Assemblée des Premières Nations - Assemblée générale annuelle

Discours

Notes d'allocution pour

L'honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., c.r., députée
Ministre de la Justice et procureur général du Canada
Assemblée des Premières Nations Assemblée générale annuelle

Lieu: Centre des congrès de la Banque Scotia, Niagara Falls (Ontario) : le 12 juillet 2016

Priorité au discours prononcé

Gilakas'la. Bonjour, ainés, chef national, chefs régionaux, chefs, grands chefs, madame la ministre Bennett, mesdames et messieurs.

Merci, aîné Courchene, pour la prière d'ouverture, et merci à la chef Ava Hill, notre hôtesse, et au chef régional Isadore Day, pour vos bons mots d'accueil. Je salue les Haudenosaunee et les peuples des Six Nations de Grand River, sur les terres ancestrales de qui nous sommes rassemblés.

Oui, chef national, l'année a été mémorable - et oui, l'élan ne se dément pas.

Et les voix autochtones façonnent de plus en plus notre pays. Comme vous l'avez fait remarquer, le taux de participation aux élections fédérales de 2015 a connu une hausse fulgurante de 270 pour cent dans certaines collectivités, et un nombre sans précédent de 10 Autochtones ont été élus au Parlement, dont bon nombre sont ici dans cette salle.

Et oui, la population prend note. Par exemple, certains d'entre vous avez dû voir un article récent dont l'auteur fait observer comment « les députés et les sénateurs autochtones ont joué un rôle pivot dans l'adoption de la nouvelle loi sur l'aide à mourir », à laquelle ils ont apporté une « perspective qui leur est propre ». Et il est vrai, nous avons cherché le consensus là où il était possible, tout à fait dans l'esprit des traditions politiques autochtones et d'une approche non partisane de la prise de décisions.

Et oui, les choses ont commencé à bouger avec les consultations préalables sur l'enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et avec l'examen préliminaire de la position de la Couronne dans certains contentieux concernant les questions autochtones. Et oui, notre gouvernement a adopté, sans réserve, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce sont autant de percées incroyables. Mais… ce n'est toujours que le début.

Donc, chef national Bellegarde, je tiens à vous remercier de votre optimisme et de vos mots d'encouragement ce matin, et à vous remercier d'avoir pris le temps de réfléchir à ce qui a transpiré dans la dernière année écoulée depuis Montréal; ce qui est le plus important pour moi dans vos propos est le rappel de tout le travail difficile qu'il nous reste tous à faire, en particulier pour rebâtir la relation de nation à nation.

Nous devons aborder et nous aborderons maintenant les enjeux sociaux - l'éducation, le bien-être de l'enfance et la santé - en nous penchant sur les besoins immédiats pour ce qui est de la fermeture de l'écart financier; en vérité, les écarts socioéconomiques ne seront jamais complètement refermés tant que le travail de base de reconstruction des nations ne sera pas achevé, tant que la Loi sur les Indiens n'existera plus, et seulement lorsque les peuples autochtones décideront eux mêmes de leur sort, et que le gouvernement fédéral aura délaissé son rôle de conception et d'administration des programmes et des services pour les peuples autochtones pour assumer un rôle appuyant l'autonomie des nations autochtones dans une authentique relation de nation à nation.

Donc, oui, le vrai travail reste à faire, et c'est le message que j'ai à vous transmettre aujourd'hui.

Et à cet égard, nous avons tous la chance d'avoir un premier ministre qui comprend tout cela et qui a mandaté tous ses ministres pour travailler à renouer les liens de nation à nation avec les peuples autochtones, par « la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat ».

Donc, pendant les minutes dont je dispose ce matin, je vous parlerai de la relation de nation à nation et vous ferai part de certaines réflexions sur la façon dont nous pouvons articuler nos efforts pour, ensemble, nous donner un plan d'action pour les mois à venir, tracer la voie qui nous permettra de traduire toutes les bonnes paroles, la bonne volonté, et l'occasion en or qui nous est offerte en progrès significatifs, assortis d'avantages pratiques et discernables sur le terrain dans les collectivités autochtones. Pour entreprendre la transformation.

Et je mets les critiques au défi de dire que cela ne peut pas se faire - ceux qui disent, d'une part, que le gouvernement n'est pas sérieux ni sincère et, d'autre part, que les peuples autochtones n'ont pas ce qu'il faut ou n'ont pas la volonté ou que la tâche est trop grande.

Et je lance ce défi persuadée qu'il n'y a personne dans cette salle qui oserait dire que la décolonisation est facile, et que nous comprenons tous que la confiance - surtout là où elle n'existait pas auparavant - que la confiance, dis je, doit se gagner, et qu'elle peut tout aussi facilement se perdre, et que nous comprenons tous l'importance des enjeux, ils sont incroyablement élevés. Nous parlons de la vie des futures générations des enfants autochtones au Canada, et de la survie même de nos cultures distinctes, de nos langues anciennes, d'un mode de vie...

Pour l'avenir, l'approche à base de principes que prend notre gouvernement à l'égard d'une relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance soulève des questions très fondamentales auxquelles il faudra répondre pour aller de l'avant. D'abord et avant tout, elle amène la question : « Quelles nations autochtones faut-il reconnaître? ».

C'est­à-dire, comment vous définirez-vous comme nations? Quelles seront vos structures d'exécution des programmes et de prestation des services? Et ensuite, quel type de relation aurez-vous avec le Canada, avec vos voisins et avec les autres nations autochtones? Comment réglerez-vous vos différends entre vous et chez vous?

Pour répondre à ces questions, je pense que nous pouvons tous convenir que la Loi sur les Indiens, que nous impose le gouvernement fédéral, n'est pas la réponse, même si elle est une conséquence de notre héritage colonial, un point de départ nécessaire pour le dialogue dans les collectivités où le régime de la Loi sur les Indiens est, dans la plupart des cas, actuellement le principal système d'administration en place.

Même s'il s'agit d'un système qui reflète une notion appauvrie de la gouvernance, qui est fondamentalement incompatible avec la Déclaration des Nations Unies.

Permettez-moi de m'expliquer.

Le septième paragraphe du préambule de la DNUDPA parle de la promotion des droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales - c. à d. pas celles imposées par l'État, comme dans la Loi sur les Indiens.

Selon l'article 3, les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination et, en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Et l'article 5 reconnaît aux peuples autochtones le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l'État.

Donc, je repose la question : quelles sont les structures politiques, économiques et sociales que le gouvernement fédéral devrait reconnaître et dont parle la DNUDPA, et quelle est la relation de ces institutions avec l'appareil gouvernemental?

Comme nous le savons tous, il n'y a pas de réponse simple. Malheureusement, c'est plus compliqué que de mettre à la poubelle la Loi sur les Indiens. Quoique, si nous parlons librement, l'adoption de la DNUDPA devrait tous nous engager à le faire. Mais, cela créerait par ailleurs une incertitude juridique et économique pendant la période de transition.

Il faudra examiner avec le plus grand soin comment composer avec les structures administratives existantes dans les réserves, y compris les mécanismes de la Loi sur les Indiens qui existent déjà pour appuyer la transition. De nombreuses réserves ont déjà une importante infrastructure et ont fait de grands pas vers l'amélioration économique; il faut donc faire très attention aux nouveaux mécanismes que nous mettrons en place. Il faudra bâtir à partir de nos succès.

En même temps, nous devons aussi garder à l'esprit les avantages que représente déjà le statu quo et qui résistent au changement. Et c'est sans parler des citoyens des nations qui pourraient avoir peur du changement et être plus à l'aise avec le diable qu'ils connaissent qu'avec celui qu'ils ne connaissent pas. C'est le défi de la reconstruction des nations : une chose qui est bien comprise par ceux d'entre nous qui avons composé avec ces enjeux pendant des années.

Autant j'aimerais demain pouvoir jeter au feu l'histoire de la Loi sur les Indiens pour voir les Premières Nations renaître de ses cendres, l'option n'est pas pratique - c'est pourquoi les approches très simplistes, comme l'adoption de la DNUDPA comme loi canadienne, ne sont pas pratiques et, je le dis respectueusement, sont une distraction politique qui retarde le lancement des travaux difficiles que requiert sa mise en œuvre réelle.

Il nous faut un processus de transition efficient qui stimule le processus de décolonisation, mais d'une manière contrôlée respectueuse des efforts de reconstruction qu'ont déjà amorcés les collectivités autochtones.

Comme me l'a décrit un chef du temps où j'étais chef régionale en Colombie-Britannique, plutôt que de faire éclater le ballon qu'est la Loi sur les Indiens, laissons le se dégonfler lentement d'une manière contrôlée et délibérée - lentement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien; lorsqu'il sera complètement vide, remplaçons-le par de solides et vigoureux gouvernements des Premières Nations, des gouvernements qui concevront et exécuteront leurs propres programmes et assureront leurs propres services.

Cette approche est compatible avec l'article 38 de la DNUDPA, selon lequel le rôle de l'État, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, est de prendre les mesures appropriées pour atteindre les buts de la Déclaration. C'est donc par une combinaison de législation, de politiques et d'initiatives lancées et prises par les nations autochtones elles-mêmes que la DNUDPA sera mise en œuvre au Canada. À la fin, la DNUDPA sera articulée par le cadre constitutionnel de l'article 35.

Quels sont donc les mécanismes améliorés ou nouveaux dont nous avons besoin pour appuyer notre relation de nation à nation? Quelle législation ou quels changements de politique nous faut il maintenant et nous faudra t il plus tard? Pour créer l'espace juridique et politique afin d'aider les peuples autochtones à aller de l'avant, pour donner vie à l'article 35.

Aujourd'hui, le gouvernement fédéral peut lancer le processus pour reconnaître vos nations et vos institutions légitimes de gouvernement. Ce que nous pouvons faire, en partenariat intégral, c'est faciliter la transition - amorcer un cheminement d'action irréversible - et créer un cadre de réconciliation national avec des mécanismes améliorés et nouveaux pour guider cette transition vers la reconstruction de nations solides capables d'autodétermination, avec des cultures pratiquantes et florissantes.

Cela comprend des mécanismes pour négocier des traités modernes dans le sens de nouveaux mandats et avec d'autres mécanismes constructifs qui traceront une voie claire et prévisible aux peuples autochtones et aux gouvernements pour l'exercice de la prise de décisions et la gouvernance. Cela signifie appuyer l'édification des nations dans le contexte des traités historiques et, là où il n'y a pas de traités, le respect des détenteurs de titres légitimes. Cela signifie créer de nouveaux mécanismes pour faciliter l'autonomie gouvernementale au delà de la bande de la Loi sur les Indiens.

Et nous devons commencer à créer ces mécanismes dans les meilleurs délais. Bien sûr, ce travail sera controversé. Mais il est absolument nécessaire. Et il ne peut s'étendre sur de nombreuses générations. Nous n'avons pas le temps. Chose incroyable, selon certaines mesures, au rythme actuel, la négociation selon les mécanismes existants pour échapper à la dysfonction que nous impose la Loi sur les Indiens prendrait 600 ans. Ceci n'est pas acceptable.

Pour célébrer véritablement le 150e anniversaire du Canada l'an prochain, j'aimerais beaucoup pouvoir revenir à l'assemblée de l'APN de 2017 sachant que nous avons mis en place un plan commun et que les travaux sont bien lancés pour l'élaboration et la mise en œuvre des mécanismes qui appuieront la transition dans cette « ère de la reconnaissance », comme l'ont dit certains.

Nous n'avons certainement pas de temps à perdre à réinventer la roue et à refaire les rapports d'antan : nous devons agir avec conviction et détermination.

Comme fière Autochtone et fière Canadienne, je sais que mon avenir et l'avenir des prochaines générations sont inextricablement liés au succès du projet de création d'un Canada plus fort qui soit inclusif et qui respecte la diversité, un État postnational qui reconnaisse le pluralisme et un système de gouvernement appuyant cet objectif. Des nations autochtones fortes font partie de cette vision.

Des nations autochtones légitimes et fortes ont déjà commencé et continueront à changer, pour le mieux, la façon dont le Canada est gouverné. Il y a de la place dans notre pays pour différentes traditions juridiques et modes de gouvernance, pour une approche qui respecte la diversité et l'égalité et qui appuie l'avancement social et économique des peuples autochtones dans le cadre de notre système évolutif de fédéralisme coopératif et de gouvernance à plusieurs niveaux.

Voilà ce qui distingue le Canada comme nation par rapport aux autres nations du monde, où les tensions ethniques menacent la cohésion et, du même coup, la stabilité sociale et économique - voire le progrès humain.

Il n'y a donc pas de place dans le Canada d'aujourd'hui pour laisser les gouvernements nier aux peuples autochtones le droit de participer pleinement aux décisions qui les touchent directement et considérablement ou dans lesquelles ils ont le droit de faire respecter leur action ou leur compétence. À cette fin, la relation de nation à nation est cruciale. Dans les décisions sur l'utilisation des terres qui touchent les peuples autochtones, les gouvernements légitimes et reconnus de ces peuples autochtones doivent être en mesure de participer aux décisions partagées avec les autres paliers de gouvernement. Pour moi, c'est ainsi que s'opérationnalise le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Le rôle de mon ministère dans cette période de transition est un rôle de facilitation juridique de la reconnaissance et de la réconciliation qui consistera à jeter les fondements constitutionnels et juridiques au sein du gouvernement. puis à faciliter la mise en place des outils et des processus nécessaires pour faire le lien entre l'État présent et futur.

Dans ce contexte, le gouvernement précédent a adopté un train de législation qui, selon moi, et selon de nombreux autres intervenants et vous-mêmes, est incompatible avec la création d'une relation de nation à nation, et sur lequel nous devrons revenir au moment d'élaborer les mécanismes de la transition.

Et, bien sûr, il y aura encore des contentieux entre les peuples autochtones et la Couronne. Par conséquent, mon rôle de ministre de la Justice et procureur général est de voir au maintien de la Charte et de faire en sorte que les positions juridiques défendues par la Couronne devant les tribunaux soient compatibles avec les engagements et les valeurs de notre gouvernement pour ce qui est de la relation de nation à nation qui continuera d'évoluer avec les peuples autochtones.

En conclusion, je vous laisse sur ces réflexions finales.

Le temps est venu. Les canards politiques et juridiques sont alignés. Le gouvernement est sympathique à la cause. Mais nous avons besoin de vos solutions. Comme gouvernement, nous n'allons pas imposer nos solutions. Avec votre leadership, nous pouvons faire et ferons d'énormes progrès. Inutile de refaire les combats qui ont déjà été remportés. Nos ressources limitées, notre temps et notre énergie, il faut les consacrer à la construction, pas aux luttes. À la création, pas à la destruction. À l'autonomisation, pas aux protestations. Et c'est maintenant qu'il faut nous attaquer aux enjeux sociaux urgents. Mais les nations doivent être prêtes à assumer leur compétence et les responsabilités qu'elle entraîne. Et, malgré le rôle d'appui crucial à jouer par le gouvernement fédéral, c'est dans la collectivité que devra se faire le gros du travail. Comme je l'ai dit aux Communes, seuls les colonisés peuvent se décoloniser. Personne d'autre ne peut le faire à leur place.

Donc, sommes-nous prêts pour la mise en place de la DNUDPA?

Sommes-nous prêts à finir le travail inachevé de la Confédération?

Je dis oui. Je sais que nous sommes prêts.

Il ne reste plus qu'à nous mettre à la tâche. Nous avons beaucoup de travail à faire et j'ai hâte que nous nous y mettions ensemble.

Gilakas'la. Merci.


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