Projet de loi C-15 : Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Déposé à la Chambre des communes le 23 février 2021

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-15 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

Le projet de loi appuie la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones au Canada en exigeant du gouvernement du Canada, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, qu’il prenne des mesures pour atteindre les objectifs de la Déclaration, notamment préparer et mettre en œuvre un plan d’action et prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois du Canada soient compatibles avec la Déclaration.

L’article 2 du projet de loi prévoit que la loi doit être interprétée de manière à maintenir les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et à ne pas y porter atteinte, et que la loi n’a pas pour effet de retarder l’application en droit canadien de la Déclaration.

L’article 4 prévoit que la loi a pour objet de confirmer que la Déclaration trouve application en droit canadien en tant qu’instrument international universel en matière de droits de la personne et d’encadrer la mise en œuvre de la Déclaration par le gouvernement du Canada.

L’article 5 prévoit que le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, doit prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration.

L’article 6 prévoit que le ministre élabore et met en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones et d’autres ministres fédéraux, un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la Déclaration, notamment des mesures de reddition de comptes en lien avec la mise en œuvre de la Déclaration. Le plan d’action comprend également des mesures pour lutter contre les injustices et éliminer toute forme de violence et de discrimination auxquelles se heurtent les peuples autochtones et il promeut le respect et la compréhension mutuels et de bonnes relations. Finalement, le plan d’action comporte des mesures concernant le suivi de sa mise en œuvre, son examen et sa modification et il est rendu public après son dépôt par le ministre devant chaque chambre du Parlement dès que possible après son élaboration, dans un délai maximal de trois ans.

L’article 7 prévoit que, chaque année, le ministre fait déposer devant chaque chambre du Parlement puis rend public un rapport, préparé en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, sur les mesures visées à l’article 5 et le plan visé à l’article 6.

Droit à l’égalité (article 15 de la Charte)

Le paragraphe 15(1) de la Charte protège les droits à l’égalité. Il prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique. L’égalité emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération.

Le projet de loi vise à mettre en œuvre la Déclaration conformément aux droits à l’égalité et à la non-discrimination que la Déclaration elle-même reconnaît comme des droits fondamentaux. Cela favorise les valeurs et les buts principaux qui sous-tendent l’article 15 de la Charte et les droits de la personne de façon plus générale, notamment en contribuant à combattre les préjugés et à éliminer la discrimination systémique auxquels se heurtent les peuples autochtones. Compte tenu des injustices historiques subies par les peuples autochtones, le projet de loi adopte une approche fondée sur la bonne foi, la justice, la démocratie, l’égalité et la non-discrimination, la bonne gouvernance et le respect des droits de la personne ainsi que sur la protection constitutionnelle des droits ancestraux et issus de traités existants. La Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont demandé au gouvernement d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration en tant que cadre pour la réconciliation. Le présent projet de loi propose un cadre législatif pour faire progresser l’autodétermination, l’autonomie gouvernementale, l’inclusion, la participation économique et l’égalité pour les peuples autochtones au moyen de l’harmonisation progressive des lois fédérales avec la Déclaration avec le temps.

Le projet de loi exigerait que le gouvernement du Canada, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, mette en œuvre la Déclaration en s’assurant que les lois fédérales sont conformes à la Déclaration avec le temps et au moyen de la mise en œuvre d’un plan d’action pour atteindre ses objectifs. Le projet de loi envisage de tenir compte de la diversité des peuples autochtones, dont les diverses identités, cultures, langues, coutumes, pratiques et traditions juridiques et les divers droits des Premières Nations, des Inuits et des Métis, dans le cadre de l’accomplissement des obligations énoncées dans le projet de loi. Le projet de loi exigerait également des mesures de mise en œuvre visant à combattre les préjugés et à éliminer toute forme de violence et de discrimination, notamment la discrimination systémique, auxquels se heurtent les peuples autochtones, ainsi que les aînés, les jeunes, les enfants, les femmes et les hommes autochtones, les Autochtones handicapés et les Autochtones de diverses identités de genre ou bispirituels.

Le projet de loi pourrait être considéré comme faisant une distinction fondée sur la race ou l’origine ethnique de façon à faire intervenir la protection du paragraphe 15(1) de la Charte parce qu’il donne aux peuples autochtones l’avantage unique d’un processus pour mettre à jour les lois fédérales avec le temps conformément à la Déclaration. Cet objectif du projet de loi concorde avec l’objet de l’article 15 de promouvoir l’égalité réelle pour des groupes défavorisés et de prévenir la discrimination à leur égard.

Le paragraphe 15(2) de la Charte précise que le paragraphe 15(1) permet les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race ou de leur origine ethnique. Le projet de loi vise en partie à remédier à une longue histoire parsemée de colonialisme, de racisme et de discrimination à l’égard des peuples autochtones au Canada. Le projet de loi vise à compenser certains des désavantages particuliers subis par les peuples autochtones en exigeant que des mesures soient mises en place afin d’assurer que les lois fédérales soient conformes aux normes en matière de droits de la personne reflétées dans la Déclaration, y compris le droit à l’auto-détermination et le droit à la non-discrimination et l’égalité. En outre, en exigeant une approche de mise en œuvre du projet de loi qui tient compte des diversités entre les peuples autochtones et en leur sein, le projet de loi est conforme aux objectifs de l’article 15.