Projet de loi C-4 : Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains

Déposé à la Chambre des communes le 21 février 2020

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer la non-conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen de la non-conformité d’un projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-4, Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains, afin d’évaluer toute non-conformité avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-4 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

La Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique met en œuvre les aspects de l’Accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (l’Accord) signé le 30 novembre 2018, tel qu’il a été modifié par le Protocole d’amendement de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains (le Protocole d’amendement) signé le 10 décembre 2019, lequel protocole exige que des modifications soient apportées aux lois canadiennes. L’Accord et le Protocole d’amendement remplaceront l’Accord de libre-échange nord-américain entre le Canada, les États-Unis et le Mexique qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994.

Les principaux droits et les principales libertés protégés par la Charte pouvant être mis en jeu par les mesures proposées comprennent ce qui suit :

Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, Loi sur les banques, Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt et Loi sur les sociétés d’assurances

La Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, la Loi sur les banques, la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt et la Loi sur les sociétés d’assurances exigent que toutes les institutions financières sous réglementation fédérale tiennent, tel que prescrit, des documents, dont des documents personnels, à des fins de surveillance et de règlementation. À l’heure actuelle, les copies de ces documents doivent être conservées au Canada.

Un certain nombre de dispositions de la partie 2 du projet de loi C-4 créerait un cadre en vertu duquel certaines banques, certaines sociétés de fiducie et de prêt et certaines sociétés d’assurances sous contrôle étranger seraient exemptées de l’obligation de conserver au Canada des copies des documents prescrits, à condition que les autorités de réglementation financière aient un accès immédiat, direct, complet et continu à ces documents. Si les autorités de réglementation financière estiment qu’elles n’ont pas un accès immédiat, direct, complet et continu à ces documents, elles pourraient exiger qu’une copie des documents soit conservée au Canada. De plus, le Surintendant des institutions financières serait tenu d’ordonner qu’une copie des documents soit conservée au Canada si le ministre des Finances est d’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt national de ne pas conserver des copies de ces documents au Canada.

Ces dispositions sont susceptibles de toucher les droits à la vie privée protégés par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité de ces articles à l’article 8 de la Charte. Ces articles n’accordent aucun nouveau pouvoir aux autorités de réglementation en ce qui concerne la collecte de nouveaux renseignements. De plus, le cadre de protection de la vie privée au Canada établi sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques continuera de s’appliquer à toutes les institutions financières qui font des affaires au Canada, que les données soient conservées au pays ou ailleurs dans le monde. Les dispositions proposées conféreraient le pouvoir d’exiger que des copies des documents soient conservées au Canada afin que les autorités de réglementation financière puissent continuer de s’acquitter de leurs responsabilités de supervision actuelles dans un contexte hautement réglementaire où les attentes en matière de protection de la vie privée sont généralement réduites, par opposition au contexte pénal. Les pouvoirs d’inspection et de demande péremptoire actuellement en vigueur pourraient encore être exercés à des fins règlementaires pour vérifier le respect et prévenir le non-respect de diverses lois, mais ils ne pourraient pas être exercés pour faire progresser des enquêtes pénales. Les pouvoirs proposés ressemblent donc aux pouvoirs d’inspection qui ont été confirmés dans le contexte réglementaire. Dans la mesure où ces dispositions confèrent aux autorités de réglementation ou aux ministres le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures précises, ce pouvoir devrait être exercé en tenant dûment compte des droits garantis par la Charte.

Les dispositions établissent un juste équilibre entre le respect de la vie privée et la nécessité que les autorités de réglementation puissent vérifier la conformité.

Loi sur le droit d’auteur

L’article 30 modifierait l’article 42 de la Loi sur le droit d’auteur afin d’instituer une nouvelle infraction pour protéger les droits des titulaires de droit d’auteur. Cette infraction interdirait la suppression ou la modification de « l’information sur le régime des droits sous forme électronique » dans le but de faciliter ou de cacher une violation des droits d’un titulaire de droit d’auteur. Elle interdirait également diverses activités en ce qui a trait aux œuvres protégées par un droit d’auteur dont l’information sur le régime des droits a été supprimée ou modifiée sans consentement en vue de cacher la violation d’un droit, lesquelles activités comprendraient l’exposition publique ou la communication au public de ce type d’œuvre.

L’article 7 garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Comme l’infraction proposée peut entraîner une peine d’emprisonnement, elle est susceptible de porter atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 et elle doit donc respecter les principes de justice fondamentale. Lors de l’examen des dispositions pertinentes, le ministre n’a relevé aucune incohérence possible par rapport aux principes de justice fondamentale.

Le droit d’auteur confère des droits économiques et moraux exclusifs sur les formes d’expression, telles que les œuvres littéraires et artistiques, de sorte qu’il est susceptible de porter atteinte au droit à la liberté d’expression protégé par l’article 2b) de la Charte. L’article 30 créerait l’alinéa 42(3.2)b) de la Loi sur le droit d’auteur, qui est susceptible de porter atteinte au droit à la liberté d’expression dans la mesure où il interdit l’exposition publique ou la communication au public de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur dont l’information sur le régime des droits a été supprimée ou modifiée dans le but de cacher une violation des droits. Certaines autres dispositions du projet de loi élargiraient la durée de protection. Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité de ces articles avec l’article 2b) de la Charte. Ces articles permettent de veiller à ce que les titulaires de droit d’auteur tirent profit de leurs œuvres, et ils encouragent la création et la diffusion d’œuvres. L’interdiction proposée criminalise seulement les actes commis à des fins commerciales; les personnes agissant pour le compte d’une bibliothèque, d’un service d’archive, d’un musée ou d’un établissement d’enseignement sont expressément exemptées de cette interdiction. Les protections relatives au droit d’auteur continuent d’être soumises à certaines exceptions, telles que l’utilisation équitable, et seront considérées dans le cadre de l’équilibre des droits visés à la Loi sur le droit d’auteur. Dans l’ensemble, ces articles assurent la promotion et la protection des valeurs d’expression.

L’article 32 vise à modifier l’alinéa 44.04(1)b) de la Loi sur le droit d’auteur afin d’élargir les types de renseignements que l’agent des douanes peut communiquer au titulaire du droit d’auteur concernant les œuvres soupçonnées d’être des exemplaires pirates. En plus du nom, de l’adresse et des renseignements de l’importateur ou de l’exportateur, l’agent des douanes pourrait communiquer des renseignements sur toute autre personne jouant un rôle dans le mouvement des œuvres.

Cet article est susceptible de toucher les droits à la protection de la vie privée garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la conformité de l’alinéa 44.04(1)b) à l’article 8 de la Charte. Il aurait pour effet d’élargir les types de renseignements que l’agent des douanes peut communiquer au titulaire du droit d’auteur. Le fait d’étendre la liste pour y inclure les renseignements sur toute personne jouant un rôle dans le mouvement des produits ne constitue pas un élargissement important de la liste actuelle. De plus, les renseignements sont recueillis à la frontière, là où l’attente en matière de protection de la vie privée est réduite.

Code criminel

L’article 37 du projet de loi permettrait l’adoption de l’article 391 du Code criminel afin d’ériger en infraction le fait (1) de sciemment, par supercherie ou autre moyen dolosif, obtenir, communiquer ou rendre accessible des secrets industriels, et (2) de sciemment obtenir, communiquer ou rendre accessible des secrets industriels sachant qu’ils ont été obtenus par suite de la commission de l’infraction prévue au paragraphe (1).

Comme les infractions proposées peuvent donner lieu à une peine d’emprisonnement, cet article est susceptible de porter atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte et doit, par conséquent, respecter les principes de justice fondamentale. En examinant les dispositions pertinentes, le ministre n’a relevé aucune incompatibilité avec les principes de justice fondamentale.

Les infractions proposées sont susceptibles de toucher le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 2b) de la Charte parce que, dans les circonstances indiquées, la communication des secrets industriels sera interdite sachant qu’ils ont été obtenus par suite de la perpétration d’un crime.

Les considérations suivantes appuient la conformité de l’article 391 à l’article 2b) de la Charte. La modification vise à préserver la valeur économique des secrets industriels contre les personnes dont les intentions ou les actions criminelles consisteraient à obtenir, sciemment communiquer ou rendre accessibles les secrets industriels. En outre, la modification proposée criminalise seulement les gestes posés sciemment, et non ceux posés par inadvertance ou involontairement. Enfin, la modification proposée ne viserait pas les personnes ayant obtenu le secret industriel à la suite d’une mise au point indépendante ou uniquement en raison de la rétrotechnique.

Loi sur les grains du Canada

L’article 67 du projet de loi permettrait l’adoption des articles 83.1 à 83.3 de la Loi sur les grains du Canada. Aux termes de l’article 83.1, tout titulaire de licence et toute personne qui lui vend du grain seraient tenus de faire une déclaration relative au grain et de la fournir à toute personne prévue par règlement. Aux termes de l’article 83.3, il serait interdit de faire une affirmation fausse ou trompeuse dans une déclaration prévue par règlement et cela constituerait une infraction punissable.

Comme l’infraction proposée peut donner lieu à une peine d’emprisonnement, cet article est susceptible de toucher le droit à la liberté garanti par l’article 7 et doit, par conséquent, respecter les principes de justice fondamentale. En examinant les dispositions pertinentes, le ministre n’a relevé aucune incompatibilité avec les principes de justice fondamentale.

Les dispositions proposées sont susceptibles de porter atteinte à l’article 2b) puisqu’elles ont pour effet d’obliger le titulaire de licence et les personnes qui lui vendent du grain à faire une déclaration. Les considérations suivantes appuient la conformité de l’article 83.1 à l’article 2b) de la Charte. L’exigence de faire une déclaration vise à garantir que le grain respecte certaines exigences et à accroître la transparence et la responsabilisation. La déclaration contribuerait à une mise en œuvre et une application efficaces de la Loi sur les grains et favoriserait une bonne tenue des dossiers ainsi que la conformité.

Loi sur les marques de commerce

L’article 110 vise à modifier l’alinéa 51.06(1)b) de la Loi sur les marques de commerce afin d’élargir les types de renseignements que l’agent des douanes peut communiquer au titulaire de la marque de commerce concernant les produits. En plus du nom, de l’adresse et des renseignements de l’importateur ou de l’exportateur, l’agent des douanes pourrait communiquer des renseignements sur toute autre personne jouant un rôle dans le mouvement des produits.

Cet article est susceptible de toucher les droits à la protection de la vie privée garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la conformité de l’alinéa 51.06(1)b) à l’article 8 de la Charte. Il aurait pour effet d’élargir les types de renseignements que l’agent des douanes peut communiquer au titulaire de la marque de commerce. Le fait d’étendre la liste pour y inclure les renseignements sur toute personne jouant un rôle dans le mouvement des produits ne constitue pas un élargissement important de la liste actuelle. De plus, les renseignements sont recueillis à la frontière, là où l’attente en matière de protection de la vie privée est réduite.

Loi sur les douanes

L’article 118 du projet de loi vise à modifier le paragraphe 42.1(1) de la Loi sur les douanes afin de donner à l’agent des douanes désigné ou toute personne désignée le pouvoir de pénétrer dans un lieu faisant partie d’une catégorie réglementaire pour vérifier, à l’égard de marchandises importées et ultérieurement exportées vers un pays ACEUM, le montant d’une «  exonération  » ou d’un «  drawback  » aux termes du Tarif des douanes. L’article 120 du projet de loi vise à modifier l’article 42.6 de la Loi sur les douanes en permettant à un agent d’entrer, à la demande d’un pays ACEUM, dans le local d’un exportateur ou d’un producteur de marchandises afin d’effectuer une vérification en matière d’évasion douanière. L’expression «  évasion douanière  » est définie à l’article 42.5 comme étant l’évasion de droits antidumping, compensateurs ou de sauvegarde imposés par un pays ACEUM autre que le Canada. Aux termes de l’article 42.7, l’agent pourrait fournir au pays ACEUM demandeur un rapport qui contient les renseignements pertinents obtenus de l’exportateur ou du producteur de marchandises au Canada au cours de la vérification.

Ces articles sont susceptibles de toucher les droits à la protection de la vie privée garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la conformité de ces dispositions à l’article 8 de la Charte. Les dispositions proposées viendraient s’ajouter aux pouvoirs prévus dans la Loi sur les douanes afin que les agents de douanes désignés ou autres personnes désignées puissent pénétrer dans un lieu pour vérifier le montant d’une exonération de droits ou d’un drawback et afin que les agents désignés puissent entrer dans un local pour effectuer une vérification en matière d’évasion douanière. L’importation et l’exportation de marchandises sont hautement réglementées. La vérification de la conformité a un objectif de nature réglementaire et vise à faire en sorte que les personnes qui réclament certains avantages en vertu de l’Accord respectent les exigences légales. Les pouvoirs proposés permettent d’établir un juste équilibre entre les droits à la protection de la vie privée et l’exigence selon laquelle les agents ou autres personnes doivent pouvoir vérifier la conformité.

Article 15 de la Charte

Au moyen de diverses dispositions figurant aux parties 1 et 2, le projet de loi vise à établir ou à autoriser des distinctions entre les citoyens ou ressortissants de pays parties à l’Accord, et toutes les autres personnes. Dans divers articles, le projet de loi vise aussi à établir ou à autoriser des distinctions entre les citoyens ou ressortissants des pays qui sont parties à l’Accord. Ces distinctions sont susceptibles de porter atteinte à l’article 15 de la Charte, selon lequel la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur des motifs énumérés et analogues.

Les considérations suivantes appuient la conformité des dispositions à l’article 15 de la Charte. Aux fins des accords commerciaux internationaux, la citoyenneté ou la nationalité sert de critère objectif mutuellement reconnu pour identifier les personnes qui reçoivent des avantages et obligations réciproques découlant de la participation de leur pays à ces accords. Le fait d’étendre les avantages et les obligations aux citoyens ou aux ressortissants de manière réciproque ne témoigne d’aucune distinction arbitraire, mais est plutôt inhérent à la nature des accords commerciaux internationaux.