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Thérapie multisystémique en guise de réponse à la délinquance juvénile grave
Par Jeff Latimer[1]


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INTRODUCTION

La prévention et le traitement de la délinquance juvénile ont figuré au rang des enjeux sociaux les plus pressants des quelques dernières décennies au Canada. Une somme substantielle de recherches a été exécutée dans le but de mieux comprendre la façon et les raisons pour lesquelles les jeunes s'engagent dans la criminalité. Les résultats confirment généralement que les antécédents d'un délinquant juvénile comportent un ensemble de facteurs enchevêtrés et interreliés. Il est toutefois possible de rassembler sous le domaine de la famille un sous-ensemble de facteurs importants et solides, qui se prêtent à une intervention psychosociale. Dans la rhétorique de la prévention du crime, la famille est un point de mire majeur, non seulement comme facteur principal mais également comme solution utile.

Au Canada, le Centre national de prévention du crime (CNPC) a adopté, parmi ses principes, la notion que « la responsabilité des parents et des autres adultes qui élèvent des jeunes doit être affirmée et la contribution de la famille élargie et des membres de la collectivité doit être encouragée » (1995, p. 1). Le CNPC dit de plus que le soutien et la participation des familles devraient être les moyens utilisés pour promouvoir la responsabilité des parents et réduire la délinquance. La nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui a remplacé la Loi sur les jeunes contrevenants en avril 2003, réaffirme également l'importance de la famille dans la Déclaration de principe. Au sous-alinéa 3c)(iii) on dit que les mesures prises à l'égard des adolescents qui commettent des infractions doivent viser à :

leur offrir des perspectives positives, compte tenu de leurs besoins et de leur niveau de développement, et, le cas échéant, faire participer leurs pères et mères, leur famille étendue, les membres de leur collectivité et certains organismes sociaux ou autres à leur réadaptation et leur réinsertion sociale (nous soulignons).

Des évaluations de nombreux programmes de traitement (p. ex. Gordon, Graves et Arbuthnot, 1995; Henggeler, Melton et Smith, 1992; Klein, Alexander et Parsons, 1977) et des méta-analyses (p. ex. Dowden et Andrews, en édition; Latimer, 2001; Latimer, Dowden et Morton, 2004) ont également confirmé le rôle positif que la famille joue dans le traitement du comportement délinquant. Howell et Hawkins (1998) concluent que les interventions destinées à former les parents à gérer de façon positive leurs enfants ont nettement réduit la délinquance. En fait, Roberts et Camasso (1990) ont étudié les dix interventions les plus couramment utilisées auprès des délinquants dans les années 1980 et constaté que la thérapie familiale était la seule à produire des résultats entièrement positifs et convaincants.

En plus d'avoir prouvé leur efficacité, les interventions axées sur la famille sont également l'approche privilégiée des professionnels qui travaillent auprès des jeunes délinquants. Mulvey et Repucci (1984) ont sondé des intervenants auprès des tribunaux, des travailleurs en santé mentale et des services d'aide sociale pour découvrir que tous ces professionnels privilégiaient la thérapie familiale pour les jeunes contrevenants, tant les délinquants primaires que les récidivistes. Dans une enquête sur l'attitude de policiers envers la déjudiciarisation, on a conclu que les policiers seraient beaucoup plus enclins à tenir les jeunes à l'écart du système de justice pénale si l'on tenait la famille responsable (Canadian Youth Foundation, 1999). Selon les policiers, le fait d'offrir du soutien aux parents des jeunes contrevenants et le fait de les tenir responsables du comportement de leurs enfants sont des mesures efficaces pour prévenir la délinquance.

Malheureusement, des problèmes sociaux complexes, comme la délinquance, ne peuvent pas toujours être traités efficacement par des interventions simplistes ou unidimensionnelles. De nombreux facteurs influent sur la relation qui existe entre la famille et la délinquance, comme la présence de pairs antisociaux, de liens négatifs avec l'école, de toxicomanie et de milieux criminogènes (Hawkins et coll., 1998; Lipsey et Derzon, 1998). Par conséquent, même si le dysfonctionnement familial représente un besoin criminogène essentiel des jeunes délinquants, il est aussi important de cibler d'autres besoins afin d'améliorer l'efficacité générale des interventions.

Par exemple, Andrews et Bonta (2002) recensent plusieurs besoins criminogènes susceptibles d'être ciblés dans le traitement des délinquants, notamment les attitudes antisociales, les fréquentations favorisant la criminalité, des facteurs de la personnalité, des facteurs familiaux et le faible niveau de scolarité et d'emploi. De plus, Latimer et coll. (2003) dressent la liste des cinq facteurs fondamentaux de la délinquance dans un échantillon national de jeunes : pratique parentale négative, mauvaise relation avec l'école, victimisation, pairs antisociaux et agressivité.

En d'autres mots, l'aide psychosociale efficace qui aurait des chances de réduire le comportement criminel chez les adolescents devrait cibler à la fois la famille et les facteurs connus de la délinquance. La thérapie multisystémique (TMS) a été proposée à ce titre. On a décrit cette thérapie comme un modèle de préservation de la famille, s'appuyant sur l'idée que la voie la plus efficace et éthique pour aider les jeunes entraînés dans la délinquance passe par l'aide fournie à leur famille. Dans l'optique de la TMS, les familles sont des ressources précieuses même lorsqu'elles se caractérisent par des besoins graves et nombreux. On affirme toutefois que la TMS va au-delà des simples interventions familiales en tentant de soustraire les délinquants à l'influence de groupes de pairs déviants et en leur proposant des interventions scolaires et professionnelles destinées à améliorer les chances de trouver un emploi et la sécurité financière. Henggeler (1999) prétend que la TMS tente de changer les rapports de l'adolescent avec le monde réel en modifiant son milieu naturel (p. ex. famille, école et voisinage) de manière à encourager un comportement pro-social tout en diminuant le comportement antisocial.

Le présent article a pour objet d'examiner l'application de la thérapie multisystémique dans le counselling criminologique auprès d'adolescents. Premièrement, nous présentons une description générale de la thérapie multisystémique. Deuxièmement, nous examinons les fondements théoriques d'une telle approche. Troisièmement, nous recensons les études sur l'efficacité de la TMS, y compris les méta-analyses récentes qui ont cherché à agréger des évaluations individuelles en guise d’approche plus complète pour comprendre le traitement du comportement criminel. Enfin, nous critiquons l'approche de la TMS en l'examinant sous l'angle de la culture, de la classe et du sexe.

THÉRAPIE MULTISYSTÉMIQUE

La thérapie multisystémique a été mise au point aux États-Unis à la fin des années 1970 en réaction au manque de succès apparent dans le traitement des délinquants juvéniles graves. On affirmait que, de façon générale, les interventions thérapeutiques en vigueur n'avaient pas fait une place assez grande aux complexités de la délinquance. Selon Henggeler et coll. (1998), les programmes de counselling typiques de l'époque étaient axés sur l'individu, de portée limitée et se déroulaient dans des contextes ne convenant pas aux problèmes visés (p. ex. dans des centres de traitement résidentiels ou des établissements de détention). Compte tenu des données empiriques indiscutables montrant que le comportement antisocial est un phénomène très complexe et souvent déterminé par l'interaction entre l'individu, la famille, les pairs, l'école et des éléments du voisinage, il n'est pas étonnant que cette forme de traitement soit en grande partie inefficace (Henggeler et coll., 1998).

La conception et la mise en œuvre des interventions de TMS sont fondées sur neuf principes fondamentaux (Schoenwald, Brown et Henggeler, 2000). Premièrement, l'évaluation faite dans le cadre de la TMS a pour objet principal de saisir la relation entre les problèmes connus et leur contexte systémique global. Le thérapeute intègre les renseignements obtenus des membres de la famille, des enseignants, des sources du renvoi et d'autres sources pertinentes afin de déterminer les facteurs (c.-à-d. l'individu, la famille, les pairs, l'école, le voisinage) contribuant à la délinquance. Les objectifs de la thérapie sont donc propres à chaque jeune et découlent directement d'une évaluation.

Deuxièmement, les interventions thérapeutiques comme telles entre l’adolescent, la famille et le thérapeute mettent l'accent sur les aspects positifs de la vie de l’adolescent et exploitent les forces systémiques (p. ex. les actifs de l'école, de la famille ou de la collectivité) afin d'encourager le changement.

Troisièmement, les interactions sont destinées à encourager un comportement responsable et à diminuer les comportements irresponsables chez tous les membres de la famille. Les parents ont pour responsabilité de fournir structure et discipline, d'exprimer leur amour pour leur enfant et de veiller à son développement et de satisfaire à ses besoins physiques fondamentaux. Le comportement responsable de l'adolescent consiste à améliorer son rendement scolaire, à éviter la violence et à prêter main-forte à la maison en participant aux tâches ménagères.

Quatrièmement, la TMS exige que les interactions soient enracinées dans le présent et orientées vers la solution, de sorte que les objectifs sont clairs et réalistes. Ce principe est important puisqu'il garantit que chaque membre de la famille, de même que le thérapeute, travaillent tous vers le même but. En outre, il marque clairement la fin du processus. En d'autres mots, quand tous les objectifs sont atteints, les séances peuvent prendre fin.

Cinquièmement, le thérapeute se concentre sur les problèmes au sein de chaque système (c.-à-d. la famille, l'école, les pairs et la collectivité) de même que l'interaction entre les systèmes. Par exemple, l'environnement familial de l'adolescent ou un groupe de pairs particulier peut jouer un rôle en diminuant l'attrait de l'école et le rendement scolaire.

Sixièmement, les interactions visent à favoriser la maturité et le renforcement des capacités de l'adolescent et de la famille. Si l'adolescent est assez jeune, l'intervention peut viser davantage l'amélioration des compétences parentales (p. ex. techniques d'éducation); tandis que si l'adolescent approche l'âge de la majorité, l'intervention pourra viser davantage l'amélioration des compétences du jeune (p. ex. les compétences de base pour faire face à la vie).

Septièmement, les interactions entre le thérapeute et la famille sont conçues de manière à exiger des efforts hebdomadaires, et parfois quotidiens, des personnes concernées. Étant donné que la TMS est habituellement réservée aux délinquants graves, on fait l'hypothèse que les familles présenteront habituellement des problèmes graves nécessitant des interventions intensives.

Huitièmement, la TMS nécessite une évaluation continue des objectifs de la thérapie et des résultats sous plusieurs angles afin de garantir que le thérapeute assume la responsabilité de surmonter les obstacles à l'obtention de résultats concrets. Les trois grands facteurs dont le thérapeute tient compte sont l'adéquation de la thérapie à la famille (p. ex. les solutions correspondent bien à l'origine du problème), l'effort investi par la famille et la viabilité des interventions pour obtenir un changement.

Enfin, la démarche vise à garantir que les bénéfices thérapeutiques vont non seulement se concrétiser, mais qu'ils sont maintenus au terme de la thérapie. À cette fin, la TMS tente de donner aux familles les moyens de régler leurs propres problèmes et de les mettre en rapport avec un réseau de soutien communautaire (p. ex. amis, voisins et famille étendue).

Henggeler et coll. (1998) fournissent une bonne description de la prestation des services dans les interventions de TMS :

  • les services sont destinés aux familles qui ont des enfants à risque d'être placés hors du foyer en famille d'accueil, foyer de groupe, traitement résidentiel ou établissement correctionnel;
     
  • les services sont d'une durée limitée (un à cinq mois);
     
  • les services suivent un horaire souple pour satisfaire aux besoins de la famille et ils sont fournis à domicile;
     
  • les services sont adaptés aux besoins des membres de la famille;
     
  • les services sont fournis dans le contexte des valeurs, des croyances et de la culture de la famille;
     
  • les services sont disponibles 24 heures par jour, sept jours par semaine;
  • les intervenants ont peu de dossiers (p. ex. de deux à six familles) et ils visitent les familles plusieurs fois par semaine pour un total d'environ huit heures de programmation.

En résumé, on considère que la TMS est une intervention pragmatique et ciblée qui vise des facteurs particuliers au sein de la famille de chaque jeune et des réseaux extérieurs qui semblent contribuer à son comportement antisocial. En plus de réduire la délinquance, les interventions de TMS visent habituellement, selon Henggeler (1999) à :

  • améliorer les pratiques disciplinaires du pourvoyeur de soins;
  • améliorer les relations affectives au sein de la famille;
  • réduire l'association de l'adolescent avec des pairs déviants;
  • augmenter l'association de l'adolescent avec des pairs pro-sociaux;
  • améliorer le rendement scolaire ou professionnel de l'adolescent;
  • amener l'adolescent à participer à des activités récréatives pro-sociales;
  • mettre en place un réseau de soutien indigène pour la famille, composé de la famille étendue, des voisins et des amis.

EFFICACITÉ DE LA TMS

Les évaluations systémiques et rigoureuses dont l'approche a fait l'objet constituent les éléments les plus positifs de la TMS. En fait, les études sur l'efficacité de la TMS ont systématiquement employé des plans d’affectation au hasard à des groupes de traitement et à des groupes témoins ainsi que des suivis plus longs que la moyenne. Le site Web « MST Services » renferme une liste de plus de cent articles spécialisés sur la thérapie multisystémique, en grande partie des publications soumises à l'examen des pairs dans des revues réputées. Selon Henggeler et coll. (1998), la TMS a obtenu pour les jeunes délinquants graves des réductions de 25 à 70 % des taux de récidive à long terme, des réductions de 47 à 64 % des placements hors du foyer (p. ex. placement sous garde ou service de protection de l'enfance), de vastes améliorations du fonctionnement de la famille et une réduction des problèmes de santé mentale.

Toutefois, au lieu de s'intéresser à des études en particulier, des chercheurs ont récemment tenté d'agréger les résultats d'un grand nombre d'études sur l'efficacité de la thérapie au moyen de techniques méta-analytiques (p. ex. Andrews et coll., 1990; Latimer, 2001; Latimer, Dowden et Morton, 2004; Lipsey, 1995). Récemment, Dowden et Andrews (en édition) ont exécuté une méta-analyse de l'efficacité de plusieurs formes de thérapies familiales qui visent à réduire la récidive chez les adolescents. Ils ont constaté que la TMS était associée à des améliorations significatives dues au programme (p. ex. réduction de la récidive) comparativement à d'autres types d'interventions. Cette recherche est importante parce qu'elle englobe toutes les évaluations disponibles de la TMS, notamment des documents inédits. À ce titre, cette conclusion représente les résultats d’un corpus de recherche complet

La conclusion n'a rien d'étonnant puisque le Center for the Study and Prevention of Violence a récemment retenu la TMS en guise de plan directeur pour le programme de lutte contre la violence. Ces programmes sont sélectionnés par un groupe de spécialistes et ils sont réputés avoir démontré leur grande utilité pour diminuer les crimes de violence, l'agressivité, la délinquance et la toxicomanie chez les adolescents. Il faudrait également souligner que, selon Dowden et Andrews (en édition), la TMS souscrit fidèlement aux principes du risque, du besoin et de la réceptivité (Andrews et Bonta, 2002; Andrews, Bonta et Hoge, 1990) dont l'utilité dans la réadaptation de populations correctionnelles a reçu beaucoup de corroborations empiriques (Andrews et Bonta, 2002; Andrews et coll., 1990; Dowden et Andrews, 1999; Dowden et Andrews, 2000).

On a également évalué la TMS en jaugeant la mesure dans laquelle les thérapeutes respectent les principes du modèle. Schoenwald et coll. (2000) ont montré récemment que l'observation rigoureuse des principes de la TMS permettait de prédire des résultats positifs à long terme pour des jeunes délinquants violents et chroniques, tandis que l'observation moins rigoureuse permettait de prédire des taux élevés de récidive et d'incarcération. À la lumière de ces constatations, on consacre des ressources considérables à la formation, à la supervision et à la consultation afin de maximiser l'observation des principes de la TMS par les thérapeutes.

On a également examiné le rapport coût-avantages de la TMS dans des études empiriques. Les résultats montrent que la TMS entraîne des économies considérables, comparativement aux interventions conventionnelles proposées à la délinquance grave, comme l'incarcération ou le traitement résidentiel. Henggeler e t coll. (1998) affirment qu'à un coût de 4 500 $ par adolescent, la TMS est le programme le plus rentable pour traiter les jeunes délinquants graves.

Toutes ces études se sont toutefois déroulées aux États-Unis. Les bienfaits de la TMS sont-ils transférables aux jeunes Canadiens? Comme il existe des différences nettes par rapport à ce qui constituerait un groupe de comparaison (c.-à-d. les interventions conventionnelles canadiennes et américaines face à la délinquance grave pourraient être nettement différentes), il se peut que la TMS ne soit pas aussi prometteuse dans le contexte canadien. La seule étude disponible sur l’efficacité de la TMS au Canada a été exécutée par le Centre for Children and Family Services in the Justice System de la London Family Court Clinic (2002). Elle s’est déroulée dans quatre endroits distincts de l'Ontario en utilisant un plan d'affectation aléatoire à un groupe de traitement et à un groupe témoin.

Les résultats ne concordent pas avec les résultats d'études antérieures. Dans ce cas-ci, il n'y avait pas de différence significative entre le groupe de TMS et le groupe témoin sur plusieurs résultats, dont la récidive. En fait, les membres du groupe de TMS étaient tout aussi susceptibles de commettre une nouvelle infraction; de plus, ils ont récidivé plus tôt que les membres du groupe témoin. Par ailleurs, les membres du groupe de TMS étaient plus susceptibles d'être condamnés à la détention et plus susceptibles de purger des peines plus longues que les membres du groupe témoin.

Si la Loi sur les jeunes contrevenants, qui était la législation nationale régissant la justice pour les jeunes, était en vigueur au Canada à l’époque de l'évaluation, les provinces et territoires avaient compétence en matière d’administration de la justice. Cela signifie que les programmes correctionnels destinés aux jeunes en Ontario pouvaient être radicalement différents de ceux d’une autre province ou des territoires. Une étude comparant la TMS à l'intervention conventionnelle dans une autre province ou un autre territoire pourrait donner des résultats différents. Nous avons manifestement besoin d'autres études au Canada.

CRITIQUE DE LA TMS

Il est difficile de critiquer la thérapie multisystémique en guise de réponse à la délinquance grave. Les principales questions qu'on pouvait avoir par rapport à la plupart des interventions ont été réglées. La TMS s’appuie sur un modèle théorique solide et sur des guides publiés et on s'assure que les thérapeutes reçoivent une formation et une supervision suffisantes. On évalue l'observation du modèle. La TMS est fondée sur des décennies de recherches empiriques sur les antécédents de la délinquance et d'évaluations de programmes destinés à traiter la délinquance. La TMS cible la population appropriée (c.-à-d. les délinquants juvéniles graves) d'une façon appropriée. De nombreuses études américaines ont montré qu'elle était efficace et rentable.

La TMS convient-elle à des catégories de délinquants différentes? L'opportunité de la TMS sur le plan culturel a été confirmée de plusieurs façons (MST Services, 2000). Premièrement, les résultats d'essais aléatoires de la TMS auprès de délinquants juvéniles graves montrent que les effets favorables de la TMS ne dépendent pas de l'origine ethnique de l'adolescent (jeunes Noirs par opposition à jeunes Blancs). Deuxièmement, compte tenu que les thérapeutes considèrent les membres de la famille comme des collaborateurs à part entière du processus de planification et d'exécution du traitement et que les objectifs du traitement sont déterminés en grande partie par les parents, le risque que les objectifs du traitement soient déterminés par des préjugés de la culture dominante devrait être réduit au minimum. Selon MST Services (2000), les équipes d'intervenants en TMS reflètent habituellement la composition ethnique de la population qu'elles servent.

Qu'en est-il du sexe? Selon l'Enquête sur les tribunaux de la jeunesse exécutée par le Centre canadien de la statistique juridique, la très grande majorité des adolescents dans le système de justice pénale canadien sont des garçons. On ne s'étonne pas que la très grande majorité des études sur l'efficacité de la TMS ont également été exécutées auprès de jeunes garçons. Dowden et Andrews (en édition) ont toutefois constaté dans leur méta-analyse que les effets positifs de la TMS valaient également pour les adolescentes. Par ailleurs, les études sur l'efficacité de la TMS auprès d'adolescentes sont rares.

Pour ce qui concerne l'analyse fondée sur la classe sociale, la TMS est l'une des seules approches qui reconnaît les aspects criminogènes des collectivités et tente de corriger les facteurs négatifs. La TMS reconnaît que les milieux criminogènes (p. ex., accès facile à la drogue, pauvreté, chômage, racisme, exposition à la violence, adultes criminels dans le voisinage) continueront d'exercer leur influence, peu importe les interventions faites au sein de la famille et des réseaux de soutien plus étendus. À ce titre, on donne aux familles les moyens de trouver leurs propres solutions aux crises futures. Néanmoins, compte tenu des influences subtiles de la pauvreté et du chômage sur une famille, on pourrait affirmer que la TMS peut « tendre un piège » à la famille pour qu'elle échoue. L'aide psychosociale et la thérapie ne réussissent pas à éliminer quelques-uns des obstacles structuraux (p. ex. sexisme, racisme) qui peuvent empêcher les familles de réussir. On pourrait aussi considérer, dans certains cas, le fait de mettre l'accent sur la responsabilité parentale comme un blâme envers les parents. Par exemple, à la lumière d'un comportement délinquant continuel de la part du jeune, on pourrait considérer que les parents sont incapables, peu importe leurs compétences.

Enfin, dans une méta-analyse de l'efficacité des interventions fondée sur la famille, Latimer (2001) constate que la rigueur méthodologique est liée de façon significative à l'efficacité du programme. Autrement dit, à mesure que la rigueur méthodologique d'une étude augmente, l'efficacité rapportée diminue. L'une des variables employées pour évaluer la rigueur était le degré d'indépendance du chercheur. On faisait l'hypothèse que des chercheurs indépendants (c.-à-d. des évaluateurs n'ayant aucun lien avec le programme) seraient plus susceptibles d'être objectifs comparativement aux chercheurs engagés (c.-à-d. des évaluateurs qui ont mis au point le programme, exécuté le traitement ou supervisé le personnel). Latimer (2001) a confirmé que des évaluateurs engagés étaient nettement plus susceptibles de produire des résultats positifs que des évaluateurs indépendants. Dans le cas de la TMS, presque toutes les études empiriques ont été exécutées par un organisme et plus particulièrement, par Scott Henggeler. À ce titre, même si les nombreuses études attestant de l'efficacité de la TMS sont valides, il est permis de douter de l’objectivité de leurs résultats.

CONCLUSION

La TMS est une approche exemplaire pour s'occuper des adolescents engagés dans la criminalité. Elle est fondée sur des bases théoriques et sur des années de recherches empiriques qui ont cherché à mieux comprendre la délinquance. Elle vise une population particulière de délinquants (les jeunes délinquants graves) et met à contribution les principaux éléments de leur vie, notamment leur famille, leurs groupes de pairs, leur école et leur collectivité. La plupart des études menées aux États-Unis ont prouvé l'efficacité de la TMS, non seulement pour réduire la récidive mais aussi pour améliorer le fonctionnement de la famille, réduire les placements hors du foyer et améliorer l'attachement à l'école.

La TMS n'a été mise en œuvre et évaluée au Canada que depuis peu, mais les résultats sont loin d'être aussi impressionnants. Les études n'ont pas révélé de différences significatives entre la TMS et les interventions conventionnelles face à la criminalité juvénile (p. ex. le placement sous garde). D'autres études devront être menées au Canada pour mieux comprendre la transférabilité de la thérapie multisystémique en guise de réponse efficace à la délinquance juvénile grave.

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[1] Agent de recherché principal, Division de la recherché et de la statistique, ministère de la Justice du Canada.

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