Énoncé concernant la Charte - Projet de loi C-81 : Loi visant à faire du Canada un pays exempt d'obstacles

Déposé à la Chambre des communes le 20 juin 2018

Note explicative

La ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » afin d'éclairer le débat public et parlementaire au sujet d'un projet de loi du gouvernement. L'une des plus importantes responsabilités de la ministre de la Justice est d'examiner le projet de loi afin d'évaluer la conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d'un Énoncé concernant la Charte, la ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l'examen de la conformité d'un projet de loi avec la Charte. L'Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d'être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu'un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L'article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu'elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n'y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d'un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s'agit pas d'un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D'autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l'examen parlementaire et la modification d'un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d'un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

La ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d'obstacles (« Loi canadienne sur l'accessibilité »), afin d'évaluer sa conformité avec la Charte, suite à l'obligation que lui impose l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-81 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d'aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

L'objet de la Loi canadienne sur l'accessibilité est la transformation graduelle du Canada en un pays exempt d'obstacles, à l'avantage de tous, en particulier des personnes handicapées. Cela obligerait le gouvernement du Canada ainsi que les secteurs public et privé sous réglementation fédérale à reconnaître et à éliminer les obstacles, ainsi qu'à prévenir la formation de nouveaux obstacles, qui constituent une entrave à la participation pleine et égale des personnes handicapées dans la société. Elle se concentrerait sur les obstacles dans les domaines de l'emploi, de l'environnement bâti, des technologies de l'information et des communications, de l'acquisition de biens et services, de la prestation de programmes et services, du transport ainsi que d'autres domaines désignés.

La Loi canadienne sur l'accessibilité octroierait au gouverneur en conseil, à l'Office des transports du Canada ainsi qu'au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes le pouvoir de recommander ou d'établir des normes d'accessibilité qui visent à réduire les obstacles et à améliorer l'accessibilité (« normes d'accessibilité »). La Loi créerait l'Organisation canadienne d'élaboration de normes d'accessibilité pour élaborer et recommander des normes d'accessibilité, qui pourraient être utilisées par toute personne ou toute entité, notamment tout gouvernement au Canada ou à l'étranger.

Le respect des normes d'accessibilité réglementées serait assuré par un nouveau commissaire à l'accessibilité au sein de la Commission canadienne des droits de la personne, de l'Office des transports du Canada, du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ainsi que de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral, selon la source de la norme d'accessibilité et du domaine à laquelle elle s'applique. Le respect des normes d'accessibilité réglementées serait assuré au moyen d'inspections, de vérifications de conformité, d'ordonnances de conformité, de sanctions administratives pécuniaires et de décisions sur des plaintes individuelles, selon la nature de l'entité réglementée et ses activités.

Le projet de loi C-81 créerait de nouvelles exigences proactives pour les entités réglementées dans les secteurs public et privé sous réglementation fédérale. Ces exigences comprennent la préparation et la publication de plans sur l'accessibilité, la réception de la rétroaction du public au sujet des plans sur l'accessibilité, ainsi que la préparation et la publication de rapports d'étape concernant les plans sur l'accessibilité.

Considéré dans son ensemble, le projet de loi favoriserait l'atteinte des objectifs et des valeurs de l'article 15 de la Charte (l'égalité). En outre, il met potentiellement en jeu les articles 8 (fouilles, perquisitions et saisies) et l'article 11 (les droits juridiques qui sont garantis à « tout inculpé »).

Droits à l'égalité (l'article 15 de la Charte)

Le paragraphe 15(1) de la Charte protège les droits à l'égalité. Il prévoit que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment celles fondées sur les déficiences mentales ou physiques.

Le projet de loi C-81 favoriserait l'atteinte des objectifs et des valeurs des droits à l'égalité garantis par la Charte. L'égalité emporte le fait de favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme méritant le même respect, la même déférence et la même considération. Un objectif central de l'égalité relativement aux personnes handicapées est de veiller à ce que des mesures raisonnables soient prises par la modification de l'environnement bâti, des systèmes de transport, des technologies de communication, des pratiques en manière d'emploi ainsi que la prestation de biens et de services afin d'y supprimer et de prévenir les barrières arbitraires à leur participation égale dans la société. Le projet de loi C-81 mettrait en œuvre une approche proactive et systémique visant à reconnaître et à éliminer les obstacles ainsi qu'à prévenir de nouveaux obstacles qui pourraient nier le droit des personnes handicapées à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins. Les devoirs imposés aux entités réglementées visées à la partie 4 de la Loi canadienne sur l'accessibilité consisteraient en des obligations bien précises dans la mise en œuvre de cette approche. À ces devoirs se rajoutent d'autres aspects du régime, notamment l'élaboration de normes d'accessibilité et la disponibilité de recours individuels.

Le projet de loi C-81 favoriserait également l'égalité pour les personnes handicapées en assurant leur représentation dans la prise de décisions. Les paragraphes 42(4), 44(3), 47(4), 49(3), 51(4), 53(3), 56(4), 58(3), 60(4), 62(3), 65(4), 67(3), 69(4) et 71(3) du projet de loi veilleraient à ce que l'opinion et le vécu des personnes handicapées soient pris en compte, en exigeant des entités réglementées de consulter des personnes handicapées lors de la préparation et de la mise à jour des plans sur l'accessibilité et des rapports d'étape. Le paragraphe 23(2) du projet de loi vise à garantir que le vécu et les opinions des personnes handicapées soient pris en compte, en exigeant que, dans la mesure du possible, la majorité du conseil d'administration de l'Organisation canadienne d'élaboration des normes d'accessibilité soit des personnes handicapées. En outre, le paragraphe 132(2) du projet de loi prévoit que les personnes handicapées et les organisations qui représentent leurs intérêts doivent être consultées dans le contexte de l'examen indépendant de la Loi canadienne sur l'accessibilité qui est prévu en application du paragraphe 132(1) du projet de loi.

Fouilles, perquisitions, et saisies (l'article 8 de la Charte)

Le projet de loi C-81 accorderait au commissaire à l'accessibilité, à l'Office des transports du Canada ainsi qu'au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes des pouvoirs en matière d'inspection, d'examen, et de production pour les besoins de la vérification du respect et de la prévention du non-respect de la Loi canadienne sur l'accessibilité et de ses règlements connexes, ainsi que pour les besoins de l'examen d'une plainte individuelle. Les pouvoirs en matière de fouille, perquisition ou saisie dans les contextes d'inspection, d'examen, et de production pourraient mettre en jeu les droits garantis à l'article 8 de la Charte.

Pour les besoins de la vérification du respect et de la prévention du non-respect de certaines dispositions du projet de loi C-81, des normes d'accessibilité réglementées et des exigences de rédaction et de mise à jour des plans sur l'accessibilité, ainsi que des exigences connexes, l'article 73 du projet de loi autoriserait le commissaire à l'accessibilité à entrer dans tout lieu, y compris un moyen de transport, s'il a des motifs raisonnables de croire que s'y trouvent des registres, rapports, données électroniques et autres documents, renseignements ou objets liés à cette fin. Le commissaire à l'accessibilité serait habileté à procéder à des fouilles, perquisitions et saisies circonscrites à ces endroits, y compris à distance par des moyens de télécommunication. L'article 74 du projet de loi habiliterait le commissaire à l'accessibilité à ordonner la production des registres, rapports, données électroniques ou autres documents dont il a des motifs raisonnables de croire qu'ils contiennent des renseignements utiles pour toute fin liée à la vérification du respect ou à la prévention du non-respect de la Loi.

Les dispositions 164(2) et 176 du projet de loi modifieraient respectivement la Loi sur les télécommunications et la Loi sur les transports au Canada pour donner aux inspecteurs ou aux agents verbalisateurs désignés au titre de ces lois des pouvoirs similaires pour les besoins de la vérification du respect ou de la prévention du non-respect de la Loi canadienne sur l'accessibilité. Les dispositions 164(3) et 184 du projet de loi modifieraient respectivement la Loi sur les télécommunications et la Loi sur les transports au Canada pour autoriser les inspecteurs et les agents verbalisateurs à exiger la production de documents ou de renseignements à cette fin.

Une personne qui a subi des préjudices physiques ou psychologiques, des dommages matériels ou des pertes économiques, ou qui a été autrement lésée, en raison d'une contravention des normes d'accessibilité réglementées (ou certains règlements connexes) par une entité réglementée pourrait déposer une plainte individuelle devant le commissaire à l'accessibilité (article 94 du projet de loi), l'Office des transports du Canada (article 173 du projet de loi) ou la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral (articles 185 et 195 du projet de loi), selon la source de la norme d'accessibilité et le domaine auquel elle s'applique. Le projet de loi C-81 ne propose aucune modification aux pouvoirs existants du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes de recevoir des plaintes individuelles relatives à l'accessibilité.

L'article 98 du projet de loi accorderait au commissaire à l'accessibilité, pour les besoins de l'examen d'une plainte individuelle, les mêmes pouvoirs que ceux octroyés pour les besoins de la vérification du respect et de la prévention du non-respect de la Loi (énoncés aux alinéas 73(2)(a) à (l)). Le commissaire à l'accessibilité aurait aussi le pouvoir d'entrer dans tout lieu, y compris un moyen de transport, autre qu'une maison d'habitation; de s'entretenir en privé avec toute personne se trouvant dans le lieu dans lequel est entré le commissaire dans le contexte de l'examen d'une plainte; et d'y mener les enquêtes qu'il estime nécessaires.

Dans le contexte du transport, l'Office des transports du Canada préserverait son pouvoir existant de faire enquête sur la question de savoir s'il y a eu un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes handicapées dans le réseau de transport fédéral, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur les transports au Canada (paragraphe 172(1) du projet de loi). La portée de ces enquêtes serait élargie, de sorte que l'Office pourrait se pencher sur la question de savoir si une personne a subi un préjudice corporel ou psychologique, des dommages matériels ou une perte économique en raison de la violation de certains règlements, ou si une personne a été autrement lésée par suite d'une telle violation (article 173 du projet de loi).

Les pouvoirs en matière de fouille, perquisition ou saisie dans les contextes d'inspection, d'examen, et de production pourraient mettre en jeu les droits garantis à l'article 8 de la Charte. L'article 8 de la Charte protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies « abusives ». L'objet de cet article est de protéger les individus contre les atteintes abusives aux attentes raisonnables en matière de vie privée. Une fouille, une perquisition ou une saisie qui porte atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi; que la loi elle-même est raisonnable, signifiant qu'elle établit un équilibre approprié entre l'intérêt en matière de vie privée et l'intérêt de l'État; et que la fouille, perquisition ou saisie est effectuée de manière raisonnable.

Les considérations suivantes appuient la conformité des dispositions 73, 74, 98, 164(2)-(3), 176 et 184 du projet de loi avec l'article 8 de la Charte. Les pouvoirs en matière d'inspection, d'examen et de production sont demandés relativement à des fins de réglementation, et non à des fins pénales (c.-à-d. pour déterminer si les normes d'accessibilité sont satisfaites), et non pas pour mener des enquêtes criminelles. De plus, ces inspections auraient principalement lieu dans des milieux de travail et des lieux d'affaires du gouvernement et sous réglementation fédérale. Ces considérations ont tendance à diminuer les attentes en matière de protection de la vie privée. Les pouvoirs proposés sont largement analogues aux pouvoirs dont la validité a été confirmée par les tribunaux dans d'autres contextes similaires, tel que dans l'application des normes du travail dans les secteurs industriels.

Droits garantis à tout « inculpé » (l'article 11 de la Charte)

Les articles 77 à 93 du projet de loi établiraient un régime de sanctions administratives pécuniaires applicable à certaines violations de la Loi canadienne sur l'accessibilité et de certains décrets et règlements pris en vertu de la Loi. Le commissaire à l'accessibilité serait habilité à délivrer des procès-verbaux fondés sur des motifs raisonnables de croire qu'une violation a été commise par une entité réglementée ou une personne. Ces procès-verbaux pourraient donner un avertissement ou des sanctions pécuniaires. Les personnes qui reçoivent un procès-verbal assorti d'une sanction pécuniaire auront le droit de demander au commissaire à l'accessibilité de réviser l'affaire ou de conclure une transaction, laquelle pourrait être assortie d'une réduction complète ou partielle de la sanction. Le commissaire à l'accessibilité, dans sa révision de l'affaire, déciderait, selon la prépondérance des probabilités, si l'entité réglementée était responsable de la violation. L'entité réglementée ne pourrait pas invoquer comme moyen de défense le fait qu'elle a exercé une diligence raisonnable pour empêcher la violation ou qu'elle a raisonnablement et honnêtement cru en l'existence de faits qui, s'ils étaient vrais, l'aurait exonérée. La responsabilité à l'égard de la violation peut être élargie aux personnes exerçant des fonctions de gestion ou de supervision pour le compte de l'entité réglementée et qui ont ordonné ou autorisé, ou qui ont consenti ou participé à la commission d'une violation. Le gouverneur en conseil serait habilité à prendre des règlements fixant les sanctions (jusqu'à 250 000 $) et établissant d'autres aspects du régime de sanctions administratives pécuniaires. Les articles 177-83 du projet de loi modifierait la Loi sur les transports au Canada pour habiliter les agents verbalisateurs à imposer des sanctions administratives pécuniaires similaires pour des contraventions à des règlements liés à l'accessibilité pris sous le régime de la Loi ainsi que pour des contraventions aux exigences prévues par les plans sur l'accessibilité établis au titre de la Loi canadienne sur l'accessibilité.

L'article 11 de la Charte garantit certains droits procéduraux à tout inculpé, notamment la présomption d'innocence et le droit à un procès public et équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Les protections sont uniquement offertes à un « inculpé ». Une personne est « inculpée » au sens de l'article 11 si elle est visée par des procédures qui sont soit de nature criminelle ou qui pourraient se solder par de « véritables conséquences pénales ». Les véritables conséquences pénales comprennent l'emprisonnement et les amendes qui sont punitives par leur objet ou leur effet, comme cela peut être le cas lorsque l'amende ou la sanction n'est pas proportionnelle au montant nécessaire pour atteindre l'objectif de réglementation.

Le projet de loi C-81 créerait un processus administratif pour la délivrance de procès-verbaux et pour le paiement de sanctions pécuniaires; il ne créerait pas un processus de nature criminelle avec des accusations, poursuites et condamnations de cette nature. Cependant, puisque l'article 77 du projet de loi pourrait entraîner des sanctions pécuniaires importantes, celui-ci pourrait mettre en jeu les droits garantis par l'article 11 s'il imposait de « véritables conséquences pénales ». Les considérations suivantes appuient la conformité des dispositions du projet de loi avec la Charte. L'objet de ces sanctions serait de favoriser le respect de la Loi canadienne sur l'accessibilité (article 78 du projet de loi), et non pas de « punir », tel que ce concept est défini aux fins de l'article 11 de la Charte. Les règlements qui seront pris sous le régime de l'article 91 du projet de loi veilleraient à ce que les sanctions soient graduées de manière à ce qu'elles favorisent le respect de la Loi canadienne sur l'accessibilité et ne constituent pas de « véritables conséquences pénales », tel que ce concept est défini aux fins de l'article 11. Il n'existe pas de sanction minimale prescrite, et la simple possibilité qu'une sanction pécuniaire importante soit imposée ne met pas en jeu les droits garantis à l'article 11 de la Charte. Le projet de loi, lorsqu'interprété et appliqué correctement, n'autoriserait pas l'imposition d'une sanction qui pourrait avoir de « véritables conséquences pénales ».