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ID : 30549
Ajouté le : 2003-05-28 9:39
Mis à jour le : 2004-10-29 23:44
Refreshed: 2006-01-26 15:19

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LES SEMENCES DU MONDE / Chapitre 1 : L'enjeu
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Ronnie Vernooy

Chapitre premier

L'enjeu

Les méga-cultures et l'érosion génétique

Un panneau, le long d'une route rurale quelque part au Canada, se lit ainsi : Si vous avez mangé aujourd'hui, remerciez un fermier. Il faudrait sans doute remercier aussi un sélectionneur de plantes puisque la majorité des résidants du Nord -- tout comme une forte proportion des populations du Sud -- mangent tous les jours grâce aux remarquables progrès des sciences et de la technologie agronomiques.

Ce sont les sciences agronomiques qui nous ont permis de réfuter les prévisions pessimistes de Malthus et de continuer de nourrir une population mondiale qui ne cesse de croître. Bien que le rythme de croissance se soit atténué depuis la dernière génération, la marée humaine continue de s'étendre : aujourd'hui, la population mondiale atteint les six milliards; bientôt, nous serons huit milliards; et, en 2050, peut-être y aura-t-il sur terre jusqu'à dix milliards de personnes. Mais il est un fait déconcertant : à mesure que s'accroît la population humaine, le nombre de cultures vivrières dont la plupart d'entre nous sommes tributaires s'amenuise.

Personne ne sait exactement comment l'agriculture est née, il y a 8 000 ou 10 000 ans; comment nos ancêtres ont commencé à identifier, manipuler et gérer certaines plantes et créatures sauvages pour subsister. Nous savons cependant que l'invention de l'agriculture représente un tournant dans l'évolution de l'humanité qui a mené aux structures et aux systèmes sociaux que nous appelons « civilisation ».

Au fil des siècles, les méthodes d'expérimentation agricole ont occasionné la domestication d'une gamme de plantes toujours croissante pour répondre aux besoins et préférences des gens, et aux conditions du milieu. Résultat : des milliers de variétés végétales différentes et génétiquement uniques sont cultivées dans les exploitations agricoles. Aujourd'hui, pourtant, les espèces végétales cultivées se limitent à 150 environ. L'alimentation des trois quarts de la population mondiale repose sur 12 d'entre elles, tandis que les approvisionnements alimentaires de la moitié de la planète proviennent d'un petit nombre de variétés de quelques espèces végétales seulement. Ce sont les « méga-cultures »: riz, blé, maïs, sorgho et millet, pommes de terre et patates douces.

Les méga-cultures sont des plantes à haut rendement qui exigent d'importants moyens de production, développées par les scientifiques des centres internationaux de recherche agricole dans le monde entier. Elles constituent le fondement de la révolution verte qui a donné lieu à une croissance exponentielle de la production agricole dans plusieurs pays en développement et nourri des centaines de millions de personnes.

Ce succès recèle une menace, toutefois. Le système hiérarchisé de la recherche agricole, qui considère les agriculteurs comme de simples bénéficiaires de la recherche plutôt que des participants à part entière, a grandement contribué à accroître la dépendance à l'égard de quelques variétés végétales. Cette tendance, de même que l'industrialisation croissante de l'agriculture, sont les principaux facteurs de ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'« érosion génétique ». Ce terme désigne à la fois la disparition d'une espèce et la réduction de la variété -- il n'englobe pas seulement les plantes, mais aussi les animaux et les micro-organismes -- ainsi que la dégradation graduelle de processus garants de l'évolution de la diversité. Ces processus regroupent le savoir en constante évolution, les innovations, les pratiques et les diverses formes d'organisations d'agriculteurs au sein des populations autochtones et des collectivités locales. Les pratiques en matière de production, de récolte et de préparation des aliments font souvent partie intégrante de l'identité culturelle des collectivités.

Le savoir des agriculteurs sur la diversité agricole revêt toujours une importance cruciale en bien des endroits, mais leurs cultures et leurs systèmes de culture sont aussi soumis à des exigences de plus en plus pressantes. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estime que, sur près de 250 000 variétés végétales propres à la culture, on n'en cultive aujourd'hui qu'environ 7 000, soit moins de 3 %. Le non-usage mène à l'abandon et, éventuellement, à l'extinction.


Selon la FAO, le remplacement de variétés locales par des variétés améliorées ou exotiques est la principale cause de l'érosion génétique dans le monde.

L'importance de la diversité

L'agriculture moderne est comme une vaste pyramide inversée; elle repose sur une base dangereusement étroite. L'érosion génétique pourrait mettre en péril la sécurité alimentaire de demain s'il advenait une réduction de l'efficacité des variétés à haut rendement dont nous sommes désormais tributaires.

Voici un premier paradoxe: le succès même des sciences agronomiques a entraîné la concentration d'un petit nombre de variétés conçues pour la culture intensive et une diminution considérable de la diversité des variétés végétales pouvant servir à la recherche et au développement durable de l'agriculture.

Par le passé, les chercheurs comptaient sur les agriculteurs qui préservaient des cultures assez diversifiées pour leur fournir le «nouveau matériel» génétique dont ils avaient besoin. Les sélectionneurs ont de plus en plus tendance à s'appuyer sur un nombre restreint de variétés améliorées. L'homogénéité de l'agriculture moderne menace cette source de diversité génétique et, partant, met en péril la sécurité alimentaire à l'échelle locale et mondiale.

Il faut dire également que les sélectionneurs n'ont pas connu un succès absolu. Les variétés à rendement élevé exigent la plupart du temps beaucoup de soins, notamment un épandage régulier d'engrais et d'autres facteurs de production agricoles. Autrement dit, elles ne peuvent pas se développer dans des sols appauvris ou dans des conditions défavorables.

En raison de ces contraintes, les variétés à haut rendement sont hors de portée pour des millions de petits agriculteurs qui n'ont pas les moyens de se procurer des semences et des fertilisants coûteux. Pis encore, la plupart de ces cultivateurs déclinent les offres des phytogénéticiens parce que les obtentions végétales qu'ils proposent ne sont pas conçues pour les terres pauvres : elles ne satisfont ni aux besoins des paysans, ni aux préférences locales.

Néanmoins, même s'ils disposent de peu de ressources, ces agriculteurs -- des femmes, pour une large part -- produisent jusqu'à 20 % des cultures vivrières de la planète. Environ le quart de la population mondiale dépend de ces terres marginales pour se nourrir.

En règle générale, les paysans qui exploitent ce genre de terres ont recours à diverses pratiques agricoles; cultivent à la fois des céréales et des plantes potagères; élèvent quelques poules pondeuses ou quelques poulets destinés à la consommation; et, s'ils en ont les moyens, quelques porcs peut-être, des chèvres, une ou deux vaches. Ils sélectionnent et plantent des semences provenant de leurs propres récoltes, en échangent avec des voisins ou des membres de la famille. Parfois offertes en cadeau, les semences sont doublement appréciées. Pour beaucoup, c'est un gagne-pain, souvent subventionné par un travail ailleurs qu'à la ferme. Pendant les bonnes saisons, toutefois, il peut même y avoir des récoltes excédentaires à vendre au marché.

Il y a un deuxième paradoxe: ces petits agriculteurs traditionnels pourraient bien détenir la clé de la croissance de la diversité biologique et culturelle. Car en luttant pour subsister sur ces sols pauvres et avec des ressources limitées, ces cultivateurs permettent aux variétés végétales d'évoluer. Ils sélectionnent des types de plantes (plutôt que des variétés) en se fondant sur leurs propres observations et selon leurs besoins particuliers. Ainsi, les conditions locales peuvent être favorables à des plantes basses mais robustes, ou encore la saveur, voire la couleur, de la plante à maturité peut avoir son importance.

Il en résulte que dans une large mesure, et cela pourra peut-être étonner, ces fermiers sont devenus les gardiens de la diversité. Grâce à leurs compétences en phytogénétique -- fondées sur leur expérience et leur observation plutôt que sur des connaissances scientifiques -- ils préservent la variation génétique essentielle à l'évolution et à l'adaptation continue des génotypes végétaux. Ils donnent aussi accès à une vaste diversité culturelle -- qui s'exprime par le savoir local, la langue, les façons d'agir, diverses formes d'association -- tout aussi importante pour la conservation de la biodiversité.


Repenser les stratégies de sélection classiques signifie avant tout reconnaître le rôle de premier plan que jouent les paysans.

Un processus dynamique de conservation et d'amélioration

Non seulement l'approche uniformisée de la sélection végétale ne convient-elle pas aux besoins des petits agriculteurs du monde en développement, mais elle contribue en outre à la perte de la diversité agricole, ou agrobiodiversité. À son tour, l'appauvrissement de l'agrobiodiversité réduit la capacité des écosystèmes agricoles de produire des ressources renouvelables. Les écosystèmes s'adaptent alors plus difficilement au changement, ce qui les rend encore plus fragiles. C'est un cercle vicieux. En 1998, la FAO soulignait dans un rapport intitulé The state of the world's plant genetic resources for food and agriculture qu'il faudra peut-être revoir les stratégies de sélection classiques sous un angle nouveau.

Repenser ces stratégies signifie avant tout reconnaître le rôle de premier plan que jouent les paysans de même que l'importance de leur savoir et de leur organisation sociale dans la gestion et la conservation de l'agrobiodiversité. La reconnaissance de ces rôles est ce qui fonde l'approche de la recherche agricole que l'on désigne par sélection végétale participative ou, de plus en plus, par phytosélection participative. En d'autres termes, l'objectif de la phytosélection participative consiste à faire en sorte que la recherche entreprise soit appropriée aux besoins des agriculteurs. Les chercheurs travaillent avec les paysans et la plus grande partie des essais se font sur le terrain.

Dans la phytosélection participative, les agriculteurs ne jouent plus un rôle auxiliaire, ce sont des partenaires à part entière. De fait, il arrive fréquemment que les agriculteurs prennent les devants et, parfois, ils combinent les semences qu'ils ont eux-mêmes sélectionnées avec le matériel fourni par les phytogénéticiens. Les obtentions végétales des agriculteurs étant adaptées aux conditions locales, les résultats sont souvent plus probants. Et lorsque cela se produit, les paysans n'hésitent pas à procéder à la multiplication des semences et à les distribuer. Ces interventions donnent lieu à un processus dynamique de conservation et d'amélioration.

La phytosélection participative et la conservation in situ de l'agrobiodiversité -- c'est-à-dire la préservation de la diversité des espèces végétales dans les exploitations agricoles, dans les habitats d'où elles viennent et où elles continuent d'évoluer -- sont deux méthodes complémentaires. Les petits agriculteurs sélectionnent leurs propres variétés améliorées uniquement pour survivre. Ils préservent ainsi la diversité, mais ils ne font pas la distinction entre conservation et développement. La phytosélection participative est une approche qui favorise à la fois le développement et la conservation de la diversité.

Cette approche donne aux petits exploitants agricoles les moyens de prendre leur situation en mains et entérine la logique qui préside à leurs choix. Elle permet aux agriculteurs plus prospères d'exercer un plus grand contrôle sur leur vie et donne à ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance ou qui ne récoltent que le minimum vital l'occasion de briser le cercle vicieux de la pauvreté. Les femmes des régions rurales sont sans doute celles qui bénéficient le plus de la phytosélection participative. Ce sont elles qui exécutent le gros des travaux agricoles, veillent au traitement et à l'entreposage du grain et d'autres plantes cultivées, et préparent les aliments. Et parce que, dans bien des régions, les femmes préservent aussi les meilleures semences pour la plantation, elles jouent un rôle déterminant dans la gestion des ressources phytogénétiques.

Voici un troisième paradoxe: les pays les plus riches en matériel génétique sont souvent les plus pauvres en ressources économiques. Bon nombre des cultures dont le monde aujourd'hui proviennent des pays en développement -- les pommes de terre des Andes en Amérique latine ou le blé de l'Asie centrale et de l'Asie occidentale, par exemple. Bien entendu, c'est aussi dans ces régions que l'on trouve la plus grande diversité génétique (voir la figure 1).

Si l'on veut préserver cette diversité pour assurer demain la sécurité alimentaire du genre humain, il faut trouver des moyens pour que les gens de ces régions, qui de fait en sont les gardiens, puissent enfin participer aux bénéfices. La phytosélection participative doit donc tenir compte aussi de l'épineuse question des droits des agriculteurs. C'est une notion que nombre de défenseurs de la sélection végétale participative ont épousée et qui est implicitement avalisée dans la Convention sur la diversité biologique qui prône «le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques». Ce principe va au-delà d'une simple rétribution des agriculteurs en reconnaissance de leur rôle dans la conservation et l'amélioration des ressources phytogénétiques. Il permet également aux collectivités d'avoir la haute main sur leur propre matériel biologique, d'être partie prenante au partage du savoir et de la technologie, de renforcer leurs capacités et d'avoir accès aux terres et aux marchés.


Nombre de chercheurs estiment que la phytosélection participative est essentielle à la sécurité alimentaire mondiale.

Figure 1. Diversité des principales plantes cultivées, par région (adaptation: FAO, 1998).

Une décennie de recherche

Il y a plusieurs façons d'aborder la phytosélection participative. Certains organismes de développement considèrent cette approche comme un moyen de réduire la pauvreté et d'accroître les disponibilités alimentaires dans certaines des régions les plus pauvres du globe. D'aucuns estiment qu'elle permet de faire de la recherche à moindre coût et de manière plus efficace. D'autres encore centrent la démarche sur les droits des agriculteurs et l'égalité des femmes. Nombre de chercheurs estiment que la phytosélection participative est essentielle à la sécurité alimentaire mondiale. Depuis 1992, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada soutient tout particulièrement la recherche axée sur la conservation de la biodiversité. Aujourd'hui encore, il lui accorde toujours son concours dans le cadre de l'initiative de programme Utilisation durable de la biodiversité (UDB). Témoin de cet appui soutenu, les nombreuses recherches appliquées dans les domaines de l'agriculture, des pêches, de la foresterie, de la nutrition et de la santé que le CRDI a subventionnées au cours des années 1970 et 1980.

Le présent ouvrage donne une vue d'ensemble de l'appui accordé pendant une décennie à la recherche portant directement ou indirectement sur la phytosélection participative. La réunion des résultats de ces recherches représente une somme de connaissances et d'expériences qui mérite d'être partagée. Le livre s'ouvre sur l'approche adoptée et sur les principaux thèmes de recherche, illustrés par de brefs rapports sur six projets menés dans diverses régions du monde. Puis, il examine les effets des projets à la lumière des résultats escomptés. Suivent des recommandations susceptibles d'ouvrir la voie à de nouvelles recherches inspirées des leçons des dix dernières années. En conclusion, nous émettons quelques hypothèses quant à l'orientation que pourraient prendre la recherche et les politiques sur la phytosélection participative pour peu qu'elles fassent partie des enjeux mondiaux de la conservation de l'agrobiodiversité.





Éditeur : CRDI

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