Projet de loi C-28 : Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire)

Déposé à la Chambre des communes le 1er février 2017

Note explicative

La ministre de la Justice a préparé le présent  « Énoncé concernant la Charte » (Énoncé) afin d’éclairer le débat public et parlementaire sur le projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire).Une des responsabilités les plus importantes de la ministre de la Justice consiste à examiner les projets de loi afin d’évaluer leur conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. Avec le dépôt de cet Énoncé concernant la Charte, la ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen portant sur la conformité du projet de loi C-28 avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte qui sont susceptibles d’être touchés par le projet de loi, et explique brièvement la nature de cet engagement au regard des mesures proposées.

L’Énoncé présente également les raisons pouvant justifier les limites que le projet de loi pourrait prescrire aux droits et libertés protégés par la Charte. L’article premier prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits ou libertés protégés par la Charte. Il n’y a violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

L’Énoncé vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement. Il ne s’agit pas d’un exposé complet de toutes les considérations potentielles concernant la Charte, compte tenu du fait qu’un projet de loi peut faire l’objet de modifications au cours du processus parlementaire. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire. L’Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité du projet de loi.

Considérations fondées sur la Charte

La ministre de la Justice a examiné la conformité du projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (suramende compensatoire), avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi, notamment de l’importance de promouvoir les valeurs qui sous‑tendent la Charte – à savoir la liberté, l’égalité et le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

L’analyse non exhaustive qui suit concernant les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par le projet de loi vise à éclairer le débat public et parlementaire.

Considérations fondées sur la Charte en ce qui a trait aux dispositions actuelles sur la suramende compensatoire

La suramende compensatoire est une sanction (pécuniaire) additionnelle d’un montant fixe qui est imposée d’office aux contrevenants adultes au moment de la détermination de la peine. Lorsqu’un contrevenant est condamné pour de multiples infractions au Code criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, une suramende compensatoire est imposée de façon cumulative pour chaque infraction.

Aux termes de l’article 12 de la Charte, chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Dans le contexte de la détermination de la peine en matière pénale, l’article 12 interdit l’imposition de peines exagérément disproportionnées. Dans certaines circonstances, les dispositions actuelles sur la suramende compensatoire peuvent exiger d’un juge d’imposer des suramendes compensatoires importantes, par exemple lorsque de multiples suramendes sont imposées de façon cumulative à des contrevenants relativement à des infractions contre l’administration de la justice, qui ne causent aucun préjudice à une victime. Un tel cumul de suramendes compensatoires risque d’être considéré comme une peine exagérément disproportionnée.

Le paragraphe 15(1) de la Charte protège les droits à l’égalité. Il prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, y compris des discriminations fondées sur la race et les déficiences mentales ou physiques. Dans certaines circonstances, les dispositions sur la suramende compensatoire peuvent avoir des effets disproportionnés sur les membres de groupes marginalisés de la société, et ces effets sont susceptibles d’être jugés discriminatoires.

Article 2 : Pouvoir discrétionnaire des juges dans certaines circonstances

Le projet de loi C-28 répondrait à ces considérations fondées sur la Charte en conférant expressément aux juges un pouvoir discrétionnaire dans certaines circonstances. Par exemple, les juges auraient le pouvoir discrétionnaire d’exempter un contrevenant du paiement de la suramende compensatoire lorsque ce dernier établit que ce paiement lui causerait un « préjudice injustifié » au sens des dispositions modifiées. Ce qui permet de promouvoir les valeurs fondamentales sous-jacentes à la Charte, notamment la liberté, l’égalité et le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Les modifications les plus importantes à cet égard sont celles qui figurent à l’article 2 : l’exception fondée sur les infractions prévue au paragraphe 737(1.1) et l’exemption  fondée sur le « préjudice injustifié » prévue aux paragraphes 737(5) à (6.1) inclusivement.

Le paragraphe 737(1.1) confère aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer moins de suramendes compensatoires qu’il y a d’infractions lorsque le cumul des suramendes serait disproportionné et lorsque ces infractions sont relatives à des défauts de comparution ou à des manquements aux conditions d’une mise en liberté si ces manquements n’ont pas causé de dommages – matériels, corporels ou moraux – ou de pertes économiques à une victime.

Le paragraphe 737(5) confère au contrevenant le droit de demander une exemption du paiement de la suramende compensatoire et permet au juge d’approuver la demande lorsque le contrevenant le convainc que le paiement lui causerait un préjudice injustifié. Le préjudice injustifié dans ces circonstances est défini au paragraphe 737(6) et s’entend de l’incapacité du contrevenant de payer une suramende compensatoire en raison de sa situation financière précaire, notamment parce qu’il est sans emploi ou sans domicile, n’a pas suffisamment d’actifs ou a des obligations financières importantes à l’égard des personnes à sa charge.

Ces modifications conféreraient aux juges un pouvoir discrétionnaire qui pourrait être exercé en conformité avec les principes établis de détermination de la peine, et avec la Charte. Peut-être plus important encore, au regard de la Charte, ces modifications permettraient aux juges de tenir compte de la situation particulière de chaque contrevenant (y compris des contrevenants marginalisés) lorsque celui‑ci est condamné pour certaines infractions contre l’administration de la justice ou lorsque l’exemption  fondée sur le « préjudice injustifié » s’applique.