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Étude sur les services juridiques au Nunavut Rapport définitif
16 octobre 2002
- 6.0 INCIDENCE DES BESOINS NON SATISFAITS
- 6.2 INCIDENCE POUR LA VICTIME OU L'AUTRE PARTIE
- 6.3 INCIDENCE SUR LA COLLECTIVITÉ
- 6.4 INCIDENCE SUR LE PERSONNEL DE LA CSJN
- 6.5 INCIDENCE SUR LE SYSTÈME JURIDIQUE DU NUNAVUT
- 6.6 SOMMAIRE DE LA SECTION 6.0
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6.3 INCIDENCE SUR LA COLLECTIVITÉ
Les besoins non satisfaits en matière de services juridiques affectent
de plusieurs façons les membres de la collectivité :
- par la frustration et la dissociation culturelle qui résultent des
retards et des ajournements des cours de circuit;
- sur le plan émotif, en raison des liens qu'ils ont avec l'accusé
et la victime;
- par les pressions croissantes exercées sur les structures communautaires
pour qu'elles interagissent avec le système juridique et assument une
partie de ses responsabilités.
6.3.1 Effets des retards dans les cours de circuit
Les retards, qui semblent inhérents aux cours de circuit même
si tous les participants font de leur mieux, risquent de frustrer la collectivité
dans son ensemble, en particulier si l'accusé récidive en attendant
l'audition de la première accusation. Dans certains cas, il se peut que
la collectivité cherche à régler la situation à
sa manière. Des répondants ont observé, par ailleurs, que,
dans des cas très difficiles et stressants, un certain retard pouvait
être salutaire, car il permet aux émotions et à la colère
de s'apaiser avant que l'affaire n'arrive devant le tribunal.
Néanmoins, les répondants d'origine inuite ont relevé que
le traitement rapide des infractions dans une collectivité constituait
une valeur culturelle traditionnelle importante, souvent mise de côté
par les cours de circuit surchargées. Une recherche antérieure
a montré que
[
] lorsqu'on parle de la façon dont les conflits étaient
habituellement abordés, [
] certaines valeurs demeurent importantes.
Traditionnellement, la confession du méfait était très
valorisée et, en fait, ne pas l'admettre était souvent un
crime pire que le méfait. [
] On croyait que le fait de cacher
sa culpabilité rendait une personne malade et, avec le temps, cette
affection se transmettait à ses proches [...] jusqu'à ce que
toute la collectivité en souffre. [
] Il est essentiel de régler
les problèmes le plus rapidement possible car, en repoussant le moment
d'aborder un problème, on oblige la personne à vivre sans
se confesser et sans régler le problème. Si on le repousse
trop loin, alors surviennent la peine, la culpabilité, la peur, la
confusion, etc. [
] On s'attend donc à ce que les gens reconnaissent
leurs erreurs et qu'ils partagent leurs manquements à la règle
avec les autres afin que la collectivité puisse rester en santé.
Cet aveu doit être fait sans tarder [traduction]21
.
Même si les répondants ont fait remarquer que les retards dans
les cours de circuit étaient habituellement moindres que dans les
cours du Sud, il est possible que les Inuits soient moins tolérants
et compréhensifs à cet égard que les autres Canadiens
en raison de leur désir d'appliquer leur méthode traditionnelle
et de résoudre les affaires rapidement, dans la collectivité.
Certains répondants ont aussi signalé qu'un ajournement dans
une cour de circuit a un effet beaucoup plus grand que s'il survenait dans une
cour résidante. Dans cette dernière, un ajournement peut être
d'une semaine, alors que, dans une cour de circuit, il peut durer plusieurs
mois, voire même jusqu'à six mois en raison des conditions météorologiques.
6.3.2 Effets émotionnels
Les membres de la collectivité voient les effets des besoins non satisfaits
sur l'accusé et sur la victime ou sur les deux parties d'un litige en
droit de la famille ou en droit civil. La plupart des collectivités du
Nunavut sont petites et, dans celles-ci, presque tous les membres ont eu affaire
au système de justice, en tant qu'accusé, victime ou parent d'un
accusé ou d'une victime. Les membres de la collectivité sont les
premiers à prendre conscience des répercussions des besoins non
satisfaits, qui engendrent des problèmes d'envergure communautaire :
- Les membres de la collectivité sont souvent désorientés
par ce qui s'est passé dans les audiences de la cour de circuit ou
des juges de paix. Ils ne comprennent pas nécessairement le pourquoi
d'une décision ou d'un retard dans le traitement d'une affaire. Cette
confusion provoque une méfiance envers le système de justice,
qui leur paraît difficile à comprendre et irrationnel.
- La confusion et la méfiance que les membres de la collectivité
ressentent risquent finalement de se transformer en irrespect envers le système
de justice dans son ensemble et en une réticence à participer
à ce système de quelque façon que ce soit.
- La disponibilité limitée de services pour les affaires familiales
ou civiles risque de mener à une perception que le système juridique
sert uniquement à punir les crimes, plutôt que de constituer
un moyen possible de résoudre les conflits, d'obtenir dédommagement
et de ramener la paix.
Les incertitudes et les retards reliés au système de justice
sont difficiles à supporter pour des gens qui ont généralement
déjà vécu beaucoup de traumatismes. Le Nunavut est particulièrement
affligé par des taux élevés de suicide, de dépendance
à l'alcool et aux drogues, d'agression et d'agression sexuelle. Devoir
traiter ces enjeux quotidiennement laisse les collectivités avec peu
de patience et de souplesse en réponse à un système de
justice dont on juge qu'il ne comble pas leurs besoins ni ne reflète
leur situation.
6.3.3 Interactions et responsabilités accrues
Les membres de la collectivité sont aussi de plus en plus invités
à participer au système de justice en tant qu'aînés
et que membres des comités de justice communautaire (CJC) et des comités
de justice pour la jeunesse (CJJ) et à prendre part à d'autres
projets de justice alternative. Les répondants appuyaient généralement
ces initiatives et estimaient qu'elles représentaient une partie importante
de la mise en place d'un système de justice plus ouvert aux valeurs et
aux besoins traditionnels des Inuits. Cependant, de nombreux répondants
ont aussi mentionné que ces initiatives commençaient à
peser lourd sur les membres de la collectivité qui y prennent part. Dans
certains cas, on profite d'eux, on ne les paie pas suffisamment ou on ne reconnaît
pas leurs efforts.
Les CJC et les libérations anticipées constituent un bon exemple
des conséquences négatives sur les membres de collectivités
de la tentative de combler certaines lacunes du système de justice. Lorsqu'un
détenu demande une libération anticipée, on demande souvent
au CJC s'il est d'avis que la mise en liberté est appropriée ou
non. Dans certains cas, les gens qui doivent prendre cette décision sont
mal à l'aise, surtout parce qu'ils doivent faire face à la victime
tous les jours et peuvent se sentir incapables de lui expliquer pourquoi le
contrevenant a obtenu une remise en liberté anticipée. Si le contrevenant
récidive, les membres du CJC se sentent coupables d'avoir accepté
sa libération anticipée. Et si le CJC recommande de refuser la
libération anticipée, il doit alors justifier cette décision
à la famille du contrevenant, qui réside probablement dans la
collectivité. Toutes ces situations placent les membres du CJC dans une
position difficile, ce qui risque de décourager la participation à
de futures initiatives de justice.
Les membres respectés de la collectivité servent aussi de service
de renvoi officieux à la CSJN à l'égard de concitoyens
qui ont des démêlés avec la justice. Sur les 12 clients
interrogés qui cherchaient un avocat criminaliste, 3 ont été
dirigés vers la clinique Maligaanik Tukisiiniakvik par un membre de la
collectivité ou un parent qui connaissait la CSJN.
6.4 INCIDENCE SUR LE PERSONNEL DE LA CSJN
Les avocats de la CSJN, les conseillers parajudiciaires ainsi que les administrateurs
sont pleinement conscients de l'ampleur des besoins non satisfaits en matière
de services juridiques au Nunavut, et les lacunes de la prestation de services
les affectent grandement.
Autant les conseillers parajudiciaires que les avocats salariés ont
une lourde charge de travail et sont souvent incapables d'aider tous ceux qui
en ont besoin. Les conseillers parajudiciaires offrent leurs services dans des
conditions parfois précaires, en particulier sur le plan des infrastructures
(voir l'exposé sur les besoins des conseillers parajudiciaires à
la section 7.0). Les avocats salariés doivent composer avec des horaires
de déplacement exténuants lors des tournées et travaillent
souvent le soir, la nuit et les fins de semaine pour se préparer adéquatement
et fournir à leurs clients une représentation de qualité.
De plus, le personnel de la CSJN est affecté émotionnellement
par les besoins non satisfaits. Il est contrariant pour les conseillers parajudiciaires
et les avocats salariés de savoir qu'ils ne peuvent pas aider tous ceux
qui en ont besoin. Les conseillers parajudiciaires portent souvent un fardeau
additionnel, en ce sens qu'ils représentent le système de justice
aux yeux de la collectivité. On exige des conseillers parajudiciaires
sur place qu'ils « recollent les morceaux » au départ de la
cour. On leur demande fréquemment de justifier les actes et les décisions
de la cour auprès des familles, des membres de la collectivité,
de l'accusé et, parfois, de la victime.
Les pressions que vit le personnel de la CSJN à cause des besoins non
satisfaits mènent fréquemment à l'épuisement professionnel.
En outre, le taux de roulement du personnel des conseillers parajudiciaires
et des avocats est très élevé. Ce taux de roulement ne
fait qu'empirer la situation pour le personnel de la Commission qui reste, car
il réduit davantage le pouvoir de la CSJN de combler les besoins.
6.5 INCIDENCE SUR LE SYSTÈME JURIDIQUE DU NUNAVUT
Les besoins non satisfaits dans une partie du système juridique risquent
d'entraîner une réaction en chaîne qui exercera une tension
sur les autres composantes. En voici trois exemples : les effets du manque de
représentation des accusés dans les cours des juges de paix, les
effets sur les agents de probation du manque de représentation dans les
cours de circuit et les effets sur la demande de représentation au pénal
des besoins non satisfaits en matière familiale.
6.5.1 Effet du manque de représentation dans les
cours des juges de paix
Le refus d'un avocat de la CSJN de représenter un accusé par
téléphone dans une cour des juges de paix, ajouté à
la disponibilité limitée de conseillers parajudiciaires dans les
collectivités, entrave la capacité des cours à instruire
ces causes, car les juges de paix sont souvent extrêmement réticents
à procéder si l'accusé n'a pas d'avocat. Dans certains
de ces cas, l'affaire est envoyée à la CJN, ce qui absorbe plus
de temps et est moins efficace que si elle était instruite dans une cour
des juges de paix, même si l'accusé est ainsi assuré d'être
représenté par un avocat. Les coûts qu'entraînent
le temps accru requis et la réduction de l'efficacité sont supportés,
en partie, par la CSJN, qui doit fournir cette représentation.
6.5.2 Effet des besoins non satisfaits dans les cours
de circuit sur les agents de probation
« Je crois qu'il existe un lien entre les affaires pénales et
civiles dans la création de besoins juridiques. Lorsque les gens
n'ont pas accès aux services pour se protéger, ils se trouvent
dans une situation où ils doivent assurer leur propre défense.
Il y a des conséquences à placer une barrière entre
les gens et les ressources dont ils ont besoin. » |
Si un accusé est mal représenté dans une cour de circuit
(en raison de la pénurie d'avocats ou de la difficulté à
assurer un service de grande qualité aux clients à cause de la
structure des cours de circuit), la sentence risque d'être inadéquate.
Beaucoup de ces sentences accroissent la charge de travail des agents de probation
dans la collectivité. Par exemple, il incombe à ces agents d'effectuer
des visites de suivi pour les détentions à domicile et les condamnations
avec sursis. L'exigence voulant qu'un accusé comparaisse à nouveau
en cour lorsque celle-ci revient dans la collectivité alourdit aussi
le fardeau des agents de probation, qui doivent alors accompagner le contrevenant
afin de faire rapport de son comportement.
6.5.3 Effet des besoins non satisfaits en droit de la
famille sur la demande de représentation au pénal
Selon certains répondants, il y a un lien entre les conséquences
des besoins non satisfaits en droit de la famille et la demande de représentation
en droit pénal. D'autres sont d'avis contraire .
Ceux qui affirment que ce lien existe soutiennent que les gens sont frustrés
parce qu'ils ignorent les recours à leur disposition en droit de la famille
dans leur situation ou sont incapables d'y avoir accès. Leur frustration
croît à un point tel qu'ils en viennent à commettre un acte
criminel, par exemple une agression. D'autres soutiennent qu'il y a un lien,
en particulier dans le cas des femmes victimes de violence conjugale, car elles
ignorent leurs droits ou n'ont pas accès aux recours pour les faire respecter.
Elles restent donc dans la situation où elles font l'objet de violence,
ce qui entraîne des accusations criminelles contre leur conjoint. Ces
répondants ont fourni des preuves anecdotiques de la relation entre ces
deux éléments.
- Un homme a agressé son ex-conjointe après avoir essayé
de mettre fin à la relation et de prendre l'enfant avec lui, alors
que la femme s'y opposait.
- Des accusations de voies de fait et de menaces ont été portées
contre un homme qui a essayé d'empêcher sa conjointe de partir
avec leur enfant avant que ne soit réglée la question de la
garde et des droits de visite.
- Les femmes n'ayant pas accès à des conseils juridiques en
matière de droit de la famille ne savent pas qu'elles ont le droit
de rester dans leur maison même si elles se séparent de leur
conjoint. Il arrive donc qu'elles décident de rester au domicile conjugal
avec leur conjoint violent, au lieu de partir, sachant qu'il y a une pénurie
de logements. Bien souvent, elle est de nouveau victime et le conjoint se
retrouve accusé d'agression.
« Prenons, par exemple, une personne qui revient à la maison et
trouve son conjoint ou sa conjointe au lit avec quelqu'un d'autre. Même
si cette personne sait qu'elle a accès à des services juridiques
pour obtenir un divorce et discuter des questions relatives à la
garde des enfants et à la pension alimentaire, il se peut que, sous
le coup de l'émotion, elle assène un coup à l'autre
avec une sculpture. » |
Des répondants estimaient que la satisfaction des besoins en matière
civile et familiale réduirait la demande de services en droit pénal.
D'un autre côté, un répondant a fait remarquer qu'il y aurait
peut-être un lien entre les deux, mais que la satisfaction des besoins
dans les affaires civiles et familiales ne réduirait pas automatiquement
la demande d'aide juridique en matière pénale, car les accusations
criminelles sont habituellement le résultat d'une réaction spontanée
à un problème.
Peu importe leur opinion quant au degré de probabilité du lien
entre ces deux questions, aucun répondant n'a été en mesure
d'évaluer l'ampleur du problème. Toutefois, un répondant
a fait observer qu'étant donné que de 30 à 40 p. 100 des
accusations au pénal dans sa région sont des accusations de violence
conjugale, la violence familiale constitue un problème majeur et que
cette situation pourrait découler, du moins en partie, d'affaires non
résolues en droit de la famille.
6.6 SOMMAIRE DE LA SECTION 6.0
Le tableau suivant résume les points importants de la section 6.0.
Tableau 6.1 : Sommaire de la section 6.0
Incidence des besoins non satisfaits |
- L'incapacité de la CSJN à combler les besoins des accusés
dans beaucoup de situations diverses a un effet négatif important
sur le bien-être de ceux-ci. Dans certains cas, le sentiment d'impuissance
que les besoins non satisfaits provoquent a conduit l'accusé
au suicide. En raison du manque de représentation, il se peut
que l'accusé plaide coupable ou qu'il reçoive une sentence
trop lourde et, parfois, inadéquate.
- Des répondants estiment que les besoins non satisfaits en matière
familiale et civile risquent d'accroître la demande pour des services
en droit pénal, parce que les gens auront tenté de régler
les choses eux-mêmes.
- Les besoins non satisfaits ont des conséquences négatives
sur la victime (ou sur l'autre partie dans un conflit). Ces personnes
sont aussi affectées par les retards du système de justice
et par leur impuissance à retenir les services d'un avocat (à
cause de la pénurie générale d'avocats au Nunavut).
- Les besoins non satisfaits touchent aussi les membres de la collectivité
qui sont contrariés par les retards et les ajournements des cours
de circuit. Ils se sentent culturellement dissociés du système
de justice. Sur le plan affectif, ils sont touchés en raison
de leurs liens avec l'accusé et la victime, surtout dans les
petites collectivités. On leur demande de plus en plus d'interagir
avec le système juridique et d'assumer certaines des responsabilités
du système en tant qu'aînés, que membres de comités
de justice et que participants à des projets de justice alternative.
- Le personnel de la CSJN est bien conscient de l'ampleur des besoins
non satisfaits et, par conséquent, vit beaucoup de stress, de
frustration et d'anxiété. Ces tensions mènent fréquemment
à l'épuisement professionnel et à un taux élevé
de roulement de personnel, qui, à son tour, a des répercussions
négatives sur le personnel qui reste.
- Les besoins non satisfaits dans une partie du système de justice
du Nunavut ont aussi des effets sur la prestation de services dans d'autres
domaines, ce qui entraîne des problèmes dans l'ensemble
du système.
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21Towards Justice That Brings
Peace, Nunavut Social Development Council Justice Retreat and Conference, Rankin
Inlet, 1998, p. 16.
22Deux problèmes ont
empêché la collecte de preuves statistiques sur le lien entre les
besoins non satisfaits en matière familiale ou civile et la demande de
représentation au pénal. Le premier est que bon nombre de gens
ignorent que la CSJN offre du soutien en droit de la famille et n'en ont donc
pas fait la demande. Le deuxième est que les demandes sont classées
et traitées par nom de famille et qu'il est difficile d'établir
le lien, par exemple, entre la demande d'une femme dans un cas de divorce et
celle en droit pénal présentée par son conjoint accusé
d'agression.
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