Projet de loi C-2 : Loi visant à fournir un soutien supplémentaire en réponse à la COVID-19

Déposé à la Chambre des communes le 6 décembre 2021

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-2, Loi visant à fournir un soutien supplémentaire en réponse à la COVID-19, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-2 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle n’inclut pas de description exhaustive du projet de loi, mais est plutôt axée sur les éléments qui sont pertinents pour l’énoncé concernant la Charte.

Aperçu

Le projet de loi C‑2 propose d’édicter la Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement ainsi que des modifications corrélatives à d’autres lois. La Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement fournirait des prestations de soutien du revenu ciblées et limitées dans le temps dans les régions où un confinement est imposé par la Santé publique pour lutter contre la propagation de la COVID‑19. Seraient admissibles à la prestation de soutien du revenu les travailleurs salariés et les travailleurs autonomes qui, en raison du confinement, voient leur revenu diminuer au moins de moitié. La prestation serait accessible aux personnes de 15 ans et plus, à l’exception de celles qui ne sont pas en mesure de travailler parce qu’elles refusent de se conformer aux conditions que leur employeur impose en ce qui a trait à la vaccination contre la COVID‑19. La Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement autoriserait par ailleurs la communication de renseignements entre les ministres concernés aux fins de vérification de l’admissibilité des demandeurs. Elle autoriserait aussi le ministre de l’Emploi et du Développement social à imposer des sanctions pécuniaires, en plus de créer de nouvelles infractions.

En outre, le projet de loi C‑2 modifierait le Code canadien du travail pour permettre aux travailleurs qui ne sont pas en mesure de travailler pour des raisons liées à la COVID‑19 de prendre un congé sans solde, par exemple parce qu’ils doivent s’occuper d’un membre de la famille ou d’un enfant de moins de 12 ans ou parce qu’ils ont contracté la COVID‑19.

Restrictions relatives à l’admissibilité en fonction de l’âge

La Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement limiterait l’admissibilité aux travailleurs qui sont âgés d’au moins 15 ans.

Les modifications au Code canadien du travail prévoiraient un congé sans solde pour les employés qui ne sont pas en mesure de travailler pour des raisons liées à la COVID‑19. L’une des raisons énoncées dans le projet de loi est l’obligation de s’occuper d’un enfant de moins de 12 ans, par exemple parce que l’école de ce dernier est fermée ou parce qu’il a la COVID-19.

L’article 15 de la Charte énonce que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment celle fondée sur l’âge. Cela dit, ces deux exigences pourraient faire intervenir l’article 15, car elles créent une distinction fondée sur l’âge. Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de ces dispositions avec l’article 15 de la Charte.

Premièrement, il est raisonnable d’exiger que les travailleurs soient âgés d’au moins 15 ans afin d’obtenir des paiements de soutien du revenu sous la Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement. Cela correspond à l’âge auquel les travailleurs peuvent avoir besoin du revenu qu’ils gagnent pour subvenir à leurs propres besoins. Les enfants plus jeunes dépendent généralement du soutien financier d’un adulte.

Deuxièmement, restreindre le congé sans solde prévu au Code canadien du travail aux travailleurs qui s’occupent d’un enfant de moins de 12 ans est également raisonnable, car les enfants plus âgés peuvent rester à la maison sans la supervision d’un adulte. Toutefois, il est possible qu’un enfant de plus de 12 ans ait besoin qu’un adulte s’occupe de lui, par exemple en raison d’un handicap ou d’une condition médicale sérieuse. Ainsi, le Code canadien du travail autorise les travailleurs à prendre un congé sans solde pour s’occuper d’un membre de la famille de tout âge qui nécessite des soins supervisés.

Restrictions relatives à l’admissibilité en fonction de la vaccination

La Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement prévoirait que le refus de l’employé de se conformer aux conditions que l’employeur impose concernant la vaccination contre la COVID‑19 ne constitue pas une raison valable pour cesser de travailler ou pour travailler selon un horaire réduit. Cela signifie que les employés qui sont tenus par leur employeur de se faire vacciner et qui choisissent de ne pas le faire ne seraient pas admissibles à la prestation de soutien du revenu en cas de confinement.

Certains employés pourraient ne pas être en mesure de se faire vacciner en raison d’un handicap, d’une croyance religieuse ou d’un autre motif protégé par l’article 15 de la Charte et par les lois sur les droits de la personne. Or, les lois fédérales, provinciales et territoriales sur les droits de la personne s’appliquent et les conditions d’emploi d’un travailleur (y compris l’obligation de se faire vacciner) ne doivent pas donner lieu à de la discrimination fondée sur l’un de ces motifs. Cela veut dire que les employés qui ne peuvent pas se faire vacciner en raison d’un handicap, d’une croyance religieuse ou d’un autre motif protégé seraient tout de même admissibles à la prestation dans la mesure où ils satisfont aux autres critères d’admissibilité.

Pouvoirs de communication de renseignements

La Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement conférerait au ministre de l’Emploi et du Développement social le pouvoir d’exiger de toute personne qu’elle lui fournisse les renseignements ou documents nécessaires aux fins de vérification de la conformité ou de prévention de la non-conformité. Elle autoriserait également le ministre de la Santé à communiquer les renseignements obtenus en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, par exemple les noms et dates de naissance, au ministre de l’Emploi et du Développement social afin que ce dernier puisse vérifier l’admissibilité d’une personne aux prestations prévues à la Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement. Ce projet de loi permettrait également aux fonctionnaires responsables de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu de transmettre des renseignements sur les contribuables à d’autres fonctionnaires de l’État en vue de l’application de la Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement.

L’article 8 de la Charte protège les individus contre les fouilles et les saisies abusives. Il vise à protéger les personnes contre les intrusions injustifiées de l’État qui portent atteinte à l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée, notamment en ce qui a trait aux renseignements personnels. Une fouille, une perquisition ou une saisie n’est pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi est raisonnable (en ce qu’elle établit un juste équilibre entre le droit à la vie privée et l’intérêt poursuivi par l’État) et si elle est effectuée de façon raisonnable.
Autoriser la collecte et la communication de renseignements sur les personnes qui présentent une demande de prestation en cas de confinement ou qui ont été assujetties à la Loi sur la mise en quarantaine pourrait faire intervenir l’article 8 de la Charte.

Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de ces dispositions avec l’article 8 de la Charte. Les renseignements en question ne seraient recueillis que dans un but administratif limité, à savoir vérifier les renseignements reçus lorsque les travailleurs demandent une prestation en cas de confinement, ainsi que pour prévenir le non-respect de la Loi. Il s’agit là d’un contexte où les attentes en matière de vie privée sont réduites. De plus, les pouvoirs de communication des renseignements n’autoriseraient leur échange qu’à des fins étroitement liées à celles pour lesquelles ils avaient été recueillis et utilisés au départ. À ce titre, les pouvoirs proposés sont semblables aux pouvoirs actuels qui ont été confirmés par les tribunaux dans les domaines administratif et fiscal.

Exigence relative aux avis — Code canadien du travail

Les modifications au Code canadien du travail prévoient que l’employé qui a l’intention de prendre un congé doit donner un avis écrit à son employeur et lui indiquer les raisons et la durée du congé. L’employé serait également tenu de donner un avis écrit à son employeur pour modifier la durée de son congé. De plus, l’employeur aurait le pouvoir discrétionnaire d’exiger que l’employé lui fournisse une déclaration écrite pour justifier son congé.

De telles exigences sont susceptibles de porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte.  Les considérations suivantes appuient la compatibilité des modifications avec l’article 8 de la Charte. Les renseignements que les employés seraient tenus de fournir correspondent aux nouveaux critères d’admissibilité dans le cadre d’un régime d’autodéclaration. L’employé serait tenu de fournir des renseignements à son employeur dans le but administratif limité de vérifier son admissibilité à un congé lié à la COVID-19, comme le prévoit le Code canadien du travail. Il s’agit d’un contexte où les attentes en matière de vie privée sont réduites. Les pouvoirs proposés sont comparables aux pouvoirs qui ont été confirmés par les tribunaux dans des circonstances similaires.

Régime d’application de la loi

La Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement établirait de nouvelles infractions. Commettrait une infraction quiconque utilise sciemment de faux renseignements identificateurs ou les renseignements identificateurs d’une autre personne en vue d’obtenir une prestation. Commettrait aussi une infraction quiconque conseille à une autre personne de présenter une demande de prestation avec l’intention de la lui voler ou d’en voler une partie importante. Commettrait également une infraction quiconque fait sciemment au moins trois déclarations fausses ou trompeuses si le montant total des prestations qui ont été ou auraient été versées par suite des demandes est d’au moins 5 000 $. Toutefois, une personne ne commettrait pas une infraction si elle croit à tort que les renseignements identificateurs ne sont pas faux ou croit erronément qu’une déclaration est vraie. Enfin, aucune poursuite ne serait intentée à l’égard d’une infraction pour laquelle une sanction a déjà été infligée relativement à l’acte en cause.

L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. En créant de nouvelles infractions susceptibles de mener à l’emprisonnement, les modifications pourraient entraîner une atteinte à la liberté de la personne. Le ministre de la Justice a examiné les mesures en cause et n’a relevé aucune incompatibilité éventuelle entre les dispositions relatives aux infractions et les principes de justice fondamentale que fait intervenir l’article 7.