Surfer sur la crête de la troisième vague :
Redéfinir l'aide juridique en matière pénale à l'intérieur d'un cadre d'accès à la justice

Albert Currie, Chercheur principal
Accès à la justice et aide juridique

Rapport préparé pour le ministère de la Justice du Canada

© GOUVERNEMENT DU CANADA, 2004-06-15

Les opinions exprimées dans le présent rapport sont celles de l'auteur et ne représentent pas nécessairement celles du ministère de la Justice Canada.

Version PDF

Abrégé

L'aide juridique en matière pénale a traditionnellement été comprise comme l'accès à la justice pénale. Toutefois, la conception traditionnelle de l'accès à la justice a évolué au-delà de l'idée d'accès à la justice en tant qu'accès au système de justice et à la représentation par avocat devant les tribunaux. S'inspirant du modèle classique de l'évolution de l'accès à la justice proposé par Cappelletti et Garth, le présent document avance que la revitalisation du mouvement de la justice réparatrice représente une étape majeure dans l'évolution de l'accès à la justice pénale, et il examine comment l'adoption d'approches axées sur la justice réparatrice pourrait faire de la prestation d'aide juridique en matière pénale une partie intégrante d'une conception plus moderne de l'accès à la justice.

NOTE SUR LA NOTION D'ACCÈS À LA JUSTICE

Il est facile de comprendre la conception traditionnelle de l'accès à la justice, mais parce que cette notion se manifeste de nombreuses façons, il n'est pas facile de la définir de façon précise. De façon générale, l'accès à la justice désigne traditionnellement une gamme de mesures à caractère institutionnel visant à faire en sorte que les gens qui n'ont pas les ressources ou les moyens requis pour protéger les droits que la loi leur reconnaît ou régler les problèmes juridiques avec lesquels ils sont aux prises puissent avoir accès au système de justice.

[ traduction ] Il faut reconnaître que l'expression « accès à la justice » n'est pas facile à définir, mais elle permet de se concentrer sur deux objectifs fondamentaux du système juridique - permettre aux gens de faire valoir leurs droits ou de régler leurs différends sous les auspices de l'État [1].

À l'origine, dans plusieurs pays européens, des corporations de métiers et d'autres organisations offraient de l'aide à leurs membres lorsque ceux-ci étaient aux prises avec des problèmes juridiques; cette pratique visant à offrir aux pauvres l'accès à la justice remonte à plusieurs siècles [2] Dans l'histoire moderne, le point de référence pour ce qui est de l'accès à la justice est l'avènement de l'État providence, d'où est né le mouvement d'accès à la justice qui en est l'un des principaux éléments.

Particulièrement dans les pays occidentaux de common law, la profession juridique a eu tendance à dominer les institutions qui offrent un accès à la justice [3]. Par conséquent, l'hégémonie de la profession juridique a modelé le caractère du mouvement d'accès à la justice. Traditionnellement, l'accès à la justice repose sur un paradigme fondé sur les droits [4]. L'accès à la justice était donc synonyme d'accès aux tribunaux. Les problèmes étaient surtout définis en termes formalistes et réglés principalement au moyen des services dispensés par les avocats.

Dans le cadre de la démarche traditionnelle, l'accès à la justice consiste avant tout à concevoir des mesures à caractère institutionnel permettant aux gens de faire valoir leurs droits au sein du système de justice existant. Dans cette perspective, la problématique propre à l'accès à la justice est la suivante : surmonter les obstacles qui empêchent d'avoir accès au système de justice. Il peut s'agir de caractéristiques individuelles, par exemple la pauvreté ou les limites linguistiques. Les obstacles en question peuvent également être certains aspects du système de justice comme tel, notamment la complexité du système et les coûts. Enfin, il peut aussi s'agir de problèmes systémiques. Curieusement, même si le besoin d'avoir accès à la justice était fondé en grande partie sur le défi auquel faisait face le système de justice, à savoir, protéger dûment les droits des pauvres et des défavorisés, le rôle central du système n'a pas été remis en question.

Le concept de l'accès à la justice dans le domaine de la justice civile a connu une évolution considérable au cours des décennies. Progressivement, les différends ont cessé d'être réglés par les tribunaux pour être réglés à l'amiable, selon diverses formes de solutions de rechange. Toutefois, dans le domaine de la justice pénale, les changements ne se sont pas produits aussi rapidement dans le cas des nouvelles formes d'accès. Cela est dû sans aucun doute au fait que le processus de justice pénale reconnaît peu de pouvoirs discrétionnaires aux accusés, tandis qu'en matière civile, on peut souvent choisir parmi une vaste gamme de solutions. Toutefois, on remarque de plus en plus que les notions relatives à l'accès à la justice pénale commencent à changer.

Depuis un certain temps, la documentation spécialisée fait état de la notion qui veut que les problèmes auxquels le système de justice pénale est confronté reflètent les échecs institutionnels des structures que sont le monde de l'éducation, les services sociaux et la famille. Le système de justice est mal outillé pour traiter ces problèmes en raison des dimensions sociales et économiques qui leur sont sous-jacentes [5]. Récemment, le mouvement relatif à la justice réparatrice est apparu comme un courant important au sein du système de justice. Dans le cadre de ce mouvement, on met l'accent sur les séquelles du crime et on tente de résoudre les questions qui ont amené le délinquant à avoir des démêlés avec la justice d'une manière qui satisfasse la victime, la collectivité et le délinquant [6].

Par rapport à la justice civile, la justice pénale accuse un retard de plusieurs décennies lorsqu'il s'agit de l'évolution vers des formes d'accès progressistes. Dans le présent document, nous soutenons que le mouvement vers des démarches « globales » en matière de justice pénale, la justice réparatrice étant le sceau de ce mouvement, marque un courant important et apparemment soutenu dans l'évolution de l'accès à la justice pénale.

Au Canada, deux événements récents dans le domaine de la justice semblent confirmer l'observation faite par le professeur Clairmont dans l'article dont il est question dans le présent document. Le mouvement relatif à la justice réparatrice est désormais dans la ligne du courant dominant pour ce qui est de définir les moyens les plus appropriés et les plus efficaces de traiter les questions de justice au Canada. En mars 2000, le ministère de la Justice fédéral a parrainé un symposium national sur l'accès à la justice intitulé « Élargir nos horizons : Redéfinir l'accès à la justice au Canada » [7]. Dans le cadre de ce symposium d'une journée, une centaine de chefs de file provenant du milieu de la justice et d'autres domaines ayant trait à la justice sociale se sont rencontrés. Ils ont arrêté un certain nombre de thèmes qui indiquent la voie à suivre pour redéfinir le concept de l'accès à la justice, du point de vue de la justice civile et de la justice pénale [8]. Le symposium a révélé un énorme mécontentement vis-à-vis du système de justice pénale, un vif désir de changements et une volonté de mettre à l'essai des solutions de rechange qui s'éloignent des concepts et des processus traditionnels.

En 1998, le gouvernement de l'Alberta a tenu le Sommet de l'Alberta sur la justice. Cent cinquante et un délégués y ont été conviés, 83 d'entre eux ayant été choisis au hasard, en fonction de facteurs démographiques comme l'âge, le sexe, l'occupation et le statut autochtone. Les objectifs du Sommet comprenent les éléments suivants : cerner les enjeux et les défis, déterminer des moyens efficaces d'utiliser les ressources du système de justice et définir les priorités pour ce qui est du changement et des orientations futures. Neuf groupes de participants ont produit plus de cent recommandations dans le cadre du Sommet de l'Alberta sur la justice. Dans certains cas, les recommandations étaient très semblables à celles qui avaient été formulées lors du Symposium du ministère de la Justice, à savoir, que le système adopte des solutions de rechange au système de justice officiel et que les solutions au chapitre de l'accessibilité soient axées sur la collectivité [9].

Nous tentons, dans le présent document, d'appliquer les nouvelles notions relatives à la justice pénale au domaine de l'aide juridique en matière pénale. Nous invitons les responsables des orientations politiques et les gestionnaires à tenir compte du rôle de l'aide juridique en matière pénale dans le contexte des changements qui ont cours dans le milieu de la justice pénale, dont l'aide juridique est une partie intégrante.