Commentaire sur les affaires Fiducie Sylvie Vallée c. Canada et Hewlett Packard Ltd c. Canada

Sandra Hassan,
M. Fisc.
(avec la collaboration de
M Chikwa Zahinda, conseiller législatif)
Ministère de la Justice du Canada

Introduction[*]

L'intérêt de la cause Fiducie Sylvie Vallée c. Canada[1], qui fait l'objet de la première partie de la chronique, réside dans le fait qu'il s'agit de la première décision dans laquelle on parle de l'article 8.2 de la Loi d'interprétation[2] en matière de taxe sur les produits et services (ci-après « TPS »). Nous commençons par une analyse de la décision pour ensuite jeter un regard sur la référence faite par le juge à la Loi d'interprétation.

Les concepts « d'acquisition » et de « disposition » au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu[3] continuent de faire l'objet de litiges importants. Nous avons fait état de la jurisprudence récente en la matière dans une chronique précédente[4]. Nous traiterons dans la deuxième partie de la chronique de la dernière décision de la Cour d'appel fédérale sur cette question : Hewlett Packard c. Canada[5].

1. Analyse de la décision Fiducie Sylvie Vallée c. Canada**

1.1 Les Faits

Dans cette affaire la question était de savoir si l'appelante, Fiducie Sylvie Vallée, avait droit à un remboursement pour habitation neuve en vertu de la Loi sur la taxe d'accise[6]. Plus particulièrement, la Cour canadienne de l'impôt (ci-après « C.C.I. ») devait déterminer si une fiducie est un « particulier » au sens du paragraphe 256(2) de la L.T.A.

Les faits de cette affaire, qui s'est déroulée dans la province de Québec, sont forts simples. En juillet 2000, Fiducie Sylvie Vallée fut constituée et à la fin de ce mois, Fiducie Sylvie Vallée a acquis un terrain et, par la suite, y a fait construire une résidence. Après la construction, Fiducie Sylvie Vallée a demandé le remboursement de « TPS » pour habitation neuve en vertu du paragraphe 256(2) de la L.T.A. Le Ministre a refusé d'octroyer le remboursement au motif que l'appelante n'était pas un « particulier », décision que la fiducie a contesté.

1.2 Position des Parties et Décision du Tribunal

L'appelante a soutenu être un particulier. En effet, elle a prétendu qu'elle était une fiducie de protection d'actifs et qu'en conséquence elle n'avait pas de personnalité juridique distincte contrairement à la fiducie de common law. L'appelante a soutenu également qu'étant une fiducie de protection d'actifs, elle n'appartenait pas à la catégorie de fiducie distinguée de « particulier » à la définition de « personne » au paragraphe 123(1) L.T.A. Quant au Ministre, il a prétendu que puisque l'appelante est une fiducie, elle ne pouvait pas être un particulier selon le sens de ce terme dans la L.T.A.

Tout en reconnaissant que la fiducie de droit civil, et partant l'appelante, n'a pas de personnalité juridique, la C.C.I. a reconnu que celle-ci était une « personne » au sens de la LTA. Toutefois, elle a conclu qu'une fiducie n'était pas un « particulier » pour les fins de la L.T.A. puisqu'elle n'est pas une personne physique.

1.3 Analyse et Commentaires

1.3.1 Personnalité juridique

D'entrée de jeu, l'appelante a soutenu qu'étant une fiducie, elle n'avait pas de personnalité juridique. Toutefois, l'appelante a ajouté que cela était « contrairement à ce qu'il en est dans le cas d'un " trust " en common law »; ce commentaire est problématique à notre avis.

Nous partageons la conclusion de la Cour, qui a confirmé les prétentions de l'appelante selon lesquelles une fiducie de droit civil n'a pas de personnalité juridique. En droit civil, il existe deux types de « personnes » : les personnes physiques et les personnes morales. Le Code civil du Québec[7] prévoit que ces deux types de personnes ont la personnalité juridique[8]. Quant à la fiducie, elle n'a pas de personnalité juridique et n'est pas une personne au sens du C.c.Q. En vertu de l'article 1261 C.c.Q. elle est un patrimoine d'affectation autonome et distinct du patrimoine du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel[9].

Comme ni le constituant, ni le fiduciaire, ni d'ailleurs le bénéficiaire n'a de droit réel sur les biens en fiducie, ces derniers sont donc sans titulaire. Ils ne sont ni la propriété du constituant, ni celle des bénéficiaires. Ils ne sont pas non plus la propriété du fiduciaire, ni même celle de la fiducie mais sont, selon l'article 1278 C.c.Q., administrés exclusivement par le fiduciaire. Ce dernier exerce tous les droits afférents à ce patrimoine mais n'en est pas titulaire. Il agit à titre d'administrateur du bien d'autrui chargé de la pleine administration.

Rappelons que l'appelante a plaidé que le trust de common law a la personnalité juridique ce qui a mené la Cour à faire la déclaration suivante qui nous laisse quelque peu perplexe :

« En common law, de façon générale, on peut affirmer qu'un trust a sa propre personnalité juridique et, par voie de conséquence, un patrimoine autonome et distinct; par contre, en droit civil québécois, le législateur a voulu qu'il en soit autrement pour la fiducie, en ce qu'elle a son propre patrimoine sans pour autant avoir une personnalité juridique distincte[10]. » (Notre gras)

S'il est vrai qu'une fiducie de droit civil n'a pas de personnalité juridique, il en va de même, à notre avis, pour une fiducie de common law. En common law, une fiducie est un rapport de droit dans le cadre duquel le fiduciaire exerce des droits sur les biens en fiducie au profit des bénéficiaires[11]. Le fiduciaire détient le titre légal des biens de la fiducie alors que les bénéficiaires en sont propriétaires en equity[12]. Cette distinction entre la propriété effective et la propriété légale, est-il besoin de le préciser, n'existe pas en droit civil québécois. Ainsi, alors qu'en droit civil le fiduciaire sera un administrateur du bien d'autrui sans droit réel sur le bien qu'il administre, le fiduciaire de common law a non seulement le pouvoir d'administrer les biens en fiducie mais il en a également la propriété légale. Quant au bénéficiaire d'une fiducie de droit civil, ses droits se limitent à exiger « la prestation d'un avantage qui lui est accordé, soit le paiement des fruits et revenus et du capital ou l'un d'eux seulement »[13]. Le bénéficiaire n'a pas un droit de propriété sur les biens contrairement au bénéficiaire d'une fiducie de common law qui est propriétaire en equity des biens détenus en fiducie.

En common law, l'obligation du fiduciaire d'agir dans l'intérêt des bénéficiaires de la fiducie est d'une importance telle qu'elle permet, dans certaines circonstances, de suivre les biens entre les mains de tierces parties :

The beneficiary is allowed to trace the trust property into its product. The beneficiary has a similar right against anyone to whom the trustee has transferred the property, provided the transferee was a volunteer or took notice of the trust.[14]

Est-ce en raison de la division entre le titre en common law et celui en equity que la Cour énonce que les biens de la fiducie de common law forment un « patrimoine autonome »? Est-ce plutôt par rapport à ce droit de suivre le bien et les autres recours in rem? L'ambiguïté découle peut-être de l'utilisation du vocabulaire propre au droit civil pour exprimer en des termes généraux une règle relative aux trusts de common law, cette dernière ne connaissant pas de « patrimoine » équivalent à celui de droit civil.

1.3.2 La fiducie est-elle une personne ou un particulier au sens de la L.T.A.?

Le nœud du problème découlait non pas des différences entre les fiducies de droit civil et de common law mais essentiellement de la définition de « particulier » au sens de la L.T.A. En effet, s'il avait été conclu qu'une fiducie était un « particulier », l'appelante aurait eu droit au remboursement en vertu du paragraphe 256(2) L.T.A. Sont ci-après reproduites les deux versions linguistiques des dispositions en cause.

123(1)

123(1)

«personne». — « Personne » Particulier, société de personnes, personne morale, fiducie ou succession, ainsi que l'organisme qui est un syndicat, un club, une association, une commission ou autre organisation; ces notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis.

"person" "person" means an individual, a partnership, a corporation, the estate of a deceased individual, a trust, or a body that is a society, union, club, association, commission or other organization of any kind;

256(2)

256(2)Where

Le ministre verse un remboursement à un particulier dans le cas où, à la fois :

a) le particulier, lui-même ou par un intermédiaire, construit un immeuble d'habitation - immeuble d'habitation à logement unique ou logement en copropriété - ou y fait des rénovations majeures, pour qu'il lui serve de résidence habituelle ou serve ainsi à son proche […]

(a) a particular individual constructs or substantially renovates, or engages another person to construct or substantially renovate for the particular individual, a residential complex that is a single unit residential complex or a residential condominium unit for use as the primary place of residence of the particular individual or a relation of the particular individual, […]
the Minister shall, subject to subsection (3), pay a rebate to the particular individual equal to […]

La question à savoir si une fiducie est une personne ne se posait pas. Comme le dit le tribunal, « [q]ue l'on soit en présence d'une fiducie prévue par le C.c.Q. ou d'un trust en vertu de la common law, dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'une personne au sens de la L.T.A.[15] ». La fiducie est incluse dans la définition de « personne » au paragraphe 123(1) L.T.A.; le législateur s'écarte ainsi du droit privé des provinces.

Se posait cependant la question à savoir si une fiducie est un « particulier » pour les fins de la L.T.A. Mentionnons, d'entrée de jeu, que le terme « particulier » n'est pas défini alors que le terme individual - terme correspondant dans la version anglaise - est ainsi défini : "individual" means a natural person[16]

Partant de la prémisse que les fiducies de common law bénéficient de la personnalité juridique (prémisse qui est fausse), l'appelante a plaidé que la fiducie visée à la définition de « personne » ne pouvait qu'être l'entité juridique pourvue d'une telle personnalité. Ayant démontré que la fiducie de droit civil ne possède pas de personnalité juridique, l'appelante soutenait qu'elle était par conséquent justifiée de prétendre qu'elle n'était pas du type de fiducie distinguée du particulier dans la définition de « personne ». Elle conclut donc son syllogisme en plaidant qu'elle est un « particulier » pour les fins du paragraphe 256(2) L.T.A.

Dans un premier temps, le tribunal a constaté que la L.T.A. ne définit pas ce qu'est un particulier. Pour donner un sens à ce terme, le tribunal a eu recours aux règles générales d'interprétation notamment la règle du sens ordinaire. Elle a adopté les propos bien connus de Driedger selon lesquels « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur[17] » et a repris les principes d'interprétation dégagés par la Cour suprême du Canada notamment dans Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada[18], Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex[19], et plus récemment encore dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada[20].

Dans la recherche du sens ordinaire du terme « particulier » le tribunal s'est servi du sens de ce terme que l'on retrouve dans les dictionnaires pour finalement conclure, à bon droit selon nous, que :

« Même s'il n'y a pas de doute que la fiducie, création du droit civil québécois, peut être considérée comme une personne en vertu de la LTA, il n'est cependant pas possible de conclure pour autant que cette personne est aussi un particulier au sens de la même loi, puisqu'il ne s'agit pas d'une personne physique[21] ».

Nous croyons qu'une interprétation croisée de la loi aurait également permis d'arriver au même résultat. N'est-il pas vrai qu'au Canada, la règle de droit s'exprime dans les deux langues officielles et que c'est dans l'analyse de ces deux versions qu'il convient de rechercher l'intention du législateur? Comme la version anglaise de la L.T.A. contenait une définition du terme individual, aurait-on dû chercher dans cette définition le sens à donner à l'expression française correspondante « particulier »? Si, pour plus de précision, le législateur indique que le terme individual ne comprend que les seules personnes physiques, n'est-il pas raisonnable de donner le même sens au terme français et conclure, par le fait même qu'en sont exclues toutes les fiducies?

1.3.3 Articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation fédérale et l'application uniforme d'un texte à l'échelle du pays

Finalement nous tenons à souligner la référence faite par le juge Tardif à l'article 8.2 et au paragraphe 8(1) de la Loi d'interprétation fédérale. Comme mentionné en introduction, à notre connaissance, il s'agit de la première décision en matière de la L.T.A. dans laquelle il est question de l'article 8.2 L.I. Cette disposition d'interprétation des dispositions harmonisées au droit civil du Québec et à la common law des autres provinces se lit comme suit :

8.2 Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes.

Cette règle a pour objectif de mettre de côté la règle d'interprétation qui veut que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. En effet, elle reconnaît que le législateur peut parfois utiliser dans une même disposition des concepts du droit civil de même que de la common law pour exprimer une règle de droit. Dans un tel cas, on prévoit une exception à la règle générale en stipulant que les termes de doit civil s'appliqueront pour l'application du texte au Québec; on fera alors fi des termes de common law. Il en sera de même lors de l'application du texte fédéral ailleurs au Canada, en ce sens que les concepts de common law s'appliqueront alors qu'on ignorera les termes de droit civil. Cette règle est énoncée dans le premier volet de la disposition : « est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces […] ».

Le deuxième volet est exprimé comme suit « […] est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte (…) qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes ». En l'absence d'une règle de droit s'y opposant, lorsque le législateur emploie des termes qui ont un sens différent en droit civil et en common law, on doit donner aux termes un sens compatible avec le système juridique de la province dans laquelle le texte législatif est appliqué.

Les termes « personne » et « fiducie », qui sont utilisés dans la L.T.A., sont des concepts de droit privé. Dans le premier cas, le législateur fédéral est intervenu et a donné un sens à l'expression distinct de celui que lui donne le droit privé provincial. L'article 8.2 L.I. n'est d'aucun secours pour les fins de l'interprétation de ce concept. Quant au sens du terme « fiducie », la règle énoncée à l'article 8.2 L.I. exige qu'on ait recours au droit civil pour l'interpréter si le texte est appliqué au Québec de la même manière que les règles de common law s'appliqueront supplétivement pour interpréter le terme ailleurs au Canada.

Nous ne croyons cependant pas qu'il soit nécessaire de recourir à l'article 8.2 L.I. pour décider de la question fondamentale à savoir si une fiducie est un « particulier ». En effet, étant donné que les termes « particulier » et individual ne sont pas des concepts de droit privé, ils doivent être compris dans leur sens générique de personne physique. Le droit privé des provinces n'intervient donc pas pour compléter le droit fédéral dans un tel cas et l'article 8.2 L.I. ne serait pas applicable.

Il est vrai que la L.T.A. s'applique à l'ensemble du pays. Toutefois, il ne faudrait pas comprendre par là qu'elle doit, dans tous les cas, s'appliquer de la même manière à l'échelle du pays. Une telle lecture de la loi ne prendrait pas en considération la volonté du législateur fédéral, exprimée à l'article 8.1 L.I. [22], d'accepter que les dispositions du droit fédéral ayant trait au droit privé, lorsque incomplètes, font appel expressément ou implicitement au droit privé des provinces.

Depuis l'adoption de l'article 8.1 L.I., il est plus difficile de recourir au principe de l'uniformité d'application d'une loi fédérale lorsque le législateur a décidé d'incorporer, sans les définir, des concepts de droit privé. En effet, il est possible de soutenir que par l'adoption de l'article 8.1 L.I., le législateur a consacré le principe voulant que l'application d'un texte fédéral puisse donner lieu à un traitement différent en raison des particularités du droit privé des différentes provinces canadiennes. Le législateur a cependant laissé place à l'interprétation judiciaire en prévoyant que la règle de la complémentarité s'applique « sauf règle de droit s'y opposant ». Dans certains cas, les tribunaux pourront décider qu'il n'y a pas lieu de compléter la législation fédérale à l'aide du droit privé des provinces. Tel pourra être la conclusion lorsque le terme est défini, lorsque le terme n'est pas un terme juridique ou n'est pas un terme de droit privé, lorsqu'un terme est utilisé dans son sens courant ou encore lorsque la disposition s'inscrit dans un domaine particulier du droit fédéral (tel la propriété foncière autochtone).

Notes de bas de page

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