Projet de loi C-3 : Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel

Déposé à la Chambre des communes le 30 septembre 2020

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer la non-conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen de la non-conformité d’un projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel, afin d’évaluer toute non-conformité avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-3 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Formation continue pour les juges

L’article 1 du projet de loi C-3 prévoit une modification à l’article 3 de la Loi sur les juges voulant que les candidats en vue d’une nomination à une cour supérieure provinciale doivent accepter de participer à des séances de formation continue sur le droit en matière d’agressions sexuelles et le contexte social. L’article 2 prévoit une modification à l’article 60 de la Loi sur les juges de manière à préciser que le Conseil canadien de la magistrature peut organiser des colloques relativement à la formation continue des juges sur le droit en matière d’agressions sexuelles et le contexte social. Ces colloques doivent être élaborés après consultation auprès de personnes ou de groupes qui, selon le Conseil canadien de la magistrature, sont compétents, comme les personnes qui ont survécu à une agression sexuelle et les groupes qui leur apportent leur soutien. Le Conseil canadien de la magistrature doit également veiller à ce que le contenu de ces colloques soit pertinent. L’article 3 prévoit l’ajout, après l’article 62 de la Loi sur les juges, d’une disposition exigeant que le Conseil canadien de la magistrature soumette au ministre de la Justice un rapport annuel qui sera déposé au Parlement et dans lequel figureront les détails concernant les colloques sur le droit en matière d’agressions sexuelles qui seront offerts aux juges et le nombre de juges qui y assisteront.

Motifs de la décision

L’article 4 permettrait de modifier le Code criminel par adjonction, après l’article 278.97, d’une disposition exigeant que les juges motivent les décisions rendues dans des poursuites relatives à une agression sexuelle.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-3 visent à ce que le public et les plaignants dans des affaires d’agressions sexuelles aient davantage confiance que les tribunaux jugeront leurs plaintes d’agressions sexuelles conformément au droit, et sans tenir compte des mythes et des stéréotypes concernant la manière selon laquelle les survivants de violence sexuelle doivent se comporter.

Le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial (alinéa 11d) de la Charte)

L’article 11d) de la Charte dispose que tout inculpé a le droit d’être entendu devant un tribunal indépendant et impartial. Il s’agit d’une composante du principe constitutionnel non écrit d’indépendance judiciaire. Le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial exige que les tribunaux puissent rendre des décisions sans aucune intervention, y compris des interventions de la part des pouvoirs exécutif et législatif de l’État. En légiférant certaines exigences visant la formation continue de la magistrature, ces modifications proposées à la Loi sur les juges sont susceptibles de faire entrer en jeu le droit prévu à l’article 11d).

Les considérations suivantes appuient la conformité des modifications proposées à l’article 11d). Dans les modifications, le contrôle exercé par la magistrature concernant la conception et la prestation de la formation continue aux juges serait conservé. Dans les modifications, la capacité des tribunaux à rendre des décisions fondées sur les exigences du droit et de la justice serait conservée et améliorée.

Droits à l’égalité (article 15 de la Charte)

L’article 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur le sexe. L’égalité permet de favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération. La formation continue sur l’interprétation et l’application du droit en matière d’agressions sexuelles favorise l’égalité des droits des plaignantes en matière d’agressions sexuelles, dont la plupart sont des femmes et des filles.

Droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives (article 8 de la Charte)

L’article 8 de la Charte protège quiconque contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. L’objet de l’article 8 est de protéger toute personne contre les intrusions injustifiées dans sa vie privée, y compris en rapport à leurs renseignements personnels. Les poursuites relatives à une agression sexuelle peuvent occasionner la divulgation de renseignements qui révèlent des détails intimes sur la vie personnel du plaignant. Le droit à la vie privée et à l’égalité du plaignant ainsi qu’à la sécurité de sa personne est un facteur que le juge prend en considération pour décider si certains documents doivent être communiqués à l’accusé ou admis en preuve dans le contexte d’un procès pour agression sexuelle engagé sous le régime du Code criminel. La formation continue sur l’interprétation et l’application du droit en matière d’agressions sexuelles, favorise la protection de la vie privée des plaignants en matière d’agressions sexuelles, y compris par la sensibilisation des juges en ce qui a trait aux besoins et aux intérêts des plaignants.