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JusteRecherche no 13 - ARTICLES

La traite de personnes au Canada : la nécessité de la recherche

Kuan Li, Ph. D., analyste de recherche, Division de la recherche et de la statistique

PROBLÈMES ET MESURES PRISES

La traite de personnes comprend le recrutement, le transport ou l'hébergement de personnes à des fins d'exploitation, à l'échelle internationale ou nationale. Les trafiquants ont recours à différentes méthodes pour conserver le contrôle sur leurs victimes, notamment la force et les menaces de violence. Les victimes sont forcées de se livrer à la prostitution ou de travailler dans des carrières et des ateliers clandestins, sur des fermes, comme domestiques ou comme enfants soldats et sont assujetties à de nombreuses autres formes d'asservissement involontaire. La traite de personnes est un problème multidimensionnel qui comporte des aspects reliés à la migration, aux droits de la personne, à l'égalité entre les sexes et à la criminalité transnationale organisée.

La traite de personnes, en particulier la traite de femmes et d'enfants, a connu une croissance rapide au cours de la dernière décennie, et elle est devenue une problématique qui commande l'attention au Canada et à l'échelle internationale. Le Département d'État des États-Unis (2004) estime qu'entre 600 000 et 800 000 personnes font l'objet d'un trafic transfrontalier illégal chaque année, et que plus de la moitié de toutes les victimes font l'objet de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Au pays, la GRC (2004) estime que chaque année environ 800 personnes entrent au Canada dans le cadre de la traite de personnes et que 1500 à 2200 personnes font l'objet d'un trafic transfrontalier illégal du Canada vers les États-Unis. La traite de personnes met souvent en cause de vastes réseaux criminels organisés, et elle génère des recettes annuelles estimées à 9,5 milliards de dollars, ce qui en fait la troisième source de revenus illicites en importance au monde (Département d'État des États-Unis, 2004).

Face au problème croissant de la traite de personnes, les Nations Unies ont adopté divers protocoles, dont le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (le «  Protocole sur la traite des personnes  »), qui oblige les pays signataires, dont le Canada, à criminaliser l'organisation de la traite des personnes ainsi que l'appui et la participation à ce type d'activité. Le Protocole sur la traite des personnes traite aussi des besoins des victimes et de l'importance de la prévention.

Le Canada a ratifié le Protocole sur la traite des personnes en mai 2002. En juin de cette même année, l'adoption de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a eu pour effet d'ériger en infraction la traite des personnes. Par ailleurs, la traite des personnes est sanctionnée au moyen des dispositions du Code criminel relatives à différentes infractions, notamment l'enlèvement, l'extorsion, la séquestration, la conspiration, le contrôle de la prostitution et le proxénétisme, de même qu'au moyen de dispositions prévoyant des infractions relatives à la criminalité organisée.

L'approche adoptée par les Nations Unies et le gouvernement canadien pour lutter contre la traite de personnes est cependant l'objet de vives critiques de la part d'organismes non gouvernementaux internationaux et nationaux. D'aucuns ont soutenu que de telles stratégies de répression omettent de s'attaquer aux causes premières de la migration irrégulière et ont aussi pour effet d'occulter l'exploitation de la main d'oeuvre des migrants irréguliers dans les pays d'accueil. En outre, d'après Bruckert et Parent (2004), les personnes assujetties à la traite font souvent l'objet d'interventions punitives, et il y a peu d'engagements à répondre à leurs besoins.

RECHERCHES EXISTANTES

Malgré la complexité du problème et la nécessité de le comprendre, très peu de recherches ont été menées au Canada sur la traite des personnes, et la majorité des travaux de recherche réalisés à ce jour ont été financés par le gouvernement fédéral. En 2004, la GRC a produit la première évaluation de l'étendue et de la portée de la traite des personnes au Canada. Bien que le rapport (Gendarmerie royale du Canada 2004) examine la problématique du point de vue de l'exécution des lois canadiennes, il aide à établir les paramètres aux fins de la définition de la traite des personnes et reconnaît le besoin urgent de recueillir des données.

Dans une analyse bibliographique commandée par la GRC sur la traite des personnes et le crime organisé, Bruckert et Parent (2002) ont souligné qu'il existait très peu de documentation disponible, et leur analyse s'est fondée dans une large mesure sur des sources de données secondaires, telles des rapports de recherche et des sources journalistiques. Ces auteurs ont également identifié les principaux paramètres de la problématique et ont proposé des domaines dans lesquels il serait nécessaire de mener des recherches, notamment la recherche sur les différents types de traite de personnes, les interfaces entre la législation nationale sur le commerce du sexe, la définition et l'évaluation du problème, et les moyens qui ont été proposés pour s'y attaquer, et les besoins des victimes à différents stades de leurs expériences.

Leur étude de suivi (Bruckert et Parent (2004)) a examiné plus en profondeur les problèmes entourant la traite des personnes et les liens avec le crime organisé en analysant des documents officiels et des dossiers judiciaires et en interviewant des représentants de la justice pénale et des représentants d'organismes voués à la défense et à la promotion des intérêts des travailleuses et des travailleurs du sexe. Cette étude a fait ressortir l'importance de tenir compte de l'interaction complexe entre tous les facteurs qui sous-tendent la migration irrégulière et les besoins sociaux et professionnels de toutes les personnes, et ce, indépendamment de leur lieu de travail ou de leur situation sur le plan de l'immigration.

D'autres travaux de recherche au Canada ont porté plus particulièrement sur les femmes et les enfants, qui constituent le groupe le plus vulnérable à la traite des personnes. Condition féminine Canada a appuyé trois projets de recherche stratégique indépendants sur la traite des femmes. Un de ces projets de recherche a porté sur les expériences et les tribulations des Philippines mariées par correspondance au Canada (Philippine Women Center of B.C., 2000). Le deuxième projet s'est penché sur la traite des femmes originaires d'Europe de l'Est et de l'ancienne Union Soviétique au Canada, notamment les circonstances dans lesquelles elles étaient venues au Canada, leurs conditions de travail, et comment elles s'étaient adaptées au commerce du sexe (McDonald, 2000). Le troisième projet a analysé le cadre juridique régissant l'embauche d'aides familiales immigrantes résidantes dans le cadre du programme d'aide familiale et le commerce des promises par correspondance (Langevin et Belleau, 2000).

En 2004, le ministère de la Justice du Canada a publié un rapport sur la traite des enfants au Canada (Langevin et coll., 2004). Ce rapport a tenté de jeter les bases d'une étude multidisciplinaire plus approfondie sur la traite des enfants au Canada en colligeant des renseignements préliminaires, en recensant les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux qui s'intéressent à cette problématique et en identifiant des experts qui pourraient élaborer et mettre en oeuvre des politiques contre la traite des enfants au Canada.

NÉCESSITÉ DE LA RECHERCHE

Malgré un intérêt croissant pour la traite des personnes ainsi qu'un nombre croissant de projets de recherche, nous disposons encore de renseignements très limités sur l'ampleur de la traite des personnes, sa nature, ses répercussions et les moyens les plus efficaces de la contrôler. Des études menées aux États-Unis ont démontré que les responsables de l'application de la loi, les prestataires de services sociaux et les groupes de défense des intérêts des victimes avaient acquis leurs connaissances relatives à la traite des personnes principalement au cas par cas (Free the Slaves and Human Rights Center, 2004), ce qui est probablement encore plus vrai au Canada.

D'abord et avant tout, il y a eu un manque de renseignements fiables sur l'étendue du problème, par exemple le nombre de personnes faisant l'objet de la traite, la répartition géographique de ces personnes, le nombre de cas de traite détectés, le nombre de trafiquants accusés, le nombre de trafiquants poursuivis, et le résultat des procédures pénales, le cas échéant. Bien que des données limitées soient recueillies et qu'une stratégie concertée de cueillette de données à l'échelle nationale soit actuellement en cours d'élaboration, l'on pourrait mettre au point immédiatement des méthodologies permettant d'obtenir des estimations fiables afin de déterminer l'ampleur de la traite des personnes au Canada. Par exemple, on pourrait obtenir des estimations efficaces en recourant à des indicateurs indirects, comme le nombre et les types de visas délivrés, le nombre de visas refusés, le nombre de certains types de crimes reliés à la traite des personnes, les caractéristiques des revendicateurs du statut de réfugié et le nombre de personnes qui traversent la frontière illégalement.

Deuxièmement, nous n'avons qu'une compréhension sommaire de la nature de la traite des personnes au Canada. Plus précisément, il est nécessaire : de cerner les différents types de traite de personnes; d'obtenir des renseignements démographiques et professionnels tant sur les trafiquants que sur les consommateurs; de mettre au jour la structure des réseaux de traite; d'examiner la nature et l'ampleur de la traite d'Autochtones au Canada ; de cartographier les itinéraires de trafic à partir des pays d'origine jusqu'aux pays de destination – en passant par les pays de transit et les principaux points d'entrée – et les déplacements à l'intérieur des frontières du Canada; et, d'étudier les points de vue et les mesures prises à l'égard de la traite des personnes sur le plan international.

La recherche doit prêter une attention particulière à la vulnérabilité et aux besoins spécifiques des enfants et des femmes. En même temps, toutefois, il importe de veiller à ce que d'autres formes de traite des personnes reçoivent une attention adéquate. Il est donc nécessaire d'étudier différents types d'activités de traite et d'opérer des distinctions entre la traite à des fins d'exploitation sexuelle, de travail forcé et de prélèvement d'organes. Il faudrait aussi prêter une attention particulière à la traite des Autochtones au Canada ou vers les États-Unis, étant donné que des éléments de preuve empiriques indiquent que les Autochtones sont plutôt vulnérables face au risque de devenir des victimes de la traite de personnes au Canada.

Compte tenu de la nature clandestine de la traite des personnes, il importe d'en cartographier les itinéraires et d'en cerner les tendances, ce qui implique de déterminer l'origine des personnes faisant l'objet de la traite, les itinéraires qu'elles prennent pour arriver au Canada et leurs déplacements à l'intérieur du Canada. Cela implique aussi de déterminer et de distinguer le rôle du Canada en tant que pays de destination, de transit et d'origine. Cela exigera une analyse des bases de données qui enregistrent de tels renseignements à partir d'organismes nationaux et internationaux, d'évaluer avec quel degré de précision ces renseignements permettent d'identifier des itinéraires de traite vers l'Amérique du Nord et d'utiliser toutes les données actuellement disponibles pour suivre les déplacements au Canada.

Étant donné les ramifications internationales du phénomène de la traite des personnes, l'on ne peut envisager de mener des recherches sur cette problématique au Canada au moyen d'études dont le champ serait confiné au territoire canadien. D'une part, l'on devrait chercher à comprendre la traite des personnes dans les pays source : les conditions qui rendent les personnes vulnérables, les processus de recrutement, de même que les services d'approche qui aident les victimes. De tels renseignements provenant des pays source aideraient à élaborer une stratégie de prévention concertée et efficace. D'autre part, l'étude des expériences des pays de destination permettrait au Canada de synthétiser l'information provenant d'un vaste éventail de points de vue et de mettre au point des stratégies efficaces en tablant sur les connaissances acquises et les observations faites dans d'autres pays.

Troisièmement, notre compréhension des besoins et des expériences des personnes faisant l'objet de la traite est insuffisante à l'heure actuelle. Il est essentiel de cerner ce qui suit : les processus de recrutement des victimes de la traite de personnes et les facteurs qui les rendent vulnérables; les caractéristiques des victimes (p. ex., âge, origine ethnique, sexe); comment elles entrent au Canada; où elles vivent et pendant combien de temps elles restent; leurs conditions de vie et de travail; leurs besoins et comment ces besoins sont satisfaits; et comment elles retournent dans leur pays d'origine ou s'intègrent au Canada en tant que survivants.

Une évaluation des besoins des victimes, des obstacles à l'accès aux services et du degré d'adéquation des services existants pour répondre aux besoins des victimes fournirait une base pour élaborer des programmes plus sensibles et plus efficaces pour assurer la satisfaction des besoins des victimes. Il est nécessaire de déterminer en quoi les besoins des victimes de la traite diffèrent de ceux d'autres victimes de la criminalité et de cerner les principaux obstacles qui les empêchent d'obtenir du soutien et de l'assistance. Par exemple, si la majorité des victimes de la traite proviennent effectivement de pays pauvres et immigrent souvent au pays illégalement, il est essentiel de comprendre les effets combinés de l'inadmissibilité aux services en vertu de la loi, de l'ignorance du système de justice pénal canadien et des difficultés liées aux barrières linguistiques et culturelles. En outre, des recherches devraient être menées pour déterminer quels soins de suivi devraient être offerts aux survivants qui choisissent de retourner dans leur pays d'origine.

Enfin, il est nécessaire de mener des recherches propres à étayer le travail des intervenants de première ligne et des ONG. Il est nécessaire de comprendre comment les cas de victimes de traite sont découverts et dans quels secteurs d'activités la traite de personnes se présente le plus souvent, de manière à ce que les organismes d'application de la loi et les organismes fédéraux puissent concentrer leurs activités et leurs ressources là où elles sont le plus efficaces. Il est également essentiel d'évaluer l'efficacité des réformes législatives et des modifications de politiques, de surveiller leur mise en oeuvre et d'identifier les pratiques efficaces ainsi que les obstacles.

De nombreuses ONG ont réagi face à la traite des personnes en offrant des services directs aux victimes de la traite qu'elles ont rencontrées. Il y aurait lieu d'examiner les besoins de ces ONG ainsi que les obstacles auxquels elles se heurtent lorsqu'elles cherchent à fournir des services essentiels aux victimes. Une connaissance, d'une part, des obstacles à la prestation de services aux victimes de la traite, d'autre part, des besoins des prestataires de services d'aide, serait utile aux fins de l'élaboration de stratégies propres à améliorer les mesures que prennent ces organismes pour répondre aux besoins des victimes de traite. De plus, il y aurait lieu d'évaluer les politiques et pratiques actuelles relatives à la traite de personnes afin d'identifier des pratiques exemplaires. De cette façon, des outils pourront être mis au point pour aider les intervenants de première ligne à reconnaître les victimes et à fournir des services appropriés ainsi qu'à collaborer à la poursuite et à la condamnation des trafiquants.

OBSERVATIONS FINALES

Des recherches stratégiques immédiates et à long terme doivent être entreprises pour combler les lacunes dans les connaissances relatives à la traite des personnes. La problématique de la traite des personnes devrait être abordée comme une longue séquence d'événements interreliés, qui comprend tous les stades de la traite de personnes (c.-à-d. recrutement, transit, destination, rétablissement), et par conséquent, il y aurait lieu de privilégier les méthodes de recherches mixtes faisant appel à des équipes multidisciplinaires. Ces recherches aideraient à élaborer ou améliorer des instruments juridiques et des politiques et pratiques opérationnelles propres à orienter plus efficacement les stratégies préventives, à mieux cibler les activités des responsables de l'application de la loi, à fournir une aide plus efficace aux victimes et à mieux les aider à se remettre de leur expérience et à se réinsérer dans la société.

Références

Bruckert, C., et C. Parent. 2002. La « traite » des êtres humains et le crime organisé : examen de la littérature . Ottawa : Gendarmerie royale du Canada.

Bruckert, C., et C. Parent. 2004. Crime organisé et trafic des personnes au Canada : perceptions et discours . Ottawa : Gendarmerie royale du Canada .

Free the Slaves and Human Rights Centre. 2004. Hidden slaves: Forced labour in the United States . Berkley , CA : Free the Slaves and the Human Rights Centre.

Langevin, L., V. Atabekian et J. F. Noel. 2004. La traite d'enfants au Canada : évaluation préliminaire . Ottawa: Ministère de la Justice Canada.

Langevin, L., et M. Belleau. 2000. Le trafic des femmes au Canada : analyse critique du cadre juridique de l'embauche d'aides familiales immigrantes résidantes et de la pratique des promises par correspondance . Ottawa : Condition féminine Canada.

McDonald, L. 2000. Les travailleuses m igrantes du sexe originaires d'Europe de l'Est et de l'ancienne Union soviétique : le dossier canadien . Ottawa : Condition féminine Canada.

Philippine Women Centre of B.C. 2000. Le Canada et le mariage de Philippines par correspondance : la nouvelle frontière . Ottawa : Condition féminine Canada

Gendarmerie royale du Canada . An assessment of the extent and scope of trafficking in human beings in Canada . Rapport inédit de la Gendarmerie royale du Canada.

U.S. Department of State. 2004. Trafficking in persons report . Washington , DC : U.S. Department of State.


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