Projet de loi C-8 : Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada)

Déposé à la Chambre des communes le 10 décembre 2020

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer la non-conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen de la non-conformité d’un projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, afin d’évaluer sa non-conformité avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-8 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

Selon le préambule du projet de loi, la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits  – ancestraux ou issus de traités – des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le préambule énonce également l’engagement du gouvernement du Canada qui consiste à donner suite à l’appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation en incluant dans le serment de citoyenneté une promesse solennelle d’observer fidèlement les lois du Canada, y compris les traités avec les peuples autochtones.

Serment ou affirmation solennelle de citoyenneté

L’article 1 du projet de loi C-8 vise à remplacer l’annexe actuelle de la Loi sur la citoyenneté afin d’inclure, dans le serment et l’affirmation solennelle de citoyenneté, une promesse solennelle à respecter les droits ancestraux des Premières Nations, des Inuits et des Métis ainsi que leurs droits issus de traités. La prestation du serment et de l’affirmation solennelle exigeraient des personnes d’observer fidèlement les lois du Canada, y compris la Constitution, qui reconnaît et confirme les droits – ancestraux ou issus de traités – des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le reste du serment et de l’affirmation solennelle resterait inchangé.

Article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés

Le fait de modifier le serment et l’affirmation solennelle de citoyenneté, en y incluant une promesse solennelle à respecter les droits ancestraux des Premières Nations, des Inuits et des Métis ainsi que leurs droits issus de traités, favoriserait les valeurs qui sous-tendent les droits à l’égalité protégés par le paragraphe 15(1) de la Charte. Ce paragraphe prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique. La proposition de serment ou d’affirmation solennelle de citoyenneté encourage le respect des peuples autochtones et la réconciliation avec eux, conformément à l’appel à l’action no 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. En outre, la proposition de serment ou d’affirmation solennelle de citoyenneté est conforme aux valeurs fondamentales qui sous-tendent l’article 15 et la Charte de façon générale.

Paragraphe 2(b) de la Charte

Le fait de modifier le serment et l’affirmation solennelle de citoyenneté, en y incluant une promesse solennelle à respecter les droits ancestraux des Premières Nations, des Inuits et des Métis ainsi que leurs droits issus de traités, met potentiellement en jeu le droit à la liberté d’expression garantis par le paragraphe 2(b) de la Charte. Aux termes de ce paragraphe, chacun a les libertés fondamentales suivantes: liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Or, l’obligation de prononcer le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté pourrait être considérée comme une forme d’expression forcée.

Cependant, les considérations suivantes appuient la conformité du serment et l’affirmation solennelle de citoyenneté proposés avec le droit à la liberté d’expression. La validité du serment de citoyenneté a, par le passé, été affirmée dans le cadre d’une contestation constitutionnelle en vertu du paragraphe 2(b) de la Charte. Bien que l’obligation de prononcer le serment ou l’affirmation solennelle forcerait la personne à s’exprimer, l’objectif ne consiste pas de contrôler l’expression. Il s’agit plutôt d’affirmer les valeurs sociales et la conception constitutionnelle du Canada, qui favorisent et protègent l’expression. Même après avoir prononcé le serment ou l’affirmation solennelle, la personne qui demande la citoyenneté demeure libre d’exprimer des points de vue différents de ce qui est énoncé dans le serment ou l’affirmation solennelle.