L’effet rétroactif des obligations
conditionnelles en droit fiscal

Auteure : Marie-Pierre Allard

Table des matières



Préface

Le bijuridisme canadien pose de nombreux problèmes d’interprétation aux juristes. Dans notre système fédéral où la propriété et les droits civils relèvent de la compétence législative des provinces, le droit privé provincial est appelé à jouer un rôle prépondérant dans l’interprétation des lois fédérales. Ainsi, au Québec, le Code civil est appelé à compléter la Loi de l’impôt sur le revenu lorsque celle-ci impose des conséquences fiscales à des relations régies par le droit privé. Cette réalité se heurte parfois à l’objectif d’uniformité d’application de la Loi.

L’un des problèmes les plus fréquents à cet égard est la détermination du moment de la « disposition » d’un bien aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, plus particulièrement en présence d’une obligation conditionnelle. En effet, l’effet rétroactif des conditions suspensives et résolutoires prévu par le Code civil n’existe pas en common law : faut-il alors appliquer cette rétroactivité au Québec, ou plutôt appliquer la notion de disposition de façon uniforme dans l’ensemble du Canada? Le présent texte vise à analyser cette question et à tenter de proposer des solutions.

La tâche entreprise s’est révélé beaucoup plus ardue, longue et complexe que prévu. Je tiens à remercier le professeur Marie Jacques, de la maîtrise en fiscalité de l’Université de Sherbrooke, qui a accepté d’agir à titre de directeur d’essai, et ce tant pour son soutien moral que pour le temps qu’elle y a consacré. Je remercie également Me Sandra Hassan, conseillère juridique à la Section du Code civil du ministère de la Justice du Canada, qui n’a pas compté ses heures dans la réalisation de ce projet. Merci également à tous les collaborateurs de la Section du Code civil et du ministère du Revenu du Québec qui ont lu la première version de ce texte et y ont apporté leurs précieux commentaires. Je tiens enfin à remercier Me Diane Bruneau, fiscaliste, qui a accepté de lire et de commenter la première version du présent texte et qui a grandement contribué à son amélioration.

Bien que tous ces gens aient été d’une aide précieuse, toutes les opinions exprimées dans ce texte sont les miennes, et j’en assume l’entière responsabilité.

Le protocole de rédaction utilisé est celui du Guide de présentation des publications, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 1999. À titre de référence, nous avons également utilisé le volume de Didier Lluelles, Guide des références pour la rédaction juridique, 3e éd., Montréal, Éd. Thémis, 1991.

Introduction

Le droit canadien est doté d’une caractéristique exceptionnelle : il est bijuridique, c’est-à-dire qu’y coexistent deux systèmes juridiques de droit privé différents, le droit civil et la common law. Cette juxtaposition de deux systèmes de droit, constamment en interaction, constitue incontestablement une source d’enrichissement extraordinaire pour ces deux systèmes, malgré ce que l’un de nos plus grands juristes a appelé le « danger de métissage du droit civil par voie d’interprétation judiciaire » .[1]

Le bijuridisme est inextricablement enraciné dans l’histoire et la tradition juridique de la fédération canadienne. En 1774, par l’Acte de Québec[2], le droit civil fut réintroduit dans la province de Québec[3], après avoir été banni par la Proclamation Royale de 1763 qui instaurait les lois civiles et criminelles anglaises. Par la suite, la Loi constitutionnelle de 1867[4], qui reconnaît aux législatures provinciales la compétence exclusive de légiférer en matière de propriété et de droits civils, vint confirmer la coexistence des deux systèmes juridiques de droit privé.[5]

Les tribunaux ont depuis toujours affirmé que le droit fiscal est accessoire au droit privé; il ne fait qu’édicter des conséquences fiscales aux relations contractuelles entre les parties, ces relations étant régies par le droit privé :

« In my opinion fiscal law is an accessory system, which applies only to the effects produced by contracts. Once the nature of the contracts is determined by the civil law, the Income Tax Act comes into effect, but only then, to place fiscal consequences on those contracts. Without a contract, without a law and an obligation, there can be no fiscal levy. Application of the Income Tax Act is subject to a civil determination, whether such a determination be according to civil or common law. »[6]

Ainsi, lorsque la loi fédérale utilise une expression de droit privé, sans la définir ou lui donner un sens particulier, il faut recourir au droit privé provincial applicable pour interpréter cette expression; on parlera alors de complémentarité du droit privé provincial par rapport au droit fédéral. Par contre, le législateur fédéral, dans l’exercice de ses compétences attribuées par l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, peut exercer ses pouvoirs ancillaires ou accessoires afin d’établir ses propres règles de droit privé indépendantes et autonomes, pour l’application de la loi fédérale. Il s’agit dans ce cas de dissociation du droit fédéral par rapport au droit privé des provinces.[7]

Par ailleurs, le bijuridisme, combiné au bilinguisme officiel[8], impose au législateur fédéral l’obligation de s’adresser à quatre auditoires juridiques, à savoir les francophones et les anglophones des deux systèmes de droit privé. C’est pourquoi, depuis quelques années, le législateur fédéral a entrepris un vaste exercice d’harmonisation de la législation fédérale, c’est-à-dire un « processus de révision de la législation visant à ce que le droit civil et la common law y soient reflétés adéquatement dans les deux versions linguistiques » [9]. Ces travaux visent notamment la Loi de l’impôt sur le revenu[10].

Le présent texte s’inscrit dans le cadre de ce processus d’harmonisation et tente de proposer des solutions à l’un des problèmes existants en droit fiscal, soit celui de l’effet rétroactif des obligations conditionnelles du droit civil. En effet, en droit civil, une condition suspensive ou résolutoire a un effet rétroactif au jour de la conclusion du contrat, et ce contrairement aux obligations conditionnelles de la common law, les condition precedent et les condition subsequent , qui n’ont pas d’effet rétroactif. Or, en fiscalité, le moment de la « disposition » d’un bien a une grande importance, que ce soit notamment pour déterminer le moment de l’imposition du gain en capital, de la récupération de l’amortissement ou du changement de contrôle d’une société. Dans ce contexte, se soulève la question suivante : l’effet rétroactif des obligations conditionnelles s’applique-t-il en droit fiscal fédéral lorsqu’il s’agit de déterminer le moment de la « disposition »?

Nous tenterons donc dans le présent texte de déterminer si la Loi et la position administrative de l’Agence des douanes et du revenu du Canada[11] reconnaissent adéquatement les spécificités du droit civil quant aux effets des obligations conditionnelles, et dans la négative, d’évaluer dans quelle mesure et de quelle façon il serait possible d’harmoniser la Loi de l’impôt sur le revenu avec le droit civil québécois sur cette question, tout en respectant l’intention du législateur fédéral. À cet égard, nous devrons tenir compte de l’équilibre entre deux objectifs souvent en opposition : celui de l’application uniforme de la Loi à l’échelle canadienne, d’une part, et d’autre part le respect des règles de droit privé, parfois incompatibles, des deux systèmes juridiques.

À cette fin, nous recenserons dans le premier chapitre les règles de droit civil relatives aux obligations conditionnelles et à leurs effets, ainsi qu’à d’autres concepts de droit civil qui peuvent soulever des questions de rétroactivité. Dans le second chapitre, nous étudierons les notions de common law correspondant aux obligations conditionnelles en droit civil, afin de dégager tant les points communs que les divergences des deux systèmes de droit à cet égard. Dans le troisième chapitre, nous procéderons à l’analyse juridique de l’effet rétroactif des obligations conditionnelles en droit fiscal, par l’étude de la législation, de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes, ainsi que de la position administrative de l’Agence. Enfin, dans le quatrième chapitre, nous effectuerons une analyse critique de la situation actuelle, ce qui nous permettra d’identifier les perspectives de développements juridiques possibles et de présenter des propositions de réforme.

1. Les obligations conditionnelles en droit civil

1.1 La condition suspensive

Les obligations conditionnelles sont régies par les articles 1497 à 1507 du Code civil du Québec[12]. Le Code civil définit ainsi l’obligation conditionnelle :

« 1497. L’obligation est conditionnelle lorsqu’on la fait dépendre d’un événement futur et incertain, soit en suspendant sa naissance jusqu’à ce que l’événement arrive ou qu’il devienne certain qu’il n’arrivera pas, soit en subordonnant son extinction au fait que l’événement arrive ou n’arrive pas. »[13]

La condition doit donc être un événement futur et incertain. De plus, elle ne doit pas être purement potestative, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas dépendre uniquement de la volonté du débiteur[14]. La condition doit également être un événement extrinsèque et non pas un élément essentiel à la formation même du contrat : par exemple, l’acheteur qui s’engage à payer le prix si le vendeur s’engage à livrer la chose, contracte une obligation pure et simple.[15]

La condition suspensive « fait dépendre la naissance de l’obligation de l’arrivée de l’événement ou de la certitude qu’il ne se produira pas; elle retarde donc la création du lien entre les parties »[16]. Tant que la condition n’est pas réalisée, c’est l’existence même de l’obligation qui est en suspens[17]. Elle n’est pas seulement inexigible, comme dans le cas d’un terme : elle n’existe pas, elle n’est pas encore formée. S’il s’agit d’une obligation de payer, la dette n’est pas juridiquement née, et celui qui paie par erreur peut même réclamer la répétition de l’indu[18]. Ainsi, le vendeur n’a pas droit au prix avant que la condition ne se réalise.

Quant à la propriété, la vente sous condition suspensive ne la transfère pas immédiatement. Le vendeur conserve le droit de propriété de même que tous ses attributs[19]. Il peut arriver que la possession du bien soit transférée lors de la conclusion du contrat, par exemple dans le cadre d’une vente à l’essai[20], laquelle est présumée faite sous condition suspensive; cela n’a toutefois pas pour effet de transférer la propriété.

Lorsque la condition se réalise, elle a un effet rétroactif au jour de la conclusion du contrat, et ce tant entre les parties qu’à l’égard des tiers :

« 1506.La condition accomplie a, entre les parties et à l’égard des tiers, un effet rétroactif au jour où le débiteur s’est obligé sous condition. »

Cet article réitère le principe de l’effet rétroactif de la condition accomplie que comportait la première phrase des articles 1085 et 1088 C.c.B.-C.[21]. Il ne modifie donc pas le droit antérieur. À cet égard, le Code civil du Bas-Canada reprenait presque textuellement l’article 1179 du Code Napoléon.

Ainsi, dans le cas d’une condition suspensive, l’accomplissement de la condition fait en sorte que la convention est censée avoir été pure et simple dès son origine :

« Mais à partir de quand l’obligation existe-t-elle en tant qu’obligation pure et simple? La réponse paraît s’imposer : jusqu’à l’arrivée de la condition suspensive, il y a eu une obligation conditionnelle; à partir de l’arrivée de la condition suspensive, une obligation pure et simple s’est substituée à l’obligation conditionnelle. Telle n’est pas pourtant la solution du droit français. En effet, l’article 1179 C. civ. pose la règle de la rétroactivité de la condition : “La condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté.” Tout se passe comme si l’obligation était née pure et simple au jour de la conclusion du contrat; elle est censée n’avoir jamais été éventuelle. »[22] (Notre gras.)

Dans un contrat translatif de propriété, le droit de propriété est donc censé être passé à l’acheteur au jour de la conclusion du contrat[23]. Nous analyserons plus loin les effets et les conséquences de la rétroactivité.[24]

Enfin, lorsque la condition ne se réalise pas dans le délai imparti, ou qu’il devient certain qu’elle ne se réalisera pas, tout se passe comme si le contrat n’avait jamais été conclu[25]. Selon les professeurs Pineau, Burman et Gaudet, « il s’agit d’un effacement total : l’acheteur “en puissance” n’a jamais été acheteur et le “vendeur” potentiel n’a jamais été vendeur. »[26]

1.2 La condition résolutoire

La condition résolutoire est celle qui tient en suspens non pas l’existence de l’obligation, mais son extinction[27]. Ainsi, l’obligation sous condition résolutoire entre immédiatement en existence, dès la conclusion du contrat[28]. En conséquence, tant que la condition résolutoire n’est pas réalisée, l’obligation est traitée exactement comme une obligation pure et simple. Elle produit tous ses effets : s’il s’agit d’une vente, il y a immédiatement transfert de propriété et obligation de payer le prix de vente.

Mignault résume ainsi l’effet immédiat de l’obligation assujettie à une condition résolutoire :

« Soit une vente faite sous condition résolutoire. Dès l’instant qu’elle est formée, elle produit tous ses effets, comme la vente pure et simple : chacune des parties est obligée, le vendeur à livrer la chose vendue, l’acheteur à payer le prix; la mutation de propriété est effectuée dès à présent. »[29]

Lorsque la condition se réalise, le contrat est résolu rétroactivement, en vertu de l’article 1506 C.c.Q. Mignault poursuit ainsi :

« Mais, si la condition se réalise, tous les effets que la vente avait produits sont révoqués rétroactivement : ils cessent, non seulement pour l’avenir, mais encore dans le passé : ils sont considérés comme n’ayant jamais été produits. » [30] 

Selon plusieurs auteurs, tout se déroule alors comme si l’obligation n’avait jamais existé : « l’acheteur n’est jamais devenu propriétaire de l’immeuble, pas même propriétaire conditionnel, et le vendeur n’a jamais cessé d’avoir sur cet immeuble un droit de propriété plein et entier. »[31]

À l’inverse, bien entendu, s’il devient certain que la condition ne se réalisera pas, la vente est pure et simple depuis le début, le contrat est rétroactivement consolidé[32]. Ainsi, l’acheteur est censé avoir été propriétaire à compter de la signature du contrat.[33]

Il est intéressant de souligner l’effet « miroir » des conditions suspensives et résolutoires : toute obligation conditionnelle est suspensive pour l’une des parties et résolutoire pour l’autre. Mignault illustre cette réciprocité par un exemple concret :

« Je vous ai vendu ma maison, sous cette condition : si tel vaisseau arrive. La condition, si elle se réalise, produira un double effet : elle vous investira, d’une part, et me dépouillera, de l’autre, du droit de propriété qui a fait l’objet de la vente : vous serez réputé avoir été, tandis que je serai réputé avoir cessé d’être, propriétaire, du jour même du contrat (art. 1085). Ainsi, nous étions tous les deux propriétaires, vous sous condition suspensive, moi sous condition résolutoire.

Je vous vends ma maison, mais sous la condition que la vente sera résolue si tel vaisseau arrive. Cette vente, de même qu’une vente pure et simple, produit tous ses effets hic et nunc : vous êtes donc propriétaire dès à présent; mais si la condition se réalise, vous êtes réputé alors ne l’avoir jamais été, tandis que je suis réputé n’avoir jamais cessé de l’être (art. 1088) : le même événement qui vous dépouille m’investit du droit qu’il vous enlève. Nous étions donc l’un et l’autre propriétaires, vous sous condition résolutoire, moi sous condition suspensive. »[34]

En somme, lorsqu’il y a vente sous condition résolutoire, avant que la condition ne se réalise, le vendeur est propriétaire sous condition suspensive et l’acheteur est propriétaire sous condition résolutoire. À l’inverse, dans le cas d’une vente sous condition suspensive, avant l’accomplissement de la condition le vendeur est propriétaire sous condition résolutoire et l’acheteur est propriétaire sous condition suspensive.[35]

1.3 Les effets de la rétroactivité de la condition

1.3.1 Les effets généraux de la rétroactivité

L’effet principal de l’accomplissement de la condition suspensive est d’obliger les parties à exécuter leurs obligations, comme si elles avaient existé depuis le jour de la conclusion du contrat. À l’inverse, l’accomplissement de la condition résolutoire a pour effet principal l’obligation de restituer les prestations reçues en vertu du contrat, comme si ce dernier n’avait jamais existé.[36]

Qu’en est-il lorsque la condition suspensive ne se réalise pas? S’il n’y a pas eu prise de possession pendente conditione [37], le contrat n’a simplement jamais existé et les parties ne se doivent rien[38]. S’il y a eu transfert de possession, par contre, l’acheteur sous condition suspensive doit rendre le bien au vendeur; à cet égard, la vente sous condition suspensive est soumise au même processus de restitution des prestations que la vente sous condition résolutoire.

Ce sont désormais les articles 1699 à 1707 C.c.Q. qui régissent la restitution des prestations, que celle-ci découle de la réalisation d’une condition résolutoire, de la défaillance d’une condition suspensive, de la résolution à la demande du créancier[39] ou de la nullité[40] suite au défaut d’une condition de formation du contrat.[41]

L’article 1700 C.c.Q. précise que la restitution des prestations se fait en nature. Bien entendu, la règle générale veut que l’acheteur remette le bien au vendeur, et que ce dernier lui rende la partie du prix de vente qu’il a reçue, s’il y a lieu. Ceci ne pose pas de problème, sauf en cas de perte de la chose, comme nous allons le voir plus loin.

Par ailleurs, la rétroactivité a également des effets à l’égard des tiers. En effet, l’accomplissement de la condition a pour conséquence l’annulation des droits consentis sur la chose par le vendeur sous condition suspensive ou par l’acheteur sous condition résolutoire, puisque leur droit de propriété est anéanti rétroactivement et qu’ainsi ces droits ont été consentis sur la chose d’autrui. À l’inverse, tous les droits consentis par l’acquéreur sous condition suspensive ou par le vendeur sous condition résolutoire pendant la période d’incertitude sont confirmés par la réalisation de la condition.[42]

Cette règle s’appliquait tant en droit français qu’en vertu du Code civil du Bas-Canada. Toutefois, le nouvel article 1707 du Code civil du Québec semble remettre en question ce principe :

« 1707.Les actes d’aliénation à titre onéreux faits par celui qui a l’obligation de restituer, s’ils ont été accomplis au profit d’un tiers de bonne foi, sont opposables à celui à qui est due la restitution. Ceux à titre gratuit sont inopposables, sous réserve des règles relatives à la prescription.

Les autres actes accomplis au profit d’un tiers de bonne foi sont opposables à celui à qui est due la restitution. »

Cet article vient-il modifier fondamentalement le droit antérieur, faisant en sorte que la rétroactivité des obligations conditionnelles n’est plus opposable aux tiers? Nous sommes d’avis que non.

Précisons d’abord que les « actes d’aliénation » visés au premier alinéa de l’article 1707 ne concernent que les actes translatifs de propriété. Tous les autres actes, y compris la concession de droits réels sur la chose, tels qu’une hypothèque ou une servitude, sont visés par le second alinéa.[43]

Il faut comprendre que l’article 1707 C.c.Q., situé dans le chapitre neuvième intitulé « De la restitution des prestations », s’applique à tous les contrats annulés rétroactivement, y compris aux actes entachés de nullité pour défaut d’une condition de formation du contrat, et non pas seulement aux obligations conditionnelles. Or, il est très difficile, voire impossible, pour un tiers de connaître les motifs potentiels de nullité du contrat. Cependant, à l’égard des obligations conditionnelles affectant les immeubles, les formalités de la publicité foncière étaient considérées, à l’époque de l’ancien Code, comme suffisantes pour protéger les tiers puisque ceux-ci pouvaient avoir connaissance de la précarité du droit de leur débiteur.[44]

Or, le même principe demeure applicable sous l’empire du nouveau Code civil. D’ailleurs, en matière immobilière, le droit du créancier de l’obligation de restitution est publié au registre foncier; tout acquéreur étant réputé connaître les droits inscrits à ce registre[45], le tiers ne pourrait se prévaloir de l’article 1707 C.c.Q. puisqu’il ne saurait prétendre être de bonne foi[46]. De plus, à l’égard des droits inscrits au registre des droits personnels et réels mobiliers, la même présomption de connaissance s’applique aux tiers, quoique cette présomption soit réfragable dans ce dernier cas[47]. Ainsi, dans la plupart des cas où le débiteur de l’obligation de restitution aura accordé des droits réels à des tiers, ces droits seront annulés rétroactivement, ayant été consentis par une personne qui n’a jamais été propriétaire : nemo dat quod non habet .[48]

En outre, l’article 1506 C.c.Q., qui prévoit spécifiquement que la condition accomplie a un effet rétroactif à l’égard des tiers, édicte une règle spécifique aux obligations conditionnelles, par opposition à l’article 1707 C.c.Q. qui énonce une règle générale; l’article 1506 devrait donc normalement avoir préséance. C’est l’avis de certains auteurs qui considèrent que l’article 1707 C.c.Q. n’a pas d’application en matière d’obligations conditionnelles[49]. Le juge Baudouin et le professeur Jobin, quant à eux, sont toujours d’avis, malgré l’article 1707 C.c.Q., que la réalisation de la condition suspensive annule rétroactivement les droits consentis par le vendeur pendente conditione  :

« Dans les contrats translatifs de propriété, le droit de propriété est censé être passé au créancier au jour de la conclusion du contrat. En conséquence, tous les actes faits par le débiteur sur l’objet avant la réalisation de la condition sont anéantis. Ainsi, l’aliénation de la chose matérielle, objet du contrat, les actes d’hypothèque ou autres sûretés, les servitudes accordées par le débiteur n’auront en principe aucun effet à l’égard du créancier. Au contraire, tous les actes faits par le créancier durant la même période seront rétroactivement validés, puisque effectués alors que celui-ci est réputé avoir été propriétaire de la chose. »[50]

Ils sont du même avis en ce qui concerne les conditions résolutoires :

« Dans le cas d’un contrat translatif de propriété, l’acquéreur est réputé n’avoir jamais été propriétaire et donc tous les droits consentis sur l’objet par lui à des tiers, en principe, tombent rétroactivement. »[51]

D’ailleurs, l’article 2682 C.c.Q. semble confirmer que l’article 1707 C.c.Q. ne s’applique pas aux obligations conditionnelles, du moins en ce qui concerne les hypothèques :

« 2682. Celui qui n’a sur un bien qu’un droit conditionnel ou susceptible d’être frappé de nullité ne peut consentir qu’une hypothèque sujette à la même condition ou nullité. »

Quant aux actes d’administration posés pendente conditione , comme nous le verrons plus loin, l’ancienne doctrine les considérait opposables au créancier de la restitution : à cet égard, l’article 1707 C.c.Q. ne fait que codifier cette doctrine.[52]

Pour conclure sur ce point, nous sommes d’avis que l’article 1707 C.c.Q. n’a pas pour effet de contrecarrer ou de nier le principe d’opposabilité aux tiers de la rétroactivité de la condition, établi expressément par l’article 1506 C.c.Q. Il serait illogique que le législateur ait édicté ce principe, pour en nier tous les effets subséquemment.

Enfin, l’un des effet principaux de la rétroactivité est la cristallisation d’une situation juridique eu égard aux modifications législatives subséquentes :

« Lorsqu’une loi nouvelle est intervenue entre la date de la convention et celle de la réalisation de la condition, l’obligation demeurera soumise à la loi ancienne, comme si elle avait été pure et simple à son origine. »[53]

Ce principe a une importance particulière en fiscalité, comme nous le verrons plus loin[54] : l’application de l’effet rétroactif des conditions en matière fiscale permettrait aux parties de connaître à l’avance avec un degré raisonnable de certitude les conséquences fiscales de la transaction qu’elles envisagent, puisqu’elles seraient ainsi à l’abri des modifications de la Loi de l’impôt sur le revenu pouvant survenir après la conclusion du contrat.

1.3.2 Les tempéraments à l’effet rétroactif de la condition

1.3.2.1 Les risques

En vertu du Code civil du Bas-Canada, la théorie des risques en matière de contrats translatifs de propriété imposait les risques à la charge du propriétaire[55] : on appliquait ainsi la maxime res perit domino [56]. Cependant, les articles 1087 et 1088 C.c.B.-C. établissaient un régime exceptionnel d’attribution des risques, en matière d’obligations conditionnelles. L’article 1087 se lisait ainsi :

« 1087.Lorsque l’obligation est contractée sous une condition suspensive, le débiteur est obligé de livrer la chose qui en est l’objet aussitôt que la condition est accomplie.

Si la chose est entièrement périe, ou ne peut plus être livrée, sans la faute du débiteur, il n’y a plus d’obligation

Si la chose s’est détériorée sans la faute du débiteur, le créancier doit la recevoir dans l’état où elle se trouve, sans diminution de prix.

Si la chose s’est détériorée par la faute du débiteur, le créancier a le droit ou d’exiger la chose en l’état où elle se trouve, ou de demander la résolution du contrat, avec dommages-intérêts dans l’un et l’autre cas. » (Notre gras.)

Le deuxième alinéa de cet article renverse le principe général de la théorie des risques et va directement à l’encontre du principe de rétroactivité de la condition. En effet, il impose le fardeau des risques de perte de la chose au débiteur de l’obligation de livrer : si la chose est entièrement périe, le vendeur n’a plus l’obligation de livrer, mais l’acheteur n’a plus l’obligation de payer[57]; c’est donc le vendeur qui subit la perte. Or, l’application des conséquences normales de la rétroactivité aurait logiquement mené à la solution contraire. Faribault fait ressortir ainsi cette contradiction de principes :

« Cette disposition de notre article 1087 comporte évidemment une exception à la règle de la rétroactivité de la condition posée par l’article 1085.

En vertu de cette règle, les risques devraient être supportés par le créancier puisque, par suite de l’accomplissement de la condition l’obligation est censée avoir été pure et simple dès l’instant du contrat, et que, par conséquent, c’est dès ce moment que l’acheteur a acquis la propriété de la chose vendue. En appliquant la maxime res perit domino , l’acheteur, c’est-à-dire le créancier de la livraison devrait logiquement supporter cette perte. Ce n’est pas cette solution qui a été adoptée par l’article 1087, dont le texte est à peu près semblable à l’article 1182 du code Napoléon. »[58]

Lors de la réforme du Code civil québécois, le régime spécial d’attribution des risques applicable aux obligations conditionnelles a été volontairement abandonné : dorénavant, les règles générales applicables aux contrats translatifs de propriété, prévues aux articles 1456, 1693 et 1694 C.c.Q., s’appliquent aux obligations conditionnelles[59]. Ces articles édictent ce qui suit :

« 1456. L’attribution des fruits et revenus et la charge des risques du bien qui est l’objet d’un droit réel transféré par contrat sont principalement réglées au livre Des biens.

Toutefois, tant que la délivrance du bien n’a pas été faite, le débiteur de l’obligation de délivrance continue d’assumer les risques y afférents. »

« 1693. Lorsqu’une obligation ne peut plus être exécutée par le débiteur, en raison d’une force majeure et avant qu’il soit en demeure, il est libéré de cette obligation; il en est également libéré, lors même qu’il était en demeure, lorsque le créancier n’aurait pu, de toute façon, bénéficier de l’exécution de l’obligation en raison de cette force majeure; à moins que, dans l’un et l’autre cas, le débiteur ne se soit expressément chargé des cas de force majeure.

La preuve d’une force majeure incombe au débiteur. »

« 1694. Le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l’exécution de l’obligation corrélative du créancier; si elle a été exécutée, il y a lieu à restitution.

Lorsque le débiteur a exécuté son obligation en partie, le créancier demeure tenu d’exécuter la sienne jusqu’à concurrence de son enrichissement. »

Bien que la règle générale en matière de risques demeure res perit domino [60], elle a été écartée au profit de la maxime res perit debitori [61] en matière de contrats translatifs de propriété. Le professeur Pineau explique ainsi ces articles de droit nouveau :

« Dans le nouveau Code civil, l’article 950 énonce, certes, que le propriétaire du bien assume les risques de perte; cependant, le second alinéa de l’article 1456 précise que “tant que la délivrance du bien (qui est l’objet d’un droit réel transféré par contrat) n’a pas été faite, le débiteur de l’obligation de délivrance continue d’assumer les risques y afférents” : c’est bien dire que les risques ne sont plus assumés, ici, par l’acheteur devenu propriétaire, mais plutôt par le vendeur, débiteur de l’obligation de délivrance. On applique ici la règle res perit debitori .

Le changement est donc notable : cette règle de droit nouveau “s’inspire en partie de l’article 69 de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne, 1980), introduite en droit québécois par le chapitre 68 des lois de 1991. Cette règle tient compte du fait que celui qui est en possession du bien est plus à même de prendre les mesures appropriées pour en assurer la protection”; c’est donc la possession qui devient déterminante, plutôt que la propriété. »[62] (Notre gras.)

C’est donc dire que le régime exceptionnel qui s’appliquait aux risques en matière d’obligations conditionnelles est devenu la règle générale en matière de contrats translatifs de propriété : les risques ne sont plus associés au droit de propriété, mais à l’obligation de délivrer le bien, c’est-à-dire à la possession du bien. Dès lors, on ne peut plus considérer que l’attribution des risques au débiteur de l’obligation de livrer, dans le cadre d’une vente conditionnelle, fait exception à la règle de la rétroactivité : elle ne fait que suivre la règle générale en matière de contrats translatifs de propriété.

De façon générale, les auteurs Pineau, Burman et Gaudet expliquent ainsi la charge des risques dans les cas d’obligations conditionnelles :

« Dans un tel contrat, les risques sont à la charge du débiteur de la délivrance qui avait le bien en sa possession lors de la perte par force majeure. Si, donc, la chose périt pendente conditione , on devrait dire, si la condition se réalise, que le débiteur de l’obligation de délivrance assume les risques, c’est-à-dire normalement le vendeur dans une vente sous condition suspensive et l’acheteur dans une vente sous condition résolutoire puisque normalement, pendente conditione , le possesseur de la chose vendue conditionnellement et débiteur de la délivrance est le vendeur, dans le premier cas, et l’acheteur dans le second cas. »[63] (Notre gras.)

Voyons maintenant de quelle manière cette règle s’appliquera aux obligations assorties d’une condition résolutoire ou suspensive.

1.3.2.1.1 La condition résolutoire

Dans le cas d’une condition résolutoire, les risques sont transférés à l’acheteur dès le moment de la conclusion du contrat, en vertu de la règle res perit domino [64], puisque son droit de propriété naît immédiatement. Étant donné qu’en général il prend possession du bien au moment de la conclusion du contrat, l’article 1456 C.c.Q. ne s’appliquera pas pour contrecarrer l’effet de l’article 950 C.c.Q.

Si la condition résolutoire ne s’accomplit jamais, l’acheteur devra donc naturellement assumer la perte de la chose. Inversement, si la condition résolutoire s’accomplit avant la perte de la chose, tout se passe comme s’il n’y avait jamais eu de contrat et le vendeur devra supporter la perte de son bien.

Le problème survient si la condition résolutoire s’accomplit après la perte de la chose. La rétroactivité fait en sorte que l’acheteur est considéré n’avoir jamais été propriétaire. En outre, l’accomplissement de la condition entraîne l’obligation de restitution des prestations, régie par les articles 1699 et suivants du Code civil[65]. L’article 1701 prévoit alors ceci :

« 1701. En cas de perte totale ou d’aliénation du bien sujet à restitution, celui qui a l’obligation de restituer est tenu de rendre la valeur du bien, considérée au moment de sa réception, de sa perte ou aliénation, ou encore au moment de la restitution, suivant la moindre de ces valeurs; mais s’il est de mauvaise foi ou si la cause de restitution est due à sa faute, la restitution se fait suivant la valeur la plus élevée.

Le débiteur est cependant dispensé de toute restitution si le bien a péri par force majeure, mais il doit alors céder au créancier, le cas échéant, l’indemnité qu’il a reçue pour cette perte, ou le droit à cette indemnité s’il ne l’a pas déjà reçue; lorsque le débiteur est de mauvaise foi ou que la cause de restitution est due à sa faute, il n’est dispensé de la restitution que si le bien eût également péri entre les mains du créancier. »

Le premier alinéa ne soulève pas la question des risques : le débiteur de l’obligation de restitution, c’est-à-dire l’acheteur sous condition résolutoire, n’est pas libéré de son obligation, il est plutôt tenu à la restitution par équivalent; le vendeur est donc lui aussi tenu à la restitution des prestations reçues.[66]

Le second alinéa cependant libère l’acheteur de son obligation de restitution, en cas de perte par force majeure. Il faut donc déterminer si le vendeur est également libéré de l’obligation de rembourser le prix de vente. Puisque l’article 1701 C.c.Q. est muet à cet égard, il faut recourir aux règles générales de la théorie des risques. L’acheteur sous condition résolutoire, débiteur de l’obligation de restitution, pourrait être considéré ici comme le débiteur de l’obligation de « délivrance » au sens de l’article 1456 C.c.Q.[67]. On appliquerait donc la règle res perit debitori , et le débiteur de l’obligation de délivrer (ou de restituer) la chose devrait subir la perte. Ainsi, l’acheteur qui ne peut rendre le bien perdu par force majeure ne pourrait récupérer le prix de vente, et il devrait le payer si ce n’était déjà fait.

1.3.2.1.2 La condition suspensive

Examinons d’abord le cas où le vendeur conserve la possession de la chose pendente conditione . Lorsque la condition suspensive se trouvera accomplie après la perte par cas fortuit de la chose, le vendeur, débiteur de l’obligation de délivrance, sera libéré de l’obligation de livrer, mais l’acheteur n’aura pas à payer le prix, en vertu de l’article 1456 C.c.Q. C’est donc le vendeur qui assume les risques de perte de la chose.

Cette solution est logique puisque comme nous l’avons vu, l’acheteur sous condition résolutoire est à la fois débiteur du bien sous condition suspensive[68] : ceci découle de la réciprocité des conditions suspensive et résolutoire dont nous avons discuté antérieurement[69]. Il est donc normal que le vendeur sous condition suspensive assume les risques de la même façon que l’acheteur sous condition résolutoire, puisqu’ils sont dans la même position juridique.

Si par contre la condition défaille, le problème des risques ne se pose plus puisque le vendeur est demeuré en tout temps propriétaire et possesseur du bien.

Dans le cas où l’acheteur a pris possession de la chose pendente conditione , le problème se pose différemment. Si la perte de la chose survient avant l’accomplissement de la condition, l’article 1456 al. 2 C.c.Q. ne peut s’appliquer car la délivrance a bien eu lieu. C’est donc la règle générale de l’article 950 C.c.Q., selon laquelle le propriétaire assume le risque, qui s’appliquera. En ce cas, il faudra se poser la question suivante : doit-on tenir compte de l’effet rétroactif de la condition? Dans l’affirmative, l’acheteur devrait supporter la perte car il est réputé propriétaire depuis la conclusion du contrat. Dans la négative, on conclura que l’acheteur n’a pas à payer le prix et que le vendeur subit la perte.

Suivant l’argument de Mignault, on devrait conclure que le vendeur assume la perte. En effet, selon lui, le contrat ne peut se former, lors de l’accomplissement de la condition, que si tous les éléments nécessaires à la formation du contrat sont réunis à ce moment. Or, puisque le livreur ne peut livrer ce qui n’existe plus, l’obligation du vendeur n’a plus d’objet. De même, l’obligation de l’acheteur de payer le prix n’a plus de cause, puisque cette cause était l’obligation de livrer du vendeur, laquelle est disparue. En conséquence, le contrat ne peut prendre naissance, faute de cause et d’objet.[70]

Néanmoins, nous sommes d’avis que l’acheteur devrait assumer le risque de perte lorsqu’il prend possession du bien. En effet, d’une part, cette position respecte le principe moderne selon lequel la possession est le facteur déterminant à l’égard des risques[71]. D’autre part, cette solution est plus cohérente avec le traitement des conditions résolutoires, car l’acheteur sous condition suspensive qui a pris possession du bien se trouve, tout comme l’acheteur sous condition résolutoire, débiteur potentiel de l’obligation de restitution. L’article 1456 C.c.Q. devrait donc trouver application pour imposer la charge des risques à l’acheteur.

Nous pouvons donc conclure qu’en vertu du Code civil du Québec, dans le cadre d’une vente affectée d’une condition, le transfert des risques n’est plus lié à la propriété du bien, mais plutôt à sa possession. Dans tous les cas, sous réserve de l’incertitude ci-dessus mentionnée quant à la condition suspensive avec prise de possession pendente conditione , le risque de perte de la chose est transféré à l’acheteur dès qu’il prend possession du bien, que la condition se réalise ou non.

Ainsi, les risques étant dorénavant rattachés à la possession, la rétroactivité de la condition n’aurait aucun impact sur les risques, puisque l’effet rétroactif n’affecte pas la possession de la chose pendente conditione . Quant au cas de la condition suspensive avec transfert de possession, même si l’on n’adopte pas notre position, la rétroactivité ne s’appliquerait pas puisque le contrat n’aurait pu prendre naissance.

1.3.2.2 Les fruits

En règle générale, les fruits et revenus, que nous désignerons généralement comme les « fruits  », appartiennent au propriétaire[72]. En conséquence de la rétroactivité de la condition, les fruits devraient donc revenir à celui qui est réputé propriétaire à compter du jour de la conclusion du contrat : le vendeur lorsque la condition suspensive défaille ou que la condition résolutoire est accomplie, et l’acheteur dans la situation inverse. Prenons l’exemple d’une vente sous condition résolutoire : si la condition est accomplie, le vendeur est réputé avoir toujours été propriétaire, et l’acheteur qui a eu possession de la chose pendente conditione et qui en a perçu les fruits n’y a aucun droit, puisqu’il n’a jamais été propriétaire de la chose.

Ce n’est pourtant pas la solution qu’avait retenue l’ancien droit. Au contraire, tant en vertu du Code civil du Bas-Canada[73] qu’en droit français[74], la doctrine avait établi que celui qui avait perçu les fruits pouvait les conserver, sans devoir quoi que ce soit au véritable propriétaire. Les auteurs ont justifié cette opinion par différents motifs. Pour Baudry-Lacantinerie, il s’agit essentiellement d’une question d’équité :

« Si la chose qui fait l’objet du contrat n’est pas frugifère, il est incontestable que l’aliénateur sous condition suspensive ou l’acquéreur sous condition résolutoire a le droit de s’en servir pendant la période intermédiaire et qu’après l’accomplissement de la condition, il ne sera nullement tenu de payer un loyer à l’autre partie, à raison de l’avantage que la chose lui aura procuré. Pourquoi donc, si la chose est frugifère, serait il [sic] obligé de restituer les fruits? Quel serait le motif de la différence? […] Ne devons-nous pas en conclure qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre les choses frugifères et les choses non frugifères? On objecte la disposition de l’art. 547. Ce texte porte que les fruits “appartiennent au propriétaire par droit d’accession”. Ils doivent donc revenir au contractant qui, par suite de l’effet rétroactif, était propriétaire au moment où ils ont été perçus. Mais le résultat si choquant auquel aboutirait dans notre cas l’application du principe écrit dans l’art. 547 ne prouve-t-il pas que cette application doit être écartée? Ne faut-il pas tenir compte de ce fait très important que l’aliénateur sous condition suspensive ou l’acquéreur sous condition résolutoire avait été mis en possession par celui-là même auquel il devrait restituer les fruits? Ne peut-on pas invoquer dans notre sens l’intention vraisemblable des parties contractantes? »[75] (Notre gras.)

Faribault quant à lui semble affirmer que le véritable motif de la non-restitution des fruits est le suivant :

« De son côté, Demolombe croit que le vrai motif de cette doctrine est que la rétroactivité opère in jure et non pas in facto . C’est le motif qui a été accepté par M. Mignault.

Voici ce que dit Demolombe : “Puisque c’est un fait ineffaçable que le débiteur a eu la possession et la jouissance, on doit considérer aussi comme ineffaçable [sic] les conséquences que ce fait a produites. Or la perception et l’acquisition des fruits nous paraît être une de ces conséquences les plus raisonnables.”

Ce raisonnement me paraît représenter la véritable doctrine. »[76]

Faribault ajoute cependant un autre argument qui est celui de Baudry-Lacantinerie, cité ci-dessus, soutenu également par Demolombe. Quant à Mignault, il explique son raisonnement ainsi :

« L’aliénateur qui, pendente conditione , a perçu les fruits provenant de la chose aliénée sous condition, […] n’est pas obligé de les rendre : la rétroactivité attachée à la condition accomplie n’a, en effet, trait qu’aux choses de droit. Elle a été imaginée, d’une part, dans l’intérêt de l’acquéreur, qui sans elle aurait été obligé de subir les aliénations, servitudes ou hypothèques, consenties, pendente conditione , par l’aliénateur, et, d’autre part, dans l’intérêt de ses héritiers. Elle ne s’applique point aux choses de fait; or, l’acquisition des fruits par la perception est un fait accompli que la réalisation de la condition ne saurait effacer. »[77]

La rétroactivité n’affecterait pas les événements, les « faits ineffaçables » s’étant réellement produits, pendente conditione , puisque la rétroactivité ne peut altérer rétroactivement la réalité. Nous reviendrons sur cette question ci-dessous.

L’ancien droit reconnaissait donc au possesseur de la chose pendente conditione le droit de conserver les fruits perçus. L’article 1704 du Code civil du Québec codifie cette solution, en édictant que le débiteur de l’obligation de restituer le bien « fait siens les fruits et revenus produits par le bien qu’il rend », sauf s’il est de mauvaise foi ou si la cause de la restitution est due à sa faute. Ainsi, l’acheteur sous condition résolutoire qui doit rendre le bien au vendeur, en raison de la survenance de la condition, pourra tout de même conserver les fruits produits par le bien qu’il a perçus pendente conditione . De même, l’acheteur sous condition suspensive qui a perçu les fruits pourra les conserver, même s’il doit restituer le bien suite à la défaillance de la condition.

Quant aux fruits perçus par le vendeur sous condition suspensive, il peut les conserver malgré l’accomplissement de la condition qui lui enlève rétroactivement la propriété du bien. Bien que cette situation ne soit pas directement visée par l’article 1704 C.c.Q., puisqu’il ne s’agit pas ici à proprement parler de « restitution », nous sommes d’avis que la même solution s’applique. Le législateur a manifestement voulu conserver la règle de l’ancien droit, selon laquelle les fruits demeurent à celui qui les a perçus, indépendamment de l’effet rétroactif de la condition.

1.3.2.3 Les actes d’administration

L’ancien droit reconnaissait que les actes d’administration posés pendente conditione par le possesseur de la chose étaient opposables à celui qui en devenait propriétaire rétroactivement lors de la défaillance ou de l’accomplissement de la condition, selon le cas[78]. Cette position semble avoir été adoptée pour des motifs pratiques :

« La solution contraire a pour conséquence de rendre très difficile, ou plutôt impossible l’administration de la chose qui fait l’objet du contrat. Si les baux consentis par le possesseur intérimaire doivent tomber au cas d’accomplissement de la condition, nul ne sera disposé à traiter avec lui. Est-il admissible que le législateur ait accepté une solution aussi mauvaise au point de vue économique? »[79]

La loi présumerait que les parties ont eu l’intention de confier un « mandat » d’administration au débiteur, au nom du véritable propriétaire :

« […] la jurisprudence admet depuis longtemps que malgré la rétroactivité les actes d’administration accomplis par le propriétaire sous condition résolutoire, tels que les baux, conserveront leur effet. Sans doute, on ne nie pas qu’après la résolution, ce propriétaire est réputé n’avoir jamais eu aucun droit sur la chose. Mais il aurait agi en quelque sorte en qualité de mandataire du propriétaire sous condition suspensive aux fins d’administrer cette chose jusqu’à l’arrivée de la condition. »[80]

Faribault semble s’appuyer également sur ce mandat tacite :

« La loi est présumée les avoir exceptés de la règle de la rétroactivité parce qu’elle considère que telle a été l’intention des parties. En laissant ce corps certain entre les mains de son débiteur jusqu’à l’événement de la condition, le créancier a nécessairement prévu qu’il devait l’administrer et en percevoir les fruits.

D’ailleurs, il est de l’intérêt des parties, et même de la société en général, que l’objet du contrat soit administré pendente conditione .

Il s’ensuit que les actes d’administration que le débiteur a pu faire pendant qu’il en est en possession, échappent à la règle de la rétroactivité de la condition.

Comme, pendant qu’il possède cet objet, le débiteur est le seul qui puisse l’administrer, le créancier est censé lui avoir confié un mandat tacite à cet effet. »[81]

Toutefois, Faribault ajoute également, comme motif au soutien de sa position, le même argument que nous avons vu ci-dessus relativement aux fruits :

« Il me paraît que, dans notre droit, la réalisation de la condition ne peut empêcher que les actes d’administration que le débiteur a pu faire durant sa possession, aient été réellement exécutés et aient eu leur plein effet, mais que cet effet cesse avec la réalisation de la condition. Il ne peut être question alors de la rétroactivité de la condition. »[82]

Quant au nouveau Code civil, l’article 1707 C.c.Q., comme nous l’avons vu ci-dessus[83], prévoit que « les autres actes accomplis au profit d’un tiers de bonne foi sont opposables à celui à qui est due la restitution ». Dans la mesure où cet article est applicable, il n’aurait que codifié le droit antérieur eu égard aux actes d’administration. Nous ne nous prononçons ici que sur les véritables actes d’administration, tels la signature de baux, et non sur les « autres actes » qui pourraient potentiellement être visés par le second alinéa de l’article 1707 et qui incluraient, selon certains[84], le consentement de droit réels tels qu’une hypothèque.

1.3.3 L’interprétation restrictive de la rétroactivité

L’origine de la rétroactivité de la condition remonte au droit romain. Toutefois, les auteurs modernes sont d’avis que le droit romain classique n’admettait pas le principe de rétroactivité : il s’agirait d’une erreur historique d’interprétation des anciens auteurs français, notamment Pothier, qui auraient cru que la rétroactivité était la règle générale expliquant la transmissibilité de l’obligation conditionnelle aux héritiers. Le législateur français aurait par la suite codifié ce principe à l’article 1179 du Code Napoléon[85], source de notre article 1085 C.c.B.-C. et donc de l’article 1506 C.c.Q.

Aussi, plusieurs auteurs critiquent l’existence même du principe de rétroactivité[86]. D’une part, ils soutiennent que de nombreuses conséquences logiques de la rétroactivité sont contredites par le texte de loi, par exemple l’attribution des risques. D’autre part, les conséquences généralement attribuées à l’effet rétroactif peuvent très bien s’expliquer par d’autres principes. Ainsi, l’existence d’un droit « éventuel » pendente conditione permet d’expliquer le droit du créancier de prendre certaines mesures conservatoires[87]. De même, la règle nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet [88] suffit pour annuler les droits réels consentis à des tiers par le vendeur sous condition suspensive ou l’acheteur sous condition résolutoire, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la rétroactivité[89]. D’ailleurs, de nombreux pays civilistes n’ont pas inclus dans leur Code civil la règle de rétroactivité de la condition, notamment l’Allemagne, la Suisse et le Japon.[90]

C’est en raison de ces considérations que Baudry-Lacantinerie concluait que la rétroactivité est une « fiction » :

« L’effet rétroactif de la condition accomplie n’est donc pas une nécessité juridique.

On a pu, d’ailleurs, entrevoir par ce qui précède que, si l’on se place au point de vue pratique, cette fiction vient compliquer inutilement la réglementation de la condition. […]

Sans doute, du moment que la rétroactivité de la condition accomplie est expressément admise par le Code civil, les commentateurs de notre loi ne sauraient en faire abstraction. Mais, du moins, puisque cette rétroactivité est une fiction, il convient d’user de l’interprétation restrictive dans les cas où il est douteux qu’elle doive se produire. »[91]

Faribault reprend cette idée et la pousse un peu plus loin :

« Comme la rétroactivité de la condition accomplie est une fiction légale, elle doit être interprétée restrictivement. Dans le doute, il doit être décidé qu’elle n’existe pas, car son caractère de fiction ne peut empêcher un fait d’avoir existé dans le passé.

Lorsque l’obligation a pour objet un corps certain, cette fiction ne peut faire disparaître le fait que le débiteur conditionnel en ait eu la possession pendante conditione [sic]. Si le fait de cette possession échappe à la rétroactivité de la condition, tout ce qui en dérive naturellement et rationnellement doit également y échapper, comme, par exemple, les actes d’administration accomplis par le débiteur, et les fruits qu’il a pu percevoir pendant cette possession. »[92]

Mignault, quant à lui, ne mentionne pas l’idée que la rétroactivité est une « fiction ». Par contre, il semble adopter l’argument selon lequel la rétroactivité ne s’applique pas aux choses de fait, mais uniquement aux choses de droit. Nous reproduisons ici, pour plus de commodité, l’extrait déjà cité plus haut :

« L’aliénateur qui, pendente conditione , a perçu les fruits provenant de la chose aliénée sous condition, […] n’est pas obligé de les rendre : la rétroactivité attachée à la condition accomplie n’a, en effet, trait qu’aux choses de droit. Elle a été imaginée, d’une part, dans l’intérêt de l’acquéreur, qui sans elle aurait été obligé de subir les aliénations, servitudes ou hypothèques, consenties, pendente conditione , par l’aliénateur, et, d’autre part, dans l’intérêt de ses héritiers. Elle ne s’applique point aux choses de fait; or, l’acquisition des fruits par la perception est un fait accompli que la réalisation de la condition ne saurait effacer. »[93]

Bien que l’affirmation de Faribault et de Mignault puisse sembler d’application très large, nous sommes d’avis que sa portée pourrait être beaucoup plus restreinte qu’il n’y paraît à première vue. En effet, cette idée selon laquelle la rétroactivité ne s’applique pas aux choses de fait provient de Demolombe, qui ne semble pas avoir été suivi sur ce point par la majorité des auteurs français[94]. D’ailleurs, même Baudry-Lacantinerie, qui affirmait que la rétroactivité est une fiction juridique, n’a pas repris cette idée que la rétroactivité ne s’appliquerait qu’aux choses de droit. Il a justifié la non-application de la rétroactivité aux fruits et aux actes d’administration par d’autres motifs, comme nous l’avons vu[95], et ce n’est qu’à titre subsidiaire qu’il a soulevé l’argument de la « fiction juridique » dans ces deux cas.[96]

En outre, cette position fut critiquée dans les termes suivants par le professeur Leloutre :

« On a dit enfin que le propriétaire sous condition résolutoire devait garder les fruits, parce que la rétroactivité opère in jure et non pas in facto . Elle peut faire sans doute que ce propriétaire soit considéré un jour comme n’ayant jamais été propriétaire. Elle ne peut faire qu’il n’ait perçu les fruits de la chose ou qu’il n’en ait joui. Il y a là un fait qu’elle ne peut effacer. Dès lors, elle ne pourra point empêcher que l’acquisition des fruits ne soit définitive.

Qu’un tel raisonnement ait eu crédit, c’est chose de nature à surprendre. Sans doute la rétroactivité de la condition n’empêche point que le propriétaire sous condition résolutoire ait joui de la chose, mais elle ne peut faire qu’il n’en ait joui sans cause parce qu’il n’était pas propriétaire. Elle n’empêche donc point qu’il soit tenu de restituer. » [97]

De plus, Faribault lui-même appuie ses positions quant aux fruits et aux actes d’administration sur d’autres motifs que celui-là, comme nous l’avons également fait remarquer plus haut[98]. Mignault quant à lui n’en traite que dans le cadre de la restitution des fruits.

La doctrine ne nous permet pas de tirer une conclusion claire sur cette question. Cependant, selon nous, il ne semble pas exister un principe général selon lequel la rétroactivité de la condition ne s’appliquerait qu’aux questions de droit, et non aux questions de fait. Il nous semble plutôt que certains auteurs ont avancé cette idée pour tenter de justifier la non-application de la rétroactivité à des situations très précises, à savoir la perception des fruits et les actes d’administration.

D’autre part, même si un tel principe existait, nous sommes d’avis qu’il devrait être restreint à ce que l’on pourrait désigner comme des « faits réels et incontestables », ou « ineffaçables » pour employer l’expression de Demolombe, c’est-à-dire des événements s’étant produits dans la réalité, de façon tangible et irréversible : la possession et la jouissance du bien, la perception des fruits et l’accomplissement d’actes d’administration. Nous avons déjà émis l’opinion que la rétroactivité ne peut affecter la possession de la chose pendente conditione , ni ce qui en découle directement, soit les risques.[99]

Nous reviendrons plus loin dans le présent texte sur l’importance de la question de l’application de la rétroactivité aux choses de droit et aux choses de fait, dans le contexte de la notion de disposition en droit fiscal.[100]

Quoi qu’il en soit, malgré la nébulosité de la doctrine et les tempéraments à l’application de la rétroactivité, le législateur québécois a délibérément choisi de conserver dans le nouveau Code civil la règle générale de la rétroactivité de la condition, exprimée à l’article 1506 C.c.Q. Il nous semble donc que l’intention du législateur est claire : ce principe devrait trouver application en droit civil québécois, en matière d’obligations conditionnelles, sauf dans les cas d’exception spécifiquement prévus à la loi concernant les fruits, les risques et les actes d’administration.

1.4 Autres concepts de droit civil soulevant des questions de rétroactivité

Nous venons de voir les règles de droit civil régissant les obligations conditionnelles. Toutefois, d’autres concepts de droit civil entraînent parfois des conséquences rétroactives. Sans les analyser en profondeur, nous en effectuerons ici un survol, afin de pouvoir ultérieurement étudier leur traitement fiscal en parallèle avec celui des obligations conditionnelles.

1.4.1 La résolution du contrat suite à l’inexécution des obligations

Le créancier, suite au défaut d’exécution d’une obligation de son débiteur, peut choisir de forcer l’exécution en nature, ou encore demander la résolution du contrat[101]. Celle-ci a un effet rétroactif, le contrat étant réputé n’avoir jamais existé.[102]

En matière de vente, l’article 1740 C.c.Q. prévoit spécifiquement le droit de résolution du vendeur d’un bien meuble, en cas de défaut de paiement du prix de vente. Quant à l’article 1742 C.c.Q., il accorde le même droit au vendeur d’un bien immeuble, à condition toutefois que le contrat contienne une clause résolutoire. Dans ce dernier cas, le vendeur devra également respecter les formalités imposées par le Code civil, notamment l’envoi d’un avis de 60 jours[103] et celles prévues au Livre « Des priorités et des hypothèques ».

Les effets de la résolution pour inexécution sont les mêmes que ceux de la réalisation de la condition résolutoire :

« La résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat : tout se passe comme si celui-ci n’avait jamais été conclu, ou comme si, dans le cadre d’un contrat sous condition résolutoire, l’événement conditionnel s’était réalisé. L’anéantissement rétroactif provoque la remise des parties dans l’état dans lequel elles se seraient trouvées si elles n’avaient pas contracté; si, donc, certaines prestations ont déjà été accomplies, il y a lieu à restitution, selon les règles des articles 1699 à 1706 C.c.Q. (art. 1606 C.c.Q.). »[104]

Les commentaires que nous avons faits plus haut quant à la restitution des prestations s’appliquent donc ici. Soulignons toutefois que l’article 1743 C.c.Q. précise que le vendeur d’un bien immeuble reprend le bien libre de toutes charges dont l’acheteur a pu le grever après que le vendeur ait inscrit ses droits. Cette règle est logique, dans la mesure où le vendeur doit publier son droit de résolution pour qu’il soit opposable aux tiers[105], puisque comme nous l’avons vu, le tiers ne peut être considéré de bonne foi dans ce cas, étant réputé avoir eu connaissance de la clause résolutoire.[106]

Il importe toutefois de ne pas confondre la résolution pour inexécution et la condition résolutoire : la condition doit être un événement futur et incertain, extrinsèque au rapport de droit des parties, alors que la résolution est la sanction de l’inexécution fautive d’une obligation principale du contrat. Les professeurs Pineau, Burman et Gaudet expliquent cette distinction ainsi :

« Il faut, cependant, se garder de confondre cette clause expresse de résolution avec la condition résolutoire étudiée précédemment dans le cadre de l’obligation conditionnelle. La clause a pour but de sanctionner l’inexécution fautive d’une obligation et non point de soumettre l’existence du contrat à la réalisation d’un événement futur et incertain : même s’il est vrai que l’exécution volontaire peut être incertaine, il ne faut pas oublier que le paiement lui-même est juridiquement certain, car il est toujours susceptible d’exécution forcée et non point laissé au bon plaisir du débiteur. »[107]

En outre, une clause stipulant la résolution du contrat advenant le défaut de paiement du débiteur n’est pas une condition résolutoire en droit civil, puisque la condition ne peut être un élément essentiel à la formation du contrat. Comme l’écrivaient les frères Mazeaud :

« L’événement doit être extrinsèque au rapport de droit. Le rapport de droit doit pouvoir exister sans la condition, qui n’en est qu’une modalité: un élément essentiel du contrat ne constitue donc jamais une condition. La vente sous la condition que le prix sera payé, n’est pas une vente conditionnelle, mais une vente pure et simple; le paiement du prix est un élément de la vente, une condition intrinsèque. Au contraire, la vente d’un immeuble sous la condition que l’acheteur se marie, est une vente conditionnelle: le contrat est concevable sans la condition, qui n’est qu’une modalité. La jurisprudence n’use malheureusement pas toujours d’une terminologie rigoureuse dans ce domaine. »[108] (Notre gras.)

La distinction entre la condition résolutoire et la résolution pour inexécution peut sembler inutile dans le cadre du présent texte, puisque dans les deux cas, la résolution du contrat entraîne les mêmes effets rétroactifs. Toutefois, l’importance de cette distinction apparaîtra lorsque nous traiterons ci-après des articles 79 et 79.1 L.I.R.

Enfin, il faut également éviter de confondre la résolution du contrat pour inexécution avec la clause de réserve de propriété jusqu’à parfait paiement. Cette dernière constitue en fait une vente à tempérament, dont nous traiterons maintenant.

1.4.2 La vente à tempérament

La vente à tempérament est définie comme « une vente à terme par laquelle le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement total du prix de vente »[109]. Le ministre de la Justice commentait ainsi cette disposition :

« Le premier alinéa reprend la définition qui a toujours été admise, selon laquelle la vente est à tempérament lorsque le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement total du prix de vente. Il précise que la vente à tempérament est une vente à terme, le terme portant sur le transfert de propriété et sur le paiement du prix, afin d’éviter que cette forme de vente ne soit confondue avec une vente conditionnelle. »[110] (Notre gras.)

Cet article codifie les principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Vennec. Québec (Commission de la protection du territoire agricole)[111]. Dans cette affaire, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si une vente avec réserve de propriété jusqu’au parfait paiement du prix était une vente sous condition suspensive, auquel cas le transfert de propriété eût été rétroactif à la date du contrat. La Cour statua qu’il ne s’agissait pas d’une vente conditionnelle mais bien d’une vente à terme, et que le transfert de propriété ne rétroagissait donc pas au jour de l’engagement. La Cour cita avec approbation les motifs du juge McCarthy de la Cour d’appel :

« À mon avis et avec respect pour l’opinion contraire, il n’est pas question ici d’une obligation conditionnelle; par conséquent, la rétroactivité prévue par l’article 1085 C.C. ne s’applique pas. La “condition” dont il est question aux articles 1079 et sqq. du Code civil est “un événement futur et incertain” dont dépend l’existence d’une obligation. Le paiement du prix par Venne ne tombe pas dans cette catégorie: Venne était obligé de payer le prix, tout comme la compagnie Winzen était obligée de transférer l’immeuble, dans un certain délai. Les obligations de part et d’autre étaient des obligations à terme (art. 1089 et sqq. C.C.) non pas des obligations conditionnelles. Elles ont existé dès la signature du “Contract for Deed”, même si leur exécution était suspendue. De même pour ce qui est des droits correspondant aux obligations.

Dans tout contrat synallagmatique l’exécution de ses obligations par l’une des parties dépend de l’exécution par l’autre des siennes, mais cela ne rend pas les obligations conditionnelles au sens du Code civil . . . »[112]

Ainsi, une vente à tempérament crée des obligations à terme : celles-ci existent dès la conclusion du contrat, mais leur exécution est retardée jusqu’à l’arrivée de l’événement futur et certain qui constitue le terme[113]. Le terme porte à la fois sur le paiement du prix et sur le transfert de propriété. C’est donc dire que dès l’origine, les parties s’engagent irrévocablement, l’une à payer le prix, l’autre à transmettre la propriété du bien. Toutefois, ce transfert de propriété n’aura lieu qu’au moment de l’arrivée du terme, c’est-à-dire au moment où l’acheteur aura payé la totalité du prix de vente. Contrairement à ce qui se produit dans le cas d’une vente sous condition suspensive, ce transfert de propriété n’a aucun effet rétroactif : le bien demeure la propriété du vendeur jusqu’au paiement du prix, et le transfert de propriété s’effectue à cette date.

Bien entendu, si l’acheteur fait défaut de payer, le vendeur pourra reprendre son bien[114]. On se trouve alors dans une situation similaire à celle où la condition suspensive ne s’est pas réalisée et il n’est pas nécessaire de faire appel à une quelconque notion de rétroactivité, puisque juridiquement la propriété n’a jamais été transférée à l’acheteur.

En somme, tout comme la condition suspensive, la vente à tempérament suspend le transfert de propriété jusqu’à l’arrivée d’un certain événement; ce qui les distingue, c’est l’effet rétroactif de la condition suspensive qui est inexistant dans le cas de la vente à tempérament. Par ailleurs, comme nous le faisions remarquer ci-dessus, il faut également distinguer la vente à tempérament de la résolution de la vente pour défaut de paiement du prix de vente : dans ce dernier cas, la vente est pure et simple, il y a transfert immédiat du droit de propriété et la résolution du contrat entraîne son anéantissement rétroactif, tout comme dans le cas d’une condition résolutoire.

Enfin, soulignons que l’article 1746 C.c.Q. transfère les risques de perte du bien à l’acheteur, même s’il n’obtient aucun droit de propriété. Cette disposition est cohérente avec le principe que nous avons exposé antérieurement, selon lequel les risques sont dorénavant associés à la possession du bien et non plus à la propriété de celui-ci :

« La réserve du droit de propriété, rappelons-le, existe strictement pour des fins de garantie du paiement du prix. À tous autres égards, l’acheteur a la jouissance du bien comme un propriétaire. Il paraît donc équitable qu’il assume les pertes éventuelles. Il faut cependant souligner le changement dans le fondement de la règle : dans la vente à tempérament selon le Code civil du Québec, les risques ne sont plus liés au droit de propriété, mais à la possession (au sens large). »[115]

C’est d’ailleurs ainsi que le ministre de la Justice expliquait cet article :

« Cet article fait supporter à l’acheteur les risques de perte du bien, sauf s’il s’agit d’un contrat de consommation ou si les parties en ont convenu autrement. Cette règle est contraire au principe général selon lequel ces risques sont assumés par le propriétaire du bien, principe énoncé aux articles 950 et 1456, et repris en matière de vente à tempérament à l’article 133 de la Loi sur la protection du consommateur (L.R.Q., chapitre P-40.1). L’acheteur étant en possession du bien et les besoins de protection n’étant pas les mêmes que sous la Loi sur la protection du consommateur, cette règle particulière a paru ici préférable; elle est, d’ailleurs, conforme au principe sous jacent [sic] au second alinéa de l’article 1456 qui, dans un autre contexte, lie la charge des risques à la possession. »[116] (Notre gras.)

1.4.3 La nullité à titre de sanction des conditions de formation du contrat

Les articles 1416 C.c.Q. et suivants prévoient l’annulation du contrat qui ne respecte pas les conditions de formation prévues par la loi, telles que le consentement, la cause et l’objet. La nullité est absolue lorsqu’elle sanctionne une condition de formation édictée dans l’intérêt général; en ce cas, elle peut être demandée par toute personne intéressée et le tribunal doit la soulever d’office. Si la condition de formation qui fait défaut a été imposée pour protéger des intérêts particuliers, seule la personne en faveur de qui elle est établie peut réclamer la nullité.

Dans tous les cas, que la nullité soit relative ou absolue, elle produit les mêmes effets[117] : l’article 1422 C.c.Q. prévoit que le contrat est réputé n’avoir jamais existé et que les parties sont tenues à la restitution des prestations. Cette restitution est soumise aux règles générales des articles 1699 à 1707 C.c.Q. que nous avons analysées ci-dessus.

Le nouveau Code civil a ainsi aboli l’ancienne distinction entre la nullité absolue et la nullité relative : un contrat nul de nullité absolue était un contrat nul ab initio , c’est-à-dire qu’il n’avait jamais existé et le juge se bornait à constater ce fait, tandis que le contrat nul de nullité relative était censé n’avoir jamais existé une fois que le juge avait prononcé la nullité, ce qui faisait en sorte que le contrat pouvait avoir un effet tant que la partie lésée ne demandait pas la nullité.[118]

Dorénavant, la nullité a donc les mêmes effet que la condition résolutoire[119], c’est-à-dire qu’elle annihile le contrat de façon rétroactive, comme s’il n’avait jamais existé. Tous les commentaires que nous avons faits antérieurement relativement aux conditions résolutoires s’appliquent donc ici, à l’exception des réserves particulières que nous émettions à l’égard de l’article 1707 C.c.Q. En effet, cet article s’applique pleinement afin de protéger les tiers de bonne foi, puisqu’ils n’ont aucun moyen de connaître les causes de nullité du contrat.

1.4.4 La vente avec faculté de rachat

Autrefois appelée « vente à réméré », la vente avec faculté de rachat est traitée aux articles 1750 à 1756 C.c.Q. Elle est définie comme « une vente sous condition résolutoire par laquelle le vendeur transfère la propriété d’un bien à l’acheteur en se réservant la faculté de le racheter ».[120]

Bien que la condition soit purement potestative puisqu’elle dépend uniquement de la volonté du vendeur[121], il s’agit essentiellement d’une vente sous condition résolutoire :

« Malgré l’emploi des expressions “rachat” et “racheter” par le législateur dans le nouveau code, il ne s’agit pas de deux contrats, l’un d’achat et l’autre de rachat, mais bien d’un seul contrat assujetti à une condition résolutoire. Cette distinction a des répercussions importantes quant aux tiers […]. »[122]

Ainsi, les effets des conditions résolutoires s’appliquent. Avant l’exercice de la faculté de rachat, l’acheteur est le véritable propriétaire de la chose, il peut en percevoir les fruits et il en assume les risques.[123]

Lorsque le vendeur exerce sa faculté de rachat, il doit respecter les formalités prévues au Code civil[124]. Il peut alors reprendre son bien, et puisque la vente à réméré est une véritable vente sous condition résolutoire, l’effet rétroactif de celle-ci s’applique et il est censé n’avoir jamais perdu la propriété[125]. Ainsi, le vendeur reprend le bien libre de toutes charges dont l’acheteur a pu le grever, pourvu que toutes les formalités de publicité aient été respectées.[126]

En somme, la vente avec faculté de rachat est une vente sous condition résolutoire, et outre les formalités particulières auxquelles elle est soumise, elle emporte les mêmes conséquences, notamment quant à la rétroactivité.

1.4.5 La vente à l’essai

La vente à l’essai est une vente sujette à la condition que l’acheteur décide d’acheter le bien, s’en déclarant satisfait. En vertu de l’article 1744 C.c.Q., cette vente est présumée faite sous condition suspensive. Elle a donc tous les effets d’une vente sous condition suspensive, y compris quant à la rétroactivité, et toutes les remarques que nous avons mentionnées ci-dessus s’y appliquent.

Soulignons que la vente à l’essai est l’exemple le plus courant de vente sous condition suspensive avec transfert immédiat de la possession du bien vendu. En effet, la délivrance du bien à l’acheteur est indispensable à l’essai qu’il doit en faire[127]. En conséquence, les risques de perte sont-ils transférés à l’acheteur pendente conditione ? Pour les motifs mentionnés antérieurement[128], nous sommes d’avis que oui, puisque les risques sont liés à la possession du bien.

1.4.6 La promesse de vente

La promesse de vente, si elle n’implique pas de questions de rétroactivité, soulève tout de même la question du moment du transfert du droit de propriété : c’est pourquoi nous en traitons dans le cadre du présent texte.

La promesse de vente bilatérale est un avant-contrat, par lequel les deux promettants s’engagent à conclure ultérieurement un contrat de vente définitif[129]. Les parties sont tenues à une obligation de faire, qui consiste à signer un contrat de vente conforme aux dispositions de la promesse. Si l’une des parties refuse de s’exécuter, l’autre peut recourir à l’action en passation de titre[130]. Ainsi, la promesse de vente ne constitue pas une vente en elle-même :

« La promesse elle-même n’engendre aucun des effets de la vente; notamment, elle ne transfère pas la propriété du bien ni ne confère au promettant-acquéreur aucun droit réel qui justifierait l’inscription. »[131] (Notre gras.)

Toutefois, il faut souligner que cette règle ne s’applique qu’à titre supplétif, lorsqu’il est impossible de déterminer si l’intention des parties était de faire simplement un avant-contrat ou plutôt de conclure une vente et d’effectuer un transfert immédiat de la propriété. Il faut donc interpréter le contrat afin de rechercher l’intention réelle des parties.[132]

Par exception à la règle interprétative que nous venons de voir, l’article 1710 C.c.Q. précise que « la promesse de vente accompagnée de délivrance et possession actuelle équivaut à vente ». Le professeur Jobin explique ainsi cette règle :

« [L]e Code civil dispose qu’une promesse constitue une vente quand elle est complétée par la délivrance du bien au promettant-acheteur et que celui-ci en a la possession actuelle; la vente a alors lieu immédiatement, quitte à ce que les parties signent plus tard l’acte de vente. […]

La loi présume que, dans ces circonstances, les parties consentent à ce que la vente produise immédiatement ses effets, ce qui implique qu’on soit en présence d’une vente et non d’une promesse. En effet, le promettant-vendeur, en délivrant le bien, et le promettant-acheteur, en en prenant possession, commencent à exécuter leurs obligations découlant de la vente elle-même. »[133]

Ainsi, lorsqu’il y a promesse de vente et que l’acheteur prend possession du bien, la loi présume que l’intention des parties était d’effectuer le transfert immédiat du droit de propriété. Bien entendu, il s’agit d’une simple présomption, qui ne s’appliquera qu’à défaut de stipulation contraire des parties au contrat.[134]

En somme, la promesse de vente n’est généralement pas translative de propriété, sauf disposition contraire du contrat. Une présomption à l’effet inverse s’applique lorsque la possession de la chose qui fait l’objet de la promesse de vente est transférée à l’acheteur : la propriété est alors transférée, sauf si les parties ont stipulé autrement.

1.4.7 La rétroactivité prévue par contrat

Les parties peuvent-elles stipuler au contrat de vente que la propriété a été transférée à une date antérieure à la signature du contrat?

Le législateur québécois, tant dans le Code civil du Bas-Canada que dans le Code civil du Québec, a adopté le principe du consensualisme, à l’instar du droit français moderne[135]. En vertu de ce principe, le contrat est parfait et le droit de propriété passe à l’acheteur dès le moment où il y a accord de volontés des parties[136]. Baudouin et Jobin écrivaient ainsi :

« La rencontre des deux volontés sur les éléments essentiels donne donc naissance au contrat, sauf naturellement dans l’hypothèse où la loi exige un élément supplémentaire à sa validité, comme par exemple le respect de certaines formalités. Le seul fait que les parties aient convenu de constater ensuite leur entente dans un écrit ne retarde pas la formation du contrat à la date de la rédaction de cet écrit. Il en est différemment si l’intention des parties était que le contrat ne prenne naissance qu’au moment de la signature. »[137] (Notre gras.)

Le contrat doit être distingué de l’écrit qui le constate : le contrat est validement formé dès que les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat, tels l’objet et le prix. Lorsque le contrat est ensuite rédigé, les parties peuvent indiquer comme date d’entrée en vigueur du contrat[138] la date de la formation réelle du contrat. Par contre, comme le signalent ces deux auteurs, les parties peuvent avoir eu l’intention que le contrat ne prenne naissance et que la propriété ne soit transférée que lors de la signature d’un contrat écrit. Il s’agira donc de déterminer l’intention des parties à cet égard.

Quoi qu’il en soit, il est cependant douteux que les parties puissent stipuler une date d’entrée en vigueur antérieure à celle de l’accord des volontés. En effet, la transmission de la propriété ne peut être antérieure à l’échange de consentements, puisque c’est ce dernier qui en est la cause juridique : l’effet ne peut précéder la cause. Les parties ne pourraient donc faire rétroagir un contrat à une date où il n’existait pas; à tout le moins, cette rétroactivité serait inopposable aux tiers.

1.4.8 La rétroactivité prévue par le Code civil

Le Code civil prévoit de nombreux autres cas de rétroactivité[139]. Nous n’avons pas l’intention d’en faire un inventaire exhaustif, mais nous en signalons ici quelques exemples; nous verrons ultérieurement leur traitement fiscal, afin d’établir des analogies avec celui des obligations conditionnelles.

L’ancien régime matrimonial de la communauté de biens prévoyait la copropriété des époux sur les biens de la communauté[140]. La Cour suprême en a conclu que lorsqu’une clause du contrat de mariage stipule que les biens de la communauté reviendront à l’époux survivant, ce dernier obtient, au décès de son conjoint, la propriété de tous les biens de la communauté et ce, rétroactivement à la date du mariage[141]. Ceci découle de l’effet déclaratif, plutôt que translatif, de la dissolution du régime de la communauté de biens.[142]

Une autre disposition du Code civil prévoit par ailleurs l’effet déclaratif du partage de la succession[143] : bien que le liquidateur ait la saisine des biens jusqu’au partage, une fois celui-ci effectué, chaque héritier est réputé avoir été propriétaire des biens inclus dans son lot depuis la date du décès du de cujus.

Ces exemples nous démontrent qu’il n’est pas exceptionnel dans le Code civil que certains événements aient un effet rétroactif. En outre, cet effet rétroactif n’est pas réservé au domaine contractuel et peut découler du seul effet de la loi. Nous verrons ultérieurement comment cet effet rétroactif est appliqué en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

2. Les conditions en common law

2.1 Notions préliminaires

Avant d’étudier les conditions de la common law, nous croyons qu’il est essentiel d’expliquer certaines notions de base en common law, relativement au droit de la propriété.

Tout d’abord, il faut comprendre que, contrairement à la notion de propriété en droit civil, qui est unique et indivisible, la propriété en common law est conçue comme un « ensemble de droits multiples » :

« Ce n’est pas seulement que l’on définit le droit de propriété différemment en common law qu’on le fait dans le Code civil, c’est que toute l’approche que l’on adopte vis-à-vis de l’élaboration et même de l’étude des règles relatives aux droits de propriété est très différente. Par exemple, on ne parle même pas de “propriété” de biens réels en common law. Étant donné que le système féodal n’a jamais reconnu la propriété absolue des terres en faveur des individus, et que plusieurs règles fondamentales de ce système restent en vigueur et sont pertinentes aujourd’hui, il n’existe en common law aucune théorie de “propriété” des biens réels. En common law, plutôt que de faire l’étude d’une théorie de la propriété, on s’attardera à l’analyse des règles qui régissent les différents droits, privilèges et pouvoirs qui sont compris dans le droit de propriété. Le droit de propriété est donc conçu comme un ensemble de droits multiples. On n’est pas, techniquement du moins, propriétaire d’une parcelle de terre; mais on la “tient” de la Couronne, ce qui vient à dire qu’on est propriétaire d’un “intérêt” dans le bien, plutôt que du bien lui-même. » [144] (Notre gras.)

Ces droits, privilèges et pouvoirs qui constituent la propriété peuvent être divisés et attribués à des personnes différentes :

« Ownership consists of innumerable rights over property, for example the rights of exclusive enjoyment, of destruction, alteration and alienation, and of maintaining and recovering possession of the property from all other persons. Those rights are conceived not as separately existing, but as merged in one general right of ownership.

[…]

Ownership is nevertheless divisible to some extent. For example, one or more of the collection of rights constituting ownership may be detached. Thus prima facie an owner is entitled to possession or to recover possession of his goods against all the world, a right which a dispossessed owner may exercise by peaceable retaking. He may, however, voluntarily or involuntarily part with possession, for example by the pledging, lending, hiring out, bailment, theft or loss of his goods, in any of which cases he is left with a right of ownership without possession, accompanied or not accompanied, as the case may be, by the right to possess. »[145]

Les droits qui constituent la propriété peuvent en outre être divisés entre le legal owner et le beneficial owner, aussi désigné comme equitable owner. Le legal owner détient le titre de propriété en common law, alors que le beneficial owner détient un intérêt en equity par rapport au même bien :

« The separation of the enjoyment of property and its administration, though not unique to the common law, is solved by the fragmentation of title into a legal and equitable title. […] Both the holder of the legal title and that of the equitable title are regarded as owners of the land. »[146](Notre gras.)

Le Black’s Law Dictionary définit ainsi le beneficial owner :

« Beneficial owner. Term applied most commonly to cestui que trust who enjoys ownership of the trust or estate in equity, but not legal title which remains in trustee or personal representative. Equitable as contrasted with legal owner.

One who does not have title to property but has rights in the property which are the normal incident of owning the property. The persons for whom a trustee holds title to property are beneficial owners of the property, and the trustee has a fiduciary responsibility to them. »[147](Notre gras.)

Les concepts de beneficial et legal ownership sont à la base de la notion de fiducie (trust) de common law. C’est dans le cadre du trust qu’il est le plus facile de comprendre la distinction entre le beneficial et le legal owner :

« The separation of ownership is critical to the concept of a trust. Once the settlor transfers the property to the trustees, the settlor has divested him - or herself of the ownership of the property. The trustees become the legal owners of the property while other persons, the beneficiaries, have the equitable or beneficial ownership (that is, the right to use and enjoy the property). The trustees hold title and manage the property for the benefit of the beneficiaries and are not entitled to enjoy or use the property. »[148](Notre gras.)

Le concept de propriété en common law est donc extrêmement différent de celui du Code civil; celui-ci ne reconnaît pas la distinction entre le beneficial ownership et le legal ownership.  En droit civil, la propriété est indivisible, comme l’écrivait le juge Rinfret :

« […] le système de droit de la province de Québec ne comporte pas la conception de la common law qui reconnaît le beneficial ownership dans une personne et le legal title dans une autre. Dans le Québec, les deux sont invariablement réunis sur la même tête. La propriété est unique. L’usufruit, la substitution, la fiducie, le nantissement, le gage, l’hypothèque, le privilège confèrent sur la chose des droits plus ou moins étendus […] mais ne transmettent jamais la propriété. »[149]

C’est d’ailleurs pour cette raison que le trust tel qu’il se conçoit en common law n’existe pas en droit civil, puisqu’il est fondé sur la séparation du droit de propriété entre le trustee, détenteur du legal ownership, et le beneficiary, titulaire du beneficial ownership :

« The division of legal and beneficial ownership is foreign to civil law and irreconcilable with the fundamental principle of unity of title. In civil law jurisdictions permitting the creation of trusts (such as Quebec), trusts often consist in the segregation of property into a separate patrimony for the carrying out of a particular purpose. In other civil law countries, trusts are either entirely ignored or assimilated to agency relationships and governed by the rules applicable to such relationships. »[150]

Le droit civil et la common law diffèrent considérablement eu égard à la conception de la propriété, c’est pourquoi il est difficile d’appliquer la Loi de l’impôt sur le revenu de façon uniforme tout en tenant compte des particularités du droit privé des provinces. Comme le disait si bien le juge Addy :

« The law of real property is one of the areas where common law and civil law principle’s are most likely to be at variance or at least to flow from different fundamental premises. At common law, the nature of the relationship existing between a vendor and purchaser of real estate under given circumstances is governed to a large extent by the distinctions between legal and equitable ownerships, estates and remedies and by the principles applicable to various categories of trusts and trustees. None of these concepts even exists in civil law. To seek by way of common law jurisprudence to reach a solution to the present issue would be to venture out on a perilous journey over rocky and tortuous roads, fraught with pitfalls, which would lead to a mere cul-de-sac, if one were fortunate. »[151](Notre gras.)

2.2 La condition precedent

La condition precedent est l’équivalent en common law de la condition suspensive en droit civil. Nous ne ferons pas ici une analyse complète du concept de condition precedent , mais nous tenterons plutôt d’en faire ressortir les points communs et les divergences par rapport à la condition suspensive.

Il faut d’abord définir la condition. Celle-ci semble avoir le même sens que la condition en droit civil :

« Condition. A future and uncertain event upon the happening of which is made to depend the existence of an obligation, or that which subordinates the existence of liability under a contract to a certain future event. Provision making effect of legal instrument contingent upon an uncertain event. »[152]

Quant à la condition precedent , elle est définie ainsi :

« A “condition precedent” is one that is to be performed before the agreement becomes effective, and which calls for the happening of some event or the performance of some act after the terms of the contract have been arrested on, before the contract shall be binding on the parties. »[153]

La condition precedent a donc pour effet de retarder la naissance de l’obligation jusqu’à l’accomplissement de la condition. Tant qu’elle n’est pas réalisée, l’obligation n’a pas d’existence juridique : « a contract that is subject to the fulfilment of a condition precedent does not become a binding agreement until such time as the condition has been met or waived […]».[154]

Il faut cependant distinguer les véritables conditions precedent, qui suspendent la création de l’obligation, des conditions internes au contrat qui ne font que suspendre l’exécution de l’obligation. Cette distinction découle de l’arrêt Turney c. Zhilka[155], comme l’explique le professeur Fridman :

« A radical change in the approach to conditions precedent was effected by the Supreme Court of Canada in Turney v. Zhilka. The court differentiated what was called “a true condition precedent - an external condition upon which the existence of the obligation depends” from an ordinary or internal condition […]. If a condition is a true condition precedent, there is no contract until it is satisfied. If a condition is the other sort of condition, then, in the event of its non-fulfilment, there may still be a binding contract between the parties, depending on the way in which the innocent party, guiltless of any breach, reacts to a breach of the condition. It follows from Turney v. Zhilka, therefore, that a distinction now exists between a condition relating to the existence of any contractual obligation and a condition that is precedent to performance of a contractual obligation by the other party, not the one subject to fulfilment of the condition precedent. »[156](Notre gras.)

Il appert donc que les « true » conditions precedent sont similaires aux conditions suspensives du droit civil, du moins pendente conditione , en ce qu’elles suspendent la naissance de l’obligation, tandis que les conditions qui ne sont pas des « true » conditions precedent ressemblent davantage à des obligations à terme, en ce qu’elles ne suspendent que l’exécution de l’obligation.

Par ailleurs, lorsque la condition precedent est accomplie, l’obligation prend alors naissance immédiatement, mais sans aucun effet rétroactif, contrairement à la condition suspensive[157]; c’est la différence fondamentale entre la condition precedent de la common law et la condition suspensive du droit civil. Ainsi, la question de la rétroactivité du transfert de propriété ne se pose pas : l’acheteur n’acquiert la propriété qu’au moment de la réalisation de la condition, et n’est nullement réputé ou censé l’avoir acquise à un moment antérieur.

À l’inverse, que se passe-t-il lorsque la condition défaille ? Dans ce cas, le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé. Ainsi, puisque le contrat inexistant n’a pu donner naissance à quelque obligation que ce soit, le beneficial ownership n’a jamais été transféré :

« In the event the condition is not met or waived, then the agreement is void ab initio ; it has never come into existence. Beneficial ownership of the subject matter of the contract cannot pass until the condition precedent has been satisfied or waived. »[158](Notre gras.)

En effet, un contrat void, en common law, ne peut avoir aucun effet légal, par opposition à un contrat voidable, c’est-à-dire annulable à la demande de la partie lésée, qui lui est valide jusqu’à son annulation et produit certains effets, notamment le transfert du beneficial ownership.[159]

Ainsi, la condition precedent a des effets similaires à ceux de la condition suspensive du droit civil, tant pendente conditione que lorsque la condition défaille. Toutefois, lorsque la condition s’accomplit, la condition precedent , contrairement à la condition suspensive, n’a aucun effet rétroactif. Nous verrons subséquemment l’impact de ces distinctions eu égard au droit fiscal.

2.3 La condition subsequent

La condition subsequent peut être assimilée à la condition résolutoire du droit civil. Elle est définie ainsi :

« A condition subsequent is one annexed to an estate already vested, by the performance of which such estate is kept and continued, and by the failure or non-performance of which it is defeated; or it is a condition referring to a future event, upon the happening of which the obligation becomes no longer binding upon the other party, if he chooses to avail himself of the condition. »[160]

De la même façon que la condition résolutoire du droit civil, la condition subsequent ne suspend pas la création ni l’entrée en vigueur de l’obligation. Dans un contrat de vente, il y a donc transfert immédiat de la propriété, malgré l’existence de la condition subsequent . Celle-ci vient plutôt éteindre l’obligation lorsque l’événement incertain se produit :

« A condition subsequent is an agreement between the parties that the contract is immediately binding, but that if certain facts are ascertained to exist or upon the happening of a certain event, either the contract ceases to bind or one party is to have the option of cancelling the contract. »[161]

Malgré la similarité avec la condition résolutoire, soulignons une différence : dans le cas d’une condition résolutoire, les parties ne peuvent renoncer à la condition et tenir le contrat pour valide malgré son accomplissement; elles peuvent faire un nouveau contrat, qui n’entrera en vigueur qu’au moment de sa conclusion. Au contraire, en common law, la condition subsequent peut laisser à l’une des parties le choix de demander la rescision du contrat.

Par ailleurs, la différence essentielle entre la condition résolutoire et la condition subsequent est que cette dernière n’a aucun effet rétroactif : elle annule le contrat pour l’avenir, mais n’affecte nullement les effets passés du contrat. Le beneficial ownership est ainsi transféré deux fois, l’une lors de la conclusion du contrat, l’autre lors de la réalisation de la condition :

« In instances where a contract is subject to a condition subsequent, beneficial ownership passes from one contracting party to the other subject to the revesting of the property in the original owner upon the happening of certain prescribed events. If those events do not occur, the contract remains in force. If they do occur, there is a second transfer of beneficial ownership to the original owner. »[162]

En somme, avant l’avènement de la condition de même que dans le cas ou celle-ci ne survient pas, la condition subsequent a essentiellement les mêmes effets que la condition résolutoire. Par contre, lorsque la condition s’accomplit, la condition subsequent n’a pas d’effet rétroactif, contrairement à la condition résolutoire.

2.4 Autres concepts de common law soulevant des questions de rétroactivité

2.4.1 La rétroactivité prévue par contrat

La question se pose, en matière contractuelle, quant à savoir si les parties peuvent validement stipuler une date d’entrée en vigueur antérieure à la date réelle de la signature du contrat. En common law, la réponse semble être similaire à celle que nous avons apportée en droit civil. La date antérieure sera justifiée si elle reflète la date à laquelle les parties en sont venues à une entente définitive sur tous les éléments essentiels du contrat, cette entente pouvant être verbale ou consignée dans une lettre d’intention[163]. La date conventionnelle ne peut toutefois pas être antérieure au moment où l’accord entre les parties est devenu « binding and legally enforceable »; si les parties continuaient à négocier sur certains éléments essentiels du contrat, comme le prix de vente, à la date indiquée, ou si elles n’avaient pas l’intention d’être liées avant la signature du contrat définitif, ou encore si l’entente initiale était assujettie à une condition precedent , la date d’entrée en vigueur prévue par les parties pourra sans doute les lier entres elles, mais elle ne sera pas opposable aux tiers.

En effet, la véritable question, en cette matière, n’est pas tant de savoir si la date d’entrée en vigueur est valide quant aux parties, mais surtout de savoir si elle est opposable aux autorités fiscales, c’est-à-dire si elle est considérée comme étant la date de la transaction aux fins fiscales. Nous étudierons cette question plus amplement, lorsque nous analyserons le droit fiscal applicable.

2.4.2 La rétroactivité prévue par la loi provinciale

Certaines lois statutaires provinciales prévoient que les tribunaux peuvent rendre des ordonnances ayant un effet rétroactif. C’est le cas notamment des lois adoptées dans presque toutes les provinces de common law dans le but d’assurer aux personnes à charge d’une personne décédée un partage équitable de la succession. Ces lois, comme le Dependant’s Relief Act[164] de la Saskatchewan, prévoient qu’une personne qui était à la charge du défunt, notamment son époux, peut s’adresser au tribunal pour obtenir une part de la succession plus grande que celle qui lui est dévolue par le testament ou par la loi. L’ordonnance rendue par le juge sur cette demande est généralement rétroactive, en vertu des dispositions de la loi. Ainsi, les biens accordés au demandeur par l’ordonnance sont réputés avoir été dévolus à ce dernier par le testament ou par la loi, à la date du décès du de cujus.

Cette rétroactivité peut avoir des conséquences fiscales importantes, notamment quant à la question de savoir à quel moment les biens ont été « dévolus irrévocablement » aux légataires. Nous verrons plus loin dans le présent texte si le droit fiscal fédéral applique la rétroactivité de ces ordonnances, prévue par les lois provinciales.

3. L’effet rétroactif des obligations conditionnelles en fiscalité

3.1 Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu

Nous avons vu que les obligations conditionnelles, en droit civil, ont des effets rétroactifs notamment quant au moment du transfert de propriété d’un bien dans le cadre d’un contrat de vente. Or, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit certaines conséquences fiscales à de telles transactions. Toutefois, la Loi ne fait pas directement découler ces conséquences du transfert de la propriété : elle les rattache plutôt à la notion de « disposition ». C’est pourquoi il est essentiel d’analyser cette notion dans le cadre de notre étude.

La Loi prévoit notamment que les « gains en capital imposables pour l’année tirés de la disposition de biens »[165] doivent entrer dans le calcul du revenu fiscal. La « disposition » est donc une notion centrale dans ce calcul, puisque le gain en capital sera imposable dans l’année d’imposition au cours de laquelle aura lieu la disposition.

Par ailleurs, la Loi prévoit que la récupération de l’amortissement devra être incluse dans le revenu du contribuable pour l’année d’imposition où celui-ci a disposé du dernier bien d’une catégorie[166]. À l’inverse, pour pouvoir réclamer l’amortissement sur un bien d’une catégorie, ce bien doit avoir été « acquis » avant la fin de l’année[167]. Or, la notion d’acquisition, comme nous allons le voir, est l’inverse de celle de disposition : lorsqu’un contribuable dispose d’un bien, un autre l’acquiert au même moment. La notion de disposition est donc très importante en matière d’amortissement, tant pour l’acheteur que pour le vendeur.

Le terme « disposition » est défini dans la L.I.R. Applicable depuis le 23 décembre 1998, la nouvelle définition proposée au paragraphe 248(1) prévoit ce qui suit, pour la partie qui nous concerne :

« 248. (1) “disposition”. - «disposition» Constitue notamment une disposition de bien, sauf indication contraire expresse:

a) toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition d’un bien;

[…]

Ne constitue pas une disposition de bien:

e) tout transfert de bien qui n’a pas pour effet de changer la propriété effective du bien, sauf si le transfert est effectué, selon le cas:

[…] » (Notre gras.)

Cette définition est presque identique à celle que l’on retrouvait à l’article 54, qui se lisait ainsi :

« 54. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente sous-section.

“disposition de biens”. - «disposition de biens» Sont compris dans la disposition de biens, sauf dispositions contraires expresses :

a) toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition de biens;

[…]

il demeure toutefois entendu que le terme ne vise pas :

[…]

e) un transfert de biens à la suite duquel il y a un changement dans la propriété légale du bien sans changement dans la propriété effective de ce bien, autre qu’un transfert par une fiducie […]. » (Notre gras.)

Cette définition s’appliquait antérieurement à la sous-section c - « Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles », c’est-à-dire les articles 38 à 55 L.I.R. Par ailleurs, une autre définition de « disposition » s’appliquait en matière d’amortissement :

« 13.(21) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
“disposition de biens” Sont compris dans la disposition de biens une opération ou un événement donnant droit au contribuable au produit de disposition de biens. »

Cette définition est la même que celle de l’article 54, pour la partie qui nous concerne[168]; la notion de « disposition » est donc la même, que ce soit dans le cadre des dispositions relatives au gain en capital ou à la récupération de l’amortissement.

Par ailleurs, la définition de « disposition », que ce soit celle du paragraphe 248(1), de l’article 54 ou du paragraphe 13(21), réfère au « produit de disposition » d’un bien, qui est lui-même l’objet d’une définition à l’article 54 :

« 54. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente sous-section.
“produit de disposition” Sont compris dans le produit de disposition d’un bien :

a) le prix de vente du bien qui a été vendu;

[…] »

Bien que le paragraphe 13(21) ne comprenne aucune définition du « produit de disposition », la jurisprudence a toujours admis que celle de l’article 54 s’applique aux fins de l’amortissement.[169]

L’analyse de ces définitions révèle que la « disposition » inclut notamment tout événement qui donne droit au produit de disposition du bien, c’est-à-dire le prix de vente dans le cas d’un bien qui a été vendu, sauf si la « propriété effective » du bien n’a pas été transférée par cet événement. Ceci laissera les civilistes perplexes : que peut bien être la « propriété effective »? Cette expression est évidemment la traduction française de beneficial ownership. Or, il s’agit là d’une notion de common law qui n’a aucun équivalent en droit civil, comme nous l’avons vu antérieurement.[170]

Nous pouvons tirer de cette définition, à première vue, une conclusion paradoxale. D’une part, en édictant une définition spécifique de la notion de disposition aux fins de la L.I.R., le législateur fédéral semble avoir eu l’intention de dissocier la L.I.R. du droit privé des provinces pour créer une règle propre à celle-ci. D’autre part, à l’intérieur même de cette définition, le législateur réfère à une notion de droit privé sans la définir, ce qui nous renvoie en principe au droit provincial pertinent, à savoir le droit civil au Québec et la common law dans les autres provinces. Or, ce processus fonctionne très bien si on l’applique aux provinces de common law, car celle-ci définit ce qu’est le beneficial ownership, complétant ainsi la définition de la L.I.R. Cependant, l’exercice se complique lorsqu’on doit appliquer cette définition au Québec. Doit-on y appliquer la notion de common law de beneficial ownership? Ou devrait-on plutôt tenter de définir le beneficial ownership au Québec par analogie ou équivalent avec certaines notions de droit civil?

En outre, le fait que la nouvelle définition du paragraphe 248(1) ne fasse plus mention de la « propriété légale », contrairement à celle de l’ancien article 54, ne semble pas avoir modifié la substance de cette disposition, puisqu’un « transfert de bien qui n’a pas pour effet de changer la propriété effective » ne pourrait viser autre chose qu’un simple transfert du legal ownership. D’ailleurs, la définition faisant toujours référence à la « propriété effective », le même problème d’interprétation en droit civil continue de se poser.

Le législateur fédéral a bien tenté de définir ce que constitue la « propriété effective » pour les fins de son application dans la province de Québec, au paragraphe 248(3) L.I.R. Celui-ci se lisait antérieurement comme suit :

« 248. (3) Sens de «propriété effective» dans la province de Québec. - Pour l’application de la présente loi dans la province de Québec, «propriété effective», à l’égard d’un bien, s’entend notamment du droit de la personne qui a ou avait la pleine propriété d’un bien, même si ce bien est grevé d’une servitude, du droit détenu par un usufruitier, un preneur dans le cas d’un bail emphytéotique, un grevé dans le cas d’une substitution ou un bénéficiaire dans le cas d’une fiducie.» (Notre gras.)

Depuis 1991, ce paragraphe a été modifié et correspond maintenant à l’alinéa 248(3)f) :

« 248. (3) Application dans la province de Québec. La présente loi s’applique dans la province de Québec en conformité avec les règles suivantes:

[…]

f) les biens sur lesquels une personne a, à un moment donné, un droit de propriété, un droit de preneur dans un bail emphytéotique ou un droit de bénéficiaire dans une fiducie sont réputés, même s’ils sont grevés d’une servitude, être la propriété effective de la personne à ce moment. »(Notre gras.)

Cette modification législative ne semble pas avoir modifié l’état du droit : le nouvel alinéa 248(3)f) est au même effet que l’ancien paragraphe 248(3), quoique sa rédaction puisse être plus claire : la « propriété effective » vise à la fois le droit de propriété, le droit du preneur dans un bail emphytéotique et le droit du bénéficiaire dans une fiducie. L’usufruitier et le grevé de substitution ne sont plus visés dans la nouvelle définition, puisque ces institutions sont maintenant des fiducies réputées en vertu des alinéas a) à e) du paragraphe 248(3). Toutefois, tant l’ancienne définition que la nouvelle sont claires : le propriétaire du bien au sens du droit civil est réputé avoir le beneficial ownership.

Voyons maintenant de quelle façon ces dispositions de la Loi sont interprétées et appliquées par la jurisprudence et la doctrine, avant d’analyser la position administrative de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

3.2 La jurisprudence et la doctrine

3.2.1 Le principe de complémentarité du droit privé des provinces

Avant d’analyser la jurisprudence pertinente à la définition de disposition et à la rétroactivité des obligations conditionnelles, il importe d’établir les principes de base relatifs à la notion de complémentarité du droit privé.

D’abord, comme nous l’avons mentionné en introduction, le droit fiscal est un système accessoire au droit privé, qui se greffe à ce dernier pour rattacher à certains actes juridiques des conséquences fiscales. Ainsi, le droit fiscal est tributaire de la nature juridique des relations contractuelles entre les individus, ces relations étant elles-mêmes régies par le droit privé des provinces.[171]

À cet égard, outre le célèbre passage de l’affaire Lagueux & Frères que nous citions dans l’introduction, l’une des citations les plus connues est celle du juge Boisvert dans l’affaire Perron c. MRN :

« Si l’impôt sur le revenu est une création de la loi qui l’impose, cette loi doit s’appliquer dans le cadre des lois civiles qui régissent les relations juridiques entre les individus. L’impôt se greffe en quelque sorte sur l’arbre juridique qui couvre de son ombre les droits et les obligations nés des contrats. »[172]

La Cour suprême a confirmé ce principe dans l’arrêt R. c. Dominion Engineering Co.[173]. Il y était question d’une vente à tempérament, et la Loi de l’époque prévoyait qu’en cas de paiement du prix de vente par versements mensuels, la taxe était due sur chacun de ces paiements au moment où « each of such instalments falls due and becomes payable ». L’acheteur déclara faillite avant d’avoir complété le paiement du prix, mais le ministère du Revenu[174] prétendit que le vendeur devait payer l’impôt sur les versements postérieurs à la faillite, même s’ils ne lui avaient pas été payés, car ils étaient devenus dus et payables.

La Cour suprême donna raison au contribuable, le juge Rand écrivant :

« Although the section declares the “transaction” to be a constructive sale and delivery, the fundamental support of the tax is an executory contract leading to the transfer of title and possession. That contract is conceived as a potential sale to which in turn is related a potential total tax: “the tax shall be payable”. Pro tanto portions of the tax are related to instalments of price and, when the latter become payable as parts of a whole, the right to the tax takes on the same character : but throughout, the tax depends for its efficacy upon the maturing contract. For the total tax there is only an inchoate liability created by the making of the agreement : and to sustain the right to the tax, the instalment become payable must remain an obligation of an executory contract.

The legal liability at any time for any portion of the tax in no degree restricts the parties in good faith from modifying the contract as they see fit, and a fortiori it does not prevent a modification by operation of law. If, in the legal result, the actual transaction ceases to be one of sale, then the necessary support for the tax disappears. »[175](Notre gras.)

La Cour suprême reconnaissait ainsi que le « support nécessaire » à l’imposition est l’existence d’une relation contractuelle valide en vertu du droit privé applicable. La Cour a récemment réitéré que le droit fiscal doit se fonder sur les relations juridiques véritables établies par les contribuables[176]; or, ces relations juridiques ne peuvent être établies autrement qu’en vertu du droit privé.

Ainsi, lorsque la Loi utilise un terme de droit privé sans le définir, il faut référer au droit privé de la province concernée pour interpréter ce terme[177]. Toutefois, ce principe de complémentarité du droit privé provincial est parfois mis de côté au nom d’un principe d’uniformité d’application des lois fédérales. Les auteurs Brisson et Morel expliquent ce qui suit :

« Contre la position généralement admise, selon laquelle la complémentarité du droit privé provincial vis-à-vis des lois fédérales de droit privé est acceptée sauf texte contraire, on avance parfois l’idée que la législation fédérale devrait être appliquée, par souci d’uniformité, de la même manière partout. […] Et c’est encore pour la même raison que l’on juge parfois opportun de donner à la Loi de l’impôt sur le revenu une interprétation dérogatoire au droit civil, justifiée par la common law, pour éviter que la portée de la loi ne soit étendue, à l’occasion d’“un litige dans la province de Québec, au-delà de ce qu’il en serait dans une autre province”. »[178] (Notre gras.)

Toutefois, ils critiquent cette approche d’uniformité d’application dans les termes suivants :

« La logique habituelle qui préside au partage des compétences en droit privé est en quelque sorte, dans cette vision des choses, renversée : le droit privé des provinces n’est plus tenu pour le droit fondamental des lois fédérales, puisque celles-ci s’autosuffisent en générant une common law qui leur est propre. Que ce soit au nom de l’uniformité d’application des lois fédérales, de leur source d’inspiration - qui est souvent la common law - ou du fait qu’une loi donnée constitue un “code complet”, dans tous les cas le résultat est le même : la législation fédérale de droit privé n’a plus à être modulée, dans son application, en fonction des particularités du droit d’une province. Or, comme on l’a à juste titre fait observer, en parlant du droit privé, if all aspects of the law should be exactly the same across the country why have a federal system?”.

L’influence de cette opinion, qui prône l’autonomie des lois fédérales, ne doit cependant pas être exagérée : car, pour une décision qui plaide la dissociation du droit fédéral et du droit civil, combien d’autres où leur complémentarité de principe est affirmée, en excluant la common law. »[179] (Notre gras.)

Les auteurs concluent en faveur de l’application du principe de complémentarité, malgré les disparités dans l’application de la loi qu’il entraîne :

« Dès lors, la complémentarité immédiate et substantielle du droit fédéral et du droit civil devient acceptable, car elle respecte l’économie générale du fédéralisme canadien en matière de droit privé, pourvu qu’on la fasse jouer pareillement, dans le même esprit, lorsqu’une loi fédérale de droit privé est appliquée dans une province de common law. Certes, la loi fédérale lacunaire n’est alors plus appliquée uniformément à travers le pays : mais si ce résultat déplaît, il suffit, mais il est nécessaire, d’imposer dans la loi fédérale même une définition propre, comme on le fait si abondamment en matière fiscale. Autrement, la complémentarité des droits reste la règle, avec la diversité qu’elle est susceptible d’entraîner. »[180] (Notre gras.)

Dans une récente décision, Procureur général du Canada c. St-Hilaire[181], la Cour d’appel fédérale a clairement adopté le principe de complémentarité du droit civil par rapport à la législation fédérale. Les faits de cette affaire sont singuliers : après avoir poignardé à mort son époux, l’intimée réclamait, à titre de conjointe survivante, les indemnités prévues par la Loi sur la pension de la fonction publique[182]. Bien entendu, le procureur général s’y opposait. La loi en question ne prévoyant aucune disposition à cet égard, le procureur général invoquait la règle de common law selon laquelle nul ne peut profiter de son crime. L’intimée plaidait que c’était plutôt le Code civil du Québec qui devait s’appliquer afin de remédier au silence de la loi fédérale. Or, elle soutenait qu’elle n’était pas visée par l’article 620 C.c.Q., car celui-ci prévoit qu’est indigne de succéder « celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt », alors qu’elle avait été condamnée pour homicide involontaire coupable.

Le juge Décary a procédé à une analyse complète de la question de la complémentarité du droit civil, afin de déterminer quelles étaient les règles supplétives applicables à la loi fédérale concernée. Citant l’article du professeur Brisson[183], il conclut qu’il n’existe pas de droit commun proprement fédéral : à moins d’indication contraire dans le texte même de la loi fédérale, le droit supplétif qui doit compléter celle-ci est le droit privé des provinces. Il écrit :

« Le droit privé fédéral, au Québec, se compose du droit privé défini dans une loi du Parlement du Canada et du droit civil s’il est nécessaire de recourir à une source externe pour appliquer une loi fédérale. Le Parlement du Canada peut adopter des lois de droit privé qui formeront un code complet auquel cas point n’est besoin de recourir à la source externe, qui est le droit civil, ou il peut adopter des lois de droit privé qui, parce qu’incomplètes, feront appel, de manière expresse ou implicite, au droit civil pour leur application. »[184] (Notre gras.)

Quant à l’uniformité d’application des lois fédérales, le juge Décary s’exprime ainsi :

« C’est la Constitution même du Canada qui prévoit que les lois fédérales aient des effets qui soient différents selon qu’elles trouvent application au Québec ou dans les autres provinces. En assurant la perpétuité du droit civil au Québec et en encourageant, à l’article 94, l’uniformisation des lois des provinces autres que le Québec en ce qui concerne la propriété et les droit civils, la Loi constitutionnelle de 1867 consacre au Canada le principe fédéral selon lequel une loi fédérale qui recourt à une source de droit privé externe ne s’appliquera pas nécessairement de façon uniforme à travers le pays. C’est ignorer la Constitution que d’associer de manière systématique toute législation fédérale et common law. »[185] (Notre gras.)

En réponse à l’argument du procureur général suivant lequel la loi en cause étant une loi de droit public, le droit supplétif devrait être la common law, le juge Décary écrit :

« La Loi, dans la partie qui nous intéresse, ne fait que désigner le bénéficiaire du régime auquel participait un employé de l’État. La nature de la Loi ne m’apparaît pas différente de celle de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1985, c. P-35) et pourtant, dans Ménard c. Canada (C.A.), ([1992] 3 C.F. 521), cette Cour a appliqué la théorie civiliste de l’enrichissement sans cause, plutôt que la théorie de l’estoppel en common law, pour condamner Sa Majesté la Reine à payer des heures supplémentaires à un employé du service correctionnel  du Canada. Et cette Cour applique le droit civil d’une manière routinière dans les causes, au Québec, relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, une loi dite de droit public. »[186] (Notre gras.)

Il cite l’article ensuite du professeur Morel à cet effet :

« Il est tout d’abord nombre de situations où le droit civil est appelé à jouer un rôle que l’on pourrait qualifier de passif. Ce sont tous ces cas où une loi fédérale, dans la poursuite d’une fin qui lui est propre, prend appui sur des actes ou sur des faits juridiques réglementés par le Code civil pour y attacher des effets particuliers. Les exemples abondent. […] La Loi de l’impôt sur le revenu, qui détermine les incidences fiscales d’une vente ou d’une cession de créances, d’une donation ou d’un legs par exemple, montre que certaines lois de droit public, elles aussi, peuvent demander, pour avoir effet, que l’on recourre au Code civil afin de qualifier la nature exacte de l’acte juridique en cause. Dans ce cas comme dans les autres, à moins que la loi n’en dispose autrement, le Code civil régit un rapport de droit privé qui rejoint la loi fédérale indirectement puisque celle-ci vient s’y superposer pour en tirer des conséquences dans l’ordre fédéral. »[187] (Notre gras.)

Le juge Décary conclut ainsi :

« Ce qui, je pense, devrait déterminer s’il y a lieu ou non de recourir au droit privé (au Québec, le droit civil), ce n’est pas le caractère public ou privé de la loi fédérale en cause, mais le fait, tout simplement, que la loi fédérale, dans un litige donné, doit être appliquée à des situations ou à des relations qu’elle n’a pas définies et qui ne peuvent l’être qu’en fonction des personnes affectées. On ferme en quelque sorte le cercle et on revient au point de départ, à l’article VIII de l’Acte de Québec : quand ces personnes affectées sont des justiciables et que leurs droits civils sont en litige et n’ont pas été définis par le Parlement, c’est le droit privé provincial qui vient combler le vide. Bref, le droit civil s’applique, au Québec, à toute législation fédérale qui ne l’écarte pas. »[188] (Notre gras.)

Puisque la Loi sur la pension de la fonction publique fait référence à un concept de droit privé, soit la succession, sans le définir, le juge Décary conclut que la loi doit être interprétée en fonction du droit civil. Il procède ensuite à l’analyse du droit civil et conclut que l’intimée ne peut être considérée comme indigne de succéder, en vertu de l’article 620 C.c.Q. Les deux autres juges approuvent entièrement le juge Décary quant à l’application du droit civil; ils diffèrent cependant d’opinion quant à l’interprétation du Code civil dans cette affaire, et concluent que l’intimée est indigne de succéder.

Si nous insistons sur le principe de complémentarité, c’est qu’il s’agit de la prémisse de notre raisonnement juridique : nous tenterons ici de déterminer, en fonction du libellé actuel de la Loi, si cette dernière a établi une définition de la notion de « disposition » exclusive pour son application en matière fiscale, dissociée du droit privé des provinces; dans la négative, nous considérons que les règles du droit civil devraient s’appliquer, en vertu du principe de complémentarité. Si ces règles entraînent des conséquences négatives sur le plan fiscal, nous estimons qu’il appartient au législateur de modifier la Loi pour y remédier.

Comme nous l’avons mentionné, bien que le législateur ait défini le terme « disposition », ladite définition fait elle-même référence à un terme de droit privé, c’est-à-dire la « propriété effective », qui n’a aucune acception dans l’un des deux systèmes de droit privé. De plus, la définition de « disposition » ne serait pas exhaustive, selon la jurisprudence que nous allons voir ci-dessous : il faudrait donc référer au droit privé pour la compléter.

3.2.2 La notion de disposition

3.2.2.1 Dans les provinces de common law

La première interprétation judiciaire de cette notion, dans le contexte de la Loi de l’impôt sur le revenu, fut établie dans l’affaire Victory Hotels Ltd. c. MRN.[189]

Les parties avaient signé, en décembre 1954, un accord de vente relativement à un hôtel appartenant à l’appelante. L’accord prévoyait que l’acheteur prendrait possession le 3 janvier 1955, et que la vente serait annulée si l’acheteur n’obtenait pas le permis d’alcool, ou si l’hôtel était détruit par le feu avant la prise de possession. Quant au prix de vente, l’acheteur effectua un dépôt de 25 000$, qui devait être conservé en fiducie par l’agent immobilier jusqu’à ce que les conditions soient remplies. Ce dépôt devait être remboursé à l’acheteur en cas d’annulation de la vente suite à la défaillance de l’une ou l’autre des conditions.

Le juge Noël décida que la « disposition » avait eu lieu le 3 janvier 1955. Selon lui, il ne faisait pas de doute que les parties avaient eu l’intention de ne rendre la vente effective que le 3 janvier 1955. De plus, le vendeur avait conservé la possession, l’usage et le contrôle de l’hôtel jusqu’au 3 janvier, conservant les revenus générés par l’entreprise jusqu’à cette date, et les intérêts sur l’hypothèque ne commençaient à courir qu’à compter de cette date.

Le juge établit d’abord que les termes « disposed of » à l’article 20 L.I.R., doivent recevoir une interprétation large :

« Indeed, in the context of s. 20 of the Income Tax Act it is not unreasonable to give the words “disposed of” their widest meaning which would be “to part with”, “to pass over the control of the thing to someone else” so that the person disposing no longer has the use of the property. »[190]

Cependant, le juge souligne que cette interprétation large du terme « disposition » peut avoir été restreinte par le législateur. C’est le cas, selon lui, lorsqu’il est question de la vente d’un bien :

« We have seen that s. 20(5)(b) of the Income Tax Act states that “‘disposition of property’ includes any transaction or event entitling a taxpayer to proceeds of disposition of property” and 20(5)(a) states that “‘proceeds of disposition’ of property include (i) the sale price of property that has been sold,”. These sections do not define but merely include as a disposition of property a transaction (a sale for instance) entitling a taxpayer to proceeds of disposition of property, i.e. to the sale price of the property sold. It would indeed appear that the meaning of “disposition of property” has been somewhat restricted by the Act when a disposal of property takes place by means of a sale; in such a case there is a disposal of property as soon as a taxpayer is entitled to the sale price of the property sold. »[191](Notre gras.)

Ainsi, le juge affirme que les articles pertinents[192] ne définissent pas le mot « disposition », mais ne font qu’inclure dans le terme « disposition » une transaction donnant droit au produit de disposition. Il conclut néanmoins que le sens de « disposition » a été restreint lorsque la disposition découle d’une vente : dans ce cas il y aurait disposition dès que le vendeur a droit au prix de vente. En l’espèce, le vendeur n’avait pas droit au prix de vente avant que les conditions se soient réalisées et que l’acheteur ait pris possession, soit le 3 janvier 1955.

C’est toutefois la décision de la Cour de l’Échiquier dans l’affaire MRN c. Wardean Drilling Ltd.[193] qui a établi le « test » de la disposition, qui fut suivi par la jurisprudence subséquente. Il est nécessaire d’analyser cette décision en profondeur.

Wardean Drilling, une compagnie de forage pétrolier, désirait faire l’acquisition d’une foreuse. Un contrat de vente fut signé en décembre 1963, prévoyant la livraison de la foreuse pour février 1964 car certaines modifications devaient y être apportées. Le contrat prévoyait également que le titre de propriété serait transféré lors de la livraison. Par ailleurs, Wardean Drilling acheta de la machinerie accessoire auprès d’un autre fournisseur; le contrat fut conclu en décembre 1963, mais la machinerie ne fut construite et livrée qu’en 1964. La question en litige était de savoir si Wardean Drilling pouvait réclamer l’amortissement sur la foreuse et la machinerie accessoire pour l’année 1963, c’est-à-dire si elle les avait « acquises » au cours de cette année.

Le juge Cattanach de la Cour de l’Échiquier décida que l’acquisition n’avait eu lieu qu’en 1964. Le juge établit d’abord que le critère n’est pas celui du moment où les parties ont conclu un contrat de vente exécutoire; le test est plutôt le suivant :

« As I have indicated above, it is my opinion that a purchaser has acquired assets of a class in Schedule B when title has passed, assuming that the assets exist at that time, or when the purchaser has all the incidents of title, such as possession, use and risk, although legal title may remain in the vendor as security for the purchase price as is the commercial practice under conditional sales agreements. »[194]

Ainsi, le bien serait « acquis » au moment du transfert du titre de propriété, si le bien existe à ce moment, ou au moment du transfert des attributs ordinaires du droit de propriété[195] tels que la possession, l’usage et le risque, lorsque le titre est conservé par le vendeur à titre de garantie du paiement du prix de vente.

Après avoir établi ce test, la Cour se penche sur le droit privé de l’Alberta afin de déterminer le moment du transfert du titre de propriété. En vertu du Sale of Goods Act[196] de cette province, le titre de propriété est transmis au moment prévu par les parties au contrat. À titre supplétif, à défaut de stipulation contraire des parties, la loi détermine le moment du transfert.

Le juge Cattanach, après avoir examiné le contrat de vente de la foreuse, conclut que les parties ont exprimé l’intention de transférer la propriété au moment de la livraison. Puisque celle-ci a eu lieu en 1964, c’est à ce moment que le bien a été « acquis ». Quant à la machinerie accessoire, le contrat n’exprimant pas l’intention des parties à cet égard, le juge s’en remet à la loi albertaine qui prévoit que le transfert de propriété a lieu au moment où le bien est achevé et prêt à être livré, soit en l’espèce en 1964.

Nous pouvons donc conclure que la ratio decidendi de la décision est le fait que le titre de propriété fut transféré en 1964, et ce en vertu de la loi provinciale. La Cour ne s’est pas fondée sur le moment du transfert des attributs ordinaires du droit de propriété tels que l’usage, la possession et le risque; en l’espèce, il ne s’agissait pas d’un cas où le vendeur avait conservé le titre de propriété comme sûreté. Le second volet du « test » constituait donc un obiter dictum.

Malgré les apparences, cet arrêt soutient la théorie de la complémentarité du droit privé des provinces. En effet, le juge a examiné à quel moment, en vertu du droit privé de la province concernée, le transfert de propriété avait eu lieu. Or, comme nous l’avons vu[197], en common law la « propriété » peut être divisée entre le legal owner et le beneficial owner . Nous sommes d’accord avec l’analyse du juge Noël, dissident, dans l’arrêt Construction Bérou Inc. c. La Reine[198] :

« En énonçant cette règle, le juge Cattanach n’avait pas à l’esprit l’idée d’écarter le droit privé applicable puisque le jugement qu’il a rendu est précisément à l’effet contraire. Comme l’a expliqué le juge en chef Couture dans la présente affaire, le juge Cattanach en énonçant cette règle :

“confirme simplement cette distinction qui existe [selon la common law] entre le propriétaire en titre [legal owner] et le propriétaire bénéficiaire des biens [beneficial owner], c’est-à-dire celui à qui le droit de propriété appartient suite à une transaction, mais dont le titre de propriété lui sera dévolu à une date ultérieure.” »[199]

En note de bas de page, le juge Noël tente de trouver une explication au deuxième volet du test :

« Voir Black’s Law Dictionary qui définit un “Beneficial owner” comme étant inter alia : One who does not have title to property but has rights in the property which are the normal incident of owning the property. On peut présumer sans crainte de se tromper que le deuxième volet de la règle d’acquisition énoncée par le juge Cattanach est issu de la décision de la Cour suprême de l’Alberta dans Hendrickson v. Mid-City Motors, [1951] 3 D.L.R. 276 où il fut jugé qu’un “conditional sale agreement” donnait lieu à une vente selon la Règle I de l’article 21 du Sale of Goods Act de l’Alberta, malgré le fait que le titre de propriété demeurait entre les mains du vendeur. La Cour s’était alors exprimée comme suit à la p. 284:

“I conceive ‘title’ and ‘property’ to be two entirely different things. One person may hold bare title to property while the whole beneficial ownership rests in some other person. A reservation of title does not necessarily imply that no property shall pass to the purchaser ...

... In my opinion, the whole effect of the agreement ... is to transfer to the purchaser the ‘property’ in the goods in question, while reserving to the vendor a vendor’s lien and the right to defer the conveyance of legal ‘title’ to the property until payment in full.”

C’est en fonction de l’intention des parties telle que révélée par les termes du contrat que la Cour suprême de l’Alberta en est venu [sic] à cette conclusion. Voir aussi Douglas S. Ewens “When is a Disposition”, Report of Proceedings of the Twenty-Sixth Tax Conference, November 11-13, 1974, à la p. 538. Quant à l’application du principe voulant qu’un changement dans le “beneficial ownership” d’un bien donne lieu à une disposition en matière fiscale, voir Grey v. Inland Revenue Commission, [1960] A.C. 1, pp. 12-14. »[200]

Ainsi, lorsque le juge Cattanach affirme, dans le second volet du « test », que l’acheteur a « acquis » le bien même si le legal ownership est demeuré entre les mains du vendeur à titre de sûreté, cette affirmation n’est rien d’autre que l’application du droit privé de la province concernée, c’est-à-dire la common law.

Par ailleurs, nous croyons qu’il est faux de dire, comme certains l’ont fait en résumant le test élaboré par Wardean Drilling, que le moment de la disposition est le premier à survenir entre le transfert du titre de propriété et celui des attributs ordinaires du droit de propriété. Selon nous, le deuxième volet du test tel qu’énoncé par le juge Cattanach ne s’applique que lorsque le titre de propriété est conservé par le vendeur à titre de sûreté, afin de garantir le paiement du prix de vente; ainsi, le transfert du beneficial ownership n’équivaudrait à une disposition que lorsque le legal ownership est conservé par le vendeur à titre de garantie. Néanmoins, certaines décisions ont retenu de Wardean Drilling que la disposition a lieu dès le transfert des attributs ordinaires du droit de propriété, tels que la possession, l’usage et le risque.

Le test de Wardean Drilling fut appliqué par la Cour fédérale quelques années plus tard, dans l’affaire R. c. Henuset Bros. Ltd. [No. 1][201]. Il s’agissait d’une vente avec réserve du droit de propriété jusqu’au parfait paiement du prix, c’est-à-dire un « conditional sale agreement ». L’acheteur avait, dès la signature, tous les attributs ordinaires du droit de propriété, tels que la possession, l’usage et le risque. Le juge conclut ainsi :

« The clause in the conditional sales agreements obliging the buyer to insure the tractors against such risks as the vendor specified is evidence that the risk had passed to the buyer. Its failure to insure does not alter the legal effect of this obligation. On the completion of the sale the buyer had the right to use the tractors and could have taken delivery of the tractors at Peoria if it had had any use for them in that vicinity. It follows that all the incidents of ownership other than the legal title reserved in the vendor by the conditional sales agreements such as possession, risk and the right to use the tractors were acquired by the buyer on December 30, 1971. In my opinion the reservation of the legal title to the tractors in the vendor as security did not affect the issue any more than the taking of security on the tractors in the form of a chattel mortgage would have done. »[202](Notre gras.)

Il est clair qu’il s’agit d’une application directe du test énoncé dans Wardean Drilling. Cette fois, cependant, il est appliqué à un cas où les attributs ordinaires du droit de propriété ont été transférés avant le titre, ce dernier étant conservé par le vendeur comme garantie du solde de prix de vente, au même titre qu’une hypothèque ou un mortgage.

L’interprétation large du terme « disposition » et le test établi par Wardean Drilling ont donc été adoptés par les tribunaux dans les litiges fiscaux issus des provinces de common law. Voyons maintenant si les tribunaux ont appliqué cette jurisprudence dans les causes provenant du Québec.

3.2.2.2 Au Québec

Dans le cadre d’une affaire portant sur un bail emphytéotique, R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée[203], la Cour suprême s’est prononcée sur l’interprétation des termes « disposed of » contenus dans la L.I.R. D’abord, elle a rejeté l’argument selon lequel le terme français « aliénés » avait pour effet de restreindre le sens des termes « disposed of ». Ceux-ci devraient avoir le même sens, qu’ils soient traduits pas « disposés » ou « aliénés ».

La Cour suprême a également confirmé la règle d’interprétation large de la définition de disposition :

« In the context of s. 20(5), the definitions of “disposition of property” and “proceeds of disposition” cannot be said to be exhaustive; these expressions must bear both their normal meaning and their statutory meaning; it would be wrong to restrict the former because of the latter.  »[204]

La définition n’est pas exhaustive: elle ne restreint pas le sens ordinaire du mot « disposition », elle y ajoute des concepts qui ne seraient pas normalement compris dans le sens ordinaire.

La Cour suprême s’est ensuite penchée sur la signification du verbe « disposer » en droit civil :

« The substantive definitions of “disposition of property” and “proceeds of disposition” in s. 20(5)(b) and (c) are a clear indication that the words “disposed of” should be given their broadest possible meaning. 

In French, the verb “disposer” would convey the same idea as “to dispose of”. In discussing the jus abutendi which is one of the three main attributes of the right of ownership, Mignault (Droit civil canadien, vol. 2, at p. 477) wrote:

“Le jus abutendi, ou droit de disposer, est le droit de faire de la chose un usage définitif, qui ne se renouvellera plus, au moins pour la mime [sic] personne. Disposer de sa chose, c’est la transformer, la consommer, la détruire, ou enfin l’aliéner, c’est-à-dire la transmettre à un autre.”

(TRANSLATION) […]

The same view is expressed by Mazeaud (Leçons de droit civil, t. 2, v. 2, #1332 and 1333):

“1332. - . . . Parce qu’il est absolu, le droit de propriété est un droit total: le propriétaire a tous les pouvoirs sur la chose. Cet ensemble de pouvoirs peut se décomposer en trois attributs: jus utendi ou droit de se servir de la chose, jus fruendi ou droit de percevoir les revenus, jus abutendi ou droit de disposer de la chose: la conserver, la donner, la vendre, la détruire, l’abandonner. . . .

1333. - Les prérogatives du jus abutendi. - Le droit de disposer comporte, outre le droit d’abandonner la chose et de la détruire, deux prérogatives importantes: le droit d’aliéner la chose à titre gratuit ou onéreux, le droit de la conserver dans son patrimoine.” »[205] (Notre gras.)

La Cour suprême laisse ainsi entendre que la signification du terme « disposition » dans la Loi est celle que lui confère le droit civil, à savoir le fait d’abandonner, détruire, donner ou vendre la chose. Cette signification est certes plus large que celle du terme « aliéner », à laquelle l’intimée tentait de la restreindre dans cette affaire, mais elle ne va certainement pas jusqu’à élargir la définition de « disposition » au transfert des attributs ordinaires du droit de propriété tels que l’usage, la possession et le risque.

En effet, les passages cités par la Cour suprême font le parallèle entre le terme « disposition » et le concept d’abusus, qui constitue le droit de disposer de la chose, c’est-à-dire de se départir de son droit de propriété sur la chose : remarquons que tous les exemples donnés par Mignault et Mazeaud font référence à des actes par lesquels le propriétaire se départit de son droit de propriété. On ne mentionne jamais, par exemple, le transfert de la possession ou du droit d’usage : ce droit est relié à l’usus, et non à l’abusus. Nous en concluons donc que, loin d’avoir cautionné l’application du test de Wardean Drilling en droit civil, la Cour suprême a plutôt laissé entendre que le concept de disposition, en droit civil, est lié à l’abusus, c’est-à-dire le droit de se départir de son droit de propriété sur la chose.

L’introduction en droit civil du test des « attributs ordinaires du droit de propriété » provenant de l’affaire Wardean Drilling est due à la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Olympia & York[206]. Le contribuable, propriétaire d’un complexe d’immeubles à revenus, avait conclu une promesse bilatérale de vente. Le contrat prévoyait que la possession de l’immeuble, les revenus ainsi que les risques de perte seraient transférés à l’acheteur dès la signature, le 31 août 1969. Par contre, le document stipulait qu’il ne constituait pas l’équivalent d’une vente et ne conférait à l’acheteur aucun droit de propriété, le titre de propriété demeurant entre les mains du vendeur jusqu’à l’exécution de l’acte de vente, ce qui ne devait être fait que lorsqu’une portion spécifiée du prix de vente aurait été payée.

Le juge Addy s’est d’abord penché sur la question de savoir s’il s’agissait d’une « vente ». Pour ce faire, il a eu recours au droit civil, puisque les faits s’étaient produits au Québec. Le juge s’exprime ainsi, quant à la complémentarité du droit civil :

« It is evident that the rights of the parties to the contract and all matters governing various agreements and legal relations arising from the actions of the parties to those agreements must be determined in accordance with the law of the Province of Quebec.

The rights of the parties arise out of the agreement filed as Exhibit 1 and full consideration must be given to its terms. Since there is no special definition of the word “sale” or any special meaning to be attached to it in the Income Tax Act, one must consider that word in the light of the law of the Province of Quebec as applied to the relationship created by the agreement Exhibit I. »[207]

Le juge analyse donc le droit civil applicable et conclut qu’il n’y a pas eu vente, car bien qu’en vertu du Code civil la promesse de vente avec prise de possession équivaille à vente, cette règle est supplétive et les parties sont libres de stipuler autrement[208], ce qui est le cas en l’espèce : les parties ont spécifié leur intention de ne pas transmettre la propriété immédiatement.

Or, après être parvenu à cette conclusion, le juge poursuit son raisonnement en examinant la question de savoir s’il y a eu « disposition » au sens de l’alinéa 20(5)b) L.I.R., qui correspond à l’actuelle définition de « disposition de biens » au paragraphe 13(21) L.I.R. Il affirme d’abord que la définition de disposition qu’on retrouve dans la loi ne saurait être exhaustive et que ce terme doit recevoir une interprétation large. Puis, il réfère à Wardean Drilling, qui avait interprété la notion de « acquired », puisque selon lui ces termes sont des antonymes parfaits et contiennent donc essentiellement les mêmes éléments :

« The word “acquired” used in section 20(5)(e) is obviously the direct opposite of “disposed” (or disposition) as used in the same section and must contain substantially the same elements viewed from the side of the person acquiring the asset as opposed to the person disposing of it. »[209]

Se fondant sur la règle établie dans Wardean Drilling, il conclut qu’une disposition a eu lieu en l’espèce :

« In the case at Bar, the Plaintiff had, after executing the agreement and upon delivering possession of the property to First General in September 1969, completely divested itself of all of the duties, responsibilities and charges of ownership and also all of the profits, benefits and incidents of ownership, except the legal title. It was absolutely and irrevocably obliged to execute and deliver a clear deed to the purchaser upon receipt of the balance of the purchase price which was payable to it. Any additional rights to which it was entitled under the agreement were solely and exclusively for the protection of that balance of purchase price and are rights which would normally be granted to a mortgagee to protect his security.

Having regard to what the Supreme Court of Canada said in Her Majesty The Queen v. Compagnie Immobilière BCN Limitée, supra, as to how the concepts of “disposition of property” and “proceeds of disposition” must be interpreted and having regard also to the statement of Cattanach, J. in The Minister of National Revenue v. Wardean Drilling Limited, supra, (with which I fully agree) I find that there was in the circumstances of the present case, in September 1969, a “disposition” of Place Cremazie Complex by the Plaintiff within the meaning of section 20 of the former Act (section 13 of the new Act). »[210](Notre gras.)

Cette décision est très importante car c’est la première fois qu’un tribunal appliquait au Québec la définition de « disposition » énoncée dans Wardean Drilling. Il est étrange et difficile à comprendre que le juge Addy, après avoir insisté sur la nécessité de recourir au droit civil afin de déterminer si une « vente » était survenue, ne semble pas s’être interrogé quant à la pertinence de faire de même pour interpréter la notion de « disposition » prévue à la L.I.R., ni quant à l’applicabilité d’un précédent de common law en droit civil.

Néanmoins, nous pouvons remarquer que le juge Addy comprend le test de Wardean Drilling dans le même sens que nous évoquions ci-dessus : appliquant le second volet du test, il spécifie que le titre de propriété n’est demeuré entre les mains du vendeur que dans le but de garantir le paiement du prix de vente.

Cette décision fut suivie dans l’affaire Robert Bédard Auto Ltée c. MRN[211], où la Cour canadienne de l’impôt devait déterminer si un bail contenant une obligation d’achat dans les 5 ans de la signature, pour un prix déterminé comprenant les loyers payés, entraînait une « disposition » aux fins de la Loi. Le juge Tremblay, après avoir conclu que la transaction constituait une location et non une vente en droit civil, fut d’avis qu’il y avait tout de même disposition sur le plan fiscal car l’acheteur avait la possession et l’usage de l’immeuble et en assumait les risques.

Cette jurisprudence fut également suivie par la majorité de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Construction Bérou[212]. Les faits de cette affaire peuvent être résumés ainsi. Le contribuable avait conclu des contrats de location pour des camions, contenant des options d’achat pour un prix nettement inférieur à la valeur marchande prévue des camions au moment de l’exercice des options. Le contrat stipulait que le locataire, Construction Bérou, assumait tous les risques de perte des camions à partir de la signature du contrat, et devait continuer de payer le loyer même advenant la perte de la chose louée. En outre, le locataire assumait toutes les charges et dépenses afférentes aux biens loués, telles que les assurances, les réparations, l’entretien, les taxes et la contestation de toutes poursuites intentées contre le locateur. Le contribuable réclama, pour l’année de la conclusion du contrat, l’amortissement, la déduction des intérêts sur le « prix de vente », de même que le crédit d’impôt à l’investissement.

En Cour canadienne de l’impôt[213], le juge Couture conclut que Construction Bérou avait « acquis » les camions au sens de la Loi[214], même si elle n’en était pas « propriétaire », se fondant sur Wardean Drilling et Olympia & York.

En Cour fédérale, division de première instance[215], le juge Tremblay-Lamer renversa la Cour canadienne de l’impôt et donna raison au ministère en décidant que Construction Bérou n’avait pas « acquis » les camions au sens de la Loi. Le juge se fondait principalement sur le motif que le locataire n’avait pas d’obligation d’exercer l’option d’achat, et qu’en conséquence on ne pouvait considérer qu’il avait « acquis » les biens, même en appliquant la définition large de Wardean Drilling.

En Cour d’appel fédérale, la majorité accueillit l’appel du contribuable, statuant que les biens avaient été « acquis » au sens de la Loi et que celui-ci pouvait donc réclamer les déductions demandées. Le juge Noël, dissident, était évidemment d’avis contraire : selon lui, en vertu du droit civil, les camions n’avaient pas été « acquis ». Nous analyserons d’abord l’opinion du juge Noël car les juges majoritaires font référence à celle-ci.

Le juge Noël énonce d’abord la question en litige dans les termes suivants :

« Il est vrai que lorsque le législateur fédéral fait reposer la Loi sur des notions de droit privé sans les définir ou sans autrement leur attribuer un sens particulier, il adopte par la force des choses le droit des provinces. La question en est une d’intention; il s’agit de voir à la lumière des dispositions en cause si le législateur en attribuant des conséquences fiscales à l’égard de biens “acquis” s’en remettait au concept de propriété tel qu’il existe selon le droit des provinces ou à une notion distincte et particulière à la Loi comme le prétend l’appelante. »[216]

En effet, en vertu du droit civil, il est clair que le droit de propriété n’a pas été transféré. Il s’agit de savoir si le législateur a écarté le droit civil au profit d’une règle propre au droit fiscal : en d’autres termes, le juge Noël pose la question de la complémentarité ou de la dissociation.

Le juge procède ensuite à une analyse exhaustive de toute la jurisprudence pertinente ainsi que du Bulletin d’interprétation IT-233R[217]. Il énonce ses conclusions ainsi :

« Il ressort de cette revue de la jurisprudence que l’arrêt Olympia and York, dans la mesure où il autorise les tribunaux à ignorer les effets du droit québécois dans les litiges issus du Québec, n’a pas été suivi. Seul le juge Tremblay s’est inspiré de cette décision dans l’affaire Bédard Auto Ltée pour conclure qu’il y avait vente pour fins fiscales, malgré le fait que le droit civil dictait le résultat contraire. Il s’est par la suite ralié [sic] au droit civil dans l’affaire Goulet. Selon moi, la juge de première instance, et les juges de la Cour de l’impôt avant elle ont eu raison d’ignorer l’arrêt Olympia and York puisque la Loi n’écarte pas le droit privé. Le mot “acquis” que l’on retrouve dans chacune des dispositions en cause doit être compris dans son sens normal soit comme évoquant l’acquisition de la propriété d’un bien et en l’absence d’indication contraire, la propriété d’un bien ne peut s’acquérir autrement que selon le droit privé applicable.

Par ailleurs, cette revue jurisprudentielle démontre aussi que la règle d’acquisition énoncée par le juge Cattanach dans Wardean Drilling a été suivie fidèlement dans les litiges issus des provinces de common law. Cette règle, comme en font foi les extraits que j’ai cités, veut qu’un bien soit acquis à compter du moment où la propriété est transmise à l’acheteur ou lorsqu’un acquéreur a la possession, l’utilisation et assume les risques inhérents au bien en question, même si le “legal title” demeure entre les mains du vendeur afin de garantir le paiement du prix de vente.

Le juge suppléant Bastir a donné effet au deuxième volet de cette règle dans Henuset, et le juge Bowman a fait de même dans Gartry. La juge Reed a appliqué ce test dans l’affaire Borstad, ainsi que le juge Strayer dans l’affaire Kirch. Je souligne le fait qu’aucune de ces décisions ne laisse entendre que la règle d’acquisition proposée par le juge Cattanach se démarquait du droit privé applicable. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Couture dans la présente affaire le juge Cattanach dans Wardean Drilling faisait tout simplement allusion à la division du droit de propriété selon la common law et à la règle selon laquelle il y a disposition d’un bien lorsqu’il y a changement dans le “beneficial ownership” même si le “legal ownership” demeure inchangé. »[218] (Notre gras.)

Le juge Noël a ainsi conclu que la Loi de l’impôt sur le revenu n’a pas établi une notion d’acquisition dissociée du droit civil, écartant le principe de complémentarité; cette notion doit donc être interprétée conformément au droit civil. Il conclut également que la notion d’acquisition est directement reliée au droit de propriété en droit civil, et que la jurisprudence découlant de Wardean Drilling n’est pas applicable au Québec.

Le juge Noël examine ensuite les dispositions du paragraphe 248(3) L.I.R. Selon lui, celles-ci ont été édictées dans le but de créer des équivalences à la notion de beneficial ownership pour son application au Québec. Quoi qu’il en soit, il est d’avis que cette disposition n’apporte pas de solution au litige.

Enfin, le juge Noël souligne l’importance accordée en droit civil à l’intention des parties : celles-ci sont libres de contracter comme elles l’entendent et selon les modalités qu’elles désirent, et notamment quant au moment du transfert du droit de propriété. Ainsi, la stipulation à l’effet que la propriété du bien demeure entre les mains du locateur jusqu’à l’exercice de l’option est valide, et ni l’Agence, ni les parties elles-mêmes ne peuvent écarter les termes d’un contrat librement négocié. En ce sens, le Bulletin d’interprétation IT-233R est mal fondé en droit :

« Somme toute, j’en viens à la conclusion que le bulletin IT-233R, dans la mesure où il cherche à anticiper l’avenir et édicte la règle voulant qu’un bien loué dans le cadre d’un contrat de location avec option soit vendu dès la signature du contrat si le coût d’exercice de l’option est “très inférieur” à la valeur “probable” du bien loué ou si au moment de la signature du contrat “personne hésiterait [sic] à exercer l’option”, est dénudé de fondement juridique.

Sur le plan juridique rien n’empêche les parties à un contrat de validement stipuler que la propriété du bien loué demeure entre les mains du locateur même si le coût d’exercice de l’option en rapport avec la valeur “probable” de l’objet loué peut sembler “très inférieur” au moment de la signature du contrat. »[219]

Nous sommes d’avis que le juge Noël a correctement exposé l’état du droit, et nous sommes en accord avec ses conclusions juridiques, notamment quant à l’interprétation de la notion d’acquisition conformément au droit civil. Nous reviendrons ultérieurement sur cette question.

Quant au juge Létourneau, celui-ci semble adopter une approche diamétralement opposée à celle du juge Noël. Ce qui semble primer pour lui, c’est l’uniformité de traitement des contribuables du Québec et des provinces de common law. Il se fonde principalement sur le paragraphe 248(3) L.I.R., tel qu’il se lisait à l’époque[220] :

« Je suis toutefois d’accord avec lui [le juge Noël] que le paragraphe 248(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) représente un effort du législateur d’assimiler le “beneficial ownership” d’un bien à diverses formes de propriété propres au droit civil québécois dans le but évident de faire bénéficier les contribuables québécois des mêmes avantages que cette notion permet d’octroyer aux contribuables des provinces de common law. La tâche n’était pas facile à l’époque car les concepts de propriété étaient différents dans les deux systèmes de droit, et les démembrements du droit de propriété, plus limités en droit civil québécois qu’en common law, ne correspondaient pas nécessairement à ceux de common law au niveau conceptuel. Malgré tout, l’effort d’harmonisation par le législateur, dans une perspective de traitement équitable et uniforme de tous les contribuables canadiens, m’apparaît indiscutable. D’où la nécessité d’une interprétation judiciaire qui permette la mise en oeuvre de cette intention législative.

En outre, le paragraphe 248(3) de la Loi procure, à mon avis, un fondement législatif au Bulletin d’interprétation IT-233R quant à son application au Québec. Ce paragraphe confirme et justifie la conclusion à laquelle j’en suis venu en vertu de la Loi quant au concept d’acquisition d’un bien aux fins d’allocation du coût en capital. »[221] (Notre gras.)

Ainsi, le juge Létourneau considère que les arrêts Wardean Drilling et Olympia & York ont établi le droit applicable au Québec en matière de disposition et d’acquisition aux fins de la Loi : il y a acquisition ou disposition lorsque les attributs ordinaires du droit de propriété, tels la possession, l’usage et le risque, sont transférés. Selon lui, l’intention du législateur en édictant l’article 54 et le paragraphe 248(3) était d’assujettir les contribuables québécois aux mêmes critères que ceux des autres provinces à cet égard. Il ajoute ce qui suit pour soutenir cette interprétation :

« Sur le plan pratique, cette interprétation a le mérite de reconnaître, pour une législation fiscale d’application pancanadienne, une réalité commerciale transfrontalière et d’éviter de s’enferrer dans un logalisme indû [sic], sectoriel et par surcroît stérile et inéquitable à une époque où le droit civil tend à se rapprocher de la common law. Il est tout de même significatif que le législateur, qui modifie annuellement la Loi pour, entre autres motifs, changer une disposition législative lorsque l’interprétation qui lui a été donnce [sic] ne permet pas de rencontrer les objectifs poursuivis, n’ait pas cru bon de répudier cette interprétation vieille de 30 ans. En outre, cette interprétation est conforme à l’intention législative exprimée au paragraphe 248(3) de la Loi, laquelle vise, comme je l’ai déjà mentionné, à assimiler le “beneficial ownership” d’un bien à diverses formes de propriété propres au droit civil du Québec. »[222] (Notre gras.)

Avec égards, nous sommes d’avis que l’interprétation du juge Létourneau bat en brèche le principe de complémentarité du droit privé des provinces de même que celui de la subordination du droit fiscal aux relations juridiques entre les parties. En effet, comme nous l’avons vu, si le législateur souhaite reconnaître une seule notion de droit applicable à l’ensemble du pays, il peut et il devrait le faire en l’édictant expressément dans la loi.[223]

En outre, l’intention législative exprimée au paragraphe 248(3) L.I.R. (maintenant l’alinéa 248(3)f) L.I.R.) est peut-être d’assimiler au beneficial ownership certaines formes de démembrement du droit de propriété reconnues par le droit civil, par exemple l’usufruit, mais ce paragraphe ne reconnaît nullement que la détention des attributs ordinaires du droit de propriété tels l’usage, la possession et le risque équivaut au beneficial ownership en droit civil. Cette disposition assimile la « propriété effective » à diverses institutions de droit civil : suivant le principe d’interprétation ejusdem generis, on ne pourrait étendre cette assimilation à un concept qui n’est pas lui-même une institution de droit civil. Ainsi, on ne saurait prétendre que le paragraphe 248(3) exprime l’intention du législateur de considérer comme applicable au Québec le critère de Wardean Drilling. Michael Templeton est du même avis :

« The majority of the Court of Appeal appears to interpret the provision as making the broad statement that whenever the Civil Code recognizes a property interest that is similar to a property interest that is recognized at common law as beneficial ownership, for the purposes of the Act, the Civil Code property interest shall be treated as beneficial ownership. However, the language used in subsection 248(3) does not appear that broad. The provision states that certain Civil Code property interests (those specifically listed in the subsection) are to be treated as beneficial ownership for the purposes of the Act; however, it is only those property interests that are specifically listed that are to be given this treatment. »[224](Notre gras.)

Il faut également souligner qu’en l’espèce, c’est le contribuable qui invoquait l’application uniforme de la Loi dans tout le pays, alors que le ministère du Revenu plaidait le droit civil; la situation est généralement à l’inverse. De plus, le ministre avait adopté dans cette affaire la position contraire à celle qu’il avait lui-même énoncée dans le Bulletin d’interprétation IT-233R, auquel le contribuable s’était fié. Le juge Létourneau semble avoir été influencé par cette apparente iniquité à l’égard du contribuable :

« On ne peut que s’étonner que, dans le présent appel, l’intimée invoque le particularisme du droit civil québécois pour refuser à l’appelante une déduction par ailleurs accordée aux contribuables et hommes d’affaires soumis au régime de la common law.

[…]

À mon avis, nous serions bien mal venus 17 ans plus tard, comme l’intimée nous invite à le faire dans le cas présent, d’ignorer ou de répudier la teneur dudit Bulletin puisqu’il réflétait [sic] bien et correctement l’état du droit législatif et jurisprudentiel applicable à l’époque en matière fiscale aux biens acquis par un contribuable par l’entremise d’une opération de crédit-bail. »[225]

Le juge Desjardins, quant à lui, se fonde sur une analyse du texte de l’article 54 et du paragraphe 248(3). Il souligne que la Commission Carter, dans ses recommandations concernant l’imposition du gain en capital, recommandait que les mots « disposition de biens » aient un sens large de façon à couvrir de multiples situations. Le Parlement adopta par la suite la définition de disposition à l’article 54, et « comme il devait n’y avoir qu’une seule notion de l’expression “disposition de biens” applicable à travers le Canada, le paragraphe 248(3) de la Loi fut adopté spécialement pour son application en droit civil »[226]. Le juge conclut que :

« Le Parlement canadien a ainsi taillé, pour des fins fiscales et pour l’ensemble du Canada, un concept commun couvrant les notions de “disposition de biens” (“disposition”) et de “propriété effective” (“beneficial ownership”), autant en droit civil qu’en common law; […] »[227]

Il est bien possible que l’intention du législateur ait été de se dissocier du droit privé des provinces pour établir une définition spécifique s’appliquant aux fins de la Loi de façon uniforme. Le problème, comme nous l’avons déjà fait remarquer, c’est qu’à l’intérieur même de cette définition de « disposition », le législateur réfère à des notions de common law (beneficial ownership et legal ownership) sans les définir.

En outre, le paragraphe 248(3) ne définit pas exhaustivement la notion de « propriété effective » aux fins d’application au Québec, il ne fait que donner des exemples de concepts de droit civil qui sont réputés être équivalents à la notion de beneficial ownership. C’est donc dire que pour compléter cette définition, on doit s’en remettre au droit privé des provinces. Comment alors soutenir que le législateur a défini un concept commun de « propriété effective » pour l’ensemble du Canada? Par ailleurs, on ne retrouve nulle part au paragraphe 248(3) le critère des attributs ordinaires du droit de propriété tels que la possession, l’usage et le risque. L’importation de ce critère en droit civil ne découle pas de la définition neutre de la Loi mais bel et bien de la jurisprudence de common law. Cette confusion ressort bien de ce passage de l’opinion du juge Desjardins :

« Cependant, en 1982, lorsque les contrats de crédit-bail furent signés, le paragraphe 248(33 [sic] de la Loi était déjà en place et déclarait, pour des fins fiscales, que certains contrats étaient facteurs de transmission de la “propriété effective”. À titre de comparaison et afin de clarifier ma pensée, j’ajoute que, par exemple, même si l’usufruitier n’est pas le propriétaire d’un bien en droit civil, il peut, dans les faits, en avoir la “propriété effective” au sens du paragraphe 248(3) de la Loi puisque ce paragraphe crée ses propres notions de “propriété effective”.

En l’espèce, malgré la clause 20 des contrats qui régissait le droit des parties en droit civil, le droit fiscal, par le jeu du paragraphe 248(3) de la Loi, reconnaissait que l’appelante avait acquis la propriété effective des camions à bennes puisqu’elle rencontrait les trois facteurs: possession, usage et risques, reconnus par la jurisprudence. »[228] (Notre gras.)

Ainsi, le juge Desjardins est lui-même forcé d’admettre que ces critères n’ont pas été édictés par le paragraphe 248(3) L.I.R., qui prétendument « crée ses propres notions de “propriété effective” », mais par la « jurisprudence », c’est-à-dire la jurisprudence fiscale ayant interprété la notion d’acquisition dans un contexte de common law.

Pour les motifs que nous avons exposés, nous ne pouvons être d’accord avec la conclusion des juges majoritaires dans cette affaire. Nous sommes d’avis que leur raisonnement, essentiellement fondé sur des motifs d’équité et d’application uniforme de la Loi, ne devrait pas être suivi. Selon nous, encore une fois, le juge Noël a correctement exposé l’état du droit.

Pour conclure, nous avons vu que la jurisprudence de common law ayant interprété la notion de « disposition » ainsi que le concept réciproque d’« acquisition » a établi que la disposition a lieu lorsque survient le transfert du titre de propriété, ou lors du transfert des attributs ordinaires du droit de propriété tels que l’usage, la possession et le risque, si le titre de propriété est conservé par le vendeur à titre de garantie.

En droit civil, nous pouvons conclure que la jurisprudence est partagée quant à l’application de ces critères. Un certain courant jurisprudentiel tend à adopter les critères de la common law, au nom d’une application uniforme de la notion de disposition dans l’ensemble du Canada. Un autre penche au contraire en faveur de la complémentarité du droit civil et d’une interprétation du concept de disposition compatible avec les institutions du droit civil, dans le cadre de son application au Québec. Nous avons exprimé notre opinion à l’effet que cette seconde tendance jurisprudentielle nous semble la mieux fondée en droit.

3.2.3 La rétroactivité des obligations conditionnelles du droit civil

Voyons maintenant comment la jurisprudence a traité les conditions suspensives et résolutoires du droit civil, et comment elle a appliqué la rétroactivité afin de déterminer le moment de la « disposition ».

Un certain courant jurisprudentiel milite en faveur de la reconnaissance de la rétroactivité des obligations conditionnelles. Rappelons d’abord que selon la jurisprudence, un contrat qui n’existe plus ne peut avoir de conséquences fiscales, puisque le support nécessaire au droit fiscal n’existe plus[229]. Mais la question suivante se pose : la disparition du contrat n’entraîne-t-elle l’extinction des conséquences fiscales que pour l’avenir?

Dans l’arrêt Dominion Engineering, la Cour suprême écrivait, sous la plume du juge Rand :

« If, in the legal result, the actual transaction ceases to be one of sale, then the necessary support for the tax disappears. That result, at least where the termination of the contract does not effect a total rescission, will not affect the right to taxes on any portion of the price paid to the seller nor does it touch those that have been collected or reduced to judgment by the Crown. »[230](Notre gras.)

Le juge Rand écrit ainsi, en obiter dictum, que l’extinction du contrat n’affectera pas les impôts prélevés dans le passé, à tout le moins lorsqu’il ne s’agit pas d’une rescision complète du contrat. A-t-il voulu laisser entendre que dans le cas contraire, c’est-à-dire dans le cas d’une « rescision complète » ou d’une résolution du contrat, le fondement essentiel de l’imposition étant disparu rétroactivement, l’impôt payé antérieurement devrait être remboursé? Il écrit également, un peu plus loin :

« […] where the obligation of such an executory contract is by operation of law destroyed, then unpaid taxes related to its terms, themselves suffer a corresponding effect. If that were not so, sellers with unsold property on their hands would be liable for taxes in respect of purchase price not only unpaid but the legal right to which had been annulled […]. »[231]

Cette situation que le juge Rand semble considérer absurde n’est-elle pas exactement celle du vendeur sous condition résolutoire ou suspensive qui a repris son bien suite à la résolution de la vente?

Dans l’arrêt Price (Nfld.) Pulp & Paper Ltd. c. La Reine[232], dans un contexte similaire à celui de l’arrêt Dominion Engineering, la Cour d’appel fédérale écrivait, en obiter :

« […] it may also be that even tax paid on accrued instalments may become refundable if a total rescission of the agreement of sale occurs […]. »[233]

Dans l’affaire Perini Estate c. La Reine[234], où il était question d’une contigent liability[235] en common law, la Cour d’appel fédérale a conclu que la réalisation de la condition avait un effet rétroactif, de la même façon que les obligations conditionnelles en droit civil.

Dans cette affaire, le contribuable avait vendu la totalité des actions d’une société. Le contrat de vente prévoyait que le prix de vente était constitué d’un certain montant payable immédiatement, en plus de montants supplémentaires calculés à partir d’un pourcentage des profits futurs (earn-out). Le contrat prévoyait en outre que des intérêts seraient payables sur ces montants supplémentaires, l’intérêt étant calculé à compter de la date de la vente.

Le ministre cotisa ces intérêts à titre de revenus d’intérêts. Le contribuable soutenait qu’il ne s’agissait pas d’intérêts au sens de la Loi, puisque le principal sur lequel ces intérêts étaient calculés, c’est-à-dire les montants supplémentaires prévus au contrat, n’existait pas jusqu’à ce qu’il soit calculé à partir des états financiers; il manquait donc un élément essentiel pour que les intérêts soient des « intérêts » au sens de la Loi, à savoir un montant principal sur lequel les intérêts s’accumulent[236]. Le ministère prétendait quant à lui qu’une fois que les montants supplémentaires étaient déterminés, cette détermination avait un effet rétroactif, faisant ainsi en sorte que le principal était réputé avoir toujours existé et que les intérêts avaient pu s’accroître sur ce principal depuis la conclusion du contrat.

Le juge Le Dain, au nom de la Cour, après avoir établi que l’obligation de payer les montants supplémentaires est une contingent liability en common law, cite le juge de la Cour fédérale, division de première instance :

« The learned Trial Judge concluded that the fulfilment of the condition had a retroactive effect. This conclusion is contained in the following passage from his reasons:

“Once it was ascertained that the profits had been made and could be calculated and the vendor was still alive his obligation for the payments in each of the years 1969, 1970 and 1971 became due, and the condition having been fulfilled it had a retroactive effect to the date of the contract. Interest ran from that day on the payments due in accordance with the terms of the contract.”

He based this conclusion on the assumption that the common law as to the effect of the occurrence of a contingency did not differ in principle from the rule in article 1085 of the Quebec Civil Code that “The fulfilment of the condition has a retroactive effect from the day on which the obligation has been contracted.”»[237] (Notre gras.)

La Cour d’appel fédérale se dit d’accord avec cette affirmation du juge de première instance selon laquelle la contingent liability a un effet rétroactif, tout comme la condition suspensive en droit civil. Se fondant sur un arrêt du Comité judiciaire du Conseil privé[238] qui fait une analogie entre la contingent liability en droit anglais et l’obligation conditionnelle en droit écossais, la Cour d’appel conclut que la contingent liability en common law canadienne est similaire à l’obligation conditionnelle en droit civil québécois, et qu’elle a donc le même effet rétroactif.

La Cour d’appel fédérale a ainsi établi que non seulement les obligations conditionnelles du droit civil ont un effet rétroactif, mais qu’il en va de même pour les contingent liabilities en common law. La Cour poursuit toutefois en disant qu’à tout événement, la rétroactivité n’est pas clairement exclue en common law et les parties sont donc libres de la stipuler, ce qu’elles ont fait en l’espèce en prévoyant au contrat que des « intérêts » seraient payables sur le « principal » calculé en fonction des profits futurs.

Quoi qu’il en soit, même si la Cour d’appel fédérale n’est pas allée jusqu’à affirmer que les contingent liabilities ont nécessairement un effet rétroactif, il ne semble y avoir aucun doute quant à la rétroactivité des obligations conditionnelles en droit civil. De plus, cette rétroactivité s’applique au droit fiscal, du moins en ce qui concerne les intérêts.

Par ailleurs, dans l’affaire Construction Bérou, le juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale avait également émis l’opinion, en obiter, que l’effet rétroactif de la condition suspensive s’applique à la notion d’acquisition dans la L.I.R. :

« Selon la jurisprudence, le contribuable peut avoir “acquis” un bien lorsque la transaction est considérée comme une vente conditionnelle de nature suspensive.

[…]

Puisque la transaction est qualifiée de vente à condition suspensive, cela a pour effet, lors de la réalisation de la condition, de transférer le droit de propriété au jour de la conclusion du contrat. »[239]

Par opposition au courant jurisprudentiel que nous venons de voir, qui semble en faveur de la reconnaissance de l’application de la rétroactivité des conditions en droit fiscal, un autre courant soutient la position contraire, à savoir que l’effet rétroactif de la condition résolutoire ne s’applique pas en matière fiscale. Toutefois, soulignons d’emblée que ces décisions ont été rendues dans des contextes particuliers, dans des cas de mauvaise foi évidente ou encore de déductibilité des cotisations patronales.

Le jugement rendu par la Cour fédérale, division de première instance dans l’affaire Alepin c. La Reine[240]a été cité au soutien de l’affirmation selon laquelle la rétroactivité n’est pas opposable aux tiers, et notamment au ministère du Revenu (maintenant l’ADRC)[241]. Dans cette affaire, les trois frères Alepin avaient vendu leur terrain à Jar Investments Ltd. Le solde de prix de vente était garanti par une clause résolutoire en cas de défaut de l’acheteur, ce qui, comme nous l’avons vu, a les mêmes effets rétroactifs qu’une condition résolutoire[242].

Suite à un important paiement de Jar Investments Ltd. sur le solde de prix de vente, un litige survint entre les frères Alepin et le ministère du Revenu quant à la qualification de ce paiement. Les contribuables soutenaient qu’il s’agissait de capital et donc que le paiement, reçu en 1970, était entièrement non imposable, alors que le ministère prétendait qu’une partie du paiement était imputable aux intérêts courus, et donc imposable à titre de revenu d’intérêts.

En 1975, plusieurs années après la réception du paiement et la cotisation du ministère du Revenu, les frères Alepin exercèrent leurs droits en vertu de la clause résolutoire et reprirent le terrain par dation en paiement. La clause résolutoire prévoyait notamment qu’advenant la résolution de la vente, tous les paiements reçus jusque-là seraient réputés être des dommages liquidés pour bris de contrat. En conséquence, les contribuables prétendirent que le paiement reçu en 1970 était de nature capitale.

Le juge Marceau rejeta cet argument dans les termes suivants :

« Quant au moyen subsidiaire tiré de la rétroactivité de la dation en paiement survenue en 1975, je n’en vois pas la portée. Le contrat sous condition résolutoire acquiert force juridique complète dès l’instant où il est conclu et, avant que ne survienne l’événement prévu, il produit tous ses effets. Lorsque fut reçu le paiement en 1970, une partie de ce paiement couvrait des intérêts dus en vertu du contrat et était immédiatement taxable, et cette situation juridique ne saurait être ultérieurement modifiée ou anéantie par l’effet d’une résolution ultérieure du contrat lui-même. L’avènement de la condition résolutoire à laquelle est soumis un contrat peut bien anéantir les obligations résultant du contrat mais elle ne peut affecter les tiers qui ont acquis des droits entre-temps sur la base du contrat que dans la mesure où ces droits ont eux-mêmes pris naissance conditionnellement. Au reste, la résolution en l’espèce ne devait pas survenir indépendamment des parties; elle requérait un acte volontaire et libre de l’une d’elles et en fait elle fut opérée par un contrat de dation en paiement librement souscrit: peut-on raisonnablement penser qu’une résolution opérée ex post facto en 1975 puisse modifier la destination de paiements faits en 1970 et en anéantir les conséquences face au fisc. (Comp Malkin v MNR, [1942] Ex. C.R. 113, [1942] C.T.C. 135, 2 D.T.C. 587). »[243] (Notre gras.)

Le juge semble catégorique : l’effet rétroactif de la résolution ne peut avoir aucune conséquence fiscale. Néanmoins, quelque nuances méritent d’être apportées à cette affirmation. Premièrement, il est clair que le juge Marceau a tenu compte de la mauvaise foi patente des contribuables dans cette affaire, puisqu’il semblait évident que la résolution du contrat n’avait d’autre but que d’éviter les conséquences fiscales de la transaction, suite à la cotisation et au litige qui s’ensuivit. En outre, dans l’affaire Malkin, sur laquelle s’appuie le juge, les parties avaient signé un deuxième contrat, subséquent au premier, qui modifiait la qualification des montants reçus : il ne s’agissait pas d’une condition résolutoire présente dans le contrat dès l’origine, et de plus, la rétroactivité ne s’appuyait pas sur le Code civil puisqu’il s’agissait d’une cause originaire d’une province de common law.

Deuxièmement, il ne faut pas oublier ici qu’il s’agissait d’une clause résolutoire, et non d’une condition résolutoire. Comme nous l’avons vu, la condition est un événement extrinsèque qui ne dépend pas de la volonté des parties : l’argument du juge selon lequel la résolution requérait en l’espèce un acte volontaire et libre de l’une des parties ne tiendrait pas dans le cas d’une véritable condition résolutoire.

Cette affaire fut citée par la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Larose[244]. Dans celle-ci, le contribuable avait vendu des terrains, mais la vente fut subséquemment annulée par la Cour supérieure, à la requête du contribuable. Celui-ci soutenait que la résolution de la vente par jugement avait pour effet d’annuler rétroactivement les incidences fiscales de la vente.

Le juge réfuta cet argument en se fondant principalement sur la décision du juge Marceau dans l’affaire Alepin :

« Par ailleurs, le jugement en résolution de la vente prononcé par le juge Mercure en avril 1990 ne peut certainement pas affecter les droits que l’intimé a acquis suite à la vente des immeubles en 1979. En effet, des sommes relativement importantes étaient dues à l’intimé suite à cette transaction. De plus, la preuve a démontré que l’objectif principal de cette action était de permettre à l’appelant d’être libéré de ses dettes envers le ministre du Revenu national. Cette Cour est d’avis qu’une telle situation est directement visée par la jurisprudence formée des arrêts Malkin [2 D.T.C. 587], Alepin [79 D.T.C. 5259] et Adam [85 D.T.C. 667]. Dans ces affaires, les tribunaux ont affirmé que toute tentative visant à changer de façon rétroactive la nature de certains paiements afin de bénéficier d’un traitement fiscal plus avantageux était sans effet à l’égard du ministre du Revenu national. A plus forte raison, un tel principe doit recevoir application lorsqu’un contribuable tente d’annuler une transaction de façon rétroactive afin d’éliminer les conséquences fiscales qui en résultent. »[245] (Notre gras.)

Nous pouvons remarquer que dans cette affaire également, le tribunal a voulu sanctionner la mauvaise foi du contribuable et a refusé de cautionner la « planification fiscale rétroactive » que ce dernier tentait de réaliser[246]. De plus, il ne s’agissait pas ici non plus du caractère rétroactif de la condition résolutoire du droit civil.

Certaines décisions ont également refusé de reconnaître l’effet rétroactif de la condition suspensive en matière fiscale. Par exemple, dans l’affaire Fédération des Caisses populaires Desjardins de Montréal et de l’Ouest-du-Québec c. La Reine[247], la Cour canadienne de l’impôt devait se prononcer sur la déductibilité des cotisations patronales relatives aux vacances gagnées mais non encore prises des employés. L’employeur déduisait dans le calcul de ses bénéfices les vacances accumulées par les employés dans l’année mais non encore prises, cette déduction étant permise et acceptée par le ministère du Revenu. Mais l’employeur déduisait également les cotisations patronales aux divers régimes sociaux (régime de pension, assurance-chômage, régime des rentes du Québec, assurances collectives, etc.) relatives à ces vacances gagnées mais non encore prises.

Le ministre refusa ces déductions à l’égard des cotisations patronales, en vertu de l’alinéa 18(1)e) L.I.R., car selon lui il s’agissait de provisions non prévues par la loi. Il s’agissait donc de savoir si ces déductions étaient des réserves pour éventualités, en d’autres termes, si l’obligation de payer les cotisations patronales était existante à ce moment, même si elle n’était exigible qu’au moment où l’employé prendrait effectivement ses vacances.

La Cour canadienne de l’impôt conclut que l’obligation de verser les cotisations ne prenait naissance, en vertu des différentes lois qui prévoyaient ces cotisations, que lors du versement des indemnités de vacances aux employés. En ce sens, il s’agissait d’une obligation sous condition suspensive et non d’une obligation à terme. En conséquence, le juge conclut que lesdites cotisations n’étaient pas déductibles avant que la condition ne fût accomplie, puisque l’obligation n’existait pas avant ce moment. Malheureusement, le juge ne s’est nullement interrogé sur la question de l’effet rétroactif de la condition en droit civil.

Quoi qu’il en soit, cette décision a été renversée en appel[248], les juges majoritaires étant d’avis qu’il s’agissait d’une obligation à terme et non d’une obligation sous condition suspensive. Le juge dissident n’a pas traité de la condition suspensive.

En somme, nous avons vu qu’il existe deux tendances jurisprudentielles opposées relativement à la reconnaissance de l’effet rétroactif des obligations conditionnelles en matière fiscale. L’une préconise l’application de cet effet rétroactif, l’autre soutient qu’on ne doit pas en tenir compte. Aucune décision, toutefois, n’a tranché directement la question de savoir si la réalisation de la condition a un effet rétroactif quant au moment de la disposition d’un bien au sens de la Loi.

Selon nous, il est très difficile de prévoir ce qu’un tribunal déciderait à cet égard. Néanmoins, nous croyons que la jurisprudence actuelle ne permet pas d’affirmer que la rétroactivité serait nécessairement écartée. Au contraire, nous aurions plutôt tendance à croire que la Cour d’appel fédérale, tel qu’elle l’indiquait dans l’arrêt Perini Estate, serait portée à reconnaître cette rétroactivité.

Quant à la doctrine, certains auteurs favorisent l’application de la rétroactivité en matière fiscale[249], tandis que d’autres critiquent cette position.[250]

L’article du professeur Diane Bruneau est l’un des seuls à avoir analysé précisément la question de l’application de la rétroactivité des obligations conditionnelles en droit fiscal. Après avoir établi que la disposition a lieu dès que le vendeur a droit au prix de vente, tel qu’affirmé dans Victory Hotels[251], l’auteure poursuit en disant que le droit au produit de disposition survient au moment du transfert de propriété. Comme elle l’écrit, il y a donc retour à la case départ, et il faut dès lors déterminer si ce transfert de la propriété peut survenir rétroactivement, dans le cas de la condition suspensive, ou être révoqué dans le cas d’une condition résolutoire.

Abordant la question centrale de la rétroactivité de la condition, elle s’exprime ainsi :

« Même en droit civil, la rétroactivité du droit de propriété ne peut faire disparaître l’état provisoire qui existait avant la réalisation de la condition. Ainsi, les revenus gagnés avec un bien n’ont pas à être remboursés à celui qui l’acquiert rétroactivement. De même, si le bien est complètement détruit, l’acquéreur sous condition suspensive n’en assume pas le risque. Ces effets peuvent toutefois être modifiés lors de la conclusion de l’accord. Pour les autres situations non prévues spécifiquement par la loi, Faribault s’est exprimé ainsi:

“Comme la rétroactivité de la condition accomplie est une fiction légale, elle doit être interprétée restrictivement. Dans le doute, il doit être décidé qu’elle n’existe pas, car son caractère de fiction ne peut empêcher un fait d’avoir existé dans le passé.

Lorsque l’obligation a pour objet un corps certain, cette fiction ne peut faire disparaître le fait que le débiteur conditionnel en ait eu la possession pendante conditione. Si le fait de cette possession échappe à la rétroactivité de la condition, tout ce qui en dérive naturellement et rationnellement doit également y échapper, comme, par exemple, les actes d’administration accomplis par le débiteur, et les fruits qu’il a pu percevoir pendant cette possession.”

Pour sa part, voici ce qu’en dit Mignault:

“[...] la rétroactivité attachée à la condition accomplie n’a, en effet, trait qu’aux choses de droit. Elle a été imaginée, d’une part, dans l’intérêt de l’acquéreur, qui sans elle aurait été obligé de subir les aliénations, servitudes ou hypothèques, consenties, pendente conditione , par l’aliénateur, et, d’autre part, dans l’intérêt de ses héritiers. Elle ne s’applique point aux choses de fait; or, l’acquisition des fruits par la perception est un fait accompli que la réalisation de la condition ne saurait effacer [...].”

Selon ces auteurs, la rétroactivité de la vente protège le titre de l’acquéreur mais ne peut modifier la réalité. Or, à ce jour, la jurisprudence en matière fiscale est d’avis qu’une disposition peut résulter d’une situation de fait. Il serait alors possible de prétendre que, même si en droit il peut y avoir vente rétroactive, dans les faits, la disposition n’a lieu qu’au moment où la condition se réalise. » [252] (Notre gras.)

À l’appui de l’énoncé à l’effet que « la jurisprudence en matière fiscale est d’avis qu’une disposition peut résulter d’une situation de fait », l’auteure cite la décision rendue dans l’affaire Olympia & York, dans laquelle, mentionne-t-elle, « le simple transfert des attributs de la propriété a été jugé suffisant pour qu’il y ait disposition, même si le titre de propriété n’avait pas été transféré et qu’il n’y avait pas encore eu vente »[253].

Le fondement de l’argument de Me Bruneau, tel que nous le comprenons, est le suivant : d’une part, en droit fiscal, la disposition peut résulter d’une situation de fait, à savoir le transfert de la possession, de l’usage et du risque, et d’autre part, en droit civil, puisque la rétroactivité ne s’applique qu’aux choses de droit et non aux choses de fait, elle n’aurait pas d’effet sur une disposition qui se serait produite dans les faits.

Le professeur Bruneau signale également dans son article de nombreux obstacles pratiques à l’application de la rétroactivité de la condition en droit fiscal : l’ambivalence de ses effets, l’absence de dispositions permettant la modification des déclarations antérieures, la prescription, l’équité et la portée des modifications législatives. Elle conclut que compte tenu de ces difficultés et du caractère factuel de la disposition, la rétroactivité des obligations conditionnelles ne devrait pas s’appliquer en droit fiscal.

En tout respect, nous sommes en désaccord avec les prémisses de ce raisonnement. D’une part, nous avons déjà exprimé l’opinion que le « principe » suivant lequel, en droit civil, la rétroactivité ne s’appliquerait qu’aux choses de droit ne semble pas aussi bien établi[254]. À tout le moins, nous croyons que ce principe ne devrait s’appliquer qu’aux faits « réels et incontestables » ou « ineffaçables », c’est-à-dire les cas spécifiquement prévus au Code civil, soit les fruits et les actes d’administration. Quant au fardeau des risques, nous avons vu qu’en vertu du nouveau Code, ils ne sont plus liés à la propriété mais plutôt à la possession, et en conséquence le fait que la rétroactivité ne s’y applique pas ne découlerait pas du principe allégué.

D’autre part, l’affirmation de Me Bruneau selon laquelle la disposition résulte d’une situation de faits est fondée sur la décision Olympia & York[255]. Or, comme nous l’avons dit plus haut[256], nous croyons que c’est à tort que cette décision a introduit en droit civil le test des « attributs ordinaires du droit de propriété » établi dans l’affaire Wardean Drilling. Selon nous, la notion de « disposition », lorsqu’elle est appliquée au Québec, devrait être interprétée à la lumière du droit civil.

En outre, nous ne pouvons assimiler la notion de disposition à une question de fait « incontestable ». En effet, selon nous, la disposition est liée au transfert de la propriété; or, on ne saurait prétendre que le transfert du droit de propriété lui-même est un « fait » qui échappe à l’application de la rétroactivité de la condition.

Notre désaccord avec la position du professeur Bruneau semble découler du fait que nous ne nous fondons pas sur les mêmes prémisses de départ. Comme nous l’avons déjà expliqué, nous partons du principe de complémentarité du droit privé, et nous prenons la position selon laquelle le législateur fédéral doit définir un terme de façon expresse afin d’écarter le droit privé. Me Bruneau semble partir implicitement du principe de dissociation : il y aurait une notion de disposition spécifique applicable en droit fiscal et définie par la jurisprudence.

3.2.4 Les autres cas de rétroactivité en droit civil

Nous avons vu, dans le premier chapitre, certains concepts de droit civil pouvant avoir des effets rétroactifs. Nous verrons maintenant, compte tenu du droit actuel, quelles sont les conséquences fiscales de ces événements.

3.2.4.1 La résolution du contrat suite à l’inexécution des obligations

Comme nous l’avons vu ci-dessus, la résolution du contrat a les mêmes effets que la condition résolutoire. Par contre, la particularité de la résolution à la demande du créancier est qu’elle découle du défaut du débiteur, généralement le défaut de payer. Or, les articles 79 et 79.1 de la Loi prévoient des dispositions particulières lorsqu’il y a restitution d’un bien suite au défaut de payer du débiteur.

Essentiellement, ces articles prévoient qu’il y a alors deux dispositions successives du bien, et déterminent le produit de disposition du bien pour le débiteur et son coût pour le créancier.

La question est de savoir dans quelles circonstances ces articles trouvent application. Le paragraphe 79(3) prévoit les règles qui s’appliquent au débiteur lorsqu’un « créancier acquiert, par délaissement, un bien donné d’une personne ». Le paragraphe 79(2) édicte quant à lui qu’une personne (le créancier) acquiert un bien d’une autre personne (le débiteur) par délaissement lorsqu’elle acquiert la « propriété effective » de ce bien par suite du défaut de l’autre personne de payer une dette qu’elle avait envers elle. De même, les paragraphes 79.1(2) et (6) prévoient les règles applicables au créancier qui saisit un bien, c’est-à-dire qui acquiert la « propriété effective » du bien suite au défaut du débiteur de payer une dette.

Deux remarques s’imposent. D’abord, ces articles ne trouveront pratiquement jamais application dans le cadre de véritables obligations conditionnelles, puisque comme nous l’avons vu, la Cour suprême a affirmé que l’obligation de payer le prix de vente n’est pas une condition au sens du droit civil[257]. Ces dispositions ne trouveraient application que dans les cas de résolution du contrat pour inexécution ou de vente à tempérament. Ensuite, la question de savoir si la « propriété effective » est acquise par le créancier suite au défaut du débiteur, dans le cadre de la résolution pour inexécution, dépend de la réponse à la question générale de l’application en droit fiscal de la rétroactivité prévue au Code civil. En effet, si l’on applique l’effet rétroactif de la résolution, tout se passe comme s’il n’y avait jamais eu transfert de propriété, et donc le créancier ne peut acquérir « à nouveau » la propriété dont il ne s’est jamais départi.[258]

En outre, se pose ici le problème soulevé dans le cadre de la définition de « disposition » : on fait référence à la « propriété effective », c’est-à-dire le beneficial ownership, un concept qui n’a de sens que dans un contexte de common law. Le créancier québécois peut-il s’être départi du beneficial ownership, et donc récupérer celui-ci suite au défaut de payer du débiteur, même s’il est réputé n’avoir jamais disposé de son droit de propriété, en vertu du Code civil? Me Pierre Archambault pose la question en ces termes :

« Finalement, pour que l’article 79 de la Loi s’applique, il doit y avoir “acquisition” ou “nouvelle acquisition” du “beneficial ownership” ou de la propriété de biens. En vertu du Code civil du Québec, il n’y a pas comme tel d’acquisition ou de nouvelle acquisition de biens mais plutôt chacune des parties se rend ce qu’elle a reçu et remet les choses au même état que si le contrat n’avait jamais existé (article 1088 du Code civil). On peut donc s’interroger si l’article 79 de la Loi s’applique dans ces circonstances. »[259]

3.2.4.2 La vente à tempérament

Comme nous l’avons vu, la vente à tempérament constitue une vente à terme et non une vente conditionnelle. En vertu du droit civil, le droit de propriété n’est transféré que lors de l’arrivée du terme, à savoir, lorsque le prix de vente est entièrement payé, et ce sans effet rétroactif.

La question du moment de la disposition en droit fiscal se soulève tout de même, car si l’on applique le test de Wardean Drilling, on devrait conclure que la disposition a lieu lors de la conclusion du contrat malgré la réserve du droit de propriété en vue de garantir le paiement du prix de vente, puisque dès ce moment, la possession, l’usage et le risque de perte de la chose sont transférés à l’acheteur.

Par ailleurs, la question de l’applicabilité des articles 79 et 79.1 se soulève également ici, car en cas de défaut de paiement de l’acheteur, le vendeur reprend le bien dont il n’a jamais cessé d’être propriétaire; si l’on considère toutefois qu’il s’était départi du beneficial ownership, ces articles s’appliqueront à sa situation.

3.2.4.3 La nullité à titre de sanction des conditions de formation du contrat

Puisque la nullité soulève les mêmes effets en droit civil que la condition résolutoire, elle a donc les mêmes conséquences fiscales. Les remarques que nous avons faites ci-dessus à l’égard des obligations conditionnelles[260] s’appliquent donc de la même façon à la nullité du contrat.

3.2.4.4 La vente avec faculté de rachat

La vente avec faculté de rachat étant essentiellement une vente sous condition résolutoire, elle devrait avoir les mêmes effets que celle-ci en droit fiscal. Le fait de la désigner comme vente avec faculté de rachat ne devrait pas inciter les tribunaux à conclure qu’il y a double disposition et que l’effet rétroactif ne s’applique pas; contrairement à ce que ce terme semble indiquer, le « rachat » n’est pas un second achat et ne fait pas référence à une seconde vente, mais simplement à une annulation rétroactive de la première, exactement comme l’accomplissement d’une condition résolutoire. Il est malheureux que le législateur québécois ait entraîné une telle confusion en choisissant le terme « rachat » pour remplacer celui de « réméré ».

Quoi qu’il en soit, la vente à réméré est fréquemment visée par l’alinéa 248(1) « disposition » j) L.I.R. qui prévoit que le terme disposition ne vise pas :

« tout transfert de bien effectué dans le seul but de garantir le remboursement d’une dette ou d’un emprunt, ou tout transfert effectué par un créancier dans le seul but de restituer des biens qui avaient servi à garantir le remboursement d’une dette ou d’un emprunt »

En effet, la vente à réméré a le plus souvent pour objet de garantir le remboursement d’une dette du vendeur envers l’acheteur.[261]

3.2.4.5 La vente à l’essai

De la même façon, la vente à l’essai est tout simplement un type de vente sous condition suspensive, avec transmission immédiate de la possession et de l’usage de la chose. Elle devrait donc avoir les mêmes effets en droit fiscal que la vente sous condition suspensive, selon que l’on admet ou non l’effet rétroactif des obligations conditionnelles.

3.2.4.6 La promesse de vente

Comme nous l’avons vu, la promesse de vente accompagnée de la délivrance et de la prise de possession du bien équivaut à une vente, en vertu du Code civil, à défaut de stipulation contraire des parties. Ainsi, dans les cas où il y a promesse de vente avec prise de possession, on pourrait considérer, à juste titre et sans porter atteinte au droit civil, que la disposition a eu lieu dès ce moment.

C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Dubois c. La Reine[262], où il s’agissait de déterminer si les intérêts courus durant la période où l’acheteur avait possession du bien et en assumait toutes les charges, mais avant que le contrat de vente notarié soit signé, étaient déductibles. En l’espèce, c’est le ministre du Revenu qui soutenait qu’il n’y avait pas eu disposition avant que le contrat de vente ne soit complété.

Le juge conclut qu’il y avait promesse de vente accompagnée de la possession de la chose et que les parties avaient eu l’intention de transférer la propriété immédiatement, sans attendre la signature du contrat notarié. Il y avait donc effectivement une vente en droit civil, dès le moment de la prise de possession, c’est-à-dire le moment déterminé par les parties pour le transfert de propriété. Les intérêts courus depuis cette date étaient donc déductibles car ils couraient sur un bien « acquis » à cette date.

Le juge fait donc coïncider la date de l’« acquisition » au sens de la Loi avec la date du transfert de propriété au sens du droit civil. Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une question de rétroactivité ni de condition suspensive[263], il s’agit tout de même d’une affirmation selon laquelle le moment de l’acquisition doit être déterminé par rapport au moment du transfert du droit de propriété en droit civil.

On arrive ainsi au même résultat qu’en common law, lorsque les attributs ordinaires du droit de propriété sont transférés à l’acheteur avant la passation de l’acte de vente définitif. C’est ce qui s’était produit par exemple dans l’affaire Kozan c. MRN[264], où les parties s’étaient entendues pour effectuer la vente le 1er novembre 1979; la possession, l’usage, les risques et toutes les charges du bien avaient été transférés à l’acheteur à cette date, mais la signature de l’acte de vente fut reportée en raison de formalités qui n’avaient pas encore été accomplies. L’acte de vente ne fut finalement signé qu’en 1980, mais le juge considéra tout de même que la disposition avait eu lieu en 1979, les parties s’étant comportées comme si la transaction était complète dès le transfert des attributs ordinaires du droit de propriété.

Ces deux décisions sont ainsi parvenues au même résultat sur le plan fiscal, tout en demeurant conformes au droit privé de leur province d’origine.

À l’inverse, dans les affaires Robert Bédard Auto Ltée c. MRN[265] et Olympia & York[266], la Cour a décidé que malgré la promesse de vente ainsi que la délivrance et le transfert de possession de la chose vendue, il n’y avait pas eu vente au sens du Code civil car les parties avaient exprimé l’intention de retarder le transfert du droit de propriété jusqu’à la signature de l’acte de vente. On a néanmoins décidé, dans ces deux cas, qu’il y avait eu « disposition » au sens de la L.I.R., en vertu des critères élaborés par la jurisprudence de common law, à savoir le courant jurisprudentiel ayant appliqué le test de Wardean Drilling.[267]

3.2.4.7 La rétroactivité prévue par contrat

Nous avons vu que les parties peuvent stipuler une date d’entrée en vigueur du contrat antérieure à la date de signature, dans la mesure où, à cette date antérieure, les parties étaient parvenues à un accord définitif sur les éléments essentiels du contrat. La question est de savoir si cette date antérieure sera considérée comme la date de la transaction aux fins fiscales. La question étant la même en droit civil et en common law, nous ferons ici état des autorités recensées sur la question dans les deux systèmes, puisque la réponse nous semble devoir être la même.

Comme nous venons de le voir, l’intention des parties de transférer la propriété à une date antérieure à la signature de l’acte de vente est valide aux fins fiscales : dans les affaires Dubois et Kozan, la Cour a en effet décidé que la disposition au sens de la L.I.R. avait eu lieu dès la promesse de vente avec prise de possession, malgré la signature de l’acte de vente à une date postérieure.[268]

Dans Reilly Estate c. La Reine[269], la division de première instance de la Cour fédérale a reconnu que la disposition aux fins fiscales avait eu lieu au moment de la conclusion d’un « binding agreement » entre les parties.

Dans cette affaire, le contribuable avait convenu de vendre certains lots de terre, par une lettre d’entente signée en 1972. Le contrat final ne fut signé qu’en 1973. Le juge Muldoon se fonde sur le critère du « binding agreement » pour déterminer le moment de la disposition : après avoir examiné la lettre d’entente, il conclut qu’en vertu des règles de common law, il s’agissait d’un contrat liant les parties, car il contenait l’accord des parties sur tous les éléments essentiels du contrat. Le contrat final reprenait tous les termes de la lettre d’entente, à quelques détails près. Le juge conclut que la vente a eu lieu lors de la signature de la lettre d’entente, et donc que la disposition a eu lieu à ce moment car c’est l’événement qui donne au vendeur le droit au produit de disposition, tel que décidé dans Victory Hotels.[270]

La Cour fédérale, division de première instance a reconnu la rétroactivité conférée au contrat par les parties dans Miller c. La Reine[271]. La contribuable, une enseignante, était partie à une convention collective qui venait à échéance en décembre 1979. Suite à un arbitrage, la nouvelle convention entra en vigueur en 1981, prévoyant une augmentation rétroactive au 1er janvier 1980 ainsi que des intérêts payables sur cette augmentation.

Le ministre du Revenu soutenait qu’il ne s’agissait pas d’intérêts car il n’y avait aucun principal durant la période où l’intérêt s’accroissait. Par contre, la contribuable s’appuyait sur l’arrêt Perini Estate pour soutenir qu’il s’agissait d’intérêts, même si le montant du principal ne pouvait être déterminé à l’avance.

Le juge Reed donna raison à la contribuable, étant d’avis que la cause était similaire à l’affaire Perini Estate et qu’il fallait donner effet au caractère rétroactif donné par les parties à leur entente :

« Equally, I cannot find in the Perini and Huston cases a requirement that in order to constitute an interest payment the formula for such payment must be decided upon prior to the commencement of the time period to which the interest relates. It is open to the parties to govern their relationship by retroactive agreements: Trollope & Colls et al. v. Atomic Power Constructions, Ltd., [1962] 3 All E.R. 1035. And it is open to them, when they do so, to provide for interest to be payable on the outstanding sum left due over the relevant period of time. In my view the taxpayer’s situation in this case is similar to that of the taxpayer in Perini.

[…]

In my view the $62.51 was genuinely a payment of interest. The parties agreed that their relationship would be governed on the basis of the retroactive agreement. This involved the retention of monies owing to the Plaintiff for which compensation was ultimately paid. The compensation paid was described by the parties and the arbitration board as interest. It was calculated on an accrual basis by reference to a normal rate of interest then current or with respect to the employer’s cost of borrowing. I can see no reason why this does not fall within the meaning of the word “interest” as it is used in section 110.1 of the Income Tax Act. »[272](Notre gras.)

Quant à la doctrine, la plupart des auteurs[273] sont d’avis que la date d’entrée en vigueur antérieure à la signature du contrat est valide et applicable en matière fiscale, pourvu qu’à cette date antérieure, les parties eussent conclu un contrat verbal, un « legally binding agreement »; pour qu’il y ait un tel accord, il faut qu’il y ait une offre acceptée, et que tous les termes essentiels du contrat soient fixés de façon définitive.

3.2.4.8 La rétroactivité prévue par le Code civil

Nous avons vu que le Code civil prévoit la rétroactivité dans de nombreux cas, notamment en matière de dissolution du régime matrimonial et en matière successorale. Le droit fiscal reconnaît-il cette rétroactivité ?

Dans l’arrêt MRN c. Faure[274], la Cour suprême du Canada a répondu positivement à cette question. Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si les bien de l’époux décédé étaient « passés » au conjoint survivant au moment du décès, au sens de la Loi sur les droits de succession (Estate Tax Act)[275]. Les époux étaient mariés en communauté de biens en vertu du Code civil belge, dont les règles étaient identiques à celles du Code civil du Bas-Canada, de l’aveu des parties. Leur contrat de mariage stipulait une clause « au dernier vivant les biens ».

La Cour suprême décida que les biens n’étaient pas « passés » à l’épouse au moment du décès de l’époux, puisqu’en vertu du droit civil, elle était réputée avoir acquis la propriété des biens de la communauté rétroactivement au jour du mariage. La Cour s’exprimait ainsi, sous la plume du juge De Grandpré :

« Whatever the nature of the community may be, on its dissolution by the death of the husband, giving rise to application of the above-mentioned stipulation in the marriage covenants, the widow became owner of all the property, retroactively to the date of the marriage. In Sura v. Minister of National Revenue, [1962] S.C.R. 65, speaking of the share of the community property going to the spouse in a case in which the exclusive right of the survivor was not at issue, Taschereau J., as he then was, stated (at p. 71):

“[Translation] . . . If the wife was not co-owner of the community property, she would have to pay succession duties on dissolution of the community, because there would then be a passing of property from her husband. However, this is not the case here, because there was no passing, but partition, in which she took the share coming to her, which had belonged to her since the marriage. What she received did not come from the estate of her husband.”

In support of his views, Taschereau J. cited as authorities several authors, including Mignault, who stated, in volume six of his Droit Civil, p, 337, that in the event of renunciation the interest is retroactively terminated, the other spouse being [Translation] “deemed to have always been the sole owner of the property which made up the community”. »[276](Notre gras.)

La Cour suprême a ainsi reconnu expressément l’application, en droit fiscal, de la rétroactivité prévue par une loi provinciale, en l’espèce le Code civil. Elle a conclu que le moment de la transmission de la propriété de biens, aux fins fiscales, est déterminé par le Code civil; puisque ce dernier prévoit la rétroactivité du droit de propriété de l’époux survivant, le droit fiscal suit cette détermination.

L’analogie avec la rétroactivité des obligations conditionnelles apparaît de façon évidente : si la Cour suprême reconnaît que la rétroactivité prévue au Code civil est applicable en droit fiscal pour déterminer le moment où la propriété de biens est « passée », aux fins de la Loi sur les droits de succession, comment ne reconnaîtrait-elle pas la rétroactivité de la condition pour déterminer le moment de la disposition aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu?

Le même raisonnement a été appliqué dans la décision Furfaro-Siconolfi c. La Reine[277]. Il s’agissait dans cette affaire de déterminer à quel moment une somme de 30 000$, faisant l’objet d’une donation en vertu du contrat de mariage, avait été « transférée » à l’épouse, au sens de l’article 160 L.I.R. Bien que le contrat de mariage fût antérieur à la dette fiscale, la somme n’avait été effectivement payée à l’épouse que trois ans plus tard. La contribuable soutenait que le « transfert » de la somme avait eu lieu au moment du contrat de mariage, et que l’article 160 ne pouvait donc s’appliquer.

Le juge Pinard souligne d’abord qu’il n’existe aucune définition dans la L.I.R. du terme « transfert ». Référant aux différentes définitions ordinaires et légales de ce mot, il conclut que la Loi vise le simple transfert de propriété, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire soit mis en possession du bien. Par la suite, pour déterminer le moment du transfert de la propriété de la somme en question, le juge se réfère au droit civil du Québec :

« Or, c’est par l’effet des articles 777, 782, 787, 788, 795, 817, 819, 821, 822 et 1085 du Code civil du Bas-Canada qu’en l’espèce la donation de $30,000 stipulée au contrat de mariage a eu pour effet de transférer la propriété de cet argent à la demanderesse dès la signature de ce contrat, le 2 septembre 1977, contrat effectivement suivi du mariage des parties. »[278]

Par contre, dans l’affaire Riverin c. La Reine[279], la Cour canadienne de l’impôt a refusé de reconnaître l’effet rétroactif de la dation en paiement aux fins de la détermination du moment du « transfert » au sens de l’article 160 L.I.R. Dans cette affaire, le contribuable avait consenti un prêt à un tiers, garanti par une hypothèque immobilière. Le débiteur devint insolvable, et suite à la signification d’un avis de 60 jours, il consentit à une dation en paiement volontaire de l’immeuble. Le ministère du Revenu réclama au contribuable les dettes fiscales du tiers, invoquant le « transfert » de l’immeuble, au sens de l’article 160 L.I.R.

L’argument du contribuable était à l’effet que la dation en paiement ne constituait pas un « transfert » au sens de l’article 160, car il s’agissait d’une prise en paiement forcée étant donné la signification de l’avis requis par l’article 1040a C.c.B.-C. Cet argument fut rejeté[280]. Le juge Archambault s’est toutefois penché sur une seconde question, à savoir à quel moment avait eu lieu le transfert. En effet, en vertu du Code civil du Bas-Canada, la dation en paiement avait un effet rétroactif au jour de la signature du contrat de prêt[281]. Reconnaissant que le C.c.B.-C. créait une « fiction juridique » selon laquelle le transfert avait eu lieu en février 1989, le juge s’est toutefois appuyé sur l’article du professeur Diane Bruneau[282] pour conclure que la rétroactivité ne s’applique qu’aux questions de droit, et non aux questions de fait. Selon lui, puisque dans les faits l’immeuble n’avait été transféré qu’en 1990, c’est à ce moment que le transfert avait eu lieu au sens de l’article 160 L.I.R. : 

« I agree with Professor Bruneau’s analysis. In 1990, the immoveable passed from Mr. Demers’ patrimony to Mr. Riverin’s. This is a fact. In law, the effects of this transfer are deemed to be retroactive to the date of the agreement that created the giving in payment. For the purposes of subsection 160(1) of the Act, the transfer of the immoveable took place in May 1990. »[283]

Comme nous avons déjà exprimé notre désaccord avec Me Bruneau sur cette question[284], nous sommes également en désaccord avec la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans cette affaire.

3.2.5 Les conditions precedent et les conditions subsequent

Nous analyserons maintenant la jurisprudence portant sur la question du moment de la « disposition », en présence d’une condition precedent ou d’une condition subsequent.

D’abord, la jurisprudence a clairement établi que lorsqu’il existe une true condition precedent , au sens de l’arrêt Turney c. Zhilka[285], le beneficial ownership n’a pu être transféré à l’acheteur avant que la condition ne soit accomplie et en conséquence, il n’a pu y avoir « disposition » au sens de la Loi avant ce moment[286]. La doctrine est généralement du même avis.[287]

Il est important de souligner qu’en common law, le test de Wardean Drilling n’est pas appliqué lorsqu’on est en présence de véritables conditions precedent : on ne saurait prétendre que si l’usage, la possession et le risque sont transférés, la disposition a eu lieu, malgré l’existence d’une condition precedent non accomplie. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, le second volet du test vise le cas des conditional sales agreements, dans le cadre desquels le titre demeure entre les mains du vendeur à titre de sûreté pour garantir le paiement du prix. Ce concept se rapproche davantage de la vente à tempérament en droit civil que des obligations conditionnelles. Nous sommes d’avis que lorsqu’il existe une véritable condition precedent de common law ou une condition suspensive de droit civil, le second volet du test de Wardean Drilling ne saurait s’appliquer.

La question de l’effet des conditions precedent s’est souvent posée eu égard au moment de la réalisation du revenu. En effet, le paragraphe 12(1)b) L.I.R. prévoit que les sommes suivantes sont à inclure dans le revenu d’entreprise pour l’année :

« les sommes à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l’année, dans le cours des activités d’une entreprise, même si les sommes, en tout ou en partie, ne sont dues qu’au cours d’une année postérieure […] »

« any amount receivable by the taxpayer in respect of property sold or services rendered in the course of a business in the year, notwithstanding that the amount or any part thereof is not due until a subsequent year […] » (Notre gras.)

L’ancien alinéa 85B(1)b) était essentiellement au même effet. La Cour de l’Échiquier, dans la décision MRN c. John Colford Contracting Co.[288], a établi que pour qu’un montant soit « receivable », le créancier doit avoir un droit clair, bien que pas nécessairement immédiat, de le recevoir :

« In the absence of a statutory definition to the contrary, I think it is not enough that the so-called recipient have a precarious right to receive the amount in question, but he must have a clearly legal, though not necessarily immediate, right to receive it. »[289](Notre gras.)

Le juge poursuit en affirmant que pour déterminer si les sommes en question sont recevables, c’est-à-dire si le contribuable y a un droit clair, il faut examiner le droit de la province où a été signé et exécuté le contrat. Or, en common law, lorsque le contrat contient une condition precedent , le contribuable ne peut avoir droit au montant que lors de l’avènement de la condition. En conséquence, ce n’est qu’au moment de la réalisation de la condition precedent que le contribuable doit inclure le montant dans son revenu[290]. La doctrine est au même effet.[291]

L’analogie entre le moment de l’inclusion du revenu et celui de la disposition, si elle n’est pas parfaite, est soutenue par le texte de loi : dans le cadre d’une vente, il y a disposition lorsque se produit un « événement donnant droit au contribuable au produit de disposition », le produit de disposition étant le prix de vente; il y a inclusion au revenu, en vertu de 12(1)b) L.I.R., lorsque le contribuable a un droit clair, quoique pas nécessairement immédiat, de recevoir la somme en question. Me Brian J. Arnold écrivait à ce sujet :

« In summary, revenue from the sale of property is generally considered to be realized for income tax purposes when the vendor becomes legally entitled to receive and retain payment for the property. […]

Therefore, the time of recognition of business or property income under section 9 for an accrual basis taxpayer is virtually the same as the time of disposition of property for purposes of recapture of capital cost allowance and capital gains under sections 13 and 54 respectively. »[292]

Quant à la vente soumise à une condition subsequent, la jurisprudence et la doctrine[293] sont unanimes : dès que le contrat est conclu, il y a disposition et l’existence de la condition subsequent n’a aucun impact sur cette disposition. Lors de la réalisation de la condition, une seconde disposition se produit. Comme la condition subsequent en common law n’a pas d’effet rétroactif, la question de la rétroactivité ne se pose pas.

3.2.6 Les autres cas de rétroactivité en common law

3.2.6.1 La rétroactivité prévue par contrat

Comme le traitement fiscal de la rétroactivité conventionnelle, c’est-à-dire le choix par les parties d’une date d’entrée en vigueur du contrat antérieure à sa signature, est le même en common law et en droit civil, nous avons couvert ce sujet antérieurement. Nous référons le lecteur à la section correspondante du présent texte, relative aux autres concepts de droit civil.[294]

3.2.6.2 La rétroactivité prévue par la loi provinciale

Nous avons vu que dans certains cas, les lois statutaires provinciales accordent aux tribunaux le pouvoir de rendre des ordonnances ayant un effet rétroactif[295]. Nous examinerons maintenant l’impact fiscal de telles ordonnances. L’arrêt Hillis c. La Reine[296] est très représentatif de l’incertitude et des conflits jurisprudentiels entre les différentes tendances existantes à cet égard.

Monsieur Hillis était décédé sans testament, le 21 février 1977, laissant une épouse et deux fils. En vertu du Intestate Succession Act[297] de la Saskatchewan, son épouse avait droit à 10 000$, plus le tiers de l’excédent de la succession, et ses deux fils avaient droit au reste.

Pour des raisons obscures, ce n’est qu’en 1979 que des gestes concrets furent entrepris en vue du règlement de la succession. Le 29 novembre 1979, la veuve du de cujus déposa une requête à la Court of Queen’s Bench de la Saskatchewan, en vertu du Dependant’s Relief Act[298]. Cette loi permet aux personnes à charge du défunt de demander à la Cour de leur allouer une partie de la succession suffisante pour subvenir à leurs besoins, selon ce que la Cour considère juste et équitable. Le 14 décembre 1979, la Court of Queen’s Bench rendit une ordonnance selon laquelle tous les biens du défunt devaient être dévolus à Madame Hillis.

L’article 14 du Dependant’s Relief Act, crucial dans cette affaire, édicte ce qui suit :

« 14. (1) Where an order is made under this Act, then for all purposes, including the purposes of enactments relating to succession duties, the will shall have effect, and shall be deemed to have had effect from the testator’s death, as if it had been executed, with such variations as are specified in the order, for the purpose of giving effect to the provision for maintenance made by the order. »[299]

Ainsi, le paragraphe 14(1) prévoit que l’ordonnance de la Cour en vertu du Dependant’s Relief Act s’applique rétroactivement à la date du décès.

En l’espèce, il s’agissait de déterminer si madame Hillis avait droit au bénéfice du paragraphe 70(6) L.I.R., tel qu’il se lisait à l’époque, qui prévoyait un roulement au conjoint survivant dans les circonstances suivantes :

«  […] if the property can, within 15 months after the death of the taxpayer or such longer period as is reasonable in the circumstances, be established to have become vested indefeasibly in the spouse or trust, as the case may be, not later than 15 months after the death of the taxpayer, the following rules apply: […] » (Notre gras.)

Pour avoir droit au roulement, il fallait donc d’une part que les biens de la succession aient été dévolus irrévocablement à madame Hillis dans les 15 mois suivant le décès de son époux, et d’autre part que cette dévolution puisse être établie dans les 15 mois ou dans un délai raisonnable selon les circonstances. Seule nous intéresse la première condition.

En Cour d’appel fédérale, les juges Clément, Heald et Pratte ont écrit des opinions distinctes, parvenant à des conclusions totalement différentes. Nous ne nous intéresserons qu’à la partie de leur opinion qui porte sur la portion de la succession attribuée à madame Hillis par l’ordonnance du 14 décembre 1979[300] : il s’agit de savoir si cette ordonnance a un effet rétroactif à la date du décès, aux fins du paragraphe 70(6) L.I.R.

Le juge Clément, après avoir examiné les articles 4(2) et 14(1) du Dependant’s Relief Act, conclut ainsi :

« S. 4(2) of this statute deems the existence of a will with provisions such as those made by the Intestate Succession Act. But this fiction does not have force until an application for relief is made by or on behalf of a dependant, and then only for the purposes of the statute which cannot include federal income tax. And by s. 14(1) it is not until an order is made that the fictional will, modified as to the court may seem proper in the circumstances having regard to the purposes and directives of the statute, is to have effect. Then, the deemed will is deemed to have effect from the date of death of the intestate. These provisions are stated to be for all purposes, but obviously that can mean only for all provincial purposes. They cannot be taken to intrude fictions for provincial purposes into the interpretation and operation of the Act. The latter takes its operation in the realities of the circumstances subject only to such directives as it may itself prescribe. »[301](Notre gras.)

Le juge Clément affirme ainsi catégoriquement que la Loi de l’impôt sur le revenu ne tient compte que de la réalité des circonstances, sujette uniquement aux dispositions qu’elle prescrit elle-même, et n’est pas assujettie aux fictions juridiques créées par la loi provinciale. Le principe de complémentarité du droit privé est clairement écarté.

Le juge Pratte, quant à lui, est d’avis que, même en admettant que l’ordonnance avait un effet rétroactif au jour du décès, il n’en demeure pas moins que ce n’est que lors de l’émission de l’ordonnance que les biens ont été dévolus, puisque avant que cette ordonnance soit prononcée, la dévolution n’existait pas. En d’autres termes, ce n’est qu’à partir du moment où l’ordonnance a été prononcée que madame Hillis a acquis le droit à la succession. Le juge Pratte exprime son raisonnement ainsi :

« […] when did the estate become indefeasibly vested in Mrs. Hillis? In my view, […] when the order was pronounced since the effects of […] the Court order, in spite of [its] retroactivity, did not exist as long as […] the Court order was not pronounced. It is only when […] the Court order was pronounced that Mrs. Hillis became entitled to the whole of her husband’s estate with retroactive effect to the date of his death. If, therefore, […] the Court order had, as contended by the appellants, the effect of vesting the estate in Mrs. Hillis, that effect did not take place within 15 months after the death of Mr. Hillis. »[302]

Quant au juge Heald, celui-ci établit d’emblée son intention d’appliquer le principe de complémentarité du droit privé :

« I agree with appellant’s counsel that the wording of subsection 70(6) of the Income Tax Act contemplates the disposition of property other than by will, as well as by will, since it deals with the transfer or distribution of property after the death of a taxpayer and “. . . as a consequence thereof. . .”. This wording, in my view, makes it clear, that Parliament contemplated that the law of the provinces in respect of the disposition of property on or after death, being matters relating to property and civil rights, would apply so as to control the application of subsection 70(6) in accordance with the law of the particular province concerned. »[303](Notre gras.)

Il se doit donc d’appliquer les dispositions de la loi provinciale, en l’occurrence, le Dependant’s Relief Act. Interprétant les paragraphes 4(2) et 14(1) de cette loi, le juge Heald conclut que l’effet rétroactif de l’ordonnance fait en sorte que les biens de la succession soient dévolus irrévocablement, dès le décès. Le juge Heald se fonde notamment sur l’objet du paragraphe 70(6) L.I.R. pour conclure que l’intention du législateur fédéral n’était pas d’écarter l’application de la loi provinciale à cet égard.

Bien que les trois juges soient divisés sur l’issue du pourvoi, deux juges sur trois ont conclu que la rétroactivité prévue par la loi provinciale ne s’appliquait pas à la L.I.R., quoique pour des motifs très différents. Le juge Clément semble se rallier au courant jurisprudentiel favorable à l’application uniforme de la Loi dans l’ensemble du pays, sans tenir compte des particularités du droit privé des provinces. Le juge Heald, à l’autre extrémité du spectre, considère que le droit privé provincial, n’ayant pas été écarté par le législateur fédéral, doit s’appliquer. Quant au juge Pratte, il adopte la position que l’on pourrait appeler « factuelle » : pour lui, la rétroactivité ne peut modifier les faits qui se sont produits antérieurement à l’événement déclencheur de la rétroactivité, notamment la « dévolution » des biens.[304]

3.2.7 Conclusion

Ceci complète notre analyse de la jurisprudence et de la doctrine relatives à la notion de disposition et à la rétroactivité prévue par le Code civil et la common law. Nous avons tenté de dégager de grandes tendances, bien que la jurisprudence ne soit pas toujours cohérente.

Nous avons vu que la notion de disposition est interprétée de façon large par la jurisprudence : la définition de la Loi n’est pas exhaustive, elle élargit la notion de disposition à des concepts qui autrement n’en feraient pas partie mais ne limite pas le sens ordinaire du mot disposition. Toutefois, lorsqu’il est question de vente, la définition de la Loi restreindrait la disposition aux événements qui confèrent au vendeur le droit de recevoir le produit de disposition, c’est-à-dire le prix de vente.

Ainsi, puisque la définition de disposition dans la Loi n’est pas censée être exhaustive, il faut recourir au droit privé des provinces pour la compléter et l’interpréter.

À cet égard, nous avons exprimé notre désaccord avec la décision Olympia & York, de même qu’avec l’opinion des juges majoritaires dans l’arrêt Construction Bérou. En effet, en tout respect, nous sommes d’avis que c’est à tort qu’ils ont adopté le test de Wardean Drilling pour l’application de la notion de « disposition » ou d’« acquisition » au Québec. D’une part, Wardean Drilling est une décision de common law, alors que le droit privé qui doit compléter la L.I.R. au Québec est le droit civil; d’autre part, cette décision est fondée sur la règle de common law de la division de la propriété entre le legal owner et le beneficial owner, alors que le droit civil ne reconnaît pas cette division du droit de propriété.

En outre, le test élaboré dans Wardean Drilling ne doit pas être interprété comme établissant que la disposition ou l’acquisition a lieu dès le moment du transfert du beneficial ownership; ce n’est que lorsque le vendeur conserve le titre de propriété à titre de garantie du prix de vente, comme par exemple dans les cas de conditional sale agreement ou de vente à tempérament, que l’on devrait considérer qu’il y a disposition au moment où les attributs ordinaires du droit de propriété sont transférés à l’acheteur. Aussi, nous sommes d’avis que même si l’on adoptait ce test au Québec, il ne devrait pas s’appliquer dans les cas de véritables conditions suspensives car dans ce cas, le titre de propriété n’est pas conservé à titre de sûreté mais simplement en attendant que survienne ou non l’événement qui constitue la condition. De même, dans les cas de conditions résolutoires, le vendeur ne conserve pas le titre de propriété comme garantie : au contraire, le titre est transféré à l’acheteur, et ce n’est que lors de l’avènement de la condition qu’il sera remis au vendeur avec effet rétroactif, comme s’il n’avait jamais été transféré.

Il ne faut pas non plus confondre le test de Wardean Drilling, qui s’appuyait sur une conception large de la notion de disposition englobant autre chose que ce qui est prévu explicitement dans la définition de la Loi, avec la restriction de cette définition prévue à l’alinéa 248(1) « disposition » e) L.I.R. Celui-ci prévoit que le transfert du legal ownership seul, sans le beneficial ownership, ne constitue pas une disposition au sens de la Loi; il ne prévoit nullement l’inverse, à savoir que le transfert du beneficial ownership seul constituerait une disposition. Cette dernière affirmation ne s’appuie pas sur le texte de loi, mais provient uniquement de la jurisprudence de common law.

Revenons maintenant à la notion de disposition dans la Loi. Au risque de nous répéter, la définition de la Loi n’est pas exhaustive et il faut donc recourir au droit privé pour la compléter. Ce droit privé complémentaire, au Québec, est le droit civil. Or, comme l’a suggéré la Cour suprême dans l’arrêt Compagnie Immobilière BCN[305] et comme l’affirmait le juge Noël dans Construction Bérou[306], nous sommes d’avis qu’en droit civil, la notion de « disposition » fait référence à la disposition de la propriété d’un bien, telle que régie par le Code civil. Ainsi, dans le cadre des obligations conditionnelles, il s’agira de déterminer, en vertu du Code civil, à quel moment le vendeur a disposé de son droit de propriété sur la chose.

Quant à la rétroactivité prévue par le droit privé des provinces, qu’il s’agisse du Code civil, de la common law ou du droit statutaire des provinces, nous avons vu qu’il existe trois approches différentes eu égard à l’application de cette rétroactivité aux fins de la L.I.R. La première consiste à rejeter l’application de la rétroactivité au motif que la Loi doit s’appliquer uniformément dans l’ensemble du pays. Cette approche, plutôt marginale, est représentée par l’opinion du juge Clément dans l’arrêt Hillis.

La deuxième approche rejette également l’application de la rétroactivité, mais pour un motif différent : la rétroactivité prévue par la loi provinciale ne saurait faire en sorte de modifier le passé, ou affecter les droits des tiers acquis entre-temps, notamment ceux de l’Agence. L’opinion du juge Pratte dans Hillis est à cet effet : les biens ayant été « dévolus » par l’ordonnance, on ne peut dire que les biens ont été « dévolus » avant que l’ordonnance ne soit rendue, et ce malgré l’effet rétroactif de l’ordonnance qui fait en sorte que les biens sont réputés avoir été dévolus dès le début. Les jugements suivants font également partie de ce courant; nous ne répéterons pas les réserves que nous avons émises à leur égard : Alepin[307], Larose[308], Riverin.[309]

Le troisième courant jurisprudentiel reconnaît l’application de la rétroactivité aux fins de la L.I.R. Si la loi provinciale prévoit un effet rétroactif à un événement particulier ou à un concept de droit privé, le droit fiscal doit tenir compte de cet effet rétroactif lorsqu’il attache des conséquences à ce concept de droit privé. La Cour suprême a reconnu la rétroactivité imposée par le droit provincial dans l’arrêt Faure[310], et la Cour d’appel fédérale l’a fait dans Perini Estate[311]. La décision de la Cour fédérale, division de première instance dans l’affaire Furfaro-Siconolfi[312] est au même effet, ainsi que l’opinion du juge Heald dans Hillis.

Selon nous, cette position est correcte en droit. Nous sommes en désaccord avec l’argument avancé par les tenants de la deuxième approche que nous mentionnons ci-dessus, suivant lequel la rétroactivité est une fiction juridique et la L.I.R. ne s’occupe que de la réalité des faits. Selon nous, ce n’est pas parce que la loi provinciale prévoit des conséquences juridiques rétroactives que ces conséquences ne sont pas « réelles », de la même façon que d’autres concepts juridiques tels que la propriété. Nous sommes d’accord avec Me Joel Nitikman, lorsqu’il affirme :

« In short, it is agreed that the Act focuses on “reality”, but it is submitted that that “reality” is found in provincial/common law. A provincial statute or a rule of common law which imposes retroactive legal consequences on persons is no more, but no less, real, than a statute or a rule which imposes those consequences prospectively. The Act should recognize both equally. »[313]

Quant à l’argument selon lequel la rétroactivité n’est pas opposable à l’Agence, le même auteur y répond ainsi :

« If a retroactive agreement is binding as between the contracting parties in a provincial court then it is binding for tax purposes, because the tax system is an accessory to the provincial law system. The fact that the Minister was not a party to the amending agreement is completely irrelevant; he was not a party to the original agreement but there is no doubt he is bound by it as far as the tax consequences arising from it are concerned. »[314](Notre gras.)

3.3 La position administrative de l'Agence des douanes et du revenu du Canada

3.3.1 La notion de disposition et les obligations conditionnelles

Voyons maintenant quelle position a adoptée l’Agence, eu égard à la notion de disposition en général et plus particulièrement aux obligations conditionnelles. Nous ferons état des différentes prises de position énoncées par l’Agence, en ordre chronologique, afin de constater l’évolution de cette position.

Le premier énoncé de politique administrative relativement à la notion de disposition et aux obligations conditionnelles a été publié dans le Bulletin d’interprétation IT-170R[315].

Tout d’abord, au paragraphe 2, le Bulletin reprend le principe énoncé dans Victory Hotels, à savoir que « la date de la disposition d’un bien en immobilisations vendu est la date où le vendeur a “droit…au prix de vente du bien”. […] il faut attribuer à la date de la disposition un sens quelque peu restreint lorsque la disposition de biens en immobilisations implique une vente. »

En ce qui concerne l’alinéa e) de la définition de « disposition » à 248(1) L.I.R., qui prévoit qu’un transfert qui n’a pas pour effet de modifier la propriété effective n’est pas une disposition, le paragraphe 4 du Bulletin se lit ainsi :

« Le sous-alinéa 54c)(v) [248(1)“disposition”e)] stipule clairement […] que la Loi ne s’intéresse qu’aux dispositions qui constituent un changement dans le benefical ownership (la propriété de fait) (sauf indications contraires expresses). Le Ministère a aussi la même opinion à l’égard des dispositions de biens amortissables décrites à l’alinéa 13(21)c) et de la vente de biens commerciaux en vertu de l’alinéa 12(1)b). Une transaction qui peut être décrite comme étant une «vente» n’est donc pas considérée aux fins de ce bulletin s’il n’y a aucun changement au même moment dans le beneficial ownership. Ces transactions engagent habituellement un «acheteur» qui peut être décrit comme agent, représentant, fiduciaire ou corporation prête-nom d’un « vendeur » qui fondamentalement garde le droit de traiter le bien comme s’il était encore à lui […]. » (Notre gras.)

Ainsi, le ministre du Revenu affirmait que le concept de disposition est assimilé au transfert du beneficial ownership.

Dans un autre bulletin d’interprétation, le ministre s’est prononcé quant à la notion d’acquisition de biens aux fins de la déduction pour amortissement. Le Bulletin d’interprétation IT-50R, remplacé par le IT-285R2, prévoit notamment ceci :

« 17. D’une façon générale, un contribuable sera réputé avoir acquis un bien amortissable à la première des dates suivantes :

  • a) la date à laquelle il obtient le titre de propriété du bien;
  • b) la date à laquelle il détient tous les privilèges attachés à la propriété du bien, comme la possession, l’usage et le risque, même si le titre légal demeure entre les mains du vendeur comme garantie du prix d’achat (comme c’est la pratique, dans le commerce, en vertu d’un contrat de vente conditionnelle).

Pour que le coût d’un bien soit compris dans une catégorie déterminée, l’acheteur doit avoir un droit actuel sur le bien lui-même et non seulement des droits, en vertu d’un contrat visant ce bien, portant sur l’acquisition future de celui-ci.

18. Lorsqu’on détermine si des biens amortissables ont été ou non acquis par un contribuable, l’obligation légale qui lie le vendeur et l’acheteur, à l’égard de ces biens, doit être étudiée. Par exemple, lorsque des biens meubles ont été acquis, les lois pertinentes relatives à la vente de biens sont applicables. Chaque province (sauf le Québec) a une Loi portant sur la vente de biens meubles qui établit sensiblement les mêmes règles à l’égard du droit de propriété visant les biens achetés et vendus. La règle de base veut que la propriété de biens déterminés change de mains et que ceux-ci soient par conséquent acquis par l’acheteur au moment où les parties au contrat le souhaitent, ainsi qu’il ressort des termes du contrat, de la conduite des parties ou de toute autre circonstance.

19. Toutefois, lorsque l’intention des parties n’est pas ainsi démontrée, on doit appliquer les règles suivantes pour déterminer le moment du transfert des biens :

  • a) lorsqu’il existe un contrat sans condition à l’égard de la vente de biens déterminés en état d’être livrés, les biens sont transférés à l’acheteur à la signature du contrat, et il n’importe aucunement que la date du paiement ou la date de livraison, ou les deux, soient reportées à plus tard;
  • b) lorsqu’il existe un contrat à l’égard de la vente de biens déterminés et que
    • (i) le vendeur doit faire subir un certain traitement aux biens afin que ceux-ci soient mis en état d’être livrés;
    • (ii) s’ils le sont déjà, le vendeur doit les peser, les mesurer, les éprouver ou faire autre chose afin d’en établir le prix. la propriété des biens n’est pas transférée tant que l’acheteur n’en a pas été averti et que le vendeur n’a pas satisfait à ces conditions. »[316] (Notre gras.)

Le paragraphe 17 reprend presque textuellement le test de Wardean Drilling. Quant au paragraphe 18, il souligne que pour déterminer si un bien a été acquis, il faut examiner l’obligation légale qui lie les parties en vertu du droit privé provincial applicable. Le Bulletin fait remarquer que dans les provinces autres que le Québec, des lois particulières régissent la vente de biens meubles, et s’en remet à ces lois pour déterminer le moment de l’acquisition. La fin du paragraphe 18 et le paragraphe 19 ne font qu’expliquer les règles que l’on trouve dans les lois des autres provinces. Quant au Québec, le Bulletin laisse supposer qu’il faut s’en remettre aux règles du Code civil.

Voyons maintenant la position du l’Agence quant au traitement des conditions suspensives et résolutoires. Le Bulletin d’interprétation IT-170R se prononce ainsi :

« 5. […] le Ministère est d’avis que, aux fins de l’impôt, il doit être tenu compte du prix de vente d’un bien vendu lorsque le vendeur a le droit absolu, mais pas nécessairement immédiat, d’être payé. Tant qu’il n’est pas satisfait à une “condition suspensive”, un vendeur n’a pas le droit absolu à être payé. Cependant, le fait qu’un événement postérieur à la conclusion d’une vente redonne le droit de propriété du bien en question au vendeur ou rajuste le prix de vente ne change pas le fait que le vendeur avait, à une date donnée, droit au prix de vente et donc avait disposé du bien aux fins de l’impôt à cette date-là. De la même manière, le fait qu’un contrat de vente fasse l’objet d’une rectification n’a aucune conséquence dans la détermination de la date de la disposition, à moins que cette rectification ne soit une condition suspensive de l’accord.

6. Une “condition suspensive” est un événement (au-delà du contrôle direct du vendeur) qui suspend la réalisation du contrat jusqu’à ce que la condition soit respectée ou abandonnée et qui pourrait annuler le contrat “depuis le début” si cette condition n’était pas respectée ou abandonnée. » (Notre gras.)

Ainsi, selon l’Agence, dans le cas d’une condition suspensive, la disposition n’a lieu que lors de la réalisation de la condition, alors que dans le cas d’une condition résolutoire, la disposition a lieu immédiatement et n’est pas annulée rétroactivement par l’accomplissement de la condition. Il est évident que lorsque le Bulletin fait référence à une « condition suspensive  », il vise en fait la condition precedent de la common law, ce qui apparaît d’ailleurs de la version anglaise du Bulletin.

Par ailleurs, ce Bulletin ne fait pas mention de l’effet rétroactif de la réalisation de la condition suspensive. Cependant, on semble laisser entendre qu’en cas de défaillance de la condition suspensive, le contrat sera considéré comme annulé « depuis le début », c’est-à-dire qu’il n’aura pas de conséquences fiscales.

En ce qui concerne la condition résolutoire, il faut également mentionner le paragraphe 19 du Bulletin IT-170R, qui se lit comme suit :

« 19. Plusieurs ententes envisagent la possibilité d’une reprise par le vendeur de biens qui ont été vendus, lors d’un événement précis, de l’absence d’un événement précis ou d’un défaut précis de l’acheteur. Si une reprise du beneficial ownership se produit en raison de l’omissions [sic] de l’acheteur de payer la totalité ou une fraction du montant dû, l’article 79 prévoit les règles qui déterminent les conséquences fiscales pour le vendeur et l’acheteur. Bien que la Loi ne prévoit aucune règle précise lorsqu’une reprise de biens se produit dans des situations où l’article 79 ne s’applique pas, il est clair qu’une telle situation n’annule pas de façon rétroactive les effets de la disposition originale aux fins de l’impôt sur le revenu si l’entente rétablit le vendeur et l’acheteur dans la position que chacun occupait avant que la vente n’ait eu lieu. » (Notre gras.)

La position de l’Agence était donc, à cette époque, de ne pas reconnaître la rétroactivité de la condition résolutoire.

En 1981, lors du congrès de l’Association québécoise de planification fiscale et successorale[317], la question suivante fut posée aux représentants du ministère du Revenu :

« Question 17 : MOMENT DE LA DISPOSITION D’UN BIEN

Le moment de la disposition d’un bien par un contribuable est un élément important au chapitre du calcul du gain en capital et de la récupération d’amortissement. Pour l’acheteur, il conditionne l’exercice de son droit d’amortir le bien acquis. L’expression “disposition” n’est pas définie dans la Loi de l’impôt. Le paragraphe 54(c) L.I.R. comprend toutefois dans cette expression certaines situations précises. Étant donné le silence relatif du législateur, il peut exister des circonstances où le moment de la disposition est sujet à interprétation. C’est le cas lorsqu’il y a cession des attributs du droit de propriété (possession, usage, risque) d’un bien, mais que le transfert de propriété est suspendu par la réalisation d’une condition. À quel moment peut-on alors considérer qu’il y a disposition du bien?

Point de vue du Ministère

Le Ministère est d’avis qu’aux fins de l’impôt, et donc de l’article 54 de la Loi, le prix de vente d’un bien ne doit être pris en considération que lorsque le vendeur a acquis le droit absolu d’être payé. Tant qu’une condition suspensive n’est pas satisfaite, le vendeur n’a pas le droit absolu à être payé même si l’acheteur a pris possession du bien. »[318] (Notre gras.)

Il s’agissait donc là d’une prise de position non équivoque à l’effet que lorsqu’il existe une condition suspensive en droit civil, la disposition n’a pas lieu avant la réalisation de la condition. Cependant, le ministère ne se prononce pas sur la question de la rétroactivité de la condition, une fois qu’elle s’est réalisée, bien que la réponse laisse implicitement entendre que l’on n’en tiendra pas compte.

À l’occasion du congrès de l’Association canadienne d’études fiscales[319] de 1981, le ministère du Revenu exprimait son intention d’appliquer la décision Olympia & York :

« Q. 54 Disposition

[…]

2) Has the Department of National Revenue accepted that a disposition may take place when the attributes of ownership have been transferred (possession, use and risk) even though legal title may not have been transferred? In this regard, will the Department apply Olympia & York Developments Ltd. v. The Queen?

[…]

2) Generally, if all the incidents of ownership, that is, possession, use, and risk, are given up and the taxpayer becomes entitled to proceeds of disposition, it is the Department’s view that a disposition has taken place whether or not legal title has been transferred. The Olympia & York decision supports us in this regard. »[320]

En 1983, lors d’une table ronde tenue au congrès annuel de l’AQPFS, le ministère du Revenu eut à répondre à la question suivante :

« QUESTION 3 : DISPOSITION AVEC CONDITION SUSPENSIVE OU RÉSOLUTOIRE

Lorsqu’une vente est fait [sic] sujette à une condition résolutoire, le titre de propriété et la possession du bien vendu sont remis par le vendeur à l’acheteur. Toutefois, si la condition prévue dans le contrat de vente est réalisée, le Code civil de la province de Québec prévoit que la vente est réputée n’avoir jamais été réalisée.

Une vente peut aussi être faite sous condition suspensive. Dans un tel cas, le titre vendu demeure entre les mains du vendeur jusqu’au moment où la condition est réalisée. La possession du bien peut ou ne peut pas être remis [sic] à l’acheteur. Toutefois, lorsque cette condition est réalisée, l’acheteur est réputé avoir été propriétaire de la chose vendue depuis la date de la signature de l’acte de vente et non pas à partir du jour où la condition a été réalisée. Pour les fins de l’impôt sur le revenu, pourriez-vous confirmer qu’aucune disposition n’est réputée avoir eu lieu lors d’une vente à condition résolutoire si cette condition est réalisée? De même, pourriez-vous confirmer, pour les fins de l’impôt sur le revenu, que la disposition lors d’une vente à condition suspensive est considérée comme ayant eu lieu lors de la signature du contrat de vente et non pas lorsque la condition est réalisée?

POINT DE VUE DE REVENU CANADA, IMPÔT

Les conséquences fiscales de la réalisation de la condition attachée à une clause suspensive ou résolutoire dépendra [sic] des faits et circonstances particuliers à chaque situation.

En premier lieu, il est important de souligner que les conditions suspensives ou résolutoires n’ont d’effet que sur le contrat de vente, donc ne s’appliquent pas aux événements qui se produisent subséquemment à la date du contrat de vente. En conséquence la réalisation de ces conditions n’annulera pas aux fins de la L.I.R., les transactions ou actes accomplis par les parties au contrat entre la date de la signature et la date de réalisation de la condition suspensive ou résolutoire.

Quant à l’effet des conditions suspensives ou résolutoires s’appliquant à la vente elle-même, le Ministère généralement [sic] le traitement suivant selon les circonstances.

Lorsqu’il s’agit d’une vente conditionnelle sans prise de possession, ni jouissance du bien avant l’accomplissement de la condition, appelé condition “précédent” [sic] sous le droit coutumier, le Ministère considère qu’il n’y pas eu vente tant que la condition n’est pas réalisée.

Dans le cas où la condition est suspensive c’est-à-dire qu’elle doit se réaliser pour confirmer la vente, et qu’il y a prise de possession et jouissance de sorte que l’acquéreur obtient le “beneficial ownership” dès la signature du contrat, le Ministère est d’avis que la vente a eu lieu à ce moment avec ou sans réalisation de la condition.

Cependant, lorsqu’un bien est rétrocédé par suite de la réalisation d’une condition résolutoire qui a pour effet d’annuler une vente lorsqu’elle est réalisée ou par suite d’une condition suspensive qui n’est pas réalisée, le Ministère considère qu’il y a disposition en faveur du vendeur en vertu de l’alinéa 54(c)i). Quoique légalement, le droit de propriété pourra être annulé rétroactivement, la rétrocession du “beneficial ownership” n’a lieu qu’à ce moment là. En conséquence il y aura disposition aux fins de la L.I.R. et le paragraphe 79 pourra être applicable. »[321]

La formulation de la réponse est très ambiguë : le ministère parle de « condition précédent », de « droit coutumier », de « condition suspensive » et de « beneficial ownership », sans spécifier s’il fait référence aux concepts de droit civil ou de common law. Partant du principe que la question fut posée dans le cadre d’un congrès de fiscalité québécois, la réponse devrait s’appliquer au droit civil.

Notre compréhension de la position administrative est la suivante. Lorsqu’il y a une condition suspensive en droit civil et que l’acheteur prend immédiatement possession du bien, de telle sorte qu’il obtient le beneficial ownership, le ministère considère qu’il y a « vente », et ce indépendamment de la réalisation ultérieure de la condition. Il est difficile de savoir si le ministère vise simplement le transfert de la possession ou s’il exige la transmission de tous les attributs ordinaires du droit de propriété, mais puisque cette position semble reprendre le critère de Wardean Drilling, il faudrait à tout le moins que la possession, l’usage et le risque aient été transférés.

Par ailleurs, en ce qui concerne les conditions precedent, comme nous l’avons vu, en common law le beneficial ownership ne peut être transféré à l’acheteur tant et aussi longtemps qu’il existe une véritable condition precedent non réalisée[322]. Ainsi, en droit fiscal, il ne peut y avoir disposition avant la réalisation de la condition precedent. C’est ce que le Bulletin confirme, sans le dire clairement.

À l’inverse, dans les cas de vente sous condition suspensive sans transfert de possession immédiat, la « vente » n’a pas lieu tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée; notons que l’effet rétroactif de la condition suspensive en droit civil n’est toujours pas mentionné.

Le ministère du Revenu a donc modifié sa position quant aux conditions suspensives : contrairement à ce qui était affirmé en 1981, il tiendra compte du transfert de la possession, et possiblement des autres attributs ordinaires du droit de propriété, pour déterminer si une vente sous condition suspensive donne lieu à une disposition immédiate. Il appert que ce changement de position fait suite à la décision de la Cour fédérale dans Olympia & York.

Il est intéressant de remarquer également que le ministère emploie le terme « vente » plutôt que celui de « disposition » : il y aura « vente » à ses yeux, ou non, selon les circonstances. Il semble ainsi que les autorités fiscales utilisent elles-mêmes les termes « vente » et « disposition » comme des synonymes, ce qui appuie notre position à l’effet que la disposition est liée au transfert de propriété.[323]

Par ailleurs, la réponse précise également que si la condition suspensive ne se réalise pas, dans un cas où la possession avait été transférée à l’acheteur, ou si la condition résolutoire se réalise, le ministère considère que la restitution du bien au vendeur constitue une seconde disposition aux fins fiscales, puisqu’il y a un deuxième transfert du beneficial ownership.

En 1987, dans le cadre du congrès de l’ACEF, on a demandé au ministère de se prononcer sur la question suivante :

« Q. 70 Transfert de biens : déclaration du revenu

Un contribuable achète les biens d’une entreprise d’un vendeur avec lequel il n’a pas de lien de dépendance, mais la transaction ne sera conclue qu’une fois l’approbation reçue d’Investissement Canada. L’acheteur et le vendeur conviennent que la transaction sera jugée entrer en vigueur à une date antérieure et que les bénéfices tirés de l’exploitation de l’entreprise par l’acheteur à partir de cette date antérieure jusqu’à la date où la transaction sera conclue constitueront des bénéfices de l’acheteur.

Le Ministère considère-t-il la déclaration de ce revenu par l’acheteur valable aux fins de l’impôt, même si les biens ne sont transférés qu’à la date où la transaction est conclue?

Position du Ministère

Comme l’indiquent les paragraphes 5 et 6 du Bulletin d’interprétation IT-170R, si le transfert du droit de propriété dépend d’une véritable condition suspensive, la disposition n’a pas lieu tant que la condition suspensive n’est pas remplie. Pour l’application de la loi, le transfert du droit de propriété de l’entreprise n’aura donc pas lieu avant que l’approbation d’Investissement Canada ne soit reçue. Aucune convention entre le contribuable et le vendeur qui viserait à donner au transfert un effet rétroactif n’est valable aux fins de l’impôt. Tout revenu tiré de l’exploitation de la division avant le transfert sera un revenu du vendeur. »[324] (Notre gras.)

À première vue, le ministère semble revenir à sa position antérieure, telle qu’exprimée en 1981 au congrès de l’AQPFS, selon laquelle la condition suspensive du droit civil ne donne pas lieu à une disposition avant sa réalisation, indépendamment du transfert de la possession du bien. Toutefois, il nous apparaît que la réponse du ministère ne visait ici que les conditions precedent de la common law[325]. Deux raisons nous amènent à cette conclusion : premièrement, cette réponse fut donnée dans le cadre d’un congrès de l’Association canadienne d’études fiscales, une association pan-canadienne. La version anglaise de la réponse utilise d’ailleurs les termes true condition precedent [326]. Or, comme nous l’avons vu, la condition precedent empêche la disposition tant qu’elle n’est pas réalisée, puisqu’il ne peut y avoir transfert du beneficial ownership. Deuxièmement, la question mentionnait que « les biens ne sont transférés qu’à la date où la transaction est conclue », faisant référence à la date de clôture. Cette question ne portait donc pas sur la condition suspensive en droit civil, dans un cas de transfert immédiat de la possession, ni sur la question de la rétroactivité de la condition suspensive, mais sur la reconnaissance par le ministère de la date d’entrée en vigueur de la transaction convenue par les parties; nous reviendrons sur cet aspect ci-dessous.

En 1989, à l’occasion du congrès de l’Association de planification fiscale et financière[327], la question suivante fut posée lors de la table ronde :

« 1.29. - VENTE SOUS CONDITION SUSPENSIVE

Selon le droit civil, un contribuable qui vend un immeuble sous condition suspensive (par exemple, en retenant la propriété jusqu’au parfait paiement du prix) demeure propriétaire du bien. Advenant le non-accomplissement de la condition, les obligations des parties l’une envers l’autre sont annulées. Du point de vue fiscal, Revenu Canada considère que la vente sous condition suspensive constitue une disposition.

Prenons le cas où un contribuable québécois effectue une telle vente en contrepartie d’un solde de prix de vente payable sur cinq ans. Suite à un défaut de paiement dès la première année, le contribuable reprend possession du bien. Le contribuable avait réclamé une réserve en vertu du sous-alinéa 40(1)a)(iii) Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) pour l’année d’imposition de la vente.

Dans de telles circonstances, Revenu Canada a-t-il pour politique d’appliquer l’article 79 de la Loi même si, en droit civil, le contribuable québécois n’a pas acquis ou acquis de nouveau le “beneficial ownership” ou la propriété de l’immeuble suite au défaut de paiement?

Réponse-Revenu

Le Ministère considère qu’une telle vente sous condition suspensive constitue une disposition aux fins de la Loi.

Si le bien est rétrocédé suite au défaut de paiement, le Ministère considère qu’il y a une deuxième disposition aux fins de la Loi et que l’article 79 de cette loi pourra être applicable.

Nous vous référons à cet égard aux réponses données aux tables rondes de 1981 de l’A.C.E.F. (Q. 54(2)) et au Congrès 83 de l’A.Q.P.F.S. (Q.3). »[328] (Notre gras.)

Le ministère réitère ainsi la position exposée en 1983 au congrès de l’AQPFS, à l’effet que la disposition a lieu lors du transfert de la possession, malgré l’existence d’une condition suspensive non réalisée, et qu’une seconde disposition survient lorsque le bien est restitué au vendeur suite à la défaillance de la condition.

Cette fois, la question, posée dans le cadre d’un congrès de l’APFF, vise clairement le droit civil québécois; de plus, elle sous-entend que la possession a été transférée à l’acheteur pendente conditione. Il faut souligner, cependant, que dans la question posée ici il ne s’agissait pas d’une véritable condition suspensive mais plutôt d’une vente à tempérament; l’arrêt Venne n’était sans doute pas encore rendu à l’époque.

En 1989, dans une interprétation technique, le ministère du Revenu confirmait sa position eu égard aux conditions résolutoires, dans le cadre d’une vente à réméré : l’exercice de la faculté de rachat entraîne une seconde disposition, même si en droit civil la vente est annulée rétroactivement.[329]

Puis, en 1991, en réponse à une question posée lors de la table ronde tenue à l’occasion du congrès de l’ACEF, le ministère reprenait la position énoncée en 1987 eu égard à la date d’entrée en vigueur conventionnelle d’une transaction. La question et la réponse se lisaient ainsi :

« Q.41 Répartition du revenu lorsqu’une condition suspensive existe

En réponse à la question 70 de la table ronde de 1987, le Ministère a déclaré que, lorsqu’un bien est vendu, les revenus qui proviennent du bien entre la date de signature de l’offre de vente et d’achat et la date de transfert de la propriété appartiennent au vendeur s’il existe une condition suspensive. Si le vendeur et l’acheteur concluent une entente exécutoire par laquelle le vendeur est constitué agent de l’acheteur pour la période concernée, le revenu appartiendra-t-il à l’acheteur? La réponse serait-elle la même s’il n’existait aucune condition suspensive?

Position du Ministère

La position du Ministère demeure la même que celle donnée en 1987. Puisque la disposition n’a pas lieu, aux fins de l’impôt, tant que la condition suspensive n’est pas remplie, tout revenu que le bien génère avant le transfert n’appartiendra pas à l’acheteur, malgré l’existence d’une entente par laquelle le vendeur est constitué agent de l’acheteur pour la période concernée. Aucune convention visant à donner au transfert un effet rétroactif n’est valable aux fins de l’impôt. La date de disposition d’un bien vendu est la date où la propriété effective du bien doit passer à l’acheteur et le moment où le vendeur a un droit absolu, quoique pas nécessairement immédiat, de se faire payer.

Pourvu que le vendeur ait droit à son paiement et que la propriété effective ait été transférée, tout revenu que le bien produit entre la date de signature de l’offre de vente et d’achat et la date de transfert de la propriété doivent être reconnus par l’acheteur. »[330] (Notre gras.)

La réponse du ministre suggère que le transfert de la « propriété effective » n’est pas suffisant pour conclure qu’il y a disposition, lorsqu’il existe une condition suspensive : il faudrait de plus que le vendeur ait un droit absolu au prix de vente, c’est-à-dire que la condition suspensive soit accomplie.

Ceci contredirait la position prise en 1983 et réitérée en 1989 eu égard aux conditions suspensives du droit civil dans les cas de prise de possession immédiate par l’acheteur. Toutefois, nous sommes d’avis que, tout comme en 1987 lors du congrès de l’ACEF, la réponse du ministre ne visait que les cas de condition precedent de la common law. La version anglaise nous permet de le croire :

« […] As the disposition will not occur for tax purposes until the condition precedent is satisfied, any income arising before the transfer will not belong to the purchaser regardless of an agreement appointing the vendor as the purchaser’s agent for this period. […] The date of disposition of property sold is the date on which beneficial ownership is intended to pass to the purchaser and the time at which the vendor has an absolute but not necessarily immediate right to be paid.

Provided that the vendor is entitled to payment and beneficial ownership has been transferred, any income earned in the period between the effective date and the closing date must be recognized by the purchaser. »[331](Notre gras.)

En outre, puisqu’en common law le beneficial ownership ne peut être transféré avant que ne soit réalisée la condition precedent, il est évident que les deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait disposition. Le ministère voulait simplement rappeler que la réalisation de la condition precedent n’est pas suffisante, encore faut-il que le beneficial ownership soit transféré, par la suite ou en même temps, pour qu’il y ait disposition : ceci découle de l’alinéa e) de la définition de « disposition » au paragraphe 248(1) L.I.R.

Il serait néanmoins utile pour les praticiens que l’Agence précise sa position, à savoir si elle vise les conditions suspensives du droit civil ou les condition precedent , et si elle accorde un traitement fiscal différent à ces deux concepts.

Récemment, lors du congrès 1998 de l’APFF, la question suivante fut posée à la fois au ministère du Revenu et au ministère des Finances. La réponse est intéressante :

« 4.8. EFFET DES CLAUSES RÉSOLUTOIRES ET SUSPENSIVES

Le transfert de biens est assujetti aux principes de droit civil et fiscal. Il a été établi que les principes de droit fiscal sont subsidiaires au droit civil.

Les articles 1507 et 1750 C.c.Q. contiennent les règles traitant des contrats assortis de conditions suspensives et résolutoires. On peut définir la condition suspensive comme étant la condition qui tient en suspens “les effets du contrat” alors que la condition résolutoire peut se définir comme étant la condition qui tient en suspens la “révocation du contrat”. Cette condition résolutoire, lorsque rencontrée, annule la vente de façon rétroactive.

Du point de vue fiscal, la vente produit tous ses effets dès sa conclusion et le vendeur a immédiatement droit au prix de vente. Il y a ainsi disposition dès ce moment. Advenant le cas où une transaction ne se réalise pas en raison d’une condition résolutoire, Revenu Québec reconnaît la rétroactivité au point de vue fiscal et n’applique pas les articles 484 à 484.13 de la Loi sur les impôts.

Selon les paragraphes 5 et 17 du Bulletin d’interprétation IT-170R, Revenu Canada ne reconnaît pas la rétroactivité de la résolution au point de vue fiscal et applique les articles 79 et 79.1 de la Loi, selon le cas.

Est-ce que le ministère des Finances du Canada reconnaît cette position? Est-il disposé à la revoir à la lumière des règles du Code civil du Québec?

Est-ce que Revenu Canada maintient toujours cette position? Est-il disposé à la revoir au regard du Code civil du Québec qui gouverne les transactions effectuées au Québec?

Réponse du ministère du Revenu

Il y a deux principes légaux qui sont en conflit dans la présente question. Comme vous le soulignez, le droit fiscal s’applique aux effets produits par le droit civil. Par contre, le ministère doit, en calculant les impôts payables pour une année d’imposition, se baser sur les faits tels qu’ils existent à la fin d’une année d’imposition.

À notre avis, la reconnaissance de l’effet rétroactif de la résolution d’une vente n’est pas compatible avec la Loi lue dans son ensemble. La Loi n’est pas conçue pour permettre l’application de faits nouveaux qui surviennent au cours d’une année d’imposition à une année d’imposition antérieure. À cet effet, elle ne permet pas l’émission de nouvelles cotisations à l’égard d’années d’imposition prescrites afin d’appliquer la rétroactivité.

Par ailleurs, les tribunaux ont refusé, dans les causes Alepin c. La Reine et Larose c. MRN, d’appliquer aux fins de la Loi la rétroactivité prévue en droit civil. Dans ces deux affaires, les juges ont souligné que les droits du ministère ne pouvaient pas être affectés à la suite de la résolution des contrats de vente.

Réponse du ministère des Finances

Le ministère des Finances est d’accord que la législation fiscale doit tenir compte du droit provincial pertinent. Cependant, il se peut que certains principes fondamentaux du droit fiscal, tels ceux applicables à la rétroactivité, ne soient pas entièrement compatibles avec certains effets du droit provincial. C’est le cas également de la société de personnes qui, quels que soient ses attributs, droits et obligations en droit provincial, n’est pas généralement reconnue en droit fiscal.

Nous désirons examiner de façon plus détaillée l’analyse de Revenu Canada, Revenu Québec et de Justice Canada sur cette question avant de conclure que la position de Revenu Canada n’est pas appropriée dans les circonstances. Nous partageons cependant les préoccupations de ce ministère sur certains aspects pratiques, comme les restrictions imposées dans le cas d’années frappées de prescription. »[332] (Notre gras.)

Nous pouvons constater que la principale préoccupation des deux ministères, relativement à la rétroactivité des obligations conditionnelles, est la difficulté de modifier les déclarations fiscales des années antérieures afin de tenir compte de l’effet rétroactif d’un événement survenu dans une année subséquente. Cette préoccupation vise surtout les années prescrites.

Quant aux affaires Alepin et Larose, nous avons déjà fait part de nos réserves concernant l’application générale de ces décisions.[333]

En somme, nous pouvons résumer la position actuelle de l’Agence, eu égard aux obligations conditionnelles du droit civil, comme suit :

3.3.2 La rétroactivité prévue par contrat

En ce qui concerne la rétroactivité prévue par contrat, c’est-à-dire l’application aux fins fiscales de la date d’entrée en vigueur convenue par les parties, le Bulletin d’interprétation IT-170R énonçait une position plutôt libérale :

« 7. Des accords officiels d’achat et de vente sont fréquemment explicites en ce qui a trait à la date d’échange et, à moins que des circonstances n’indiquent qu’une date ainsi précisée a été modifiée ou qu’elle ne correspondait pas à l’intention réelle des deux parties, la date ainsi précisée est réputée être la date du droit de propriété. […] »[334]

Par contre, la position adoptée au congrès de 1987 de l’ACEF[335] et réitérée au congrès de l’ACEF en 1991[336] contredit celle adoptée dans le Bulletin, en affirmant que tout revenu réalisé par l’entreprise avant le moment de la clôture de la transaction sera attribué au vendeur, sauf si le vendeur a un droit absolu au prix de vente, c’est-à-dire s’il n’y a pas de condition precedent, et que le beneficial ownership a été transféré.

En 1994, le ministère du Revenu a laissé entendre qu’il accepterait, dans certaines situations, que la disposition survienne à une date antérieure à la clôture de la transaction, si toutes les parties à cette transaction en conviennent et si cela ne procure pas un avantage fiscal indu :

« You have described a hypothetical situation wherein:

  • the purchase and sale agreement stipulates both an effective and a closing date;
  • the terms of the agreement are such that the beneficial ownership and assumption of liabilities relating to these properties pass to the purchaser on the effective date, except for a few minor liabilities, which pass on the closing date; and
  • there are no conditions precedent to be met under the purchase and sale agreement and all that is required prior to closing is the usual due diligence and completion of appropriate documentation.

[…]

In this situation, the transfer is not legally effective until the closing date, and the vendor is legally liable to report the income between the effective date and the closing date. However, there have been instances where the Department has administratively accepted that the transfer occurred on the effective date where:

  • both parties to the transaction agree that the effective date should be used;
  • no significant tax benefit arises from the use of this date. »[337](Notre gras.)

Il nous apparaît que cette interprétation technique, loin d’élargir les cas où le ministère reconnaît la date d’entrée en vigueur convenue par les parties, impose des conditions supplémentaires. En effet, déjà en 1987 lors du congrès de l’ACEF le ministre admettait que le revenu pourrait être attribué à l’acheteur à partir du moment où le vendeur a un droit absolu au prix de vente et où le beneficial ownership a été transféré. Or, ici, non seulement le ministre réitère ces deux conditions mais il en ajoute de nouvelles, à savoir que les parties à la transaction conviennent d’utiliser cette date d’entrée en vigueur du contrat (ce qui semble aller de soi puisqu’on parle justement de date conventionnelle), et qu’aucun bénéfice fiscal n’en découle. Cette dernière exigence ne nous apparaît nullement fondée en droit.

D’ailleurs, la position de l’Agence à l’égard de l’application en matière fiscale d’une date conventionnelle d’entrée en vigueur du contrat nous semble mal fondée eu égard à la jurisprudence analysée ci-dessus. En effet, si les parties peuvent démontrer qu’à la date en question, ils avaient échangé leur consentement sur les éléments essentiels du contrat, le contrat était valide à ce moment et l’écrit subséquent ne fait que le constater.

3.3.3 L’effet de l’alinéa 248(3)f) L.I.R.

Comme nous l’avons vu, le législateur a édicté le paragraphe 248(3) L.I.R.[338] en vue de réputer certains concepts de droit civil comme équivalents au beneficial ownership de la common law. Les juges majoritaires, dans l’arrêt Construction Bérou, ont interprété ce paragraphe comme incluant dans le concept de « propriété effective », pour les fins de son application au Québec, le fait de détenir les attributs ordinaires du droit de propriété tels que la possession, l’usage et le risque.[339]

Or, l’Agence soutient que l’interprétation de la Cour d’appel dans cette affaire devrait être limitée à l’application de l’ancienne version du paragraphe 248(3) L.I.R., sur laquelle s’est prononcée la Cour d’appel, car elle est différente de la version modifiée, en vigueur depuis 1991. L’Agence exprime son opinion ainsi :

« Nous sommes d’avis que bien que l’alinéa 248(3)f) reprend essentiellement ce que la Loi prévoyait à cette époque, le libellé est maintenant différent et il ne peut pas s’interpréter comme si les attributs de propriété tels la possession, l’usage et le risque puissent constituer un droit de propriété. Au contraire, selon la version actuelle de l’alinéa 248(3)f), une personne doit d’abord avoir la pleine propriété d’un bien pour qu’elle soit réputée détenir le “beneficial ownership” aux fins de la Loi. 

[…]

L’Agence est donc d’avis que le jugement de la Cour d’appel fédérale dans la cause Construction Bérou Inc. peut être restreint aux cas similaires pour les années d’imposition avant 1991, afin de se conformer à l’interprétation de la Cour du paragraphe 248(3) dans son ancienne formulation. »[340] (Notre gras.)

Ainsi, selon l’interprétation de l’Agence, l’alinéa 248(3)f) ne pourrait soutenir l’interprétation selon laquelle le beneficial ownership peut être transféré, au Québec, sans le titre de propriété; la « propriété effective » serait restreinte aux concepts énumérés à cet alinéa, soit la propriété, le droit du preneur dans un bail emphytéotique, et le droit du bénéficiaire dans une fiducie.

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, nous sommes d’accord avec cette interprétation de l’alinéa 248(3)f) L.I.R., mais nous ne croyons pas que la modification législative de 1991 y ait changé quoi que ce soit. Il nous apparaît plutôt que l’Agence, en désaccord avec l’interprétation des juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale dans Construction Bérou, tente de faire de subtiles distinctions pour ne pas avoir à se conformer à cette interprétation.

3.4 Les obligations conditionnelles en droit fiscale québécois

Bien que le présent texte porte sur l’harmonisation de la Loi de l’impôt sur le revenu avec le Code civil du Québec, il est intéressant, à des fins de comparaison, d’analyser le traitement fiscal accordé par le législateur québécois, ainsi que par les autorités du ministère du Revenu du Québec, aux obligations conditionnelles.

Les dispositions pertinentes de la Loi sur les impôts[341] et du Règlement sur les impôts[342]sont les suivantes :

« 248. 1) Aliénation d’un bien. - Aux fins du présent titre, l’aliénation d’un bien comprend, sauf dispositions contraires expresses:

a) toute opération ou événement qui donne droit au produit de l’aliénation d’un bien; 

[…]

2) Restriction. - Une aliénation de biens ne comprend pas toutefois:

[…]

d) toute autre opération prévue par les règlements. »

« 248R1. Aux fins de l’article 248 de la Loi, n’est pas une aliénation d’un bien régi par une juridiction de droit commun un transfert de ce bien qui n’entraîne pas un changement dans la propriété à titre bénéficiaire du bien.

De même, n’est pas une aliénation d’un bien régi par le droit civil un transfert de ce bien qui n’entraîne pas un changement dans le droit de la personne qui a la pleine propriété de ce bien, quoique sujet à servitude, ou dans celui de l’usufruitier, du preneur emphytéotique, du grevé de substitution ou du bénéficiaire d’une fiducie. »

« 251. Produit de l’aliénation d’un bien.

Le produit de l’aliénation d’un bien comprend, aux fins du présent titre, les mêmes éléments que le produit de l’aliénation d’un bien visé au paragraphe f de l’article 93 […] »

« 93. […] f) «produit de l’aliénation». - «produit de l’aliénation» d’un bien comprend:

i. le prix de vente d’un bien aliéné; »

Nous pouvons constater qu’à quelques différences près, les dispositions de la Loi sur les impôts sont similaires à celles de la loi fédérale. L’une de ces différences est l’emploi du terme « aliénation » plutôt que celui de « disposition ». Or, tout comme la définition de disposition dans la L.I.R., celle d’aliénation dans la L.I. n’est pas exhaustive. Il faut donc référer à son sens « ordinaire » pour définir ce terme :

« L’“aliénation” n’étant pas définie par la loi, on doit y appliquer le sens général de ce mot donné par Le Petit Robert comme étant “transmission qu’une personne fait d’une propriété ou d’un droit, à titre gratuit ou onéreux”. »[343]

Vu la définition de la L.I., il est clair qu’une vente constitue une aliénation :

« Il est surprenant de constater qu’un article détaillé comme l’est l’article 248 L.I., dont le rôle est de définir en quoi consiste l’aliénation d’un bien aux fins du titre IV de la Loi, ne fasse aucune allusion au concept de vente. Cette disposition prévoit cependant que l’aliénation d’un bien comprend une opération ou un événement qui donne droit au prix de vente d’un bien aliéné. On arrive à cette conclusion en lisant conjointement le sous-paragraphe 248(1)a), l’article 251 et le sous-paragraphe 93f)(i) L.I.

Tant aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu qu’à celles de la Loi sur les impôts, il faut se référer au Code civil du Québec pour déterminer en quoi consiste une vente et à quel moment naît le droit de recevoir le prix de vente. »[344] (Notre gras.)

Par ailleurs, nous pouvons remarquer que l’article 248R1 du Règlement édicte une règle spécifique pour les biens régis par la common law et une autre pour ceux régis par le Code civil. En effet, on parle de « propriété à titre bénéficiaire » [345] en ce qui concerne les biens régis par la common law, alors que pour les biens régis par le droit civil on réfère aux concepts de pleine propriété, d’usufruit, de preneur emphytéotique, de grevé de substitution et de bénéficiaire d’une fiducie. Essentiellement, ces concepts sont ceux que l’on retrouve à l’alinéa 248(3)f) L.I.R.

Les articles 79 et 79.1 de la L.I.R. on aussi leur équivalent dans la L.I., soit les articles 484 et suivants. L’article 484.1 L.I., qui correspond au paragraphe 79(2) L.I.R., se lit ainsi :

« 484.1 Acquisition par délaissement - Pour l’application de la présente sous-section, une personne délaisse, à un moment quelconque, un bien en faveur d’une autre personne lorsque l’autre personne acquiert ou réacquiert de la personne, à ce moment, la propriété à titre bénéficiaire de ce bien par suite du défaut de la personne de lui payer la totalité ou une partie d’un ou de plusieurs montants déterminés d’une dette qu’elle lui devait immédiatement avant ce moment. » (Notre gras.)

Cet article a été ajouté en 1996[346], et s’applique généralement à l’égard d’un bien acquis ou réacquis après le 21 février 1994. Avant cette modification, l’article 484 prévoyait ceci :

« 484. Lorsqu’un créancier a acquis ou réacquis, à une date quelconque d’une année d’imposition, la possession à titre de propriétaire ou la propriété absolue d’un bien à la suite du défaut total ou partiel du paiement de sa créance par son débiteur, les règles suivantes s’appliquent :

[…] » (Notre gras.)

Le remplacement de l’expression « la possession à titre de propriétaire ou la propriété absolue » par « la propriété à titre bénéficiaire » a-t-il modifié le sens de cette disposition? Les termes « propriété à titre bénéficiaire » ne sont pas définis dans la Loi sur les impôts. Nous avons vu cependant ci-dessus que ces termes ont remplacé l’expression « beneficial ownership » à l’article 248R1 du Règlement sur les impôts.

Un représentant autorisé du ministère du Revenu nous a confirmé que la politique administrative eu égard à l’application des articles 484 et suivants n’a pas été modifiée suite à l’introduction de l’expression « propriété à titre bénéficiaire » en 1994; il est permis de croire que celle-ci vise la même réalité que l’ancienne expression « possession à titre de propriétaire ».

Le Bulletin d’interprétation IMP. 484-2/R1 établit la position du ministère du Revenu du Québec quant aux effets de la résolution du contrat :

  • « 4. Dans le cas de la résolution, l’article 484 de la Loi sur les impôts (la «Loi») ne peut être applicable car le créancier n’a pas acquis ou réacquis la possession à titre de propriétaire ou la propriété absolue d’un bien. En effet, sa demande de résolution entraîne l’annulation du contrat pour le passé, comme pour le futur, faisant en sorte qu’il soit réputé ne jamais avoir cessé d’être propriétaire du bien.

  • […]
  • 6. Par ailleurs, le vendeur peut obtenir le remboursement des impôts payés à l’égard du gain en capital ou du revenu d’entreprise, selon le cas, ou encore à l’égard de la récupération de l’amortissement relatif à la vente. À l’inverse, si la vente lui a plutôt permis de déduire une perte terminale, il doit payer les impôts à l’égard de cette déduction pour l’année d’imposition de la vente.

    Advenant que le vendeur ait financé, en totalité ou en partie, le paiement du prix de vente, il ne peut pas, cependant, obtenir le remboursement des impôts payés à l’égard des intérêts versés par l’acheteur. En effet, la résolution de la vente provoque la résiliation de ce contrat de prêt, c’est-à-dire son annulation pour le futur seulement.

  • 7. Pour obtenir le remboursement des impôts payés sur un revenu qui, par l’effet de la résolution, est réputé n’avoir jamais été réalisé, le vendeur doit produire une déclaration fiscale amendée. La version en vigueur du bulletin IMP. 1010-2 prévoit la possibilité d’une recotisation par le Ministère dans les cas où la prescription est acquise. Il y a lieu de s’y référer dans ces cas.

  • 8. Le ministère du Revenu considère toutefois que le revenu tiré des biens acquis par l’acheteur, pendant la période où il en a eu la possession, demeure le sien.

    De plus, le Ministère ne refusera pas la déduction pour amortissement que l’acheteur a réclamée, dans les années où il a eu la possession du bien, dans le calcul de son revenu à l’égard d’un bien amortissable, dans la mesure où cette déduction n’excède pas le montant permis par le Règlement sur les impôts.

  • 9. Le coût en capital ou le prix de base rajusté des biens faisant l’objet d’une résolution est égal à ce que serait ce coût en capital ou ce prix de base rajusté immédiatement avant la vente comme si l’aliénation n’avait jamais eu lieu. »[347] (Notre gras.)

Le ministère du Revenu du Québec reconnaît ainsi l’effet rétroactif de la résolution, qu’elle découle de la condition résolutoire ou d’une autre cause de résolution prévue au Code civil. La vente étant réputée n’avoir jamais eu lieu, le vendeur est censé n’avoir jamais aliéné la propriété du bien. Il peut donc récupérer l’impôt payé sur le gain en capital, le revenu d’entreprise ou la récupération de l’amortissement. Il pourra produire une déclaration amendée pour réclamer le remboursement de l’impôt payé, et ce même si l’année fiscale visée est prescrite.

Par contre, la rétroactivité n’aura pas tous ses effets : si l’acheteur a eu la possession du bien pendente conditione , c’est ce dernier qui devra payer l’impôt sur les revenus réalisés durant cette période, et qui pourra réclamer l’amortissement. Partant, le vendeur ne pourra réclamer rétroactivement l’amortissement pour la période où il est réputé avoir été propriétaire, mais où l’acheteur était en possession du bien.

Cette position est compatible avec le droit civil, qui reconnaît que le débiteur de l’obligation de restituer le bien « fait siens les fruits et revenus produits par le bien qu’il rend » [348]. Quant à l’amortissement, même s’il est plus difficile à justifier que ce soit l’acheteur qui ait droit à la déduction, il nous apparaît que cette solution est fondée sur l’équité : puisque l’acheteur conserve les revenus et paie l’impôt sur lesdits revenus, il est logique qu’il puisse déduire de ces mêmes revenus la dépense d’amortissement.

Par ailleurs, en ce qui concerne la condition suspensive, un représentant autorisé du ministère du Revenu du Québec nous a confirmé que la position administrative applicable aux conditions résolutoires s’applique, mutatis mutandis, aux conditions suspensives.

Nous pouvons également étudier certaines dispositions d’autres lois québécoises qui ont à traiter des conséquences fiscales de la rétroactivité des obligations conditionnelles. Pensons par exemple à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières[349], qui prévoit les droits imposés par les municipalités sur les transferts d’immeubles. La définition du terme « transfert », à l’article 1 de cette loi, réfère notamment au « transfert du droit de propriété d’un bien ». Une définition presque identique se retrouve à l’article 1 de la Loi concernant les droits sur les transferts de terrains[350]. Or, le ministère du Revenu du Québec a fait part de son point de vue quant à l’application de cette dernière loi dans les cas d’exercice du droit de retrait effectué suite à une vente d’immeuble par une municipalité pour défaut de paiement des taxes :

  • « 2. Aux termes de l’article 532 de la Loi sur les cités et villes (L.R.Q., c. C-19), l’enregistrement d’une copie authentique d’un acte devant notaire constatant le remboursement des deniers et le rachat de l’immeuble fait recouvrer au cessionnaire le droit de propriété qu’il avait dans l’immeuble au moment de la vente.

  • 3. Ainsi, suite à une vente d’immeuble pour défaut de paiement des taxes, le terrain n’appartiendra à l’adjudiciaire que lorsque le délai permettant au propriétaire de reprendre l’immeuble sera écoulé et si, à l’intérieur de ce délai, le propriétaire, par l’exercice de son droit de retrait, récupère l’immeuble, il reprendra son droit de propriété dans l’état où il se trouvait au moment de la vente.

  • 4. L’adjudiciaire qui devient propriétaire d’un terrain suite à une vente municipale pour taxes impayées l’est donc sous condition résolutoire. Si le propriétaire exerce son droit de résoudre cette vente par l’exercice de son droit de retrait, le rachat de l’immeuble fera recouvrer au propriétaire exactement le même droit de propriété qu’il possédait au moment de la vente.

  • 5. […] Ainsi, l’exercice du droit de retrait ne constitue pas un transfert au sens de la Loi concernant les droits sur les transferts de terrains puisqu’il n’entraîne aucune transmission de droits entre le cédant et le cessionnaire. »[351] (Notre gras.)

Nous pouvons donc conclure que dans les cas de condition résolutoire, l’accomplissement de la condition aura ses effets rétroactifs à l’égard des droits de mutation, tant en vertu de la Loi concernant les droits sur les transferts de terrains que de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières. Selon Me Marie-Pier Cajolet, non seulement l’acte de rétrocession ne serait pas assujetti à la loi, mais l’annulation de l’acte de vente initial obligerait la municipalité à rembourser les droits de mutations antérieurement perçus.[352]

En matière de taxe de vente, par ailleurs, tant en vertu de la Loi sur la taxe d’accise[353] que de la Loi sur la taxe de vente du Québec[354], l’événement déclencheur de la taxe est la « fourniture taxable ». Au fédéral, la « fourniture » est définie comme la « livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, […] »[355], alors qu’au Québec la définition fait référence à la « délivrance d’un bien ou la prestation d’un service, de quelque manière que ce soit, y compris par vente, […] »[356]. On serait donc tenté de croire que la rétroactivité des obligations conditionnelles n’a pas d’impact sur la TPS ou la TVQ, puisque la rétroactivité ne peut annuler la « livraison » ou la « délivrance » du bien[357]. Pourtant, le ministère du Revenu du Québec semble reconnaître la rétroactivité de la condition résolutoire eu égard à l’application de la TVQ :

« Par contre, si l’ensemble du contrat constitue une vente à réméré, les transactions réalisées par B à A ne seront pas comptées comme fourniture taxable étant donné l’effet rétroactif de cette vente. B sera alors considéré comme une PME ayant droit à tous ses RTI.

Selon l’article 1750 du Code civil du Québec («C.c.Q»), la vente faite avec faculté de rachat, aussi appelée vente à réméré, est une vente sous condition résolutoire par laquelle le vendeur transfère la propriété d’un bien à l’acheteur en se réservant la faculté de le racheter.

Après analyse du contrat, il appert que la transaction ne constitue pas une vente à réméré. En effet, aucune clause ne reflète l’intention de A de se réserver un droit de propriété sur un bien précis à être exercé dans un certain délai.

C’est pourquoi, nous considérons qu’il s’agit de deux transactions, de deux ventes selon l’article 1708 C.c.Q.: la première de A à B et la seconde de B à A.

Ces ventes étant des fournitures taxables, assujetties à la taxe sur les produits et services et à la taxe de vente du Québec, elles seront prises en compte pour déterminer le statut de B. »[358] (Notre gras.)

Cette opinion traite de la vente à réméré, mais puisque cette dernière est une vente sous condition résolutoire[359], il est permis de croire que l’opinion exprimée peut s’appliquer à toute condition résolutoire.

Enfin, signalons que la rétroactivité de la condition résolutoire n’est pas toujours reconnue aux fins du calcul du capital versé, dans le cadre de la taxe sur le capital imposée par la Partie IV de la Loi sur les impôts. Dans un cas particulier, le ministère du Revenu a émis cette opinion[360], se fondant sur l’article 1131 L.I., qui prévoit que la taxe sur le capital à payer pour une année d’imposition porte sur le capital versé montré aux états financiers de la société pour l’année. Or, les principes comptables généralement reconnus ne prévoyaient pas, dans ce cas, que les états financiers puissent être modifiés et soumis de nouveau aux actionnaires pour les années antérieures visées par la rétroactivité de la transaction en cause.

4. L’analyse critique du traitement de la rétroactivité des obligations conditionnelles en fiscalité

Après avoir effectué l’analyse juridique du droit actuel relatif aux obligations conditionnelles, tant en droit civil qu’en common law et en droit fiscal, nous sommes maintenant en mesure de procéder à une analyse critique de la Loi, de la jurisprudence et de la position administrative de l’ADRC, afin de déterminer si le droit fiscal est en conflit avec le droit civil eu égard à l’effet rétroactif des obligations conditionnelles.

Nous proposerons par la suite des pistes de solutions, qui se traduiront par des propositions de modifications législatives.

4.1 Les conflits entre le droit fiscal fédéral et le droit civil

4.1.1 La condition suspensive

La position adoptée par l’Agence à l’égard des conditions suspensives, comme nous l’avons vu, distingue les cas où la possession et la jouissance du bien est transférée à l’acheteur pendente conditione, et les cas où elle ne l’est pas.

4.1.1.1 Sans transfert de la possession

Dans ce cas, l’Agence considère qu’il n’y a pas disposition avant que la condition ne soit réalisée, puisque avant ce moment le vendeur n’a pas un droit absolu au prix de vente.

Cette position est fondée sur le critère énoncé par la Cour de l’Échiquier dans l’affaire Victory Hotels, selon lequel il y a disposition, dans les cas de vente, lorsque le vendeur a droit au prix de vente.

En ce qui concerne la période antérieure à la réalisation de la condition, cette solution concorde avec le droit civil : l’obligation n’existe pas encore, il n’y a donc pas eu transfert du droit de propriété. De même, dans le cas où la condition défaille, rien ne se produit, ni en droit civil, ni en droit fiscal.

La situation se complique évidemment lorsque la condition se réalise. Dans ce cas, la position de l’Agence est à l’effet que la disposition survient au moment de la réalisation de la condition. Or, l’effet rétroactif de la condition suspensive prévu par le Code civil fait en sorte que le transfert de propriété est censé avoir eu lieu dès le moment de la conclusion du contrat. La position des autorités fiscales ne reconnaissant pas cet effet rétroactif, il y a dès lors conflit avec le droit civil.

Cette position de l’Agence entraîne des difficultés importantes pour le contribuable, notamment au niveau de la planification fiscale. En effet, si la rétroactivité de la condition n’est pas reconnue, la transaction est assujettie à toutes les modifications législatives survenues pendente conditione , ce qui rend très hasardeuse toute planification des conséquences fiscales de la transaction. Prenons par exemple le cas d’une vente sous condition suspensive d’actions d’une société exploitant une petite entreprise : si l’exonération sur le gain en capital venait à être abolie, ou encore si la société perdait sa qualification de « société exploitant une petite entreprise » avant que la condition se réalise, le vendeur n’y aurait plus droit et les conséquences fiscales pourraient être désastreuses pour lui.

Toutefois, dans l’état actuel du droit, nous sommes d’avis que la position de l’Agence est mal fondée en droit, puisqu’elle repose sur la jurisprudence ayant erronément appliqué au Québec le test de Wardean Drilling, notamment la décision Olympia & York. En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, les dispositions existantes de la Loi n’écartent pas l’application de la rétroactivité de la condition suspensive. La nature accessoire du droit fiscal par rapport au droit privé et le principe de complémentarité du droit privé nous obligent à recourir au droit civil pour interpréter la notion de disposition contenue dans la Loi, puisque la définition de cette notion n’est pas exhaustive.

Or, en droit civil, la notion de disposition fait référence au moment du transfert de propriété, ce qui a été reconnu implicitement par la Cour suprême dans l’arrêt Compagnie Immobilière BCN[361]. Ainsi, puisque le Code civil fait en sorte que le transfert de propriété est réputé avoir eu lieu dès le moment de la conclusion du contrat, il s’ensuit que la disposition aux fins fiscales devrait se situer au même moment.

D’ailleurs, même en common law, la notion de disposition fait également référence à la notion de propriété. En effet, la common law reconnaît la division de la propriété entre le beneficial owner et le legal owner : c’est pourquoi on peut dire, en common law, qu’il y a disposition lorsqu’il y a transfert du beneficial ownership. Ainsi, nous sommes d’accord avec le juge Noël, dans l’arrêt Construction Bérou, lorsqu’il soutient que la décision Wardean Drilling n’a pas écarté le droit privé provincial aux fins de l’application de la définition de disposition en matière fiscale; au contraire, il a simplement appliqué le droit privé provincial applicable, à savoir la common law.

Notre position ne contredit pas nécessairement la décision de Victory Hotels. Nous avons vu que dans cette affaire, la Cour de l’Échiquier, après avoir reconnu que la définition de disposition de la L.I.R. n’est pas exhaustive, a semblé restreindre cette notion, dans les cas de vente, au moment où le vendeur a droit au prix de vente. Cette affirmation était fondée sur le fait que la définition de « disposition de biens » inclut un « événement donnant droit au contribuable au produit de disposition d’un bien », ce dernier incluant lui-même le « prix de vente du bien qui a été vendu ».

Or, ces définitions ne prévoient pas que dans le cas d’une vente, la disposition a lieu uniquement lorsque le vendeur a droit au prix de vente; elles ne font qu’inclure cet événement dans la notion de disposition, c’est-à-dire qu’elles prévoient qu’il y a notamment disposition lorsque le vendeur a droit au prix de vente. Ainsi, la disposition peut avoir lieu avant que le vendeur ait droit au prix de vente, mais elle ne peut avoir lieu après. D’ailleurs, le passage déjà cité de l’affaire Victory Hotels, bien qu’il soit équivoque, peut être interprété en ce sens :

« These sections do not define but merely include as a disposition of property a transaction (a sale for instance) entitling a taxpayer to proceeds of disposition of property, i.e. to the sale price of the property sold. It would indeed appear that the meaning of “disposition of property” has been somewhat restricted by the Act when a disposal of property takes place by means of a sale; in such a case there is a disposal of property as soon as a taxpayer is entitled to the sale price of the property sold. »[362](Notre gras.)

Dans le cas de la condition suspensive, comme nous l’avons vu, le vendeur n’acquiert le droit de recevoir le prix de vente que lorsque la condition est réalisée. Ainsi, puisque la rétroactivité fait en sorte que le transfert du droit de propriété se produit avant le moment où le vendeur a droit au prix de vente, il n’y a pas contradiction dans le fait que la disposition ait lieu dès le moment du transfert de propriété.

Par ailleurs, nous avons vu que la Cour suprême[363] ainsi que d’autres tribunaux[364] ont déjà reconnu l’applicabilité en matière fiscale de l’effet rétroactif prévu par une loi provinciale. Nous avons émis l’opinion que cette jurisprudence est bien fondée, puisque le droit fiscal doit respecter les conséquences juridiques des contrats imposées par le droit privé des provinces.[365]

Selon nous, l’argument selon lequel la rétroactivité de la condition suspensive, en droit civil, ne s’applique qu’aux choses de droit et non aux choses de fait n’empêche pas l’application de la rétroactivité en matière fiscale[366]. En effet, nous en sommes venus à la conclusion que la disposition est une notion de droit, qui fait référence, dans le cas d’une vente, à la transmission du droit de propriété. Nous ne pouvons assimiler la disposition aux faits réels, incontestables et irréversibles qui échappent à la rétroactivité, tels la perception des fruits, la jouissance du bien ou les actes d’administration posés. Il nous semble au contraire que puisque la rétroactivité s’applique à la transmission du droit de propriété, elle devrait également s’appliquer à la disposition car ces deux notions sont liées.

De surcroît, même si l’on appliquait en droit civil le test de la disposition tel qu’élaboré dans Wardean Drilling, la disposition devrait être reconnue au moment de la conclusion du contrat. En effet, dans cette décision, le juge a statué que la disposition a lieu au moment du transfert du titre de propriété, ou, lorsque le titre est conservé par le vendeur comme garantie du prix de vente, au moment du transfert des attributs ordinaires du droit de propriété. Or, en matière de condition suspensive, le titre de propriété n’est pas conservé par le vendeur à titre de sûreté, contrairement à ce qui se produit dans le cas d’une vente à tempérament. Ainsi, il faut s’en remettre au premier volet du test qui prévoit que la disposition a lieu au moment du transfert du titre de propriété, c’est-à-dire, en droit civil, au moment de la conclusion du contrat, vu l’effet rétroactif de la condition.

Un autre argument pourrait toutefois être soulevé à l’encontre de notre position. Cet argument découle de l’alinéa e) de la définition de disposition au paragraphe 248(1) L.I.R., qui prescrit que le transfert d’un bien qui n’a pas pour effet de changer la « propriété effective » de ce bien ne constitue pas une disposition. En d’autres termes, malgré le transfert du droit de propriété à une date antérieure, il n’y aurait disposition qu’au moment de la transmission du beneficial ownership. Ainsi, selon cet argument, même si la rétroactivité de la condition fait en sorte que le transfert du droit de propriété se produit à la date de la conclusion du contrat, la disposition ne pourra avoir lieu qu’au moment du transfert du beneficial ownership, c’est-à-dire au moment de la réalisation de la condition.

Néanmoins, nous pouvons réfuter cet argument puisque l’alinéa 248(3)f) L.I.R. spécifie qu’aux fins de l’application de la notion de « propriété effective » au Québec, celle-ci signifie notamment le droit de propriété sur un bien. Partant, lorsque le droit de propriété est transféré, le transfert de la « propriété effective » a lieu au même moment, c’est-à-dire au moment déterminé en vertu du droit civil.

4.1.1.2 Avec transfert de la possession

Lorsque la vente sous condition suspensive est accompagnée du transfert immédiat de la possession du bien à l’acheteur, l’Agence considère qu’il y a disposition au sens de la Loi dès le moment de ce transfert de possession.

La position de l’Agence se fonde sur l’affaire Olympia & York, dans laquelle la Cour fédérale de première instance a décidé qu’il y avait eu disposition en droit fiscal en dépit du fait qu’il n’y avait pas eu vente en droit civil[367]. Cette décision se fondait elle-même sur le critère établi dans Wardean Drilling. Nous avons déjà émis l’opinion que la décision Olympia & York est mal fondée en droit, car elle a importé en droit civil un précédent jurisprudentiel de common law, qui par surcroît reposait sur une notion inexistante en droit civil, à savoir la division du droit de propriété entre le legal owner et le beneficial owner. Conséquemment, nous sommes d’avis que la position de l’Agence est également mal fondée en droit.

En droit civil, la vente ne peut avoir lieu avant que la condition suspensive ne se réalise, et le vendeur n’a pas droit au prix de vente avant que cet événement ne survienne. L’Agence reconnaît pourtant ce principe, lorsqu’il est question de condition suspensive sans transfert de possession. Or, rien ne justifie en droit un traitement différent lorsque la possession est transmise à l’acheteur pendente conditione; comme nous l’avons expliqué, la disposition en droit fiscal est liée au transfert du droit de propriété tel que déterminé par le droit civil, et ce dernier ne reconnaît aucun droit de propriété au possesseur de la chose, contrairement à la common law.

Une fois que la condition suspensive est réalisée, ironiquement, l’application de la position de l’Agence aboutit au même résultat que le droit civil : il y a disposition lors de la conclusion du contrat. Il s’agit d’une coïncidence, car ce résultat ne découle pas des mêmes causes : en droit civil, la rétroactivité de la condition fait en sorte que le droit de propriété a été transféré dès le moment de la conclusion du contrat, alors qu’en matière fiscale, suivant la position de l’Agence, c’est le transfert de la possession, de l’usage et du risque à ce moment qui entraîne une disposition.

Lorsque la condition suspensive défaille, il y a selon l’Agence une seconde disposition en faveur du vendeur. Pour les motifs que nous venons d’exposer, nous croyons cette position erronée, puisqu’en droit civil il n’y a jamais eu transfert de propriété. Le vendeur reprend simplement le bien qui lui a toujours appartenu. Il y a donc ici conflit entre le droit fiscal et le droit civil.

Ce conflit entraîne d’importantes conséquences fiscales pour le vendeur. Dans le cas d’un bien en immobilisation, autre qu’un bien amortissable, celui-ci devra s’imposer sur le gain en capital réalisé lors de la « disposition », et ce même s’il n’a jamais eu droit au prix de vente. Lorsqu’il récupère son bien, le prix de base rajusté de celui-ci est augmenté pour correspondre au prix de vente : il s’est ainsi produit une « cristallisation involontaire » du prix de base rajusté du bien, qui dans bien des cas, ne donnera pas droit à l’exonération sur le gain en capital.

Ainsi, le vendeur doit payer l’impôt sur le gain en capital, malgré le fait qu’il soit toujours propriétaire du bien et qu’il ne bénéficie pas des liquidités provenant du prix de vente pour payer l’impôt sur le gain en capital. Cette situation est celle que la Cour suprême a refusé d’admettre dans l’arrêt Dominion Engineering.

Pour l’acheteur d’un tel bien, il n’y aura pas de gain en capital puisque le produit de disposition réputé, à savoir le prix de vente, est par la force des choses le même que son coût d’acquisition.

Dans le cas d’un bien amortissable, le vendeur devra s’imposer sur la récupération de l’amortissement dès le transfert de la possession du bien à l’acheteur. Lorsqu’il reprendra son bien, il ne pourra récupérer l’impôt payé et devra se contenter de l’augmentation correspondante de son coût en capital. À l’inverse, l’acheteur qui aura réclamé la déduction pour amortissement pendant qu’il avait la possession du bien devra lui aussi se taxer sur la récupération de l’amortissement, car il sera réputé « revendre » le bien pour le prix de vente initial.

Qu’en est-il dans le cas de perte en capital ou de perte finale? En toute logique, le vendeur devrait pouvoir la déduire et ne devrait pas avoir à rembourser l’impôt ainsi économisé, lors de la restitution du bien. En ce cas, lorsque le vendeur reprend son bien, il est censé l’avoir acheté pour le montant du prix de vente, qui devient son nouveau prix de base rajusté. Le vendeur a ainsi « encaissé » une perte en capital ou une perte finale latente, sans se départir de la propriété du bien. Cette fois, la non-reconnaissance de la rétroactivité est à l’avantage du contribuable.

Un autre problème se soulève, dans le cas de la vente des actions votantes d’une société, à savoir le changement de contrôle de celle-ci. En effet, si les actions sont vendues sous condition suspensive, l’Agence considère que celles-ci font l’objet d’une disposition dès que l’acheteur en a la possession. Or, si les actions ainsi disposées sont suffisantes pour transférer le contrôle de la société à l’acheteur, ceci entraînera l’application des règles d’acquisition de contrôle prévues à la Loi, notamment la fin d’année réputée et les limites aux reports de pertes. Lorsque l’acheteur reprend ses actions suite à la défaillance de la condition, il y aurait une deuxième acquisition de contrôle. Le vendeur, qui n’a jamais vendu ses actions en vertu du Code civil, perdrait donc le bénéfice du report des pertes, même à l’égard de celles encourues avant la transaction. Me Pierre Martel souligne ce problème, ajoutant qu’une telle interprétation serait contraire à l’esprit des dispositions anti-évitement applicables lors d’une acquisition de contrôle.[368]

L’Agence justifie notamment sa position par le fait que l’économie générale de la Loi ne permet pas la « réouverture » des déclarations fiscales des années antérieures pour corriger les conséquences fiscales de la rétroactivité[369]. Or, les règles introduites par le « dossier équité » permettraient au contribuable de réclamer un remboursement pour les années prescrites. Il serait parfaitement possible de modifier la Loi afin que les dispositions relatives à la prescription puissent permettre une nouvelle cotisation par l’Agence afin de réclamer l’impôt dans de tels cas. D’ailleurs, le ministère du Revenu du Québec applique déjà ces procédures administratives, ce qui ne semble pas poser problème. À tout événement, cet argument ne tient pas dans les cas où la défaillance de la condition suspensive survient dans la même année d’imposition que la conclusion du contrat, alors que l’Agence considère qu’il y a eu disposition imposable, même dans de tels cas.

4.1.2 La condition résolutoire

Dans le cas des conditions résolutoires, la position de l’Agence est qu’il y a disposition dès la conclusion du contrat, et une seconde disposition en cas de résolution du contrat suite à la réalisation de la condition.

Pendente conditione, cette position est conforme au droit civil. En effet, celui-ci reconnaît que la vente sous condition résolutoire est considérée comme une vente pure et simple, tant que la condition n’est pas accomplie : le transfert du droit de propriété à l’acheteur est immédiat, et le vendeur a droit au prix de vente.

Cette interprétation est également conforme à la jurisprudence en matière fiscale que nous avons analysée, tant dans les cas de condition résolutoire que dans ceux de condition subsequent. Le droit civil et la common law étant similaires à cet égard, il est logique que le traitement fiscal soit identique.

Si la condition résolutoire ne se réalise jamais, la situation demeurera indéfiniment la même : il y a eu disposition dès le moment de la signature du contrat, tant en droit civil qu’en droit fiscal, et aucun conflit ne survient.

Par contre, lorsque la condition résolutoire s’accomplit, la rétroactivité prévue par le Code civil fait en sorte qu’il n’y a jamais eu transfert du droit de propriété. Les autorités fiscales ne reconnaissant pas la rétroactivité, il en résulte un conflit avec le droit civil.

Comme nous l’avons exposé antérieurement, nous sommes d’avis que cette position de l’Agence est mal fondée en droit, compte tenu de la jurisprudence en matière fiscale. Nous référons à ce que nous avons déjà dit plus haut, à savoir que la disposition en droit fiscal fait référence au transfert du droit de propriété, tel que régi par le droit civil, et que la rétroactivité imposée par le droit civil s’applique en matière fiscale. Lorsqu’une condition résolutoire est réalisée, il n’y aurait donc jamais eu disposition aux fins fiscales, puisque le transfert de propriété n’a jamais eu lieu. De la même façon, nous sommes d’avis que le droit du vendeur de recevoir le prix de vente disparaît rétroactivement : l’événement qui a ouvert le droit au prix de vente étant réputé n’avoir jamais eu lieu, il est censé n’avoir jamais eu ce droit. C’est d’ailleurs pourquoi il y a restitution du prix de vente.

Les problèmes causés par la non-reconnaissance par l’Agence de la condition résolutoire sont les mêmes que ceux que nous avons exposés ci-dessus relativement au cas des conditions suspensives avec transfert de possession : imposition du gain en capital pour le vendeur, récupération d’amortissement pour le vendeur et pour l’acheteur, application des règles d’acquisition de contrôle.

En outre, l’Agence est d’avis que les articles 79 et 79.1 L.I.R. pourraient s’appliquer dans une telle situation. Comme nous l’avons souligné, l’application de ces articles n’est pas pertinente dans les cas de véritables conditions résolutoires, puisqu’ils ne visent que la reprise du bien suite au défaut de paiement de l’acheteur. Toutefois, il n’en demeure pas moins que dans les cas de résolution de la vente suite à l’inexécution du débiteur, on considère ici qu’il y a eu transfert de la « propriété effective » et ce, alors que le droit de propriété n’a jamais été transféré en vertu du droit civil. Or, comme nous l’avons vu, l’alinéa 248(3)f) L.I.R. spécifie que le terme « propriété effective » vise le droit de propriété en droit civil, et n’inclut pas le simple transfert de la possession, de l’usage et du risque. La position de l’Agence nous semble donc erronée.

4.2 Les solutions proposées

Nous avons conclu que, dans l’état actuel du droit, l’interprétation de la notion de disposition en droit fiscal doit nécessairement se soumettre au droit civil puisque, d’une part, la Loi de l’impôt sur le revenu ne définit pas cette notion mais ne fait qu’y inclure des concepts qui autrement ne l’auraient pas été, et que d’autre part la définition de la Loi elle-même réfère à un concept de droit privé sans le définir de façon exhaustive, soit le beneficial ownership. Nous en avons donc conclu que la rétroactivité de la condition devrait s’appliquer en droit fiscal, puisque le droit privé à cet égard n’a pas été écarté par la Loi.

Néanmoins, nous croyons qu’il n’est peut-être pas nécessairement souhaitable que le droit fiscal reconnaisse la rétroactivité prévue au Code civil; dans ce cas, la Loi devrait être modifiée afin d’écarter expressément le droit privé des provinces et d’établir une règle spécifique pour l’application du droit fiscal. En d’autres termes, nous sommes d’avis que si le législateur fédéral souhaite se dissocier du droit privé provincial en cette matière, il devra le faire expressément.

Nous examinerons donc maintenant la pertinence de reconnaître l’effet rétroactif des obligations conditionnelles en droit fiscal, puis nous tenterons de déterminer quelle est la politique fiscale qui devrait sous-tendre la notion de disposition. Par la suite, nous ferons les recommandations de modifications législatives que nous croyons appropriées.

4.2.1 Les conséquences de la rétroactivité en droit fiscal

Voyons d’abord quelles seraient les conséquences de la reconnaissance de l’effet rétroactif des obligations conditionnelles en droit fiscal.

Dans le cas d’une vente sous condition suspensive, comme nous l’avons écrit ci-dessus, la réalisation du gain en capital ne devrait être reconnue qu’une fois la condition accomplie, mais alors, rétroactivement au moment de la conclusion du contrat. Si le contrat a été signé dans une année antérieure, le contribuable devrait alors remplir une déclaration amendée pour l’année d’imposition au cours de laquelle le contrat a été signé, afin de déclarer ce gain en capital. La même logique s’applique à la réalisation d’un revenu d’entreprise ou à la récupération de l’amortissement.

À l’inverse, si le contribuable a subi une perte en capital ou une perte finale, il devrait pouvoir déposer une déclaration amendée pour réclamer cette perte.

De toute évidence, les dispositions de la Loi relatives à la prescription devraient être modifiées, de façon à permettre à l’Agence de cotiser de nouveau pour l’année visée, même en dehors de la période normale de nouvelle cotisation.

Certains problèmes se poseront dans l’application de la rétroactivité de la condition suspensive. D’abord, le vendeur qui a réclamé l’amortissement pendente conditione se trouve, une fois la condition accomplie, dans une situation où il a réclamé l’amortissement sur un bien dont il n’était plus propriétaire pour les années d’imposition visées. Devra-t-il rembourser l’impôt économisé en raison de ces déductions réclamées? De même, l’acheteur, qui est propriétaire du bien rétroactivement à la date de la conclusion du contrat, pourra-t-il réclamer l’amortissement pour les années où la condition était en suspens? L’une ou l’autre de ces solutions pourrait mener à des iniquités pour l’une ou l’autre des parties à la transaction. En effet, si le vendeur a conservé la possession, la jouissance et le contrôle du bien et en a assumé les risques et les charges, durant la période d’incertitude, il semblerait injuste que ce soit l’acheteur qui puisse réclamer l’amortissement pour ces années. À l’inverse, si l’acheteur a eu possession du bien de la même façon pendant les années en question, il serait contraire à l’équité de lui refuser le droit de réclamer l’amortissement.

Une solution à ce problème consisterait à adopter la position du ministère du Revenu du Québec, qui ne réclame pas le remboursement de l’amortissement réclamé antérieurement par une partie et n’accorde pas l’amortissement à l’autre partie rétroactivement. Les parties seraient alors libres de stipuler laquelle des deux aurait le droit de déduire l’amortissement et devraient produire un choix conjoint, comme c’est actuellement le cas pour les contrats de crédit-bail[370]. Toutefois, à défaut du choix conjoint des parties, le problème resterait entier : juridiquement, si l’on reconnaît tous les effets de la rétroactivité, il faudrait reconnaître rétroactivement le droit de réclamer la déduction pour amortissement à l’acheteur et le retirer au vendeur, entraînant les problèmes d’équité potentiels que nous venons de souligner et une plus grande complexité administrative.

Par ailleurs, comme nous l’avons déjà mentionné, la rétroactivité de la condition suspensive met le contribuable à l’abri de toute modification législative pouvant survenir avant que la condition ne se réalise. Si cela procure un avantage incontestable au contribuable, il va sans dire qu’il s’agit d’une perte fiscale pour l’État. De surcroît, cette conséquence de la rétroactivité de la condition suspensive ouvrirait la porte à de nombreuses possibilités de planifications fiscales très avantageuses pour le contribuable, ce qui obligerait encore une fois le législateur à complexifier la Loi afin de contrer les transactions d’évitement.

Quant à la condition résolutoire, l’application de la rétroactivité poserait également certains problèmes.

Dans le cas d’une vente sous condition résolutoire, le gain ou la perte en capital, ou encore la récupération d’amortissement ou la perte finale, serait reconnu dès l’année d’imposition de la conclusion du contrat. Ce n’est que lors de la réalisation de la condition que la disposition serait réputée n’avoir jamais eu lieu; le contribuable devrait alors remplir une déclaration amendée pour réclamer le remboursement de l’impôt payé sur le gain en capital ou la récupération d’amortissement. De la même façon, il devrait payer l’impôt économisé initialement sur la déduction de la perte en capital ou de la perte finale réclamée. Évidemment, les commentaires que nous avons faits ci-dessus quant aux modifications législatives à apporter aux règles de la prescription sont pertinents ici.

Quant à l’amortissement, la question de savoir qui pourra le réclamer pour la période pendente conditione se pose de la même façon que dans le cas des conditions suspensives : l’acheteur, qui a eu la possession du bien, en a assumé les risques et les charges et retiré les revenus, a réclamé l’amortissement pour ces années. Or, suite à la réalisation de la condition, il se trouve à avoir réclamé l’amortissement sur un bien qu’il n’avait pas acquis, alors que le vendeur qui n’a jamais disposé du bien pourrait théoriquement réclamer l’amortissement pour les années en question. Cependant, contrairement au cas de la condition suspensive, l’acheteur a non seulement la possession pendente conditione , mais il a un véritable droit de propriété qui est anéanti rétroactivement : l’équité voudrait donc que ce soit lui qui puisse réclamer l’amortissement pour cette période. C’est la solution retenue par les autorités fiscales québécoises.

4.2.2 Les objectifs du législateur

En 1991, lors du congrès de l’APFF, le ministère des Finances émettait l’opinion suivante en commentant la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Fortin & Moreau (Construction Bérou) :

« Le ministère des Finances considère qu’il est important d’avoir la même définition des concepts d’acquisition et de propriété en droit civil comme en common law pour éviter des incohérences dans l’imposition des opérations selon qu’elles se produisent au Québec ou dans une province de common law. »[371]

Cette citation exprime bien l’objectif d’application uniforme de la Loi à travers le pays, eu égard aux notions d’acquisition et de disposition.

Bien que nous ayons conclu que la position exacte en droit fiscal, dans l’état actuel du droit, est que la rétroactivité des obligations conditionnelles devrait être reconnue, nous sommes conscients de l’importance de cet objectif d’application uniforme. En effet, en termes de politique fiscale, il est compréhensible que le ministère des Finances souhaite l’application de la Loi de la même façon au Québec que dans les autres provinces, favorisant ainsi les échanges commerciaux interprovinciaux et l’équité dans l’application de la Loi.

Cependant, cet objectif se heurte au respect des deux systèmes de droit privé existants au Canada, le droit civil et la common law; ceux-ci sont fondamentalement différents eu égard à la notion de propriété et aux conséquences des obligations conditionnelles. D’où la nécessité, si l’on veut atteindre l’objectif d’application uniforme de la Loi, de définir une notion de disposition spécifique au droit fiscal, qui ne fasse référence à aucun des deux systèmes de droit privé, ou qui tienne compte des différents concepts de ceux-ci.

Par ailleurs, il faut reconnaître que l’objectif du législateur, au départ, était de définir la notion de disposition d’une façon large. Le Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité[372], communément appelé le « Rapport Carter », publié en 1966, préconisait l’adoption d’une assiette fiscale compréhensive, incluant toute « augmentation de la puissance économique » y compris celle provenant de la hausse de la valeur marchande des biens possédés, et ce indépendamment de la réalisation de cette plus-value. En raison de considérations pratiques, cependant, la Commission recommandait que la plus-value ne soit imposée que lors de la « disposition » des biens, mais puisque cette concession résultait d’un compromis par rapport à l’assiette théorique idéale, la Commission recommandait l’adoption d’une notion de disposition très large.[373]

Néanmoins, le gouvernement de l’époque n’avait pas cru bon d’aller aussi loin que les recommandations de la Commission Carter[374]. Le législateur a finalement adopté la même définition de disposition que celle qui existait depuis 1949 aux fins de la récupération de l’amortissement.[375]

Nous avons vu qu’un important courant jurisprudentiel a tenté d’uniformiser la notion de disposition, tant en droit civil qu’en common law, pour les fins d’application de la Loi. Cette jurisprudence a assimilé la disposition au transfert du beneficial ownership. Bien que nous soyons en désaccord avec ce courant jurisprudentiel, en raison de la formulation de la Loi et de la complémentarité du droit privé, nous devons admettre que l’objectif est souhaitable : il s’agit d’imposer la plus-value sur les biens lorsqu’elle est réalisée, c’est-à-dire lorsque le gain est définitivement déterminé.

En effet, nous sommes d’avis que la politique fiscale sous-jacente à l’imposition du gain en capital ou de la récupération de l’amortissement vise à imposer le gain lorsqu’il est réalisé, c’est-à-dire lorsque le droit du vendeur de recevoir le prix de vente est certain et absolu.

L’exigence que le revenu soit réalisé avant d’être taxé est un principe fondamental de fiscalité au Canada, de même qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis[376]. L’une des raisons principales qui sous-tendent ce principe est que c’est à ce moment que la valeur du bien cesse de fluctuer et que le gain ou la perte peut être mesuré avec exactitude. C’est également à ce moment que le vendeur dispose des liquidités nécessaires pour être en mesure d’acquitter les impôts.[377]

4.2.3 Les modifications législatives proposées

Nous tenterons ici de proposer des modifications législatives qui tiennent compte de l’équilibre nécessaire entre l’objectif d’application uniforme de la Loi à l’échelle canadienne et le respect des deux systèmes de droit privé. Il est entendu que nous ne proposons ici qu’une amorce de solution; nous n’avons pas effectué une analyse exhaustive des solutions possibles, ceci dépassant le cadre du présent texte.

Une solution possible serait de définir la notion de disposition de façon claire et complète, afin d’écarter complètement la complémentarité du droit privé des provinces. Cette définition pourrait faire référence au moment où le vendeur a un droit absolu, bien que pas nécessairement immédiat, au prix de vente. Cependant, nous considérons qu’il serait extrêmement difficile d’élaborer une définition exhaustive de la notion de disposition qui soit neutre, c’est-à-dire qui ne ferait référence à aucun concept de droit privé pour la compléter, tel que la propriété ou le beneficial ownership.

Il nous semble qu’il serait plus approprié de définir le concept de disposition en établissant d’une part ce qu’il vise au Québec, et d’autre part ce qu’il signifie en common law. Pour son application au Québec, la définition pourrait inclure les éléments suivants :

Pour son application dans les provinces de common law, la définition pourrait prévoir que la disposition a lieu dès que le beneficial ownership est transféré, indépendamment du fait que le legal ownership est conservé par le vendeur.

Cette définition ferait en sorte qu’au Québec, dans le cas d’une vente sous condition suspensive, la disposition n’aurait lieu que lors de la réalisation de la condition, puisque c’est à ce moment que le vendeur a un droit absolu au prix de vente. Dans le cas d’une condition résolutoire, puisque l’obligation prend naissance immédiatement, la disposition aurait lieu dès la conclusion du contrat.

En écartant l’effet rétroactif de la condition, cette définition éviterait toutes les difficultés que nous avons exposées plus haut et simplifierait l’application de la Loi en évitant le mécanisme des déclarations amendées. Bien entendu, tous les inconvénients de la non-reconnaissance de la rétroactivité que nous avons mentionnés demeureraient. C’est là le prix à payer pour avoir une législation fiscale uniforme : il s’agira du choix du législateur. À tout le moins, une rédaction claire de la Loi permettrait aux contribuables québécois de savoir à l’avance que la rétroactivité de leurs transactions n’aura pas d’effet aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu.

En common law, cette définition ferait en sorte qu’en présence d’une condition precedent , la disposition n’aurait lieu que lors de la réalisation de celle-ci puisqu’en vertu de la common law, le beneficial ownership n’est transféré qu’à ce moment. Quant aux conditions subsequent, puisqu’elles n’empêchent pas la transmission du beneficial ownership, il y aurait disposition immédiate.

Ainsi, le traitement fiscal des obligations conditionnelles en droit civil serait identique à celui des conditions en common law, ce qui ferait en sorte d’atteindre l’objectif d’application uniforme de la Loi partout au Canada.

En outre, la définition proposée fait en sorte que dans le cas d’une vente à tempérament, en droit civil, la disposition aurait lieu dès la conclusion du contrat, puisque nous avons vu qu’une telle vente transfère immédiatement la possession, l’usage, le droit de percevoir les fruits ainsi que les risques de perte à l’acheteur, et que le vendeur a un droit absolu au prix de vente, bien qu’il soit soumis à un terme.

Enfin, cette définition respecte les concepts et la terminologie du droit civil et de la common law, conformément aux principes d’harmonisation de la Loi fédérale avec le droit civil.

En ce qui concerne la résolution du contrat suite à l’inexécution du débiteur, les paragraphes 79(2) et 79.1(2) L.I.R. devraient être modifiés pour ne plus faire référence à la « propriété effective », mais plutôt aux mêmes concepts que nous avons inclus dans la définition de disposition. Il faudrait également écarter, de la même façon, l’effet rétroactif de la résolution du contrat.

Conclusion

Dans le cadre du présent texte, nous avons analysé le droit applicable aux obligations conditionnelles, en droit civil et en common law, ainsi que leurs conséquences fiscales.

Nous avons étudié différents concepts de droit civil et de common law, reliés aux obligations conditionnelles et à la rétroactivité, et avons fait ressortir leurs divergences et similarités. Nous avons ensuite analysé les conséquences fiscales de ces différents concepts de droit privé. Nous sommes venus à la conclusion que le droit fiscal actuel, en dépit de l’existence de tendances jurisprudentielles contradictoires et des ambiguïtés de la Loi de l’impôt sur le revenu, s’en remettait essentiellement aux règles prévues par le droit privé pour déterminer le moment de la disposition d’un bien.

Cette conclusion repose sur le principe de complémentarité, qui veut que lorsque la Loi ne définit pas exhaustivement un terme qui fait référence au droit privé, les règles applicables sont celles du droit civil, pour le Québec, et de la common law pour les autres provinces.

Nous avons enfin conclu que si le législateur fédéral souhaite écarter le droit privé des provinces pour imposer une règle spécifique au droit fiscal, il doit le faire de façon expresse. Nous avons proposé, à cet égard, des modifications législatives visant à atteindre l’objectif d’application uniforme du droit fiscal dans l’ensemble du pays, tout en respectant les concepts et la terminologie juridique des deux systèmes de droit privé existants, le droit civil et la common law.

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