Projet de loi C-11 : Loi édictant la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs et la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données et apportant des modifications corrélatives et connexes à d'autres lois

Déposé à la Chambre des communes le 2 décembre 2020

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-11, Loi édictant la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs et la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-11 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

Le projet de loi C-11, également connu sous le nom de Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique, abrogerait des parties de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et les remplacerait par un nouveau régime législatif régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales au Canada. À titre d’élément fondamental de ce régime, la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs serait édictée afin de conserver, de moderniser et d’étendre les règles existantes et d’imposer de nouvelles règles aux organisations du secteur privé en matière de protection des renseignements personnels. La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs maintiendrait et améliorerait également le rôle du commissaire à la protection de la vie privée dans la surveillance de la conformité des organisations à ces mesures. La Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données serait édictée afin de créer un tribunal chargé d’entendre les appels interjetés à l’encontre des ordonnances rendues par le commissaire à la protection de la vie privée et d’appliquer le nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires établi en vertu de La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs. Les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques régissant les supports électroniques remplaçant les documents papier seraient conservées sous le nouveau titre Loi sur les documents électroniques.

Accès du gouvernement aux renseignements des organisations

La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs rétablirait et augmenterait les pouvoirs d’examen et de vérification existants du commissaire à la protection de la vie privée et les étendrait à son nouveau pouvoir de mener des investigations sur les violations alléguées de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs. Ces pouvoirs comprennent le pouvoir de contraindre à la production de documents et d’entrer dans un lieu privé, autre qu’une maison d’habitation, pour examiner des documents et s’entretenir avec les personnes s’y trouvant. Le commissaire à la protection de la vie privée pourrait communiquer des renseignements à d’autres organismes de réglementation fédéraux, si certaines conditions étaient remplies. Le commissaire à la protection de la vie privée conserverait le pouvoir de communiquer des renseignements à ses homologues provinciaux et à des États étrangers.

La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs rétablirait également un éventail de dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques qui permettent aux organisations de communiquer des renseignements personnels à une institution gouvernementale à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement dans certaines circonstances. De plus, elle rétablirait les dispositions connexes permettant aux organisations de recueillir des renseignements personnels aux fins de certaines de ces communications. Les règles existantes pouvant restreindre les renseignements qu’une organisation peut fournir à une personne au sujet de ces communications seraient maintenues.

Fouilles, perquisitions ou saisies (article 8 de la Charte)

L’article 8 de la Charte protège contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives. Il vise à protéger les personnes contre une intrusion abusive de l’État qui empiéterait sur l’attente raisonnable en matière de vie privée. Une fouille, perquisition ou saisie sera jugée raisonnable si elle est autorisée par une loi, la loi elle-même est raisonnable (en ce sens qu’elle établit un équilibre approprié entre le droit relatif à la vie privée et les intérêts que poursuit l’État) et si elle est appliquée de façon raisonnable.

Les considérations suivantes appuient la conformité à l’article 8 des pouvoirs d’examen, d’investigation et de vérification du commissaire à la protection de la vie privée. Les organisations n’auront pas nécessairement une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée à l’égard des renseignements visés par ces pouvoirs réglementaires d’examen des plaintes, d’investigation et de vérification. Lorsque c’est le cas, le pouvoir législatif du commissaire à la protection de la vie privée d’avoir accès aux renseignements et de les communiquer serait clairement énoncé dans la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs. Ce pouvoir législatif appuierait les objectifs de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs grâce à des pouvoirs adaptés qui ressembleraient à ceux prévus dans d’autres contextes réglementaires et seraient assujettis à des restrictions régissant leur utilisation.

Dans le cas des dispositions rétablies permettant aux organisations de communiquer des renseignements personnels à une institution gouvernementale dans certaines circonstances, la conformité à l’article 8 est appuyée par les considérations suivantes. Les mesures visent principalement à faire en sorte que la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs ne constitue pas un obstacle à la communication lorsque celle-ci est autorisée par une autre source d’autorité légitime, comme une autre loi, un mandat ou une assignation, ou lorsqu’elle est faite sur une base volontaire et à l’initiative d’une organisation du secteur privé. Il existe un large éventail de dispositions en matière de transparence, de responsabilité et de surveillance, dans le cadre d’autres mesures et dans le contexte juridique plus général régissant les institutions publiques, qui limitent les répercussions sur le droit relatif à la vie privée. Les restrictions concernant les renseignements qu’une organisation peut fournir à une personne au sujet des communications aux institutions gouvernementales sont conçues de manière à permettre que des renseignements soient fournis à la personne lorsque cela ne compromettrait pas les opérations de nature délicate du gouvernement.

Des considérations semblables appuient la conformité à l’article 8 en ce qui concerne les dispositions permettant la collecte de renseignements personnels à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement aux fins de communications précises à des institutions gouvernementales. Ces dispositions en matière de collecte permettent aux organisations de répondre aux demandes de renseignements du gouvernement lorsque la communication au gouvernement est autorisée par une autre source d’autorité légale, comme une autre loi, un mandat ou une assignation. Elles appuient également les communications volontaires à l’initiative des organisations du secteur privé. Ces communications volontaires de renseignements personnels à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement ne sont permises que dans un nombre limité de situations, notamment lorsque l’organisation soupçonne que les renseignements concernent des questions expressément mentionnées ayant une grande importance pour le public, comme la sécurité nationale.

Restrictions possibles de l’expression commerciale et de la transparence du nouveau processus juridictionnel

Les restrictions régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels prévues dans la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs pourraient avoir des répercussions sur les activités expressives des entités réglementées lorsque ces activités comporteraient une collecte, une utilisation ou une communication de renseignements personnels restreintes ou interdites par la Loi.

La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs maintiendrait également l’obligation générale de confidentialité du commissaire à la protection de la vie privée, sous réserve de certaines exceptions, notamment la capacité de rendre l’information publique si le commissaire estime que cela est dans l’intérêt public. S’il est vrai que les fonctions juridictionnelles du Tribunal constitué en vertu de la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données seraient publiques par défaut, il existe des exceptions permettant de protéger les renseignements confidentiels et de tenir des audiences à huis clos. De plus, à moins que le plaignant n’y consente, le Tribunal serait tenu de ne pas dévoiler le nom du plaignant ni aucun renseignement qui puisse être utilisé pour l’identifier et aurait le pouvoir discrétionnaire de décider s’il nomme dans une décision l’organisation visée par celle-ci.

Liberté d’expression (alinéa 2b) de la Charte)

L’alinéa 2b) de la Charte protège la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris le principe de la publicité des débats judiciaires. Selon ce principe, il existe une présomption selon laquelle les procédures devant les tribunaux judiciaires et administratifs sont accessibles tant au public qu’aux médias. L’alinéa 2b) peut également protéger la liberté d’expression commerciale.

Les considérations suivantes appuient la conformité à la Charte des dispositions qui pourraient restreindre la transparence du processus juridictionnel et la communication des renseignements s’y rapportant. Le commissaire à la protection de la vie privée et le Tribunal conserveraient chacun un pouvoir discrétionnaire à l’égard de la transparence de leurs procédures respectives. Ce pouvoir discrétionnaire, qui doit être exercé conformément à la Charte, permet d’établir un juste équilibre entre la transparence et les considérations concurrentes, comme le droit à la vie privée. Il existe une présomption selon laquelle les procédures devant le Tribunal seront publiques.

Dans la mesure où la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs porterait atteinte à la liberté d’expression commerciale protégée, la conformité à la Charte est appuyée par les considérations suivantes. La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs s’applique uniquement aux renseignements personnels et contribue à la réalisation d’un objectif réglementaire important. Elle établit un équilibre entre le droit des individus à la protection de leurs renseignements personnels et les besoins des organisations. Elle est fondée sur le consentement et reconnaît diverses autres circonstances dans lesquelles les renseignements personnels peuvent légitimement être utilisés à des fins commerciales. Les dispositions de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs peuvent être considérées comme proportionnelles aux objectifs de soutien et de promotion du commerce par la protection des renseignements personnels.

Régime d’application de la loi

La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs autoriserait le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données à infliger une sanction administrative pécuniaire à une organisation ayant contrevenu à la Loi. Elle créerait également de nouvelles infractions pour la repersonnalisation de renseignements personnels qui ont été dépersonnalisés, sous réserve d’une exception concernant la vérification des mesures de sécurité, et pour la contravention à une ordonnance rendue par le commissaire à la protection de la vie privée à la suite d’une investigation. La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs maintiendrait les infractions commises lorsque les organisations contreviennent sciemment à certaines obligations que leur impose la Loi. L’infraction d’entrave à l’examen d’une plainte ou à la tenue d’une vérification serait étendue à la nouvelle fonction d’investigation du commissaire. Ces infractions seraient passibles d’une amende.

Droits relatifs aux infractions (article 11 de la Charte)

L’article 11 de la Charte garantit certains droits aux inculpés, notamment le droit à un procès public et équitable devant un décideur indépendant et impartial. Ses protections s’appliquent uniquement aux « inculpés ». Aux fins de l’article 11, une personne est inculpée lorsqu’elle est visée par une procédure de nature criminelle ou entraînant de « véritables conséquences pénales ». Les véritables conséquences pénales comprennent l’emprisonnement et les amendes comportant un objet ou un effet punitifs, par exemple lorsque l’amende ou la pénalité est disproportionnée par rapport au montant requis pour réaliser un objectif réglementaire. Les considérations suivantes appuient la conformité à l’article 11 des dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires et aux infractions.

Les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires proposées ne comporteraient pas d’accusations au criminel, de poursuite ou de détermination de la peine. La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs prévoirait expressément que ces dispositions visent non pas à punir, mais à favoriser le respect du régime législatif. Les sanctions administratives pécuniaires feraient l’objet d’un plafond fixé par la loi et ne comporteraient aucune amende minimale obligatoire. Le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données aurait le pouvoir discrétionnaire d’infliger des sanctions administratives pécuniaires. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire serait régi par des critères prévus par la loi.

Bien qu’elles ne prévoient pas d’emprisonnement, les dispositions relatives aux infractions proposées prévoiraient des accusations au criminel, des poursuites et une détermination de la peine pouvant mettre en jeu les droits garantis par l’article 11 de la Charte. Aucune incompatibilité possible entre les dispositions relatives aux infractions et les droits garantis par l’article 11 n’a été relevée lors de l’examen des mesures pertinentes.