activité. Dans ce cas précis, il a été conclu que l’activité expressive essentielle, soit la capacité d’un journaliste de recueillir des renseignements au palais de justice en vue d’informer le public au sujet des débats judiciaires, déclenche l’application de l’article 2b), malgré les débordements connexes à cette expression (« les attroupements, bousculades et chasses aux entrevues et aux images… ») (paragraphes 43 et 45).

D’autres questions pertinentes peuvent orienter l’analyse à savoir si l’expression dans un lieu précis est protégée par l’article 2b), notamment les suivantes : s’agit-il d’un endroit où il est de tradition que la liberté d’expression s’exerce? S’agit-il en fait d’un endroit essentiellement privé, même s’il appartient à l’État, ou d’un endroit public? Sa fonction — l’activité qui s’y déroule — est-elle compatible avec la libre expression publique? Ou s’agit-il d’une activité qui commande un certain isolement et un accès limité? Le droit d’entrer librement dans ce lieu et d’y présenter son message, par des paroles ou par des actes, serait-il compatible avec ce qui s’y fait? Ou les activités qui s’y déroulent s’en trouveraient-elles entravées? (Montréal (Ville), paragraphe 76). L’analyse reste quelque peu souple, et si le gouvernement permet l’utilisation de ses biens pour l’exercice de certaines activités expressives, il n’est pas tenu de le faire indéfiniment (GVTA, paragraphe 44).

3. L’action gouvernementale ou la loi en question a-t-elle comme objet ou effet de restreindre la liberté d’expression?

(i) Objet

Si l’objet de l’action gouvernementale consiste à restreindre le contenu de l’expression, à contrôler l’accès à un certain message ou à limiter la possibilité pour une personne de transmettre un message afin de s’exprimer, cet objet sera contraire à l’article 2b) (Irwin Toy Ltd., précité; Keegstra, précité).

(ii) Effet

Même si l’objet est compatible avec l’article 2b), une personne pourra établir que la restriction gouvernementale a comme effet de porter atteinte à son droit garanti par l’article 2b). Cette personne devra établir qu’une expression vise les fins de l’article 2b), c’est-à-dire la participation à la prise de décisions d’intérêt social et politique, la recherche de la vérité ainsi que l’épanouissement personnel (Irwin Toy, précité; Ramsden, précité). Bien que ses décisions récentes précisent qu’il faut montrer l’effet de l’action gouvernementale, la Cour suprême du Canada ne semble pas exiger avec beaucoup de vigueur qu’une personne prouve que ces valeurs sont favorisées et tend plutôt à conclure facilement à une violation de l’article 2b).

Si un tribunal détermine que l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale porte atteinte au droit garanti par l’article 2b), il examinera ensuite si cette restriction peut être justifiée au regard de l’article premier.

Certaines questions d’intérêt particulier

1. L’article 2b) impose-t-il une obligation positive au gouvernement?

La liberté d’expression n’impose normalement qu’une obligation de non-ingérence au gouvernement. « Selon le point de vue traditionnel, exprimé dans le langage courant, la garantie de la liberté d’expression énoncée à l’article 2b) interdit les bâillons mais n’oblige pas à la distribution de porte-voix. » (Haig, précité, page 1035). En général, il appartient au gouvernement de déterminer les formes d’expression qui méritent une protection spéciale et quand il choisit de fournir une tribune favorisant l’expression, il doit le faire en conformité avec la Charte, y compris l’article 15 (Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989; Siemens, précité, paragraphe 43, Association des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627).

Toutefois, dans certaines circonstances, l’article 2b) obligera le gouvernement à étendre à un groupe ou à des particuliers précis un moyen ou une tribune de portée restreinte (Baier c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 673). Ces circonstances seront déterminées d’après les facteurs décrits dans l’arrêt Dunmore c. Ontario, [2001] 3 R.C.S. 1016 et adaptés dans le contexte de l’article 2b) dans Baier (précité, paragraphe 30):

  1. la demande doit reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis;
  2. le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal constitue une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’article 2b) ou que l’objet de l’exclusion était de faire obstacle à une telle activité;
  3. l’État doit pouvoir être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale.

Les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunmore devraient être pris en considération seulement après que le tribunal est convaincu que l’activité en question est une forme d’expression et que le demandeur revendique un droit positif (Baier, précité, paragraphe 30). Pour déterminer si le droit invoqué est positif, il faut se demander si les appelants prétendent que le gouvernement devrait légiférer ou prendre d’autres mesures pour appuyer ou permettre une activité expressive (Baier, précité, paragraphe 35). Un droit positif ne devient pas un droit négatif si le gouvernement réduit l’accès à une tribune d’expression à laquelle les demandeurs avaient accès dans le passé (Baier, précité, paragraphe 36).

Actuellement, il n’est pas clair si le critère à trois volets de l’arrêt Dunmore est toujours applicable. La Cour suprême ne l’a pas appliqué depuis l’arrêt Baier, précité. La Cour a expressément refusé de l’appliquer dans l’arrêt Ontario c. Criminal Lawyers’ Association, [2010] 1 R.C.S. 815, paragraphe 31. Dans l’arrêt Ontario c. Fraser, 2011 CSC 20, une affaire portant sur la liberté d’association, la Cour suprême n’a pas mentionné le critère Dunmore, malgré son applicabilité évidente à la question de savoir si l’article 2d) impose des obligations positives au gouvernement dans un contexte des négociations collectives.

Il convient également de noter que le cadre de revendications de « droits positifs » invoqué dans l’arrêt Baier, précité, ne s’applique que lorsqu’un groupe de demandeurs est exclu d’une tribune d’expression spécifique créée par le gouvernement. Par exemple, dans GTVA, précité, la Cour suprême a conclu que l’analyse sous l’angle de la revendication d’un droit positif ne s’appliquait pas aux restrictions liées au contenu pour la publicité sur les autobus. Les publicités à caractère politique de groupes d’étudiants ont été interdites uniquement en raison de la nature politique de leur contenu et non en raison du groupe de personnes qui revendiquait le droit (paragraphes 29 à 36).

2. L’article 2b) protège-t-il un droit d’accès élargi à l’information?

L’article 2b) garantit la liberté d’expression, et non pas l’accès à l’information, et ne garantit donc pas l’accès à tous les documents que détient le gouvernement. L’accès à des documents qui se trouvent entre les mains de l’État est protégé par la Charte seulement dans la mesure où, sans l’accès souhaité, les discussions publiques significatives sur des questions d’intérêt public et les critiques à leur égard seraient considérablement entravées (Ontario (Public Safety and Security) c. Criminal Lawyers’ Association, (2010), 319 D.L.R. (4th) 385; 2010 CSC 23). Si le demandeur peut établir que le refus de lui donner accès empêche la tenue d’un débat significatif, il est établi prima facie que les documents doivent être communiqués (Criminal Lawyers Association, précité, paragraphes 33 et 37).

Cependant, même dans ce cas, il est possible qu’un tribunal ne conclue pas à une violation de l’article 2b) : le demandeur doit établir que la protection n’est pas écartée par des considérations compensatoires incompatibles avec la divulgation (Criminal Lawyers Association, paragraphes 33 et 38). Ces considérations comprennent les privilèges, comme le secret professionnel de l’avocat et d’autres privilèges solidement établis en common law (Criminal Lawyers Association, paragraphe 39). Il ne faut pas oublier non plus les contraintes fonctionnelles, c'est-à-dire qu’il faut évaluer s’il l’accès à certains documents est incompatible avec une fonction quelconque de l’État. Certains types de documents, comme les renseignements confidentiels du cabinet,  peuvent être soustraits à la communication, parce que celle-ci nuirait au bon fonctionnement des institutions touchées (Criminal Lawyers Association, paragraphe 40). En prenant compte des considérations compensatoires, la Cour suprême semble vouloir adopter certains aspects de l’analyse en vertu de l’article premier de la Charte dans son analyse de l’article 2b).

3. Le principe de la publicité des débats judiciaires

En ce qui a trait aux tribunaux, particulièrement en matière pénale, il existe un principe général militant en faveur de la transparence (R. c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480B.C.G.E.U., précité). Le principe de la publicité des débats judiciaires est profondément enraciné dans notre tradition de common law et il est protégé par l’article 2b) (Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, paragraphe 53) Il est également protégé au titre du droit à un procès équitable et public, énoncé à l’article 7 et à l’article 11d). Le public a le droit de recevoir de l’information sur toutes les procédures judiciaires, y compris avant l’étape de l’instruction, sous réserve des intérêts publics qui ont préséance (Edmonton Journal 1989, précité; Vancouver Sun (Re), [2004] 2 R.C.S. 332, paragraphe 27; Toronto Star Newspapers Ltd. v. Canada, [2010] 1 R.C.S 721). Les restrictions touchant le principe de la publicité des débats judiciaires dans le contexte de la mise en liberté provisoire (sur cautionnement) ont été considérées justifiables en vertu de l’article premier de la Charte lorsque ces limites aideraient à préserver l’équité du procès et à respecter la rapidité du processus de mise en liberté sous caution, évitant ainsi que l’accusé soit détenu inutilement (Toronto Star Newspapers, précité).

Ce principe se rattache à la liberté de la presse, car les médias sont un moyen important pour la population de recevoir de l’information sur ce qui se passe en salle d’audience (Vancouver Sun, précité, paragraphe 26). La Cour suprême a affirmé que l’accès aux pièces déposées devant le tribunal est un corollaire du caractère public des débats (Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3 (« Dufour »), Société Radio-Canada c. N.-B. 1996, précité; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130. Lorsqu’aucune disposition législative expresse ne règlemente cet accès, il revient au juge du procès de décider si l’accès devrait être accordé selon la grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck (voir ci-dessous) (Dufour, précité), Par contre, l’article 2b) ne protège pas spécifiquement les méthodes de cueillette de l’information, et ce ne sont pas toutes les techniques ou méthodes journalistiques, comme le recours à des indicateurs confidentiels, qui sont protégées (R. c. National Post, [2010] 1 R.C.S. 477, paragraphe 38).

Le principe de la publicité des débats judiciaires reposant sur l’article 2b) ne se limite pas aux procédures pénales, car la Cour suprême l’a aussi invoqué en droit civil (Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des finances), [2002] 2 R.C.S. 522, paragraphe 36, Edmonton Journal 1989, précité, paragraphes 5 à 11 et 55 à 63). Il y a une longue jurisprudence issue des juridictions inférieures portant à croire que le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique aussi aux tribunaux administratifs exerçant une fonction judiciaire ou quasi judiciaire (CBC c. Summerside (City), [1999] P.E.I.J. No. 3 (QL), paragraphe 25, donne un bon résumé des jugements rendus sur ce point, alors que Robertson c. Edmonton (City) Police Services, 2004 ABQB 519, paragraphes 192 à 215, nuance un peu le propos).

Le pouvoir discrétionnaire du juge de restreindre l’accès public aux procédures (au moyen d’une interdiction de publication, p. ex.), qu’il découle de la common law ou d’un texte législatif, doit être exercé dans les limites établies par la Charte (Dagenais, précité; R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442; Dufour, précité). Ainsi, le droit à un procès équitable, qu’une interdiction de publication cherche à protéger, et la liberté d’expression ont une importance égale à la lumière de la Charte, et l’une n’a pas automatiquement préséance sur l’autre. Pour décider suivant un pouvoir discrétionnaire, s’il y a lieu de prononcer une interdiction de publication ou d’exclure le public de la salle d’audience, les tribunaux soupèsent généralement la liberté d’expression, l’intérêt qu’a la population d’être informée sur le processus judiciaire et la responsabilité des tribunaux envers le public, d’une part, par rapport à d’autres intérêts publics importants, d’autre part, ayant alors recours pour l’essentiel au critère énoncé dans l’arrêt Oakes relativement à l’article premier (Dagenais, précité; Mentuck, paragraphe 27, précité; Vancouver Sun, précité; Sierra Club du Canada, précité; Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41). C’est la partie qui demande la restriction qui doit justifier qu’on passe outre au principe de la publicité des débats judiciaires (Société Radio-Canada c. N.-B. (1996), précité, paragraphe 71; Vancouver Sun, précité, paragraphe 31).

L’interdiction discrétionnaire de publication imposée aux procédures judiciaires devrait être ordonnée dans les circonstances suivantes uniquement :

  1. l’interdiction de publication est nécessaire afin d’écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, parce que d’autres mesures raisonnables ne pourront éliminer ce risque;
  2. les effets bénéfiques de la restriction sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits des parties et de la population, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès équitable et public de même que sur l’efficacité de l’administration de la justice (Mentuck, précité au paragraphe 32; voir également A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, au paragraphe 11)

Le premier volet de l’évaluation de la nécessité exige, selon la Cour suprême, que le risque constitue une menace sérieuse et qu’il soit bien appuyé par la preuve. Ensuite, l’expression « bonne administration de la justice » doit être interprétée soigneusement de manière à ne pas permettre de garder secrets un nombre excessif de renseignements. La Cour suprême a ajouté que la bonne administration de la justice peut englober des droits importants autres que ceux qui sont protégés par la Charte. Finalement, le juge qui ordonne l’interdiction de publication doit non seulement se demander si d’autres moyens raisonnables peuvent être utilisés mais aussi limiter l’interdiction autant que possible sans sacrifier la prévention du risque (Mentuck, précité, paragraphes 31 et 34 à 36).

La Cour suprême a précisé que le cadre établi dans les arrêts Dagenais et Mentuck est assez souple pour s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, à toutes les décisions judiciaires discrétionnaires qui restreignent l’accès du public aux procédures judiciaires (Mentuck, précité, paragraphe 33). Il s’agit de la décision notamment de tenir des audiences à huis clos (Vancouver Sun, précité, paragraphes 29 et 30), de prononcer une ordonnance de confidentialité empêchant que des documents produits au tribunal soient rendus publics (Sierra Club du Canada, précité, paragraphe 48), de rendre une ordonnance de non-publication à l’égard de négociations en vue d’un règlement dans le contexte d’une instance civile (Globe and Mail, précité, paragraphe 87), ou une ordonnance protégeant des documents avant le dépôt d’accusations ou à l’étape de l’enquête dans une instance pénale (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, [2005] 2 R.C.S. 188).

Certaines questions pertinentes encadrent l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire de restreindre l’accès public aux instances judiciaires : quels sont les droits et intérêts en jeu (p. ex. l’intérêt de l’administration de la justice, en vue de protéger les innocents, de garantir la tenue d’un procès équitable, de protéger des droits relatifs à la vie privée, de protéger une enquête en cours ou d’importants intérêts commerciaux)? (Edmonton Journal (1989), précité; Southam Inc. and The Queen (1986), 26 D.L.R. (4th) 479 (C.A. Ont.); Canadian Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 122; Société Radio-Canada c. N.-B.(1996), précité; Vancouver Sun, précité; Sierra Club du Canada, précité; French Estate v. Ontario (Attorney General) (1998), 38 O.R. (3d) 347 (C.A. Ont.); Bragg Communications Inc., précité). Quelle est la nature de l’enquête (judiciaire ou quasi judiciaire, policière), du régime législatif et de la pratique en vigueur sous ce régime? (Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1991] 2 C.F. 327 (C.A.F.); Edmonton Journal c. Alberta (Attorney general) (1983), 5 D.L.R. (4th) 240 (A.B.Q.B.), confirmé par (1984) 13 D.L.R. (4th) 479 (A.B.C.A.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée (1984) 34 Alta. L.R. (2d); Southam Inc. c. Coulter (1990), 75 O.R. (2d) 1 (C.A. Ont.); Travers c. Canada (Commission d’enquête sur les activités du groupement tactique du Régime aéroporté en Somalie), [1994] F.C.J. no 932 (C.A.F.); Vancouver Sun, précité); la durée de l’interdiction d’accès ou de publication (temporaire ou permanente) et son efficacité compte tenu des nouvelles technologies? (French Estate (C.A. Ont.), précité). L’information qu’on cherche à protéger appartient-elle déjà au domaine public (Vancouver Sun, précité; Globe and Mail, précité) et la probabilité qu’une personne participant à l’instance, notamment un juré, ait un parti pris advenant qu’il n’y ait pas de telle restriction (Dagenais, précité)?

Dans le cas d’une interdiction de publication rendue obligatoire par le législateur, l’analyse des droits afin de déterminer le bien-fondé d’un régime devrait se faire à la lumière de l’article premier, en appliquant les critères énoncés dans l’arrêt Oakes (Toronto Star Newspapers, précité).

4. Accès aux débats législatifs

Les privilèges parlementaires sont protégés par la Constitution, de sorte qu’une assemblée législative peut réglementer l’accès à ses débats en fonction de ces privilèges, même si elle limite ainsi la liberté de la presse de faire des reportages sur ces débats (Nouveau-Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, Zundel c. Boudria, et al (1999), 46 O.R. (3d) 410 (C.A. Ont.).

5. Immunité journalistique

L’article 2b) ne protège pas toutes les techniques de collecte d’informations. La liberté d’expression et la liberté de la presse ne signifient pas que les journalistes jouissent d’une immunité générale les soustrayant à l’obligation de produire des éléments de preuve matérielle pertinents ou à celle de révéler leurs sources confidentielles. Par conséquent, une ordonnance judiciaire visant à forcer la divulgation d’une source secrète ne va généralement pas à l’encontre de l’article 2b), qu’elle survienne lors d’un procès pénal (R. c. National Post, précité, paragraphes 37 à 41) ou lors d’un litige civil (Globe and Mail, précité, paragraphes 20 à 22). Un privilège à portée limitée du secret des sources des journalistes existe en common law et un critère qui tient compte des valeurs sous-tendant la Charte sert à déterminer l’existence du privilège fondé sur les circonstances de chaque cas (R. c. National Post, précité, paragraphes 50 à 55; Globe and Mail, précité, paragraphes 53 à 57). Lorsque lui est soumise une demande relative à une ordonnance de communication en lien avec un média, le juge saisi de la demande doit appliquer une analyse qui met en balance l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs, d’une part, et le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations, d’autre part (R. c. Média Vice Canada Inc., 2018 CSC 53, au paragraphe 82).

6. Application de l’article 2b) aux litiges entre particuliers

Même si un litige opposant des parties privées n’est pas régi directement par la Charte, les valeurs exprimées dans la Charte doivent présider à l’évolution de la common law (Grant c. Torstar Corp., [2009] 3 R.C.S. 640, paragraphe 44; Quan c. Cusson, [2009] 3 R.C.S. 712; Hill c. Church of Scientology of Toronto, précité, paragraphe 97; WIC Radio Ltd. c. Simpson, [2008] R.C.S. 420, paragraphe 2, au sujet des actions en diffamation). Les tribunaux devront à l’occasion « poser un regard neuf sur la common law et réévaluer sa compatibilité avec les attentes sociales en mutation à la lumière des valeurs affirmées dans la Charte » (Grant c. Torstar Corp., précité, paragraphe 46). Les valeurs énoncées à l’article  2b) de la Charte ont été invoquées pour justifier de modifier la common law en matière de diffamation en vue de créer la « défense de communication responsable concernant des questions d’intérêt public » (Grant c. Torstar Corp., précité; Quan c. Cusson, précité).

L’article 2b) ne crée pas non plus un privilège au sujet des notes des journalistes (Bank of B.C. c. Canada Broadcasting Corp.,(1995) D.L.R. (4th) 644 (C.A.C.-B)).Les radiodiffuseurs privés ne sont pas tenus de fournir une tribune pour des messages particuliers (AFAC, précité; Haig, précité; Nouveau-Brunswick Broadcasting Co. c. CRTC,[1984] 2 C.F. 410 (C.A.F.); Trieger v. Canada Broadcasting Corp. (1988), 66 O.R. (2d) 273 (H.C. J. Ont.), 1988 CanLII 4568 (C.S. Ont.); Parti de la loi naturelle c. Société Radio-Canada, [1994] 1 R.C.F. 580 (C.F. 1re inst.)). La SRC, du moins dans son rôle de diffuseur indépendant des actualités, n’est pas assujettie à la Charte (Trieger, précité, Parti de la loi naturelle, précité). Lorsque les juges doivent appliquer les valeurs mises de l’avant par la Charte dans l’exercice de leur discrétion dans des situations particulières, il n’est pas nécessaire que la partie qui fait valoir la façon dont ces valeurs doivent être appliquées donne un avis de question constitutionnelle (Bank of B.C., précité).

Bien que la Charte s'applique à la common law et que les juges doivent élaborer la common law conformément aux valeurs de la Charte (S.D.G.M.R. c. Pepsi-Cola, précité), les dispositions relatives à la liberté d'expression ne protègent pas les particuliers qui intentent des poursuites privées lorsque la limite à la liberté d'expression tire sa source de la common law (notamment l’incitation à violer un contrat) et lorsqu'il n'y a pas d’intervention significative du gouvernement (Dolphin Delivery, précité; Hill, précité).

7.  Expression par les fonctionnaires

Dans le cas des fonctionnaires, la liberté de critiquer publiquement des politiques gouvernementales est limitée par l’obligation de loyauté envers l’employeur qui découle de la common law (l’arrêt Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455 est déterminant sur ce point, même si la décision, techniquement, ne se fonde pas sur l’article 2b), Haydon et autres c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (C.F., 1ère inst.), Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 C.F. 749, paragraphe 43 (C.F.)). L’objet de cette obligation de loyauté, soit de favoriser la mise en place d’une fonction publique impartiale et efficace, a été considéré comme urgent et réel (Haydon (2001), précité, paragraphes 69 à 75; Haydon (2004), précité, paragraphe 45; Osborne, précité). L’obligation devrait porter atteinte le moins possible à la liberté d’expression et n’exige pas le silence absolu de la part des fonctionnaires (Osborne, précité; Haydon (2001), précité, paragraphe 86).  Pour garantir une atteinte minimale et la proportionnalité entre l’effet et l’objectif de la restriction, il est nécessaire de soupeser l’obligation de loyauté et la valeur de la liberté d’expression (Fraser, précité; Haydon (2001), précité, paragraphe 67; Haydon(2004), précité, paragraphe 45; Alberta Union of Provincial Employees (A.U.P.E.) v. Alberta, 2002 ABCA 202, 218 (4th) D.L.R. 16, paragraphe 29).

En règle générale, lorsqu’une question touche l’intérêt public, entre autres si le gouvernement commet des actes illégaux ou si ses politiques mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité d’autrui, ou encore si les critiques n’ont aucun effet sur l’aptitude du fonctionnaire à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont la population perçoit cette aptitude, l’intérêt public a préséance sur l’objectif d’une fonction publique impartiale et efficace (Haydon (2001), précité, paragraphes 82 et 83; Haydon (2004) précité, paragraphe 45; Stenhouse c. Canada (Procureur général), 2004 CF 375 (C.F.), paragraphe 32).

8. Injonctions interlocutoires

Aux fins des demandes d’injonction interlocutoire dans les affaires de diffamation et de discours haineux, les tribunaux appliqueront un critère différent de l’arrêt Cyanamid (American Cyanamid Co. c. Ethicare Ltd., [1975] A.C. 396 (C.L.), approuvé dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, pages 128 et 129). Le critère du préjudice énoncé dans Cyanamid ne convient pas dans les circonstances (Canada (CCDP) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626).

9. Liberté d’expression en tant que valeur consacrée par la Charte dans les décisions administratives de nature discrétionnaire

La liberté d’expression est également une « valeur consacrée par la Charte » et les décideurs administratifs, lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire en vertu d’une loi, doivent trouver un juste équilibre entre les objectifs législatifs pertinents et cette valeur. Dans Doré, la Cour suprême a conclu que les organismes disciplinaires professionnels comme le Barreau du Québec pourraient devoir tolérer « certaines critiques acérées » de la part des juges en raison de la liberté d’expression. Cependant, la décision du Comité de discipline du Barreau de réprimander M. Doré dans ce cas était justifiée en raison du « degré excessif de vitupération » dans le ton de sa lettre à un juge. La Cour a conclu que les exigences en matière de civilité pour les avocats doivent être mises en balance avec les avantages « d’une critique ouverte et même vigoureuse de nos institutions publiques. » (Doré c. Barreau du Québec, [2012] 1 R.C.S 395).

Considérations particulières relatives à l’article premier

En raison de la vaste portée de l’article 2b), la validité de la disposition législative ou de l’action gouvernementale attaquée dépendra dans la plupart des cas de l’analyse aux fins de l’article premier. Se reporter à la fiche relative à la Charte qui concerne l’article premier pour connaître le cadre d’analyse et les principaux arrêts applicables. De façon générale, en raison de l’importance de la garantie relative à la liberté d’expression, « toute tentative visant à restreindre ce droit doit cependant faire l’objet d’un examen très attentif » (Sharpe, précité, paragraphe 22). Cependant, le « degré de protection constitutionnelle peut varier en fonction de la nature de la forme d’expression en cause […] le peu de valeur de l’expression peut plus facilement céder le pas à l’objectif gouvernemental » (Thomson Newspapers, précité, paragraphe 91; JTI-Macdonald Corp., précité; Lucas, précité, paragraphes 116 et 121; Sharpe, précité, paragraphe 181; Whatcott, précité, paragraphes 147-148; Butler, précité, page 150). Par exemple, on déclare plus facilement justifiées les limites imposées aux formes d’expression qui mettent peu de l’avant les valeurs inhérentes à l’article 2b), comme dans le cas du discours haineux, de la pornographie ou de la mise en marché d’un produit nocif (Keegstra, précité, Whatcott, précité; Rocket, précité; JTI-Macdonald Corp., précité). Les restrictions touchant le discours politique seront généralement les plus difficiles à justifier (Thomson Newspapers Co., précité, Harper, précité). Les limites seront aussi plus difficiles à justifier lorsqu’elles visent des activités communicatrices qui ont une valeur artistique, scientifique, éducative ou sociale (Butler, précité).

Dans les arrêts fondés sur l’article 2b), le fait qu’une limite porte atteinte le moins possible à la liberté d’expression se révélera souvent le facteur déterminant. L’interdiction totale d’une forme d’expression sera plus difficile à justifier qu’une interdiction partielle (RJR-MacDonald, précité; JTI-Macdonald Corp., précité; Ruby, précité; Thomson Newspapers Co., précité; Toronto Star Newspapers Ltd., précité). Une limite à la libre expression  donnant lieu à une peine civile plutôt qu’à une sanction pénale, entre autres l’emprisonnement, sera considérée comme une atteinte moins grave (Zundel (1992), précité; Taylor, précité).

Lorsque la limite à la liberté d’expression est minimale, la Cour peut, dans certaines circonstances comme la publicité électorale, accepter les justifications au regard de l’article premier pour cette limite fondées sur la logique et la raison sans étayer les preuves relevant des sciences sociales (B.C. Freedom of Information, précité).

Lorsqu’un décideur administratif exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu d’une loi et qu’il doit prendre en considération la liberté d’expression en tant que valeur protégée par la Charte, une cour procédant à la révision n’appliquera pas le critère traditionnel énoncé dans l’arrêt Oakes (Doré c. Barreau du Québec, précité). La cour examinera plutôt si le décideur a pris en considération les objectifs législatifs pertinents et s’il s’est demandé comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu de ces objectifs (Doré, paragraphes 55-56). La décision sera raisonnable si elle est le fruit d’une mise en balance proportionnée des protections en cause garanties par la Charte compte tenu de la nature de la décision, du contexte législatif et des faits précis (Doré, paragraphes 57-58).

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