Projet de loi C-8 : Loi portant exécution de certaines dispositions de la mise à jour économique et budgétaire déposée au Parlement le 14 décembre 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures

Déposé à la Chambre des communes le 7 février 2022

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-8 : Loi portant exécution de certaines dispositions de la mise à jour économique et budgétaire déposée au Parlement le 14 décembre 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-8 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Partie 2 – Promulgation de la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés

La partie 2 du projet de loi C-8 édicterait la Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés (la Loi) afin d’instaurer une taxe annuelle de 1 % sur la valeur des immeubles résidentiels vacants ou sous‑utilisés appartenant directement ou indirectement à des personnes non résidentes non canadiennes. La Loi établit les exigences en matière de déclaration et de production ainsi que les règles applicables afin d’établir l’obligation des propriétaires à l’égard de cette taxe. Elle comprend également de nombreuses dispositions d’application et d’exécution qui se trouvent aussi dans d’autres lois fiscales afin de favoriser le respect du régime législatif.

Pouvoirs du président d’enquête

La Loi autoriserait le président d’enquête à faire toute enquête que le ministre du Revenu national estime nécessaire sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et à l’exécution de la Loi. Le président d’enquête aurait le pouvoir de contraindre des témoins à comparaître, à déposer des éléments de preuve (oraux ou écrits) et à produire toute chose ou tout document pertinent. Quiconque dépose des éléments de preuve dans le cadre d’une enquête ou est visé par celle‑ci aurait le droit d’être représenté par un avocat.

L’article 7 de la Charte prévoit que toute atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne doit se faire en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes comprennent une protection résiduelle contre l’auto-incrimination.

Les pouvoirs de contraindre une personne à comparaître et à déposer des éléments de preuve dans le cadre d’une enquête pourraient porter atteinte au droit à la liberté. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces pouvoirs avec l’article 7 de la Charte. Le but de l’enquête est d’appuyer l’application et l’exécution d’une loi qui est fondée sur un système d’autocotisation visant à déterminer une dette fiscale. Les pouvoirs d’enquête ne s’appliquent pas lorsque l’objectif premier d’une enquête est d’intenter des poursuites contre le témoin. En outre, tout élément de preuve incriminant exigé lors d’une enquête ne pourrait pas être utilisé dans une autre procédure si cela risque d’aller à l’encontre du principe interdisant l’auto‑incrimination. Par ailleurs, les témoins et les personnes visées par l’enquête auraient le droit d’être représentés par un avocat.

L’article 8 de la Charte protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il vise à protéger les personnes contre une intrusion injustifiée de l’État qui porte atteinte à l’attente raisonnable en matière de vie privée, notamment en ce qui a trait aux renseignements personnels. Une fouille, une perquisition ou une saisie ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi est raisonnable en ce qu’elle établit un juste équilibre entre le droit à la vie privée et l’intérêt de l’État, et si elle est effectuée de façon raisonnable.

Le pouvoir d’exiger la production de documents ou de choses dans le cadre d’une enquête pourrait faire intervenir l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ce pouvoir avec l’article 8 de la Charte. Le type de documents ou de choses pouvant être exigé doit se rapporter à l’application et à l’exécution d’une loi fiscale dans un contexte où les attentes en matière de vie privée sont réduites. De plus, une ordonnance de production d’un document ou d’une chose n’est pas particulièrement intrusive, car elle ne nécessite pas d’entrer dans la propriété privée d’un contribuable pour effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie. Des pouvoirs d’enquête similaires existent dans d’autres lois fiscales et ont été confirmés par les tribunaux.

Infractions et peines

La Loi établirait plusieurs infractions, notamment celles‑ci : défaut de présenter une déclaration ou de se conformer à une obligation ou à une ordonnance; faire des déclarations fausses ou trompeuses, ou participer à leur énonciation; et omission délibérée de payer une taxe selon les modalités prévues par la Loi. Une disposition d’infraction générale serait également créée afin de promouvoir la conformité au nouveau régime fiscal dans son ensemble.

Les nouvelles dispositions établissant des infractions pourraient mener à une peine d’emprisonnement, ce qui porte atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte. Comme indiqué ci-dessus, l’article 7 prévoit que toute atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne doit se faire en conformité avec les principes de justice fondamentale. Lorsqu’il a examiné les dispositions relatives aux infractions, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incompatibilité éventuelle entre ces dispositions et les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7.

Pouvoirs de recueillir, de communiquer et d’utiliser des renseignements

La Loi établirait divers pouvoirs de recueillir, de communiquer et/ou d’utiliser des renseignements. Le ministre serait autorisé à obliger une personne à produire des renseignements ou des registres pour l’application et l’exécution de la Loi. La Loi introduirait également des mesures visant à habiliter le ministre à obliger une personne résidant au Canada ou une personne n’y résidant pas, mais y exploitant une entreprise à produire des renseignements ou des registres étrangers. Selon la Loi, « renseignement ou registre étranger » s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un registre situé, en dehors du Canada, qui peut être pris en compte pour l’application et l’exécution de la Loi. De plus, la Loi autoriserait la communication et l’utilisation de renseignements confidentiels (comme des détails sur la résidence d’une personne et ses investissements personnels au Canada) dans certaines circonstances.

Les mesures permettant de recueillir, de communiquer et d’utiliser des renseignements pourraient faire intervenir l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité des mesures avec l’article 8. Le droit à la vie privée est réduit dans les contextes réglementaires et administratifs. Les pouvoirs d’exiger la production ou la communication de renseignements pertinents à des fins réglementaires ou administratives plutôt qu’aux fins de mener une enquête sur des infractions ont été jugés raisonnables au titre de l’article 8. Les modifications établissent de nombreuses mesures pour protéger le droit à la vie privée, notamment l’obligation d’obtenir l’autorisation d’un juge avant d’exiger des renseignements concernant des personnes non désignées nommément; des règles strictes régissant la communication et l’utilisation acceptables de renseignements confidentiels; et la capacité de procéder au contrôle judiciaire d’une ordonnance de production de tout élément de preuve lié à des renseignements confidentiels ou d’une obligation de produire des renseignements étrangers.

Pouvoirs d’inspection, de contrainte et de perquisition

La Loi créerait un certain nombre de pouvoirs réglementaires semblables à ceux qui sont conférés dans d’autres lois comparables. Quiconque y est autorisé par le ministre pourrait inspecter les registres, les procédés, les biens ou les locaux d’une personne permettant de déterminer ses obligations fiscales ou le montant auquel cette personne a droit, ainsi que vérifier si elle agit en conformité avec la Loi. Les inspecteurs pourraient obliger une personne à leur prêter toute l’assistance raisonnable pendant l’inspection, notamment à répondre à toutes les questions pertinentes pour l’application et l’exécution de la Loi. La Loi permettrait aussi aux personnes autorisées de pénétrer dans tout bâtiment, contenant ou endroit – au moyen d'un mandat - et y perquisitionner pour y chercher des registres ou choses qui pourraient constituer des éléments de preuve de la perpétration d’une infraction à la Loi, et à saisir ces registres ou choses.

Les modifications ci-dessus sont susceptibles de porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces modifications avec l’article 8 de la Charte. Les pouvoirs d’inspection et de contrainte ne s’appliqueraient pas si le but est de mener une enquête pénale. Ils s’appliqueraient plutôt à des fins réglementaires (pour déterminer les obligations et les déductions fiscales et pour vérifier la conformité à la Loi) dans le contexte d’un régime fiscal fondé sur l’autocotisation. Dans ces situations, les attentes en matière de vie privée sont moins élevées. Pour ce qui est des maisons d’habitation (lieux tenant lieu de résidences) où les attentes sont plus élevées, les inspecteurs ne seraient autorisés qu’à entrer avec la permission de l’occupant ou sur présentation d’un mandat délivré par un juge. Un mandat serait également requis pour perquisitionner et saisir des registres ou des choses qui pourraient constituer des éléments de preuve de la perpétration d’une infraction à la Loi. Les mandats délivrés en vertu de la Loi seraient obtenus sur autorisation d’un juge en fonction de la norme des motifs raisonnables de croire, ce qui satisferait à l’obligation prévue à l’article 8 selon laquelle les fouilles, perquisitions ou saisies doivent être raisonnables.

Pouvoir de saisir des biens en cas de non-paiement

La Loi introduirait un nouveau pouvoir de saisir les biens d’une personne si celle-ci ne paye pas la somme payable en application de la Loi. Le ministre serait tenu de donner un préavis écrit de 30 jours afin de permettre à la personne de rembourser le montant dû et d’éviter de faire saisir ses biens. Le but de la saisie est de percevoir les sommes dues en application de la Loi plutôt que de prendre d’autres mesures qui pourraient porter atteinte au droit à la vie privée. La protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives offerte par l’article 8 ne protège pas de simples intérêts immobiliers.