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LA RECONNAISSANCE PRÉALABLE DE CULPABILITÉ

Milica Potrebic Piccinato

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LE RESPECT DE L'ENTENTE INTERVENUE

Le procureur de l'État occupe une place tout à fait particulière dans la justice canadienne. Il n'est pas simplement avocat, mais aussi officier de justice. Son rôle exclut toute notion de victoire ou de défaite. Il doit s'acquitter de ses fonctions avec un sens poussé de la dignité, du sérieux et de la justice des procédures[66].

Le procureur est investi de larges pouvoirs qu'il est tenu d'exercer avec équité, impartialité, de bonne foi et en conformité avec les règles déontologiques les plus strictes[67]. Ces exigences s'appliquent avec plus de force encore lorsque des décisions sont prises hors de la présence du public, comme dans le cas de discussions sur la reconnaissance de culpabilité, puisqu'elles peuvent avoir une incidence sur l'administration de la justice beaucoup plus considérable que ce que l'avocat peut faire à l'audience. Le procureur a l'obligation générale d'honorer les ententes intervenues avec l'inculpé. Ces ententes ont le caractère d'un engagement en bonne et du forme et doivent être scrupuleusement exécutées[68]. Mais au delà de toute considération morale, le respect de l'accord conclu avec un inculpé est une nécessité pratique. Ces accords règlent la majorité des points litigieux d'une affaire. S'ils n'ont pas de caractère obligatoire et si on ne peut s'y fier, le processus perd toute utilité[69].

Il est extrêmement rare qu'un procureur cherche à se soustraire à une entente. D'ailleurs, la juridiction d'appel ne permettra au procureur de revenir sur la position qu'il a prise en première instance[70] que dans des cas exceptionnels, par exemple si la peine prononcée était illégale, si le procureur a été trompé ou s'il peut être établi que la gravité du crime en cause et l'insuffisance manifeste de la peine infligée doivent peser davantage que le souci de ne pas perturber le cours de la justice[71]. Un cas concret permettra de mieux saisir l'étendue du principe.

De mai 1987 à décembre 1992, Paul Bernardo, un psychopathe, assassina trois femmes et en agressa sexuellement au moins dix-huit autres[72]. La police ne disposait à l'origine d'aucune preuve admissible permettant de relier Bernardo à ces crimes. Ce n'est que le 1er février 1993 que le premier indice fut découvert. Les médecins légistes informèrent les policiers qu'ils étaient parvenus à établir un lien entre l'ADN de Bernardo et certains des viols[73]. Cela n'était toutefois pas suffisant pour établir que Bernardo était l'auteur des trois meurtres. Il n'y avait donc qu'une solution, soit de convaincre sa femme, Karla Homolka, de témoigner contre lui. Homolka était à la fois victime de son mari et complice de ses crimes. Le 11 février 1993, elle chargea un avocat d'engager pour son compte des discussions avec la poursuite[74]. Elle disposait d'informations cruciales qui permettraient d'arrêter Bernardo, mais elle n'entendait pas les livrer sans contrepartie. Les procureurs et la police se trouvaient donc devant un grave dilemme. Ils disposaient de preuves solides contre Homolka, mais n'avaient rien de nature à leur permettre d'obtenir la condamnation de Bernardo. Force était de constater qu'on ne pouvait rien contre Bernardo à moins d'obtenir la collaboration et le témoignage d'Homolka. Le 14 mai 1993, après des mois de discussions avec l'avocat d'Homolka, les procureurs en arrivèrent à une entente avec cette dernière[75]. Celle-ci acceptait de déposer contre Bernardo. En échange, elle reconnaîtrait sa culpabilité à deux accusations d'homicide involontaire, pour lesquelles on lui donnerait douze années d'emprisonnement[76]. Homolka fut condamnée le 6 juillet 1993[77]. Plus d'un an plus tard, la découverte de nouveaux éléments de preuve sema la consternation dans la population. Le 22 septembre 1994, la police découvrit en effet des bandes vidéo enregistrées par Bernardo[78]. Ces enregistrements montraient les violences sexuelles exercées par Bernardo et Homolka contre plusieurs victimes, dont les trois jeunes femmes assassinées[79]. L'entente intervenue avec Homolka commença à faire l'objet de critiques virulentes. La situation avait changé. Homolka n'était plus la pauvre femme manoeuvrée par un mari sadique, mais une complice à part entière des atrocités commises. Il va sans dire que si les autorités avaient eu les bandes vidéo le 14 mai 1993, elles n'auraient jamais conclu d'entente avec Homolka[80]. Le 1er septembre 1995, Bernardo fut déclaré coupable de deux meurtres au premier degré et condamné à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant l'expiration d'un délai de 25 ans[81]. Il fut en outre déclaré délinquant dangereux et condamné à être détenu dans un pénitentier pour un temps indéterminé[82].

À la lumière de l'indignation suscitée par le fait qu'Homolka s'en était tirée avec douze ans d'emprisonnement, le Procureur général de l'Ontario ordonna la tenue d'une enquête publique[83]. Cette enquête examina le bien-fondé des décisions prises par les procureurs à l'égard d'Homolka. L'entente du 14 mai 1993 ainsi que la décision de ne pas porter d'accusation de meurtre contre Homolka après la découverte des bandes vidéo furent analysées. L'enquête en arriva à la conclusion que la conduite des avocats des deux parties avait été irréprochable et qu'il n'y avait rien à redire sur la façon dont s'étaient déroulées les discussions ayant conduit à l'entente. Pour citer le juge qui conduisait l'enquête :

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, malgré qu'il soit toujours répugnant de négocier avec un complice, la poursuite n'avait en l'occurrence pas d'autre choix. Les autorités ont l'obligation de poursuivre les meurtriers. Conclure une entente avec un complice est souvent le moindre de deux maux lorsque sans cela un criminel violent et dangereux échapperait à toute poursuite.[84]

L'enquête estima par ailleurs que la peine dont Homolka était passible pour ses actes aurait pu aller de dix à quinze années d'emprisonnement[85]. La condamnation à douze années d'emprisonnement se situait donc tout à fait dans les normes.

L'enquête conclut en outre que l'État était fondé à ne pas déposer d'accusations de meurtre contre Homolka après la découverte des enregistrements vidéo[86]. De telles accusations auraient été contraires à l'accord conclu avec Homolka[87] en plus d'être prohibées par le Code criminel[88]. Homolka n'avait trompé ni les procureurs ni le tribunal qui l'avait condamnée[89]. Elle avait au contraire signalé dès le départ aux autorités l'existence des bandes vidéo, mais déclaré ne pas savoir où Bernardo les avait cachées. Homolka avait décrit toutes les activités criminelles auxquelles elle avait participé ou dont elle avait eu connaissance[90]. Elle avait respecté l'entente avec la poursuite[91]. Le juge chargé de l'enquête déclara qu'on ne se trouvait pas en présence d'un cas dans lequel l'État pouvait rechercher l'annulation de l'accord intervenu. Il ajouta que le respect de l'entente était moins susceptible de discréditer la justice que sa révocation si longtemps après sa conclusion[92]. Cette affaire aussi exceptionnelle que célèbre illustre bien la force des ententes relatives à la reconnaissance de culpabilité.

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