Une législation claire

Gérard Caussignac [1]

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément.
Boileau

Introduction

Clarté et intelligibilité

« Clair » signifie facile à comprendre, intelligible. Mais ce terme veut également dire sans équivoque, sans ambiguïté. Pour être qualifié de clair, il ne suffit pas qu'un texte soit aisément compréhensible pour les personnes auxquelles il s'adresse ; encore faut-il que les personnes qui le lisent comprennent toutes le même message.

À la notion de clarté sont associées celles d'ordre, de netteté et de précision. Ce qui est ordonné, net et précis est clair. Au contraire, le désordre et l'imprécision engendrent la confusion et l'ambiguïté.

Clarté et simplicité

Clarté n'équivaut pas à simplicité. Un texte n'est pas forcément clair parce que la réalité qu'il décrit est simple ; à l'inverse, un texte traitant d'un sujet compliqué n'est pas automatiquement difficile à comprendre. Il faut par conséquent distinguer entre clarté, d'une part, et simplicité ou complexité d'autre part : la première se rapporte à l'énoncé, la seconde a trait à la réalité sur laquelle porte le texte. Le fait que la réalité dans laquelle nous vivons est complexe ne doit pas constituer une excuse pour promulguer des actes législatifs difficiles à comprendre. D'un autre côté, il n'est pas non plus possible de garantir une intelligibilité aisée de la législation pour l'ensemble des citoyens et citoyennes dans tous les domaines qu'elle régit. Il suffit d'assurer que le message législatif soit clair et intelligible à toutes les personnes à qui il s'adresse compte tenu du domaine réglementé.

Subjectivité de la notion de clarté

D'une part, le degré de clarté d'un énoncé se mesure en fonction de critères formels tels que la présentation, les formes de communication, la rédaction, la logique dans les idées. D'autre part, il est déterminé par l'appréciation du destinataire de l'énoncé. La clarté d'un texte dépend par conséquent d'une combinaison d'aspects objectifs et d'aspects subjectifs. La notion de clarté est subjective dans la mesure où elle dépend des connaissances, des capacités, des expériences et de l'état d'esprit de la personne à qui s'adresse l'information. Ainsi, une disposition légale paraîtra parfaitement claire à celui qui l'a rédigée. L'avocat qui désire l'utiliser à l'appui de son argumentation juridique la trouvera peut-être déjà moins claire, enfin il se peut que son client n'en comprenne pas le sens. Quant au juge chargé de l'appliquer, il devra au préalable l'interpréter, tâche qui lui sera d'autant plus facile que les intentions du législateur auront été clairement exprimées par la disposition en question.

Ainsi, il n'est pas possible d'affirmer de manière abstraite que tel texte est clair et que tel autre ne l'est pas. Un énoncé ne peut être qualifié de clair que s'il est facilement compréhensible pour le cercle des individus auxquels il s'adresse. Le destinataire doit pouvoir saisir le sens de l'information sous la forme dans laquelle elle lui est fournie et dans l'état actuel des connaissances qu'il a du sujet traité. S'il doit demander des explications à l'auteur du message ou à un spécialiste, ou acquérir au préalable de nouvelles connaissances dans le domaine concerné, l'on ne peut plus parler de compréhension aisée ni de clarté de l'information.

Nul n'est censé ignorer la loi

L'adage bien connu selon lequel nul n'est censé ignorer la loi implique pour les citoyens en même temps un droit et une obligation : le droit d'être informés et de prendre connaissance des règles en vigueur, et l'obligation de se renseigner sur le contenu de ces dernières afin de pouvoir s'y conformer. Pour que ce droit puisse être exercé, il faut non seulement rendre la législation accessible aux citoyens par le biais d'une publication adéquate, mais aussi la rédiger de manière suffisamment claire pour qu'elle soit comprise par tout un chacun, en fonction de ses besoins.

Étant donné que l'ordre juridique d'un État touche à tous les champs d'activité des citoyens, des institutions et des autorités, très rares sont les individus, si tant est qu'il y en ait, qui sont capables d'acquérir une connaissance suffisante de tous les domaines régis par le droit pour être en mesure de comprendre toutes les normes du droit en vigueur. Cette situation entraîne une spécialisation des juristes dans les différentes branches du droit, à l'image de ce qui se passe dans toutes les professions. Il faut se rendre à l'évidence que, dans la réalité, il n'est pas possible de produire une législation qui soit compréhensible dans son ensemble pour tous les citoyens. Il s'agit cependant d'un idéal dont il convient d'essayer de se rapprocher le plus possible.

Dans un État démocratique où le peuple est le législateur, les exigences de clarté et d'intelligibilité auxquelles doivent satisfaire les actes législatifs sont élevées : les citoyens doivent pouvoir apprécier le contenu des textes proposés par le parlement et se faire une opinion, soit avant de voter dans le cadre d'une consultation populaire, soit pour décider s'ils veulent demander qu'un objet soit soumis au vote populaire. Dans la mesure où les actes législatifs ne sont pas suffisamment compréhensibles en eux-mêmes, il est indispensable de fournir des explications, afin que les citoyens puissent en toute connaissance de cause faire leur choix et exercer leurs droits démocratiques. Il est donc exclu de se satisfaire d'une législation qui ne serait accessible qu'aux parlementaires et aux juristes.

Clarté de la législation et clarté des actes législatifs

Le présent texte examine sous deux angles le sujet de la clarté du message législatif : la législation considérée dans son ensemble et les actes législatifs appréciés individuellement. La clarté de la législation en tant qu'ordre juridique dépend de celle des actes législatifs qui la composent. Ce n'est pas avec de mauvaises briques que l'on érige une construction de qualité. La quantité d'actes législatifs, le système selon lequel ils sont organisés et les rapports qui sont établis entre eux jouent un rôle déterminant. La manière de disposer les briques et de les cimenter contribue aussi à la qualité de l'édifice.

Mes considérations ci-dessous se fondent sur la législation qui m'est familière, à savoir celle du canton de Berne[2]. Étant donné leur caractère général, il me paraît qu'elles peuvent parfaitement s'appliquer à l'activité législative dans d'autres pays.

Hiérarchie des actes législatifs

Remarques générales

L'ordre juridique d'un État comprend plusieurs types d'actes législatifs qui sont répartis en plusieurs niveaux formant ainsi une hiérarchie des normes. Chaque État connaît son propre système et sa propre terminologie pour désigner les différents types d'actes normatifs. Du point de vue de la clarté de la législation, les dénominations utilisées ne revêtent pas d'importance ; c'est bien plus la caractérisation des différents niveaux législatifs qui doit retenir l'attention.

Les niveaux législatifs sont dictés par la structure des autorités habilitées à légiférer et par la répartition des compétences législatives entre ces dernières. L'essentiel est d'instaurer une hiérarchie simple et précise des actes législatifs, qui permette de maintenir l'ordre dans la législation de l'État. Les critères d'attribution des actes législatifs aux différents niveaux doivent être clairs et faciles à appliquer, de manière à éviter les controverses sur le niveau correct de réglementation, c'est-à-dire, en fin de compte, sur la désignation de l'autorité compétente lorsqu'un projet législatif est engagé. Une législation structurée et ordonnée est agréable à consulter et il est aisé d'en acquérir une vue d'ensemble. C'est par conséquent l'une des conditions qu'elle doit remplir pour être claire et accessible au citoyen.

Exemple de la législation du canton de Berne

Dans la législation bernoise, la hiérarchie des actes législatifs s'étend des normes de principe à celles de détail. Les trois principaux niveaux sont la Constitution, les lois et les ordonnances.

La Constitution est la loi fondamentale de l'État ; elle est soumise au vote populaire obligatoire. Viennent ensuite les lois qui contiennent des règles de droit (dispositions générales et abstraites). Les normes fondamentales et importantes du droit cantonal doivent impérativement revêtir la forme de la loi[3]. Les lois sont adoptées par le parlement et soumises au vote populaire facultatif[4]. Au bas de l'échelle se trouvent les ordonnances qui sont les actes législatifs édictés par le gouvernement. Elles contiennent des dispositions d'exécution permettant de mettre en application les règles fixées par les lois. Elles peuvent également comprendre des normes qui, en raison de leur portée, devraient figurer au niveau de la loi, mais à l'édiction desquelles le gouvernement est habilité par une norme de délégation prévue expressément par la loi.

Caractéristiques des règles de droit

Normes générales et abstraites

Toutes les normes générales et abstraites qui imposent des obligations ou confèrent des droits aux personnes physiques ou morales, ainsi que celles qui règlent l'organisation, la compétence ou les tâches des autorités, ou fixent une procédure sont des règles de droit. Leurs caractéristiques sont les suivantes :

Elles sont générales et abstraites, c'est-à-dire qu'elles s'appliquent à un nombre indéterminé de cas de même nature et s'adressent à un nombre indéterminé de personnes. Elles se distinguent ainsi des décisions administratives qui sont individuelles et concrètes.[5]

Elles ne sont ni descriptives, ni informatives, mais directives. Il s'agit d'une caractéristique importante que les rédacteurs d'actes législatifs oublient parfois. Les normes de droit sont édictées en vertu du pouvoir attribué à l'autorité législative et sont appliquées par le pouvoir exécutif, si nécessaire par le moyen de la contrainte. Elles imposent, autorisent ou interdisent des actes ou des comportements. Elles fixent des procédures ou des organisations. Toute disposition qui ne se conforme pas à ces impératifs n'a pas la qualité de règle de droit et ne devrait par conséquent pas figurer dans un acte législatif.

Normes programmatiques

Il arrive fréquemment que des actes législatifs contiennent des dispositions de nature programmatique. Il s'agit de normes dans lesquelles le législateur indique les intentions qui sous-tendent la réglementation qu'il a établie. Il ne devrait être fait usage qu'avec retenue de cette catégorie de règles, car elles ne possèdent pas vraiment les caractéristiques de normes de droit telles qu'énoncées ci-dessus. Cependant, elles peuvent se révéler très utiles si elles sont employées à bon escient. Elles servent notamment à délimiter un cadre législatif contraignant à l'intention des autorités habilitées à promulguer des normes de droit de niveau inférieur (dispositions d'application ou d'exécution). Les autorités concernées sont alors tenues d'édicter une réglementation allant dans le sens requis tout en respectant les limites imposées par le droit supérieur.

Normes de définition

Les dispositions qui définissent des notions ou des termes ne satisfont pas non plus tout à fait aux conditions énoncées ci-dessus. C'est pourquoi j'estime qu'elles ne devraient être utilisées que lorsque des termes ou des notions sont employés dans un sens qui diffère de celui du langage courant ou du langage spécialisé dont ils sont tirés (par exemple, juridique, technique, économique), ou que leur sens dans le langage courant est vague. Dans ces conditions, le recours à des définitions légales est nécessaire à la bonne compréhension de l'acte législatif concerné.

Ampleur de la législation et densité normative

Nécessité de garder la vue d'ensemble de la législation

Même si la législation est bien structurée, il faut veiller à ne pas la laisser croître au point d'en perdre la vue d'ensemble. On parle alors d'inflation législative. Plus la législation est étendue et dense, plus elle est difficile à cerner et plus le risque apparaît qu'elle contienne des incohérences, voire des contradictions. Un tel développement peut rendre certaines parties de la législation peu claires. Le législateur doit garder la vue d'ensemble de son œuvre, sinon il en perd le contrôle. Dans ces conditions, il est primordial de limiter l'activité législative au strict nécessaire. Il n'est bien sûr pas possible de quantifier dans l'abstrait cette exigence ; il appartient aux acteurs politiques de la déterminer.

Densité normative

La quantité de normes édictées dépend de la densité normative qui est déterminée par le législateur. J'entends par densité normative le degré de détail que présente une réglementation. D'ordinaire, la densité normative varie en fonction du niveau législatif et c'est au niveau inférieur (ordonnance) qu'elle est la plus élevée. Il faut cependant éviter qu'elle ne dépasse certaines limites. À mes yeux, la densité normative doit être dosée en fonction de deux critères : l'intérêt public et le pouvoir de conviction des normes.

Critère de l'intérêt public

J'entends par « intérêt public » l'attention qui s'attache à faire de notre société une communauté au sein de laquelle les individus vivent et œuvrent en paix et en harmonie, et peuvent ainsi s'y épanouir. Dans un système démocratique, qui est conçu pour garantir les libertés fondamentales des citoyens et des citoyennes, l'intérêt public est le motif qui justifie la restriction de la liberté de l'individu dans une mesure raisonnable au profit de celle des autres. Conformément à ce principe, des normes de droit ne devraient être édictées que si elles servent l'intérêt public. Je suis conscient du fait que le sens de cette notion et ses implications varient considérablement selon les points de vue politiques. Elle peut être employée pour justifier aussi bien une intervention massive de l'État qu'une stricte limitation des activités de ce dernier. Selon moi, l'intérêt public doit amener l'État à concentrer ses tâches dans les domaines qui requièrent l'emploi de la puissance publique. L'intérêt public implique la responsabilisation de l'individu pour ses actes et leurs conséquences envers ses concitoyens et concitoyennes. Et le législateur doit garder cet impératif à l'esprit au moment de fixer les règles de comportement des membres de la société.

Pouvoir de conviction des normes

Le message que véhicule une norme de droit sera d'autant plus facilement compris par les citoyens que ceux-ci seront convaincus de son utilité et de son bien-fondé. Le législateur doit absolument se garder d'édicter des prescriptions qui, aux yeux du justiciable, apparaîtront inutiles, chicanières, abusives ou prohibitives. S'il ne respecte pas cet impératif, le législateur risque non seulement d'entraver la communication du message législatif à ses destinataires, mais encore de surcharger la législation avec pour conséquences d'augmenter la densité normative et de limiter la vue d'ensemble de l'œuvre législative.

En conclusion, le législateur veillera à édicter :

Présentation typographique des actes législatifs

Un texte législatif doit être présenté de façon agréable et aérée. Il faut éviter que par son aspect extérieur déjà il rebute le lecteur. Le choix des caractères d'imprimerie a son importance de même que le format du papier. J'ai constaté à de nombreuses reprises que je ne lisais pas un texte de la même manière selon qu'il provenait d'une imprimante (format A4, caractère Arial 11 points) ou de l'imprimerie qui publie les actes législatifs du canton de Berne (format A5, caractère Univers 8,5 points). Des imperfections telles que les fautes de frappe, les séparations de mot incorrectes, un titre manquant ou un style de caractère défectueux m'ont souvent sauté aux yeux sur le texte de l'imprimerie, alors qu'elles m'avaient échappé sur celui, pourtant identique, que j'avais tiré de l'imprimante. J'attribue ce phénomène au fait qu'un format et une casse plus petits offrent d'un seul coup d'œil une vue d'ensemble du texte plus large. De plus, les caractères Univers ont la particularité de bien se détacher les uns par rapport aux autres ; l'écriture s'en trouve ainsi plus aérée. Le recours aux écritures grasse et italique pour les titres, combiné à l'aménagement d'interlignes adéquats permet de distinguer facilement les éléments dont sont composés les textes. De cette façon, ils apparaissent clairement structurés et sont agréables à consulter.

Conception des actes législatifs

La qualité d'un acte législatif est influencée de manière déterminante par le soin que ses rédacteurs ont pris à sa conception. Cette affirmation vaut en particulier pour le critère de clarté auquel la législation devrait satisfaire. La conception est la phase de réflexion au cours de laquelle les rédacteurs recherchent les moyens appropriés pour atteindre le but formulé dans le mandat législatif tout en respectant les consignes que celui-ci leur impose. Cette réflexion consiste à :

Ces opérations ressemblent aux travaux accomplis par un ingénieur lorsqu'il dessine les plans d'un bâtiment. Le mandat lui indique avec plus ou moins de précision le type de bâtiment, sa grandeur, sa forme, son site. Sa mission consiste à concrétiser le projet en l'intégrant dans un environnement donné, en choisissant les bons matériaux de construction et en aménageant l'intérieur. Avant de commencer les travaux de construction, tous ces éléments doivent être fixés. Si les plans sont défectueux ou confus, des problèmes apparaîtront durant les travaux d'édification et les erreurs ou ambiguïtés qui y sont contenues devront alors être corrigées. La réalisation d'un projet législatif suit les mêmes principes : il doit aussi reposer sur un plan clair, précis et complet pour être mené à terme avec succès. S'agissant de la clarté de la législation, une bonne conception du projet législatif doit avant tout garantir que les nouvelles dispositions et celles qui auront été modifiées s'intègrent dans l'ordre juridique en vigueur sans provoquer de contradictions, de lacunes ni de redondances. Elle doit permettre l'élaboration d'un texte clairement structuré, d'une densité normative adaptée et équilibrée, qui contienne toutes les normes nécessaires, et celles-là seulement. Pour les rédacteurs, elle représente une base de travail stable et un guide auxquels ils peuvent se référer durant toute la procédure d'élaboration du projet.

Structure des actes législatifs

Composants et systématique

Il est important de décomposer la matière à réglementer en autant d'unités qu'il y a de normes à édicter. La structure de l'acte législatif n'est en fin de compte que le résultat de l'opération consistant à réunir ces unités pour en former de plus grandes jusqu'à ce que l'acte législatif soit entièrement construit.

Les possibilités de structurer un acte législatif sont multiples et dépendent grandement du point de vue et des goûts des rédacteurs. D'une manière générale, il convient de suivre un cheminement logique dans la conception des actes législatifs. Cela signifie par exemple qu'il ne devrait pas être nécessaire de se reporter à un article qui se situe après celui qu'on lit, pour comprendre ce dernier ou pour en apprécier la portée. Des dispositions fixant une procédure devraient figurer dans l'ordre chronologique de déroulement normal de cette procédure. L'emploi de renvois à l'intérieur d'un acte législatif est certes souvent utile, car il permet d'éviter les répétitions. Mais cet instrument doit être appliqué avec retenue pour que le lecteur ne soit pas obligé de feuilleter constamment le texte. Il en va de même des renvois à d'autres actes législatifs.

Éléments composant les actes législatifs bernois

Dans la législation bernoise, la norme prend la forme d'un article. Selon les directives du gouvernement sur la technique législative[6], la norme doit, en règle générale, être contenue dans une phrase courte et simple. Il arrive fréquemment qu'une seule phrase ne suffise pas à définir parfaitement la norme. Dans ce cas, l'article est subdivisé en alinéas dont chacun ne devrait pas contenir plus d'une phrase. Un article ne devrait pas compter plus de trois alinéas. Les dispositions qui ne respectent pas cette exigence trahissent souvent une conception imparfaite de la part de leurs rédacteurs ou du législateur, ou sont le résultat des modifications qu'elles ont subies. Un alinéa peut renfermer une énumération, si celle-ci rend la disposition plus compréhensible. Afin de faciliter la recherche de dispositions et d'aider le lecteur à s'orienter au sein d'un acte législatif, les articles du droit bernois sont munis chacun d'un titre, placé dans la marge de gauche, qui renseigne brièvement sur l'objet de la norme concernée.

Dans certains cas, notamment de réglementations techniques ou financières, il est plus simple et plus clair de compléter certaines prescriptions par des tableaux, des graphiques, des formules, voire des dessins. Ces éléments sont alors réunis à la fin de l'acte législatif, dans une ou plusieurs annexes qui font partie intégrante de ce dernier. Le lien entre dispositions de l'acte législatif et annexes est établi au moyen de renvois qui figurent tant dans le corps du texte que dans les annexes.

Systématique générale des actes législatifs bernois

Il est judicieux de rédiger le plus grand nombre possible d'actes législatifs selon le même canevas. On rend ainsi service aux personnes qui consultent fréquemment la législation. Dans les grandes lignes, la systématique d'un acte législatif peut se présenter de la manière suivante :

Titre et préambule

Le titre doit être court, distinctif sans indiquer pour autant tous les aspects de la réglementation contenue dans l'acte législatif. Il est immédiatement suivi d'un préambule. Celui-ci n'indique pas les intentions du législateur, mais sert uniquement à renseigner sur l'autorité qui a proposé le projet et sur celle qui l'a adopté, de même que sur les bases juridiques de niveau supérieur (par exemple, Constitution, loi, droit fédéral) sur lesquelles se fonde la réglementation.

Champ d'application, but, dispositions générales

Au début de l'acte législatif figurent les dispositions relatives au champ d'application et au but de la réglementation ainsi que les articles contenant des normes générales qui s'appliquent à tous les cas de figure réglés par l'acte législatif (par exemple, des définitions légales et des conditions générales).

Réglementation matérielle

Viennent ensuite les dispositions qui constituent, matériellement parlant, la partie principale de la réglementation. C'est aux rédacteurs du projet qu'il appartient de subdiviser cette partie de manière aussi claire que possible en regroupant les articles liés par un rapport de matière.

Dispositions transitoires et dispositions finales

L'acte législatif se termine par les dispositions transitoires et les dispositions finales. Les premières réunissent toutes les règles qui déterminent l'application de l'acte législatif dans le temps, soit par rapport au droit qu'il doit remplacer (ancien droit), soit par rapport à la situation actuelle qui ne connaît pas encore de telle réglementation. Les secondes comprennent les modifications (indirectes) qui doivent être apportées à d'autres actes législatifs afin de garantir l'harmonie de l'ordre juridique, l'abrogation de l'ancien droit dans la mesure requise ainsi que les dispositions relatives à l'entrée en vigueur de l'acte législatif.

Annexes

Au besoin, l'acte législatif peut être complété par des annexes.

Index des articles

Les directives bernoises sur la procédure législative ne font nulle part état de la possibilité d'assortir les actes législatifs d'un index des articles. Quelques rares textes importants et volumineux en possèdent un[7], mais il faut préciser que dans aucun cas ces index ne font partie intégrante des actes législatifs concernés. Le groupe de travail qui a élaboré ces directives a estimé qu'il valait mieux renoncer aux index pour éviter qu'il faille les mettre à jour à chaque modification législative ; il a ainsi voulu éliminer le risque qu'après une révision des différences ou des contradictions n'apparaissent entre le texte législatif et son index. Toutefois, les expériences que j'ai faites en consultant des lois ou des ordonnances de grande ampleur que je ne connaissais qu'à peine, voire pas du tout, m'incitent à croire que tant le travail supplémentaire nécessaire à l'établissement et surtout à la tenue à jour d'un index que le risque d'erreurs seraient compensés par l'utilité d'un tel instrument, en particulier lorsqu'il s'agit d'actes législatifs importants, consultés fréquemment.

Accessibilité â la législation

Publication des actes législatifs

Les actes législatifs ne lient les administrés que s'ils ont été publiés dans les formes légales. L'État ne peut pas exiger de ses citoyens et citoyennes qu'ils se conforment au droit s'il ne le porte pas à leur connaissance. Il s'agit là d'un principe reconnu de l'État de droit. Dans le contexte de la communication législative, la forme et les modalités de publication de la législation en vigueur occupent à mon avis une place importante. La législation d'un État est vivante, c'est-à-dire qu'elle se trouve en perpétuelle évolution. Des actes législatifs sont modifiés, d'autres sont abrogés et remplacés par de nouveaux. Ces changements, qui dans certains domaines interviennent à un rythme élevé, rendent difficile l'accès au droit en vigueur.

Recueil officiel des lois bernoises et Recueil systématique des lois bernoises

Présentation, contenu et mise à jour

Le canton de Berne, comme d'ailleurs la Confédération helvétique et d'autres cantons, disposent de deux recueils de lois : l'un officiel[8] pour la publication des actes législatifs ; et l'autre systématique[9] contenant uniquement le droit en vigueur. Le Recueil systématique des lois bernoises est ordonné par matière et imprimé sur des feuillets mobiles rangés dans des classeurs. Depuis le mois de juillet 2000, le contenu intégral de ce recueil est aussi accessible sur Internet.[10] Les mises à jour sont opérées d'abord dans une banque de données informatisée. Les données actualisées sont ensuite transférées sur Internet tous les deux à trois mois environ. Elles sont reprises en parallèle par l'imprimerie mandatée pour composer les compléments de l'édition sur papier qui, elle, est mise à jour tous les six mois, au 1er janvier et au 1er juillet. Seul le texte publié dans le Recueil officiel, qui n'est disponible que sur papier, fait foi.

Utilisation

Le texte du Recueil systématique ne contient que le droit en vigueur. Les modifications apportées aux articles sont assorties de notes de bas de page qui en indiquent la date. De plus, un appendice, conçu sous forme de liste et placé à la fin de chaque acte législatif, contient les références (date d'adoption, titre, date d'entrée en vigueur) des actes législatifs qui ont modifié le texte concerné. Grâce à ces informations, il est en tout temps possible de reconstituer l'évolution d'un acte législatif, depuis sa première parution dans le Recueil officiel.

Le Recueil systématique des lois bernoises est lui aussi accompagné d'une table des matières, qui comprend pour chaque acte législatif le numéro de sa première parution dans le Recueil officiel ainsi que, le cas échéant, la liste des numéros de tous les textes qui l'ont modifié depuis cette date. La table des matières est imprimée peu de temps après la date déterminante pour la mise à jour du recueil sur papier. Elle est également disponible sur Internet[11] où elle est actualisée une fois par mois après que l'édition du Recueil officiel a paru. Pour s'assurer de la teneur exacte d'un acte législatif avant qu'il n'ait été mis à jour dans le Recueil systématique, il suffit de chercher dans cette table des matières les éventuelles modifications qu'il a subies et de les consulter dans le Recueil officiel. L'utilisateur ou l'utilisatrice qui se limite à consulter la version papier de la table des matières devra parcourir les textes publiés dans le Recueil officiel depuis la date déterminante pour connaître les changements apportés à l'acte législatif depuis cette date. En conclusion, le modèle combiné du Recueil officiel et du Recueil systématique permet en tout temps à l'utilisateur de déterminer simplement, rapidement et sans risque d'erreurs, la teneur séante d'un acte législatif.

Modification d'actes législatifs

Intégration des modifications dans la législation en vigueur

La modification d'actes législatifs fait partie de l'activité législative ; en volume de textes, elle en constitue même la majeure partie. En ce qui touche la clarté de la législation, la modification d'actes législatifs s'avère délicate à double titre : il faut faire en sorte que non seulement les amendements s'intègrent parfaitement dans le texte concerné, mais aussi que le texte modifié demeure en harmonie avec le reste de la législation. Si je prends l'exemple de la transformation d'un bâtiment situé dans une localité, il faut que les changements dans la construction respectent d'une part la statique du bâtiment et d'autre part l'esthétique de la rue.

Il arrive fréquemment que les modifications législatives ne soient pas effectuées avec l'attention voulue. Souvent, les délais sont trop serrés et l'examen des conséquences matérielles ou formelles qu'entraînent ces changements sur le reste de la législation est négligé. La complexité et le volume de cette dernière font que, dans certains cas, il est très ardu de déterminer avec sûreté toutes les implications que peut avoir une modification législative au sein de l'ordre juridique. Dans ces circonstances, une réduction du volume de la législation ne pourrait que faciliter la tâche des rédacteurs.

Utilité des recueils officiel et systématique

C'est en particulier dans le contexte des révisions d'actes législatifs qu'apparaît toute l'importance d'un système performant de publication des lois. Pour pouvoir amender un acte législatif, il est indispensable de savoir quelle en est la teneur en vigueur. Comme je l'ai décrit ci-dessus, le Recueil systématique et le Recueil officiel permettent de déterminer à n'importe quelle date la teneur exacte de tout article en vigueur contenu dans la législation bernoise. Cependant, même avec de tels instruments, la modification d'actes législatifs reste une tâche ardue qui exige des connaissances étendues dans de nombreux domaines de la législation et beaucoup de précision.

Langage des actes législatifs

Principes

Les actes législatifs s'adressent aux citoyens qui sont les destinataires du message normatif. Pour être clair et compris de tous, le langage des actes législatifs doit par conséquent être aussi proche que possible du langage ordinaire, tant du point de vue de la syntaxe que du vocabulaire. Il possède cependant des spécificités qui doivent être respectées.

Les phrases doivent être courtes et simples. Chaque phrase ne doit pas contenir plus d'une idée. Il faut éviter au maximum les propositions subordonnées multiples qui expriment des conditions ou des réserves par rapport à l'énoncé de la proposition principale.

Un texte est clair lorsqu'il renseigne sur les intentions de son auteur. Cette condition n'est pas remplie lorsque le législateur établit des normes par sous-entendus ou non-dits, ou de manière implicite. De tels procédés ne me paraissent admissibles que lorsque la formulation explicite serait tenue par le destinataire du message pour l'expression d'une évidence, donc pour un énoncé superflu.

Précision et concision

Les normes sont en règle générale rédigées au présent de l'indicatif parce que c'est le temps de l'action et de l'affirmation et qu'il peut se référer à un fait situé hors de tout temps précis. Il se prête par conséquent parfaitement à la rédaction de prescriptions (générales et abstraites) qui imposent des obligations, attribuent des droits, fixent des compétences ou règlent une organisation. L'emploi du futur permet dans certains cas de marquer l'obligation, mais il est souvent plus net de recourir au verbe semi-auxiliaire « devoir ». Le législateur doit manifester clairement ses intentions. Veut-il imposer une obligation ou laisse-t-il une marge de manœuvre au justiciable? L'autorité doit-elle disposer d'une marge d'appréciation? Les normes doivent être rédigées de manière que le lecteur n'ait pas de doute quant à leur caractère dispositif ou impératif ou quant à l'attribution ou non d'un pouvoir d'appréciation à l'autorité chargée de statuer dans un cas d'espèce. Lorsqu'une norme se réfère à un état de faits qui doit être achevé pour qu'elle s'applique, il convient de mettre le verbe à un temps du passé, de préférence au passé composé. Le recours à la forme passive est un défaut encore trop répandu parmi les juristes rédacteurs d'actes législatifs.

Dans une norme de droit, chaque mot a son poids. Tous les éléments qui ne sont pas indispensables pour exprimer la volonté du législateur doivent en être bannis. Ainsi, des formules purement stylistiques, des indications de jugements de valeur ou des commentaires n'ont pas leur place dans les règles de droit. Les actes législatifs sont des textes fonctionnels qui ne peuvent pas s'embarrasser de fioritures. Il ne faut pas confondre le contenu indispensable d'une norme et ce qui relève du commentaire : tous les éléments qui sont nécessaires pour exprimer la volonté et les intentions du législateur font partie de la norme, mais uniquement ceux-là. Les éléments qui se rapportent à l'application de la norme en liaison avec un cas d'espèce relèvent du commentaire.

Terminologie

Le choix du mot juste est également très important. Le droit dispose de tout un vocabulaire spécifique. Les domaines techniques, scientifiques, économiques et d'autres ont le leur. Le langage des actes législatifs doit utiliser les termes techniques du domaine réglementé, et naturellement ceux du droit. L'emploi de tels termes entrave évidemment la compréhension du texte législatif par les personnes qui ne connaissent pas la matière concernée. Mais le lecteur peut surmonter cette difficulté en cherchant la définition des termes qu'il n'a pas compris dans un dictionnaire ou dans un ouvrage spécialisés. L'emploi d'un vocabulaire spécifique représente un obstacle moindre à la clarté d'un message écrit que les doutes sur la signification exacte de ce dernier causés par un manque de logique dans le développement des idées, l'utilisation de synonymes approximatifs ou d'autres incohérences. Le législateur doit non seulement se servir de la terminologie exacte du domaine réglementé, mais aussi l'appliquer rigoureusement et uniformément dans toute la législation. Le recours à des synonymes ou à des termes différents pour exprimer une même idée ou une même réalité sème le doute et la confusion dans l'esprit du lecteur sur le contenu véritable du message que son auteur a voulu communiquer. Même si la répétition fréquente d'un terme dans un acte législatif, voire dans une seule norme, apparaît lourde du point de vue stylistique, elle est nécessaire pour garantir la clarté de l'expression. En aucun cas le rédacteur d'un acte législatif ne doit céder à la tentation de vouloir « simplifier » le langage juridique ou le langage spécialisé du domaine qu'il réglemente. S'il ne se tient pas à ce principe, il ne fait plus de la législation, mais de la vulgarisation.

Méthode de travail

La législation est, à mon sens, une activité d'équipe. Lorsque le mandat de préparer un projet de loi ou d'ordonnance est exécuté par une seule personne, il faut veiller à ce que celle-ci soit soutenue dans son travail par des spécialistes.

D'une manière générale, l'équipe de rédaction devrait être composée de personnes qui connaissent bien, sur le fond, le domaine à réglementer, de juristes expérimentés en législation et, dans les cas de projets politiquement délicats, de délégués des principales tendances politiques représentées au parlement. Dans les grandes lignes, on peut dire que les spécialistes de domaine déterminent ce qui doit être réglementé pour atteindre les objectifs fixés par le mandat législatif. Les politiques procèdent au choix entre les différentes possibilités de réglementation proposées et les juristes se chargent de transcrire les idées émises dans la forme et dans la langue correctes quant au droit et à la technique législative. Il s'agit d'instaurer une véritable collaboration entre trois catégories de partenaires, de manière à assurer une interaction des opinions et des savoirs en présence.

L'implication des milieux politiques comporte cependant le risque que les discussions au sein de l'équipe aboutissent à un compromis en raison d'avis très divergents. Dans ces conditions, le résultat du travail est un texte très général où il n'est parfois plus possible de discerner clairement les intentions de ses auteurs. Ce risque existe cependant dans tous les cas, puisque la législation est l'œuvre d'une autorité politique. Simplement, ses influences néfastes sur la clarté du message législatif peuvent être atténuées si la diversité des opinions est prise en compte dès le début d'un projet législatif.

Influence du débat parlementaire
sur la clarté de la législation

Parmi les nombreux facteurs susceptibles d'entraver la clarté de la législation, le débat parlementaire occupe sans doute la première place. Les exigences qu'il entraîne sont aussi les plus difficiles à satisfaire.

Les rédacteurs peuvent se donner la peine qu'ils veulent pour élaborer un projet bien structuré, à la systématique équilibrée, homogène quant à sa densité normative et impeccable sur le plan terminologique. En quelques minutes de débat et quelques votes, le parlement est capable, sur la base de considérations politiques, d'abîmer cet ouvrage en lui apportant des modifications ponctuelles qui brisent son unité. Il ne peut être remédié efficacement à cette situation puisque c'est le parlement et le peuple qui décident en qualité de législateur.

Il est parfois possible de corriger les défauts les plus graves d'une loi avant la seconde lecture par le parlement. Heureusement, les interventions du parlement ont rarement pour effet d'obscurcir le contenu des actes législatifs ; au contraire, la comparaison du nouveau texte avec celui d'origine et les déclarations des députés qui ont exigé les modifications font apparaître plus nettement la volonté du législateur. La perte de clarté se manifestera plutôt par rapport à d'autres dispositions de l'acte législatif si les amendements engendrent des incohérences ou des imprécisions. Les cas de figure sont innombrables. Ainsi, par exemple, l'introduction d'une norme trop détaillée, comparée aux autres contenues dans un acte législatif, n'affectera probablement que l'homogénéité de la densité normative du texte sans pour autant porter atteinte à sa clarté. Dans d'autres cas, il pourra y avoir atteinte à la clarté du texte législatif.

Les rédacteurs doivent être conscients du fait que les débats parlementaires comportent toujours le risque qu'un projet législatif bien préparé perde de sa qualité rédactionnelle sous l'effet de modifications ponctuelles dont le législateur ne prend pas (et ne peut pas prendre) le temps d'examiner à fond la portée.

Conclusion

Une législation claire présuppose une hiérarchie simple et précise des actes législatifs. Le législateur doit limiter son activité au strict nécessaire, c'est-à-dire à édicter les normes qui sont requises par l'intérêt public et qui convainquent par leur utilité et leur bien-fondé.

La clarté d'un acte législatif dépend en premier lieu du soin qu'auront pris ses rédacteurs à sa conception. C'est au cours de cette phase des travaux que sont opérés les choix qui détermineront la qualité d'un acte législatif : la définition de la matière à réglementer, le niveau législatif, la densité normative et la systématique. Les rédacteurs veilleront à employer un langage simple, concis et précis, et à appliquer rigoureusement et uniformément la terminologie spécifique du domaine réglementé et la terminologie juridique.

La publication de la législation au moyen d'un recueil officiel et d'un recueil systématique, qui permettent à l'utilisateur de consulter à tout moment le droit en vigueur à une date déterminée, complète le catalogue des conditions à remplir pour assurer la clarté de la législation.

Berne, le 11 septembre 2001
(révisé en mai 2005)