Projet de loi C-20 : Loi concernant certaines mesures additionnelles liées à la COVID-19

Déposé à la Chambre des communes le 21 juillet 2020

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C‑20, Loi concernant certaines mesures additionnelles liées à la COVID-19, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-20 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Le projet de loi C‑20 est une mesure législative d’urgence visant à permettre au Canada de faire face à la situation extraordinaire créée par l’éclosion de la COVID‑19.

Communication de renseignements en vue d’un paiement unique aux personnes handicapées

Pour cette partie du projet de loi, on propose de modifier un certain nombre de lois afin d’autoriser la communication de renseignements en vue de la mise en œuvre d’un programme prévoyant le versement d’un paiement unique aux personnes handicapées. Le paiement unique est destiné à pourvoir aux dépenses extraordinaires auxquelles les Canadiens en situation de handicap font face durant la pandémie de coronavirus. Plus particulièrement, le projet de loi modifierait la Loi sur les pensions, la Loi sur le ministère des Anciens Combattants, la Loi sur les allocations spéciales pour enfants et la Loi sur le bien-être des vétérans pour autoriser la communication de renseignements recueillis aux termes de ces lois au ministère de l’Emploi et du Développement social et à l’Agence du revenu du Canada. La communication de renseignements serait autorisée uniquement si elle est nécessaire à la mise en œuvre du programme prévoyant le versement du paiement unique. Le projet de loi modifierait également la Loi de l’impôt sur le revenu pour autoriser l’utilisation et la communication d’un renseignement confidentiel à un fonctionnaire d’un ministère ou d’un organisme du gouvernement du Canada uniquement à une fin liée au versement du paiement unique.

L’article 8 de la Charte protège contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Il vise à protéger l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée, y compris son attente relative à ses renseignements personnels, contre une intrusion déraisonnable. Le fait de permettre la communication de renseignements concernant le droit de recevoir des prestations d’invalidité est susceptible de mettre en jeu l’article 8 de la Charte. La fouille, perquisition ou saisie qui empiète sur une attente raisonnable en matière de vie privée sera néanmoins raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même est raisonnable (en ce qu’elle établit un juste équilibre entre le droit à la vie privée et l’intérêt de l’État qui est en cause) et si la fouille, perquisition ou saisie est effectuée de façon raisonnable.

Les considérations suivantes permettent de soutenir que ces dispositions sont compatibles avec l’article 8 de la Charte. Les modifications ont pour but de faciliter la mise en œuvre d’un programme procurant un avantage aux personnes handicapées. Ces modifications prévoient l’attribution de nouveaux pouvoirs législatifs en matière de communication de renseignements. Il s’agit de pouvoirs semblables à ceux qui sont déjà prévus dans les deux lois visées par les modifications et qui permettent la communication de renseignements pour l’application ou l’exécution d’autres lois et programmes prévoyant des avantages pécuniaires pour les Canadiens. La communication sera autorisée seulement dans la mesure où les renseignements sont pertinents pour l’application ou l’exécution du programme prévoyant le versement du paiement unique.

Délais et autres périodes

Cette partie du projet de loi vise à permettre la suspension et la prolongation temporaires de certains délais et la prolongation d’autres périodes qui sont prévus sous le régime des lois fédérales et dont le respect est difficile ou impossible en raison des circonstances exceptionnelles découlant de la pandémie actuelle de coronavirus. Les dispositions du projet de loi ne s’appliquent pas aux délais et autres périodes relatifs aux enquêtes ou aux instances concernant les infractions. Elles ne s’appliquent pas non plus aux délais et autres périodes prévus sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Le projet de loi prévoit également que certains décrets et arrêtés pris en vertu de ses dispositions doivent être déposés devant le Parlement et publiés sur un site Web du gouvernement du Canada pour une période d’au moins six mois.

Délais concernant les instances

Cette partie du projet de loi prévoit la suspension de certains délais législatifs relatifs aux instances devant les tribunaux. La suspension vise les délais de prescription du droit d’introduire une instance, y compris un appel, et les délais relatifs à l’accomplissement d’un acte dans le cadre d’une instance.

Les délais sont suspendus pour la période commençant le 13 mars 2020 et se terminant le 13 septembre 2020 ou à une date antérieure fixée par décret. La cour peut modifier la suspension d’un délai, pourvu que la durée de la suspension n’excède pas six mois. En outre, la cour peut, par ordonnance, prendre des mesures concernant les effets entraînés par le non‑respect du délai, notamment des mesures qui annulent ou modifient ces effets. Le gouverneur en conseil peut aussi lever la suspension dans des circonstances particulières.

Dans certains cas, la suspension des délais relatifs aux instances est susceptible de mettre en jeu les droits protégés par la Charte, par exemple les droits visés à l’article 7, qui garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes comportent une exigence d’équité procédurale. Il peut arriver, dans certaines circonstances, que la suspension des délais relatifs aux instances porte atteinte à l’équité d’une instance donnée. En général, si la cour doit se prononcer sur une question relative à un droit garanti par la Charte, la suspension des délais relatifs à l’instance risque de différer une décision quant à l’existence d’une violation du droit visé et à la nature du redressement indiqué, ainsi que l’octroi de ce dernier.

Lorsque la suspension des délais relatifs aux instances porte atteinte aux droits protégés par la Charte, le pouvoir discrétionnaire conféré aux tribunaux de modifier la suspension d’un délai et de prendre des mesures concernant les effets entraînés par le non‑respect du délai relatif à une instance donnée permet de soutenir la conformité avec les dispositions de la Charte. Comme il est précisé dans cette partie du projet de loi, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon à respecter la primauté du droit et la Charte et à fournir une certitude quant aux instances.

Autres délais et périodes

Cette partie du projet de loi prévoit que le ministre chargé de l’application d’une loi fédérale ou d’un règlement fédéral figurant à l’annexe peut, par arrêté, suspendre ou prolonger tout délai ou autre période prévus sous le régime d’une disposition de cette loi ou de ce règlement qui figure à l’annexe. La durée maximale de la suspension ou de la prolongation ne peut excéder six mois, et celles-ci ne peuvent commencer avant le 13 mars 2020 et ne peuvent se prolonger au-delà du 31 décembre 2020. Un arrêté peut en outre prévoir que la suspension ou la prolongation ne s’appliquent qu’avec le consentement d’une personne, d’une cour ou d’un organe qui y est précisé, que la suspension ou la prolongation s’appliquent à moins qu’une personne, une cour ou un organe précisé dans l’arrêté n’en décide autrement, ou qu’une personne, une cour ou un organe qui est précisé dans l’arrêté peut modifier l’effet d’un arrêté.

Ces dispositions du projet de loi ne mettent pas en jeu, à elles seules, les droits et libertés garantis par la Charte, mais confèrent aux ministres le pouvoir de prendre des arrêtés relativement aux dispositions figurant à l’annexe. Ces arrêtés sont, dans certains cas, susceptibles de mettre en jeu les droits et libertés garantis par la Charte. Dans un tel cas, la Charte exige que le ministre responsable tienne compte des motifs justifiant la prise de l’arrêté, ainsi que des effets possibles sur les droits et libertés garantis par la Charte. Un arrêté peut également octroyer à des personnes, à des cours ou à des organes un pouvoir discrétionnaire relativement à l’application de l’arrêté. Comme il est précisé, les dispositions doivent être interprétées conformément à la Charte, de façon à respecter la primauté du droit et à fournir une certitude quant aux instances.