L'HARMONISATION DES LOIS FISCALES : ASYMÉTRIE VERSUS UNIFORMISATION PARTIE I

Benoit Mandeville, Avocat, M. Fisc.

Ministère de la justice, canada

INTRODUCTION[1]

L'harmonisation des lois fédérales fait partie des priorités du gouvernement fédéral. Par « harmonisation », l'on entend ici non pas l'uniformisation des effets fiscaux à travers le pays ou l'harmonisation de la Loi sur les impôts[2] du Québec avec sa cousine fédérale qu'est la Loi de l'impôt sur le revenu,[3] mais plutôt l'application harmonieuse des lois fédérales avec les deux systèmes de droit canadien (i.e., le droit civil au Québec et la common law dans le reste du pays) et ce, dans les deux langues officielles.

L'honorable Stéphane Dion, président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre des Affaires intergouvernementales, résumait très bien les objectifs et l'ampleur des travaux d'harmonisation du ministère de la Justice du Canada lors d'une allocution qu'il a tenue à Montréal le 24 novembre 1997 dans le cadre du Symposium sur l'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois :

Comme l'a écrit le professeur Morel, de la Faculté de droit de l'Université de Montréal : « La complémentarité du droit fédéral et du droit civil, toute naturelle qu'elle soit (...), doit être constamment entretenue, réaffirmée, sinon réinventée, pour demeurer vivante. » Plus que jamais donc, il nous faut tout mettre en œuvre pour développer cet aspect important de la diversité canadienne. Le premier ministre Jean Chrétien croit profondément aux bienfaits de cette diversité; c'est la raison pour laquelle il a été à l'origine de la résolution adoptée en 1995 par les deux chambres du Parlement, reconnaissant que la société québécoise se distingue notamment par sa tradition de droit civil, et incitant « tous les organismes des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement à prendre note de cette reconnaissance et à se comporter en conséquence. »

Joignant les actes à la parole, son gouvernement s'est donné les moyens de prendre avantage de cette richesse. Le ministère de la Justice a tout d'abord adopté, en juin 1995, une politique sur le bijuridisme législatif qui traduit sa volonté de rendre les lois plus claires et d'une interprétation plus accessible pour tous les Canadiens. Le ministère de la Justice s'est engagé à cette occasion à rédiger chacune des deux versions de tout projet de loi ou de règlement touchant au droit privé en tenant compte également de la terminologie, des concepts, des notions et des institutions propres aux deux régimes de droit privé canadiens.

L'entrée en vigueur de (sic) Code civil du Québec, en 1994, a par ailleurs été l'élément déclencheur à l'origine du projet d'harmonisation. Ce projet, qui vise un meilleur arrimage entre le droit civil québécois et la législation fédérale existante, est d'une ampleur sans précédent dans l'histoire juridique du Canada. Amorcée depuis maintenant plus de quatre ans, cette initiative s'appuie sur une collaboration étroite entre les ministères de la Justice du Canada et du Québec, et a bénéficié de l'apport vital du milieu universitaire.

L'objectif est ambitieux. Il s'agit non seulement d'apporter des changements d'ordre terminologique, mais surtout de tenir vraiment compte du caractère bilingue et bijuridique du Canada. Si le projet d'harmonisation vise avant tout à permettre aux Québécois de mieux se reconnaître dans la législation fédérale, il sera aussi l'occasion à voir ce qu'il n'y ait pas trop de décalage entre la common law des différentes provinces et les concepts que véhiculent les lois fédérales. Tous les Canadiens en tireront profit, parce qu'il en résultera une clarification de la législation fédérale et un corpus juridique plus respectueux de leurs institutions propres.[4]

Dans le cadre de la présente chronique, nous désirons traiter de l'épineuse question de l'asymétrie versus l'uniformisation de l'application des dispositions fiscales à travers le pays. Comme il fut mentionné ci-dessus, l'harmonisation des lois fiscales ne vise pas en tant que telle l'application uniforme des lois fédérales à travers le pays mais bien le respect, dans l'application des lois fédérales, des deux régimes de droit privé que sont le droit civil et la common law.

Cependant, l'harmonisation des lois fiscales ne peut faire fi du principe d'équité horizontale. Le ministère de la Justice s'efforce de trouver des solutions d'harmonisation qui permettent de respecter ce principe d'équité tout en respectant l'intégrité de chacun des régimes de droit privé canadien. Il y a des situations où malheureusement de telles solutions ne sont pas possibles. Il revient alors au ministère des Finances de décider si dans une situation donnée l'asymétrie est acceptable ou non.

La complémentarité du droit privé provincial à la législation fédérale est à l'origine des travaux d'harmonisation. L'adoption récente des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation[5] ne semble plus laisser planer de doute quant à l'obligation qu'ont les tribunaux; ils doivent appliquer le droit privé provincial lorsque la législation fédéral fait référence, aux fins de son application, à une notion de droit privé et que le législateur fédéral ne s'est pas dissocié expressément ou implicitement du droit privé provincial et ce, malgré le fait que cela ait comme conséquence une asymétrie du traitement fiscal à travers le pays.

Dans le cadre de cette première partie de la présente chronique, nous ferons un rappel des principales réalisations du gouvernement fédéral en matière d'harmonisation, nous traiterons sommairement des articles 8.1. et 8.2 de la Loi d'interprétation pour terminer par une discussion sur l'asymétrie fiscale versus l'uniformisation fiscale.

Dans la deuxième partie de cette chronique qui devrait paraître dans un prochain numéro de cette revue, nous brosserons un tableau des principales décisions des tribunaux en matière d'application du droit privé provincial dans le cadre de l'application des lois fiscales. Dans le cadre de cet exercice, nous nous poserons la question à savoir si en présence des articles 8.1. et 8.2 de la Loi d'interprétation, certaines de ces causes auraient été décidées autrement.

L'HARMONISATION : OÙ EN SOMMES-NOUS?

Certains de mes confrères du ministère de la Justice vous ont entretenu, dans le cadre de chroniques précédentes,[6] des divers travaux ou résultats déjà accomplis, ou sur le point d'être accomplis, dans le domaine de l'harmonisation des lois fédérales non pas seulement par les ministères de la Justice et des Finances du Canada mais aussi par d'imminents universitaires et praticiens. Pensons, entre autres, aux éléments suivants :

Comme vous pouvez le constater, beaucoup de progrès ont été accomplis jusqu'à présent en matière d'harmonisation des lois fiscales. Toutefois, il reste beaucoup à faire et c'est avec détermination que les ministères de la Justice et des Finances poursuivent, en étroite collaboration avec les communautés fiscale et universitaire, leurs travaux d'harmonisation.

L'approche suivie en matière d'harmonisation des lois fiscales consiste à réviser la nouvelle législation, et ce depuis le budget 2000, et d'effectuer des modifications corrélatives dans les lois existantes de façon progressive.

LES ARTICLES 8.1 ET 8.2 DE LA LOI D'INTERPRÉTATION[7]

Comme nous l'avons mentionné précédemment, certaines modifications d'harmonisation spécifiques ont déjà été apportées à la législation fiscale fédérale et d'autres sont en voie d'adoption. L'harmonisation des lois fiscales fédérales actuelles continuera aux cours des années à venir et les nouvelles modifications aux lois fiscales se feront systématiquement l'objet d'une harmonisation.

L'harmonisation complète des lois fiscales fédérales est un processus qui demande beaucoup de minutie, recherche et de temps. Les impacts monétaires pour le gouvernement canadien sont aussi plus importants en matière de lois fiscales que dans tout autre type de législation. C'est donc avec une grande prudence que le ministère des Finances se doit d'intervenir. C'est la raison, entre autres, pourquoi il peut sembler ne pas y avoir eu encore d'effet notable d'harmonisation des lois fiscales fédérales.

Détrompez-vous toutefois!!!

L'adoption récente des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation a eu un effet immédiat sur l'harmonisation et l'interprétation des lois fiscales fédérales et peut avoir des effets inestimables. Pensons, par exemple, aux conclusions de la décision de la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Construction Bérou Inc.;[8] auraient-elles été autres si l'article 8.1 de la Loi d'interprétation avait été en vigueur au moment du jugement? Nous reviendrons sur cette décision dans la prochaine partie de cette chronique.

Les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation prévoient que :

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte. (les gras sont les nôtres)

8.2 Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes.

L'adoption de l'article 8.1. de la Loi d'interprétation vient consacrer le courant majoritaire en jurisprudence, c'est-à-dire le principe de la complémentarité du droit fédéral et du droit provincial en matière de propriété et de droits civils. [9] Par complémentarité on entend l'utilisation des règles de droit privé provincial aux fins de l'application d'un texte législatif fédéral qui fait référence à des notions de droit privé sans en définir la portée. Notons toutefois que le législateur fédéral peut décider d'adopter ses propres règles de droit privé, ou décider que les règles d'un système de droit en particulier s'appliqueront, aux fins de l'application d'un texte fédéral. Le législateur fédéral peut donc décider de se dissocier des règles de droit privé provincial et c'est ce que prévoit d'ailleurs l'expression >« sauf règle de droit s'y opposant  » que l'on retrouve à l'article 8.1 de la Loi d'interprétation.

Le juge en chef Garon de la Cour canadienne de l'impôt émettait les commentaires suivants par rapport à ces deux nouvelles dispositions de la Loi d'interprétation à l'occasion du Colloque sur l'harmonisation de la législation fiscale fédérale - Bijuridisme tenue le 3 octobre 2001 dans le cadre du congrès annuel de l'APFF:

La Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, a été sanctionnée le 10 mai 2001. Un des changements les plus significatifs qui a été apporté par cette loi se rapporte à l'ajout de deux paragraphes à la Loi d'Interprétation qui se lisent:

[...]

D'après moi, cette modification à la Loi d'Interprétation, qui reflète la tendance majoritaire des tribunaux en matières fiscales, clarifie les règles d'interprétation, et rendra plus évident le rôle du droit civil en matières fiscales fédérales dans l'avenir.

[...]

En concluant, donc, j'aimerais réitérer le point que les praticiens et les juges font face à plusieurs défis en interprétant les lois fiscales, dont celui d'allier au besoin les lois fédérales au droit provincial. Je pense que le droit civil doit prendre la pleine place qui lui revient dans l'application des lois fiscales fédérales aux contribuables du Québec, puisque cette approche reflète notre réalité constitutionnelle. Les modifications apportées à la loi d'interprétation et à d'autres lois font preuve d'un plus grand respect de la part du Parlement du Canada à l'égard des différentes traditions juridiques du Canada. Selon moi, ces modifications encourageront les tribunaux à donner un plus grand rôle au principe de complémentarité dans l'interprétation des lois fédérales et provinciales.[10]

ASYMÉTRIE VERSUS TRAITEMENT UNIFORME

Personne ne semble mettre en doute les bienfaits de l'harmonisation des lois fédérales avec le droit privé des provinces. Il semble même exister un consensus au sein de la communauté juridique que cette harmonisation est bien plus qu'un objectif louable mais aussi une responsabilité de la part du gouvernement canadien de respecter le droit privé des provinces à défaut d'avoir lui-même légiféré dans ce domaine.

Toutefois, aussi louable qu'il soit, dans certaines situations, cet objectif peut avoir des répercussions sur le principe d'équité fiscale horizontale (traitement fiscal identique peu importe le système de droit applicable ou la province d'application). La complémentarité du droit privé provincial à la législation fiscale fédérale aura nécessairement pour effet de créer des situations d'asymétrie fiscale dépendant qu'un contribuable soit résident ou fasse affaires dans une province plutôt que dans une autre.

Avant l'adoption des articles 8.1. et 8.2 de la Loi d'interprétation, certains juges ont fait fi du principe de la complémentarité du droit provincial dans l'application des lois fiscales fédérales afin de préserver une certaine équité (voire uniformisation) fiscale. Les propos suivants du juge en chef Garon résument très bien le défi auquel fait face les tribunaux dans l'interprétation des lois fiscales dans un pays bijuridique:

Les praticiens et les juges font face à plusieurs défis en interprétant les lois fiscales fédérales. Ces lois doivent être interprétées afin de respecter les quatre « auditoires » juridiques du Canada, soit ceux de common law en français et en anglais, et ceux de droit civil en français et en anglais. Les textes des lois fiscales fédérales, cependant, ne définissent pas toujours la terminologie qu'ils utilisent et souvent cette terminologie tire son sens du droit privé, découlant soit de la common law ou du droit civil. Les lois utilisent aussi parfois de la terminologie qui n'a de sens que dans l'un des deux systèmes de droit, soit la common law ou le droit civil. Afin de combler ces lacunes, les juges doivent parfois choisir entre deux grands principes de droit : soit celui d'interpréter la loi de façon à ce que celle-ci ait une application uniforme à travers l'ensemble du pays et celui de respecter les principes constitutionnels qui veulent que le droit de propriété et les droits civils soient régis d'après les lois provinciales.

[...]

La difficulté qui existe au Canada, cependant, quant à l'application « pure » de la complémentarité découle du fait que les lois fiscales font souvent mention de concepts qui n'existent que dans l'un des deux systèmes de droit privé au Canada, et que l'on retrouve plus souvent qu'en common law. Des concepts tels que « mortgage », « beneficial ownership » et certaines notions en matière de fiducie sont des concepts propres à la common law, sans avoir d'« équivalents » en droit civil.

Dans ce genre de situation, le juge doit souvent choisir entre deux grands principes de droit: soit celui qui prévoit que la loi doit être interprétée de façon uniforme à la grandeur du pays, et celui qui exige que toute question de droit privé soit déterminée d'après les lois de la province où réside ou où est domicilié le contribuable. Dans la majorité des causes, les tribunaux ont décidé de suivre les principes de complémentarité. Comme le disait le juge Raymond Décary, de la Section de première instance de la Cour fédérale dans la cause Lagueux & frères, « l'application de la loi de l'Impôt est soumise à un diagnostic civil que ce diagnostic soit de droit civil ou de droit commun ».

[...]

Bien que le recours au principe de complémentarité respecte les règles de l'interprétation, le résultat qui en découle n'est pas toujours satisfaisant puisqu'il peut mener à une application non-uniforme des lois fiscales. C'est un problème qui a souvent été soulevé par les tribunaux qui ont suggéré que le Parlement à qui appartient le pouvoir législatif, comble les lacunes dans les textes de loi.

[...]

Dans certaines circonstances, cependant, les tribunaux ont préféré l'uniformité d'application de la loi, et ont donc préféré la dissociation à la complémentarité. Certains concepts que l'on retrouve dans la Loi sur l'impôt sur le revenu (la Loi), par exemple, sont couramment interprétés uniformément à travers le pays, même s' ils ne sont pas définis dans la Loi ou si la Loi ne leur donne pas un sens propre.[11]

Selon le juge en chef Garon, il y a donc des situations où l'uniformisation des effets fiscaux est à privilégier et cette uniformisation devra être maintenue malgré l'adoption des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation. Un exemple donné par le juge Garon est l'application d'une disposition de la LIR qui fait référence à une notion spécifique d'un système de droit (e.g., common law) qui n'existe pas dans le système de droit (e.g., droit civil) de la province où l'on tente d'appliquer cette disposition. C'est ce que l'on qualifie d'« unijuridisme  » dans le jargon des harmonisateurs. Cette situation d'unijuridisme dans une disposition législative peut se produire soit parce qu'il n'existe pas d'équivalent dans l'autre système de droit, soit parce que dans le cadre de la rédaction de cette disposition on n'a pas tenu compte de l'un des deux systèmes de droit.

C'est justement ces situations d'unijuridisme que le projet d'harmonisation a, entre autres, comme objectif d'analyser. L'examen minutieux de l'ensemble des dispositions des lois fiscales fédérales permettra de cerner celles qui comportent un problème d'unijuridisme et de trouver, si besoin il y a, une solution afin qu'elles puissent s'appliquer dans toutes les provinces.

Rappelons que les tribunaux n'auront pas à appliquer le principe de la complémentarité lorsque la disposition législative en cause ne fait pas référence à un concept de droit privé mais plutôt de droit public (e.g., organisme de bienfaisance enregistré) ou lorsque le législateur fédéral s'est dissocié expressément ou implicitement du droit privé provincial.

Le but du processus d'harmonisation n'est pas d'uniformiser les effets des lois fédérales à travers le Canada mais d'assurer son application en respectant chacun des systèmes juridiques canadiens. En conséquence, il est tout à fait conséquent que malgré les efforts d'harmonisation (qui dans certain cas permettront d'uniformiser les effets fiscaux d'une disposition peu importe le système de droit applicable), il restera des situations où une disposition fiscale aura des effets différents selon la province d'application. Est-ce en soi inadéquat? Comme l'indiquait le juge Robert Décary dans l'affaire Procureur général du Canada et Conseil du Trésor du Canada c. St-Hiliaire :

C'est la Constitution même du Canada qui prévoit que des lois fédérales aient des effets qui soient différents selon qu'elles trouvent application au Québec ou dans les autres provinces. En assurant la perpétuité du droit civil au Québec et en encourageant, à l'article 94, l'uniformisation des lois des provinces autres que le Québec en ce qui concerne la propriété et les droits civils, la Loi constitutionnelle de 1867 consacre au Canada le principe fédéral selon lequel une loi fédérale qui recourt à une source de droit privé externe ne s'appliquera pas nécessairement de façon uniforme à travers le pays. C'est ignorer la Constitution que d'associer de manière systématique toute législation fédérale et common law[12]

L'Honorable juge Michel Bastarache de la Cour suprême du Canada y allait même des commentaires suivants lors d'un déjeuner-causerie sur le bijuridisme et le pouvoir judiciaire tenu à Ottawa le 4 février 2000 :

Même si le droit civil et la common law complètent les dispositions de droit privé de la législation fédérale, celle-ci ne devrait pas être appliquée de manière uniforme partout au pays et à tous égards. Nous visons la dualité juridique, pas nécessairement l'application uniforme d'une règle dans tout le Canada; cet objectif passe par le respect de la nature et du caractère unique des concepts et des principes de chaque système juridique. Le fait que chacun des législateurs provinciaux puisse adopter des politiques juridiques différentes de celles des autres provinces et différentes de celles du Parlement est la principale justification du fédéralisme. En effet, MM. Jean-Maurice Brisson et André Morel ont déclaré à ce sujet :

S'il est vrai que celles-ci « s'applique[nt] à l'ensemble du pays  », comme le dit l'article [sic] 8(1) de la Loi d'interprétation, il n'est dit nulle part qu'elles doivent nécessairement s'appliquer de façon uniforme partout et à tous égards. Le contraire n'est-il pas inscrit dans le partage des compétences entre le fédéral et les provinces? Comme le soulignait un auteur à propos justement de cette prétendue uniformité : « If all aspects of the law should be exactly the same across the country why have a federal system? »

Cet énoncé mérite d'être souligné. En effet, si nous visions l'uniformité, à quoi servirait notre système fédéral et notre culture bijuridique? La nécessité de reconnaître la diversité ne devrait pas cependant atténuer l'importance de faire preuve de cohérence et de réduire l'incompatibilité conceptuelle et linguistique.[13]

La complémentarité est donc la règle malgré l'asymétrie qui peut en résulter. Dans une telle situation, il reviendra au ministère des Finances de déterminer si l'asymétrie dans cette situation fiscale donnée est acceptable et, dans la négative, d'y apporter les correctifs appropriés.

CONCLUSION

Cette chronique a tenté de démontrer que le processus d'harmonisation des lois fiscales est très bien amorcé et que ces effets devraient déjà se faire sentir aux niveaux de leur interprétation.

Les articles 8.1. et 8.2 de la Loi d'interprétation viennent codifier la jurisprudence majoritaire selon laquelle on doit recourir au droit privé provincial (complémentarité) lorsqu'un texte de loi fédéral fait référence à des notions de droit privé et que le texte fédéral est silencieux quant à la signification que l'on doit donner cette notion de droit privé.

Il est donc reconnu que l'asymétrie fiscale est une conséquence fiscale possible et que lorsque c'est le cas les juges devraient en principe s'y conformer. Il reviendra, s'il y a lieu, au législateur d'apporter les correctifs nécessaires.

Notes de bas de page