Politique du ministère de la Justice du Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité sur l’obligation de franchise lors d’instances ex parte

La présente politique, adoptée conjointement par le ministère de la Justice et le Service canadien du renseignement de sécurité, énonce les principes devant orienter l’exécution de l’obligation de franchise chez les avocats agissant au nom du procureur général du Canada de même que chez les agents du Service qui comparaissent en qualité de témoins ou de déposants, ou qui fournissent autrement un soutien lors de telles instances.

1. L’obligation de franchise

Les avocats et les témoins ont d’importantes obligations en ce qui concerne l’administration de la justice. Lorsqu’il agit à titre d’avocat, le juriste doit être « sincère, juste, courtois et respectueuxNote de bas de la page 1 » à l’endroit du tribunal. Les témoins, y compris les déposants, ont des obligations semblables : la Cour suprême a déclaré que les déposants qui demandent des mandats de perquisition sont tenus d’agir avec diligence et intégrité, en veillant à s’acquitter de leur obligation particulière de divulgation honnête et complèteNote de bas de la page 2.

Lorsqu’il demande une autorisation ex parte, comme dans le cas d’un mandat de perquisition, un policier — en fait, tout dénonciateur — doit faire particulièrement attention de ne pas faire un tri des faits pertinents dans le but d’obtenir le résultat souhaité. Le dénonciateur est tenu de présenter tous les faits pertinents, favorables ou nonNote de bas de la page 3.

Pour l’avocat qui représente le procureur général, ces obligations sont aussi fondées sur le rôle spécial de la Couronne. Comme l’a déclaré la Cour suprême : 

Le procureur général n’est pas une partie à l’instance comme une autre. Sa singularité se manifeste par le rôle dévolu au procureur de la Couronne qui, à titre de représentant du procureur général, a des obligations accrues envers la cour et envers l’accusé en tant que représentant local de la justiceNote de bas de la page 4.

L’obligation générale de franchise est accentuée lors d’instances ex parte dans le cadre desquelles les juges n’ont pas l’occasion d’entendre les observations de la partie adverse. En outre, en ce qui concerne bon nombre d’instances en matière de sécurité nationale, particulièrement dans le cas des demandes de mandat présentées en application de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS), les instances ex parte ne peuvent jamais faire l’objet d’un contrôle judiciaire subséquent, au moyen d’une demande d’annulation du mandat par exemple.

Le ministère de la Justice et le Service canadien du renseignement de sécurité doivent prendre les mesures nécessaires pour encourager les juristes et les témoins à s’acquitter de l’obligation de franchise et leur permettre de le faire.

Pour s’acquitter de cette obligation, il faut se demander ce que la Cour devrait savoir pour se prononcer sur une demande de mandat dans le contexte de sa mission globale qui consiste à préserver l’équilibre entre les intérêts de l’État et les intérêts individuels en vertu de la Loi sur le SCRS.

Bien que la politique porte principalement sur les demandes de mandat présentées à la Cour fédérale du Canada en vertu de la Loi sur le SCRS lorsque des pouvoirs d’enquêtes intrusifs importants sont sollicités, les principes qui sous-tendent cette politique s’appliquent également à toute instance ex parte en matière de sécurité nationaleNote de bas de la page 5.

2. Les principes applicables

a) Les renseignements doivent être présentés de manière complète, précise, équitable et intégrale

L’objectif d’une communication complète, équitable et honnête de l’information dans le cadre d’une instance ex parte consiste à préserver l’intégrité du processus judiciaire :

[traduction]

[…] le droit impose une obligation exceptionnelle à la partie qui dépose une requête ex parte. Cette partie n’a pas le droit de présenter uniquement sa version de la preuve sous l’angle le plus favorable possible, comme elle le ferait si l’autre partie était présente. Il lui incombe au contraire de présenter les faits de manière équilibrée en droit.

La partie requérante doit exposer sa propre preuve équitablement et doit informer la Cour des points de fait ou de droit, le cas échéant, dont elle connaît l’existence et qui avantagent la partie opposée. L’obligation de divulgation complète et franche vise à compenser le risque évident d’injustice inhérent à toute situation où un juge est invité à prononcer une ordonnance sans avoir la possibilité d’entendre la partie opposéeNote de bas de la page 6.

La divulgation complète servira également à protéger l’indépendance de la Cour et la capacité de celle-ci de s’acquitter des importantes tâches qui lui sont confiées. Il est impossible d’atteindre ces objectifs si la Cour dispose d’un dossier incomplet ou de renseignements insuffisants. La partie qui choisit de manière sélective le contenu du dossier présenté en cour dans le cadre d’une instance ex parte – même en agissant de bonne foi en croyant que ses choix sont juridiquement valables – se substitue à tort au décideur.

La Cour suprême a formulé l’obligation comme suit :

La partie qui plaide ex parte devant un tribunal a l’obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue. Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêtNote de bas de la page 7.

Pour respecter ce principe, il faut prendre beaucoup de précautions lors de la présentation des documents à la Cour. Il ne s’agit pas seulement de communiquer les renseignements exacts. Les déposants doivent clairement distinguer les déclarations factuelles des inférences, et les conclusions des opinions. Tout renseignement qui a une incidence sur la fiabilité des renseignements fournis, notamment la crédibilité de la source de renseignements, doit être communiqué à la Cour. En outre, il faut s’assurer de fournir suffisamment de contexte à l’égard des faits présentés pour que la Cour soit en mesure d’en apprécier pleinement et équitablement la fiabilité et l’importance.    

Il peut omettre des détails non pertinents ou sans importance au nom de l’objectif louable de la concision, mais il ne peut pas taire des faits essentiels. Le policier dénonciateur doit donc éviter de présenter un exposé incomplet des faits connus et veiller à ne pas orienter le juge vers une inférence ou une conclusion à laquelle ce dernier ne serait pas parvenu si les faits omis lui avaient été divulguésNote de bas de la page 8.

b) L’avocat et les déposants doivent être transparents

Il ne suffit pas de transmettre les renseignements de manière complète et exacte. L’avocat et les témoins, tels que les déposants, doivent aussi être transparents devant la Cour. La « transparence » est souvent décrite comme de la « franchise ». Selon le principe de la transparence, la Cour doit disposer d’un contexte factuel et juridique suffisant pour apprécier adéquatement les forces et les faiblesses de la demande, sur les plans factuel et juridique. Pour être transparent, il faut également communiquer tout renseignement nouveau ou inhabituel au sujet de la demande de sorte que la Cour soit au courant de ces éléments.

La pertinence des renseignements à l’égard de la décision que doit prendre la Cour dans le cadre d’une demande de mandat ne peut être déterminée uniquement d’après les seules exigences légales relatives à la délivrance de mandats. L’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour est influencé par le contexte plus vaste dans lequel le mandat est décernéNote de bas de la page 9. Il peut s’agir de l’incidence éventuelle des mesures intrusives sur les tiers, du fondement juridique de la demande (y compris toute modification de la situation juridique découlant de demandes antérieures), de même que des capacités intrusives des appareils technologiques utilisés lors de l’exécution du mandat.

La transmission de ces renseignements peut s’avérer importante pour la Cour lorsque celle-ci doit décider si l’ordonnance judiciaire sera assortie de conditions et, le cas échéant, de quels types de conditions. Par conséquent, les déposants et l’avocat doivent veiller à fournir à la Cour suffisamment de contexte factuel et juridique pour qu’elle puisse évaluer non seulement s’il y a lieu de délivrer un mandat, mais également l’incidence de son exécution.

Parallèlement, le tribunal ne doit pas être surchargé de renseignements non pertinents :

Idéalement, l’affidavit devrait non seulement être complet et sincère, mais aussi clair et concis. Nul besoin de faire état par le menu de l’enquête policière menée jusqu’alors, depuis des mois ou même des annéesNote de bas de la page 10.

c) Les erreurs relatives à l’autorisation du mandat ou à son exécution doivent être portées rapidement à l’attention du tribunal

Même en portant une attention méticuleuse aux détails, on n’est pas à l’abri des erreurs. Lorsque l’on découvre qu’il y a eu une erreur importante dans les documents de la demande ou dans l’ordonnance de la Cour, ou que l’ordonnance a été exécutée d’une manière qui va à l’encontre des conditions de l’autorisation accordée, la Cour doit en être avisée rapidement. Il est possible de devoir aussi porter les erreurs d’exécution à l’attention d’autres parties, comme le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, mais l’obligation de signaler les erreurs à la Cour existe indépendamment de toute autre obligation légale de signalement. Ce principe reflète le fait que l’obligation de franchise est une obligation continue.

Cette obligation est particulièrement importante dans le contexte de la sécurité nationale. Les erreurs dans les mandats ou dans leur exécution, qui peuvent survenir lorsque les policiers exécutent des mandats en vertu du Code criminel, seront habituellement révélées au cours du procès. Dans le contexte de la sécurité nationale, ce n’est pas toujours le cas; il faut donc aviser rapidement le juge qui a délivré le mandat de la nature du problème, de l’incidence de l’erreur et de toute mesure prise pour corriger la situation.

Si l’avocat n’est pas certain s’il s’agit d’une erreur importante devant être communiquée à la Cour, il doit privilégier la divulgation.  

d) Le déposant doit être chevronné, indépendant et investi d’une certaine autorité

Le déposant est la personne qui présente le témoignage sous serment sur lequel le tribunal se fondera pour agir. Si cette preuve n’est pas exacte et complète, la capacité de la Cour fédérale de s’acquitter de ses fonctions sera compromise.

L’obligation de franchise du déposant est une obligation personnelle envers le tribunal. Pour s’acquitter de ses obligations, le déposant doit posséder les compétences, la formation et l’expérience nécessaires.

L’indépendance est une qualité qui est liée de très près à la solidité et à l’expérience. Le déposant doit faire preuve d’un jugement indépendant et solide pour décider si – et de quelle façon – les renseignements peuvent répondre aux conditions juridiques qu’il faut remplir avant la délivrance d’un mandat. Il doit aussi être en mesure de poser des questions complexes à ses collègues, de contester des prétentions de fait le cas échéant, d’insister pour que les renseignements manquants soient communiqués, et d’agir avec diligence pour obtenir des réponses satisfaisantes à l’ensemble des questions posées.

Étant donné que le déposant a accès à beaucoup de renseignements potentiellement pertinents, le déposant devrait considérer se poser la question suivante : que doit savoir la Cour, et que voudrait-elle savoir, pour évaluer équitablement cette demande de mandat? Comme il est indiqué précédemment, cette question doit mener le déposant à communiquer suffisamment de contexte au sujet de la nature de l’enquête et de la menace à la sécurité, des éléments intrusifs des technologies utilisées et la façon dont l’ordonnance de la Cour sera exécutée pour aider la Cour à s’acquitter de son rôle. Le déposant doit aussi être en mesure de connaître ce qu’il doit savoir et de poser les bonnes questions afin d’être en mesure de conseiller adéquatement la Cour.

e) L’avocat doit comprendre et assumer le rôle du procureur général

Comme il a été indiqué précédemment, l’avocat qui représente le procureur général doit garder à l’esprit les responsabilités spéciales qu’il a envers l’administration de la justice. L’avocat doit suivre une formation à cet égard. Il doit agir indépendamment du Service pour préparer la demande. L’avocat doit soigneusement conserver son objectivité et son indépendance. Il doit être certain que les affirmations contenues dans la demande sont véridiques, et que la demande est rédigée de manière intelligible et efficace. Lorsque l’avocat doit accéder à des renseignements qui sont en possession du Service pour pouvoir s’acquitter de ses fonctions, le Service doit lui communiquer rapidement ces renseignements.

3. Application pratique des principes

La politique ne constitue pas un manuel exhaustif des applications pratiques. Dans les paragraphes qui suivent se trouvent des considérations visant à aider le déposant et l’avocat à s’acquitter de leur obligation de franchise dans des situations courantes.

a) La rédaction de l’affidavit de manière générale

En plus de devoir satisfaire aux exigences établies au paragraphe 21(2) de la Loi sur le SCRS et énoncées dans AtwalNote de bas de la page 11, l’affidavit présenté à l’appui d’une demande :

b) Fournir un contexte juridique approprié

L’avocat qui comparaît dans le cadre d’une demande de mandat doit informer la Cour de toutes les considérations juridiques pertinentes, il doit notamment indiquer :

c) Fournir un contexte factuel adéquat

Le déposant doit être conscient de la nécessité de fournir des renseignements qui permettront à la Cour d’apprécier de manière plus équitable la demande, notamment des renseignements portant sur : 

4. Les relations avec la Cour de manière générale

L’avocat représentant le procureur général doit aussi savoir que l’obligation de franchise peut concerner des questions qui outrepassent les demandes de mandats particuliers. La Cour doit être informée lorsque la validité d’un mandat du Service est contestée devant un autre tribunalNote de bas de la page 12.

La Cour doit être informée des questions préoccupantes d’ordre général ou particulier à l’égard des demandes de mandat, lesquelles sont relevées dans le cadre d’audits internes et d’examens menés par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le ministre de la Sécurité publique, les commissions parlementaires ou d’autres organes d’examen.

Finalement, lorsque l’avocat représentant le procureur général relève de nouvelles questions ayant une incidence sur les procédures de la Cour, il doit communiquer avec celle‑ci au moyen des mécanismes appropriés.

La présente politique fera périodiquement l’objet d’un examen, et ce, au moins tous les trois ans.