Contexte législatif: aide médicale à mourir (projet de loi C-14) - Addendum

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Le projet de loi C-14, la loi sur l’aide médicale à mourir, a reçu la sanction royale le 17 juin 2016. Pour de plus amples renseignements, consultez canada.ca/sante.

L'exigence du projet de loi C-14 selon laquelle la mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible (alinéa 241.2(2)d))

Dans CarterNote de bas de pages 1, la Cour a statué que la prohibition absolue de l'aide à mourir portait atteinte de manière injustifiée au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l'art. 7 de la Charte. Bien que l'arrêt Carter soit l'élément déclencheur du projet de loi C-14, et qu'il établisse les principes constitutionnels ayant guidé l'élaboration de la loi, la question n'est pas de savoir si le projet de loi est « compatible avec l'arrêt Carter », mais plutôt de savoir s'il est compatible avec la Charte.

La Cour suprême a reconnu que le rapport entre les tribunaux et le législateur consiste en un dialogue. La Cour a expliqué ce rapport dans R c Mills :

Le fait qu'une loi adoptée par le législateur diffère d'un régime envisagé par la Cour, en l'absence d'un régime législatif, ne veut toutefois pas dire que cette loi est inconstitutionnelle.  Le législateur peut s'inspirer de la décision de la Cour et concevoir un régime différent pourvu que celui-ci demeure constitutionnel.  Tout comme le législateur doit respecter les décisions de la Cour, la Cour doit respecter la décision du législateur que le régime qu'elle a créé peut être amélioré.  Insister sur une conformité servile irait à l'encontre du respect mutuel qui sous-tend les rapports entre les tribunaux et le législateur et qui est si essentiel à notre démocratie constitutionnelleNote de bas de pages 2.

La Cour explique ensuite le « dialogue » par rapport au rôle important que le législateur joue pour représenter les intérêts des groupes vulnérables :

Les tribunaux n'ont pas le monopole de la protection et de la promotion des droits et libertés; le législateur joue également un rôle à cet égard et il est souvent en mesure de faire fonction d'allié important pour les groupes vulnérables. [...] Si la démocratie constitutionnelle vise à garantir que la majorité écoute comme il se doit la voix des personnes vulnérables, notre Cour a donc l'obligation de faire preuve de déférence en examinant la tentative du législateur de répondre à cette voixNote de bas de pages 3.

La constitutionnalité du projet de loi C-14 ne sera pas déterminée par une simple comparaison du projet de loi à ce que prévoit la décision Carter. Cette détermination comprendra plutôt l'évaluation des dispositions du projet de loi eu égard à ses objectifs distincts et nouveaux, en comparaison avec ceux de la prohibition absolue, et au compte rendu des délibérations législatives.

Via la définition de l'expression « problèmes de santé graves et irrémédiables » au par. 241.2(2), le projet de loi C-14 restreint l'aide médicale à mourir aux personnes dont la « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ». Cet élément du projet de loi, ainsi que la question de sa conformité avec la Charte, ont fait l'objet d'un débat considérable. Bien que certains experts constitutionnels soient d'avis que cette restriction est constitutionnelle, d'autres sont d'avis contraire étant donné que le critère à l'alinéa 241.2(2)d) ne figure pas dans la décision Carter. La position du gouvernement est que le projet de loi C-14 est pleinement compatible avec la Charte. L'explication qui suit, concernant la position du Gouvernement, est présentée en vue d'aider à éclairer le débat public et parlementaire. Elle doit être interprétée à la lumière du Contexte législatif.

L'analyse fondée sur l'article 7 et l'article premier de la Charte comprend l'évaluation de l'incidence d'un texte législatif ou d'une mesure gouvernementale par rapport à ses objectifs législatifs. Contrairement aux dispositions en litige dans Carter, qui imposaient une prohibition absolue à toute aide à mourir, le projet de loi C-14 crée un régime de réglementation complexe qui permet l'aide médicale à mourir pour les personnes dont les circonstances factuelles sont semblables à celles de Mmes Taylor et Carter, tout en maintenant la prohibition générale dans les situations où il existe le plus de risques.

Les objectifs du projet de loi C-14 diffèrent à bien des égards de ceux de la législation antérieure. Il avait été déterminé que l'interdiction absolue n'avait qu'un seul objectif – la protection des personnes vulnérables qui pourraient être incitées à se donner la mort dans un moment de faiblesse. Bien que ceci demeure un objectif important, le projet de loi C-14 vise un certain nombre d'objectifs supplémentaires. Le projet de loi vise à reconnaître l'important problème sempiternel de santé publique que représente le suicide qui touche les individus, leurs familles et les collectivités; empêcher que la mort soit considérée comme une solution à toutes les formes de souffrances; et contrer les perceptions négatives quant à la qualité de vie des personnes âgées, malades ou handicapées. La position du gouvernement est que la restriction de l'aide médicale à mourir favorise l'atteinte de ces importants objectifs et ne porte pas atteinte à l'article 7 de la Charte.

Compte tenu des récents développements dans la jurisprudence relative à l'art. 7, qui a sensiblement élargi le rôle de l'article premier dans les affaires fondées sur l'article 7, la constitutionnalité du projet de loi C-14 pourrait être tranchée au regard de l'article premier. Dans Carter, la Cour a reconnu que dans des cas comme celui dont elle était saisie « où les intérêts opposés de la société sont eux-mêmes protégés par la Charte, une restriction aux droits garantis par l'art. 7 peut, en fin de compte, être jugée proportionnée à son objectif Note de bas de pages 4. » Elle a affirmé qu'une grande déférence serait accordée à une « mesure réglementaire complexe » à cet égardNote de bas de pages 5.

Justification de l'approche adoptée dans le projet de loi C-14

En examinant la meilleure façon de répondre à l'arrêt Carter, le Gouvernement a tenu compte de la gamme de régimes législatifs sur l'aide médicale à mourir qui existent ailleurs dans le monde. Peu nombreux, ils entrent dans deux grandes catégories.  La première, qui représente la majorité de ces régimes, consiste à limiter l'aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle est prochaine. Malgré que cette exigence soit exprimée de diverses façons, la majorité de ces régimes restreignent l'admissibilité aux patients souffrant de maladie en phase terminale ayant moins de 6 mois à vivreNote de bas de pages 6. La deuxième catégorie a plus généralement pour objet d'apporter un soulagement à des souffrances intolérables, sans égard à la question à savoir si la personne se dirige vers la mort. Seulement trois pays dans le monde ont adopté ce dernier type de régime : les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg (le Benelux).

Sur le fondement d'un éventail de points de vue sur les risques et les avantages relatifs à ces deux types de régimes, le gouvernement a conclu qu'un régime comme celui des pays du Benelux irait à l'encontre de ses objectifs. Bien que certains aient recommandé un modèle comme celui du Benelux pour le CanadaNote de bas de pages 7, bien d'autres, incluant des professionnels de la santé et les porte-parole de groupes vulnérables, ont pressé le Gouvernement d'adopter un modèle axé sur la fin de vieNote de bas de pages 8. À titre d'exemple, bien que les personnes handicapées aient des opinions divergentes sur la question, la plupart des organismes de défense des droits des personnes handicapées ont soutenu que le modèle en vigueur au Benelux risquait de renforcer les stéréotypes répandus qui associent la dépendance et la déficience physiques à une perte de dignité et d'identité personnelleNote de bas de pages 9. Ils ont fait valoir qu'un tel régime présenterait des risques réels pour les personnes handicapées.  Nombre d'experts ont également fait valoir que, lorsque l'aide médicale à mourir est offerte sur la seule base des souffrances, il est dès lors bien plus difficile d'évaluer l'admissibilité et de contenir les risquesNote de bas de pages 10. Ces experts ont indiqué qu'il existe un vaste éventail de circonstances pouvant causer des souffrances et rendre les individus vulnérables : isolement social, pauvreté, chagrin, discrimination, craintes face à l'avenir et crainte d'être un fardeau pour les autres, etc. Compte tenu de la nature subtile et difficilement détectable des façons dont la vulnérabilité peut compromettre l'autonomie, ces experts ont soutenu que le fait de permettre l'aide médicale à mourir, comme réponse à des souffrances vécues au cours de la vie, poserait des risques inacceptables qu'aucun ensemble de mesures de protection ne saurait contenir adéquatement. Des experts des pays du Benelux ont souligné certains développements récents dans ces pays, y compris l'augmentation des taux d'euthanasie, l'élargissement de l'admissibilité et l'augmentation des taux de suicide, et ont soutenu que le fait de permettre l'aide médicale à mourir hors du contexte des soins de fin de vie mène à la normalisation du suicideNote de bas de pages 11. Finalement, plusieurs professionnels de la santé ont exprimé leur appui à l'égard d'un modèle de fin de vie qui est plus cohérent avec leur rôle et leurs obligations professionnellesNote de bas de pages 12.

La question de l'aide médicale à mourir est complexe, non seulement parce qu'elle requiert d'établir un équilibre entre les intérêts concurrents de divers groupes de la société canadienne, mais aussi parce qu'elle touche des questions complexes sur le plan des sciences sociales qui échappent aux preuves scientifiques, notamment les prédictions sur le comportement humainNote de bas de pages 13. Dans ce contexte, il est normal de voir une variété de points de vue sur la manière d'interpréter les données disponibles à l'échelle internationale, ainsi que sur le régime qui serait le plus approprié pour le Canada. Tout au long du développement du projet de loi C-14, les ministres ont rencontré plusieurs individus, groupes et organismes d'antécédents divers, et ont reçu des correspondances de milliers de Canadiens ayant exprimé des opinions très diverses sur le sujet. Les choix en matière de politiques qui ont été faits dans le cadre du projet de loi C-14 reflètent l'évaluation du Gouvernement fondée sur la preuve disponible, y compris les expériences internationales et des avis éclairés, selon laquelle un modèle d'admissibilité générale comme celui des pays du Benelux irait à l'encontre des objectifs du gouvernement, y compris en ce qui a trait à la protection et à la promotion des droits des groupes vulnérablesNote de bas de pages 14. Ils reflètent aussi l'évaluation du Gouvernement selon laquelle, étant donné la nature et l'aspect sérieux des risques, une approche prudente est nécessaire. Ceci veut donc dire l'adoption d'une approche plus près des modèles de fin de vie actuels que de l'approche du Benelux – c'est-à-dire un modèle restreignant l'éligibilité aux individus qui déclinent vers la mort, leur permettant de choisir une mort plus paisible plutôt qu'une mort prolongée, douloureuse ou difficile. De plus, le standard flexible relatif à la « mort raisonnablement prévisible », et l'absence de critère précis relatif à l' « espérance de vie », donnent au projet de loi C-14 une portée plus large que les régimes de fin de vie actuels. Ceci représente le meilleur modèle, ainsi que celui le plus responsable, pour le Canada, à moins et jusqu'à ce que des données robustes et fiables, colligées dans le contexte canadien, puissent offrir une assurance suffisante que l'expansion au-delà de cette approche ne mettrait pas les Canadiens vulnérables à risque. Le Gouvernement s'est toutefois engagé à rassembler ces données et à étudier d'autres situations dans lesquelles l'aide médicale à mourir pourrait être recherchée.

Conclusion

L'arrêt Carter portait sur la question à savoir si la prohibition criminelle absolue de l'aide à mourir était conforme à la Charte. Il ne portait pas sur les mérites, les risques et les avantages d'un type de régime législatif par rapport à un autre. En concluant que la prohibition absolue est contraire à la Charte, la Cour a reconnu que la question de l'aide médicale à mourir était complexe et qu'elle nécessitait un équilibre entre des intérêts concurrents d'une grande importance : le droit en vertu de l'article 7 des personnes ayant fait une décision entièrement autonome de demander une aide médicale à mourir, et les droits et intérêts d'autres personnes vulnérables « qui pourraient être à risque dans un régime permissif »Note de bas de pages 15. La Cour a reconnu qu'il en relève du rôle du Parlement d'élaborer un régime et qu'il s'agissait d'une tâche difficile, suggérant que la réponse du législateur ferait l'objet d'une très grande retenueNote de bas de pages 16. Le Gouvernement soutient que la Cour suprême, en jugeant la prohibition absolue invalide, n'avait pas l'intention de constitutionnaliser un modèle législatif en particulier – surtout pas le modèle le plus étendu possible qui n'existe que dans trois États dans le mondeNote de bas de pages 17. Le projet de loi C-14 répond à Carter en créant un régime d'aide médicale à mourir qui respecte, dans la plus grande mesure possible, l'autonomie des personnes qui désirent une telle aide, sans nuire aux objectifs du Gouvernement en matière de protection des personnes vulnérables, et d'autres valeurs importantes de notre société telles que l'importance d'affirmer l'égalité et la dignité de la vie de chaque personne, sans égard à l'âge, à l'état de santé ou à un handicap.

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