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JusteRecherche no 13 - ARTICLES

Exploitation sexuelle d'enfants au Canada : fréquence, peines infligées et récidive

Jeff Latimer, statisticien principal, Division de la recherche et de la statistique

INTRODUCTION

Au cours des deux dernières décennies, nous avons acquis une meilleure compréhension de l'exploitation sexuelle d'enfants et nous avons développé une plus grande sensibilité à l'égard de ce phénomène. Au Canada, le terme exploitation sexuelle d'enfants (ESE) recouvre trois catégories générales de comportement criminel : l'agression sexuelle d'enfants, la pornographie juvénile et la prostitution juvénile. Évidemment, ces catégories ne sont pas mutuellement exclusives. Par exemple, les enfants victimes d'agression sexuelle sont souvent aussi victimes de pornographie juvénile. Aux fins du présent article, cependant, les trois catégories seront présentées comme trois types distincts de comportement criminel.

Le présent article est un bref sommaire quantitatif des données existantes relatives aux cas d'exploitation sexuelle d'enfants provenant des tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada. Les trois principales questions de recherche sont les suivantes :

  • Combien de cas d'ESE sont traités par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes?
  • Comment les tribunaux réagissent-ils face à la fréquence de l'ESE?
  • Quel est le taux de récidive chez les auteurs d'infractions liées à l'ESE?

MÉTHODES

Pour répondre à ces questions, nous utiliserons des données tirées de l'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA), administrée par le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada. Veuillez noter que ces données ne rendent pas compte de tous les cas d'exploitation sexuelle d'enfants, étant donné qu'une proportion importante des incidents d'exploitation sexuelle d'enfants ne sont pas signalés à la police ni aux services d'aide à l'enfance (Latimer, 1998).

Il importe également de noter que la plupart des données contenues dans cet article sont présentées suivant le critère de l' infraction la plus grave dans une cause donnée, conformément à la méthode mise au point par le Centre canadien de la statistique juridique. Par conséquent, certains cas d'exploitation sexuelle d'enfants ne seront pas pris en compte si la même cause comportait une autre infraction qui a été jugée plus grave. Par exemple, si un prévenu était accusé de contacts sexuels et de tentative de meurtre, la tentative de meurtre serait considérée comme l'infraction la plus grave et l'accusation de contacts sexuels ne serait donc pas consignée comme un cas d'ESE. Dans la section sur la récidive, cependant, veuillez noter que cette règle ne s'applique pas. Les cas d'exploitation sexuelle d'enfants ont été identifiés même lorsque la cause comportait une infraction plus grave, ceci afin de comprendre les tendances de la délinquance chez toutes les personnes ayant été déclarées coupables d'une infraction à caractère sexuelle contre un enfant.

Enfin, les données citées dans ce rapport ne sont pas représentatives de l'ensemble du pays. En effet, le Nouveau-Brunswick et la Colombie-Britannique ont seulement commencé à produire des rapports aux fins de l'ETJCA en 2001/2002 – ce qui, incidemment, a eu pour effet d'étendre le champ d'observation des enquêtes de 80% à 90% du volume de cas traités à l'échelle nationale par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes. Le Manitoba ne produit pas encore de rapports aux fins de l'ETJCA. Pour ces raisons, nous avons dû exclure le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et la Colombie-Britannique de la section sur la récidive. Les Territoires du Nord-Ouest ont également été exclus de l'analyse de la récidive en raison de difficultés liées au champ d'observation depuis la création du Nunavut.

RÉSULTATS

Question 1 : Combien de cas d'ESE sont traités par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes?

En 2002/2003, il y a eu en tout 2854 causes relatives à des cas d'exploitation sexuelle d'enfants aux Canada. Le tableau 1 présente des données judiciaires tirées de l'ETJCA relatives au nombre de cas qui ont été traités par les tribunaux canadiens de juridiction criminelle pour adultes au cours d'une période de cinq ans. Puisque que ces données ne peuvent être comparées d'une année à l'autre en raison de contraintes reliées à la couverture, il n'est pas possible de procéder à une analyse des tendances. Entre 2001/2002 et 2002/2003 cependant, le même nombre d'administrations ont produit des rapports auprès de l'ETJCA. Au cours de cette période, on relève une augmentation globale de 12% des cas d'exploitation sexuelle d'enfants, de même qu'une augmentation de 12% du nombre de cas de contacts sexuels et une augmentation de 17% du nombre de cas d'exploitation sexuelle. La proportion de cas qui ont donné lieu à des poursuites par voie de mise en accusation a été relativement constante (c.-à-d., environ 50% ou plus) au cours de toutes les périodes.

Tableau 1 - Fréquence des cas d'exploitation sexuelle d'enfants dans les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes

Question 2 : Comment les tribunaux réagissent-ils face à la fréquence de l'ESE?

Le tableau 2 présente des renseignements relatifs à la décision la plus sévère dans chaque cause en 2002/2003 selon la hiérarchie suivante : déclaration de culpabilité, acquittement, arrêt des procédures / retrait des accusations, autre. Le taux global de condamnation dans les causes relatives à des cas d'exploitation sexuelle d'enfants au Canada en 2002/2003 a été de 38,5%, ce qui est beaucoup plus faible que le taux général de condamnation dans les tribunaux pour adultes (60%), plus faible que le taux de condamnation relatif aux infractions avec violence (50%), et légèrement plus faible que le taux de condamnation dans les affaires d'agression sexuelle (41%).

Les cas qui ont donné lieu à des poursuites par voie de mise en accusation étaient moins susceptibles de faire l'objet d'un arrêt des procédures ou d'un retrait des accusations (41 %) à comparer aux cas ayant donné lieu à des poursuites par voie de procédure sommaire (59 %). Les causes où l'infraction la plus grave était une infraction de possession de pornographie juvénile ou d'accès à de la pornographie juvénile ont connu le taux de condamnation le plus élevé (60,4 %), suivi de l'infraction de communication avec un enfant à des fins de prostitution (55,2 %), de distribution de pornographie juvénile (54,6 %) et d'exhibitionnisme devant une personne âgée de moins de 14 ans (50,8 %). Les cas d'infractions de relations sexuelles anales et d'infractions consistant à vivre des produits de la prostitution juvénile ont rarement débouché sur une déclaration de culpabilité dans les tribunaux pour adultes. Le taux de condamnation relatif aux autres infractions allait d'environ 30 % à 40 %.

Tableau 2 - Décision la plus sévère dans les causes relatives à des cas d'exploitation sexuelle d'enfants (2002/2003)

Le tableau 3 fournit des renseignements relatifs à la peine la plus sévère dans chaque cas au cours de l'année 2002/2003 selon la hiérarchie suivante : incarcération, peine d'emprisonnement avec sursis, probation, amende, autre. Par exemple, si un délinquant se voyait infliger une peine comportant à la fois une période d'incarcération et une période de probation, la peine la plus sévère dans ce cas serait l'incarcération. Près de la moitié (47,2 %) de tous les cas d'exploitation sexuelle d'enfants ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité ont mené à l'imposition d'une peine d'emprisonnement, tandis que 29,1 % ont mené à une peine de probation et 21,5 %, à une peine d'emprisonnement avec sursis. En comparaison, 47 % de tous les cas d'agression sexuelle recensés au moyen de l'ETJCA ont mené à l'imposition d'une peine d'incarcération, 32 %, à une peine de probation et 15 %, à une peine d'emprisonnement avec sursis. Lorsque l'on regarde l'ensemble des cas ayant donné lieu à une déclaration de culpabilité qui sont recensés par l'ETJCA, l'on constate que les chiffres sont quelque peu différents : 35 % des cas ont mené à l'imposition d'une peine d'incarcération, 30 %, à une peine de probation et seulement 4 %, à une peine d'emprisonnement avec sursis.

Les cas d'ESE qui ont donné lieu à des poursuites par voie de mise en accusation étaient beaucoup plus susceptibles de mener à l'imposition d'une peine d'incarcération (72 %) que les cas ayant donné lieu à des poursuites par voie de procédures sommaires (28 %). Lorsque l'on examine les infractions pour lesquelles une cellule du tableau 3 comprenait cinq cas ou plus, on observe que l'inceste était l'infraction la plus susceptible de mener à l'imposition d'une peine d'incarcération (87,5 %), suivie de l'invitation à des contacts sexuels (57,5 %) et de l'infraction de contacts sexuels (49,7 %). L'exhibitionnisme devant une personne âgée de moins de 14 ans était l'infraction la moins susceptible de donner lieu à l'imposition d'une peine d'incarcération (19,4 %).

Tableau 3 - Peine la plus sévère dans les causes relatives à des cas d'exploitation sexuelle d'enfants (2002/2003)

Question 3 : Quel est le taux de récidive chez les auteurs d'infractions d'ESE?

Avant de pouvoir répondre à cette question, il faut d'abord examiner trois facteurs méthodologiques importants. Dans toute étude portant sur la récidive, les résultats varieront en fonction de la définition de la récidive, de l'échantillon de délinquants et des périodes de suivi utilisées dans le cadre de la recherche. De manière générale, des définitions plus larges de la récidive, des échantillons de délinquants présentant un risque plus élevé et des périodes de suivi plus longues produisent des taux de récidive plus élevés. Par conséquent, les résultats des recherches existantes fournissent des réponses contradictoires et variées à la question formulée ci-dessus dépendant de la méthode utilisée. Cela dit, cependant, la documentation spécialisée existante au Canada fournit tout de même une certaine indication des taux de récidive chez les auteurs d'infractions liées à l'exploitation sexuelle d'enfants.

Avant d'examiner la récidive chez les auteurs d'infractions d'ESE, il est utile, à des fins de comparaison, d'examiner le taux de récidive général chez tous les délinquants. Une étude récente a rapporté un taux de récidive général chez les délinquants sous responsabilité fédérale (c.-à-d., les délinquants purgeant une peine de deux ans ou plus) d'environ 44% dans les deux années suivant leur mise en liberté (Bonta et coll., 2003).

Harris et Hanson (2004), dans leur vaste sommaire des sources de données existantes, ont trouvé que sur une période de cinq ans, le taux de récidive sexuelle des délinquants sexuels en général était de 14 %, et que sur une période de 15 ans, ce taux avait augmenté pour passer à 24 %. Harris et Hanson (2004) ont examiné en outre différents types de délinquants sexuels (p. ex., violeurs, auteurs d'actes incestueux, auteurs d'attentats contre les moeurs) après 15 ans et ont trouvé que les auteurs d'infractions d'ESE consistant en des actes incestueux (c.-à-d. infractions intrafamiliaux) avaient un taux de récidive sexuelle beaucoup plus faible (13 %), tandis que les auteurs d'infractions d'ESE qui avaient commis des attentats contre les moeurs à l'endroit de victimes de sexe féminin (infractions extrafamiliales) présentaient un taux de récidive de 16 % et les auteurs d'infractions d'ESE qui avaient commis des attentats contre les moeurs à l'endroit de victimes de sexe masculin (infractions extrafamiliales) présentaient un taux de récidive sexuelle de 35 %.

Langevin et coll. (2004) ont récemment publié une étude portant sur 320 délinquants sexuels qui avaient fait l'objet d'une évaluation psychiatrique entre 1966 et 1974, avec une période de suivi de 25 ans. Les auteurs ont rapporté que 88 % des délinquants avaient commis une nouvelle infraction à caractère sexuel au cours de la période de suivi. Ce taux est évidemment beaucoup plus élevé que celui de 24 % rapporté par Harris et Hanson (2004). Cependant, tel qu'indiqué précédemment, certaines différences de méthodes permettent d'expliquer cet écart dans une large mesure.

Premièrement, Langevin et coll. (2004) ont inclus dans leur définition de la récidive les condamnations, les accusations, les comparutions en cour et les comportements criminels déclarés par les sujets et consignés dans des dossiers d'hospitalisation , tandis que Harris et Hanson (2004) ont utilisé seulement les accusations et les déclarations de culpabilité officielles. Il n'est pas surprenant que l'utilisation d'une définition plus large de la récidive produise des taux de récidive plus élevés. Deuxièmement, Langevin et coll. (2004) ont utilisé un échantillon de patients psychiatriques, ce qui réduit le potentiel d'application générale des constatations à l'ensemble des délinquants sexuels. Cet échantillon se compose de délinquants qui ont fait l'objet d'évaluations de leur santé mentale et qui, de ce fait, représentent vraisemblablement un sous-groupe particulier de délinquants sexuels. L'échantillon de Harris et Hanson (2004) était composé principalement de délinquants mis en liberté après avoir purgé des peines dans des établissements de détention, ce qui en fait un échantillon probablement plus représentatif de la population générale des délinquants sexuels.

Hanson et coll. (1995), au terme d'une étude fondée sur une période de suivi de 15 à 30 ans et portant sur un échantillon composé uniquement d'auteurs d'infractions d'ESE, ont rapporté un taux de récidive de 42 % en tenant compte de toute nouvelle infraction à caractère sexuel et/ou infraction avec violence. Le taux de récidive de 42 % chez les auteurs d'infractions d'ESE était beaucoup plus faible que celui de 88 % rapporté dans l'étude de Langevin et coll. (2004) malgré des périodes d'observation à peu près semblables. Encore une fois, la différence peut s'expliquer par la définition de la récidive et les caractéristiques de l'échantillon, étant donné que Hanson et coll. (1995) ont retenu les nouvelles condamnations pour mesurer la récidive et ont étudié un échantillon composé uniquement d'auteurs d'infractions d'ESE libérés de prison.

Afin d'obtenir un taux de récidive qui serait plus généralisable à l'ensemble de la population des auteurs d'infractions d'ESE, nous avons analysé des données tirées de l'Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, qui couvre à peu près toutes les condamnations au criminel dans l'ensemble du Canada. Aux fins de cette analyse, nous avons étudié les cas de tous les délinquants déclarés coupables d'infractions d'ESE au cours de l'année 1998/1999 [5]. Puisqu'il s'agissait là essentiellement de l'ensemble des cas disponibles dans les huit provinces et territoires ayant produit des rapports aux fins de l'ETJCA relativement à cette année, il est permis de croire que ces résultats seront hautement généralisables aux auteurs d'infractions d'exploitation sexuelle d'enfants en général. Pour mesurer la récidive, nous avons retenu la première nouvelle condamnation au cours de la période de cinq ans suivant la date de la condamnation initiale [6]. Ainsi, nous avons appliqué à tous les délinquants de l'échantillon la même période de suivi de cinq ans, au cours de laquelle nous avons cherché à déterminer s'ils avaient été déclarés coupables d'une nouvelle infraction à la suite de leur condamnation pour une infraction d'exploitation sexuelle d'enfants [7]. En plus des taux généraux de récidive, nous avons calculé les taux de récidive relatifs à des infractions à caractère non sexuel avec violence, les taux de récidive relatifs à des infractions sexuelles et les taux de récidive relatifs à des infractions d'exploitation sexuelle d'enfants. Il importe de tenir compte du type de récidive, puisque des délinquants peuvent faire l'objet d'une nouvelle condamnation relativement à des crimes relativement mineurs, comme des infractions contre l'administration de la justice (p. ex., violation des conditions de la probation) ou un vol, qui ne présentent pas le même niveau de risques pour la société.

Les résultats présentés dans le tableau 4 indiquent que 29 % des auteurs d'infractions d'ESE ont été déclarés coupables d'une nouvelle infraction au cours de la période de suivi de cinq ans. Une proportion plus faible d'entre eux ont été déclarés coupables soit d'une nouvelle infraction avec violence soit d'une nouvelle infraction à caractère sexuel – 9 % des auteurs d'infractions d'ESE ont été déclaré coupable d'une nouvelle infraction à caractère non sexuel avec violence, 4 % d'entre eux ont été déclarés coupables d'une nouvelle infraction à caractère sexuel, et 3 % d'entre eux ont été déclarés coupables d'une nouvelle infraction d'exploitation sexuelle d'enfants. Ces taux sont nettement plus faibles que ceux rapportés dans la documentation spécialisée (p. ex., Langevin et coll., 2004; Hanson et coll., 1995).

Il y a plusieurs explications vraisemblables aux taux de récidive plus faibles figurant dans le tableau 4 à comparer aux taux rapportés par d'autres chercheurs au Canada. Premièrement, la récidive est définie comme une nouvelle condamnation, alors que les autres études ont utilisé les condamnations, les accusations et des renseignements autodéclarés consignés dans des dossiers de santé mentale. Tel qu'indiqué précédemment, étant donné que les infractions à caractère sexuel commises contre des enfants ne sont pas toutes portées à l'attention des autorités, l'utilisation des condamnations produit généralement des taux de récidive plus faibles. Deuxièmement, l'échantillon de délinquants représente à peu près l'ensemble des auteurs d'infractions d'exploitation sexuelle d'enfants en 1998/1999, ce qui inclut donc, d'une part, tout un éventail d'infractions depuis les infractions les moins graves aux infractions les plus graves sur l'échelle de gravité, et d'autre part, tout un éventail de délinquants de haut en bas de l'échelle de risques. Dans les recherches antérieures, les échantillons ont habituellement été composés à partir de populations psychiatriques ou de populations carcérales et, par conséquent, ont donc vraisemblablement regroupé des délinquants à risque plus élevé. Troisièmement, la période de suivi de cinq ans, bien que relativement longue et acceptable pour mesurer la récidive, était sensiblement plus brève que celles utilisées dans bon nombre d'études publiées (p. ex., 15 ans). Enfin, en raison de la méthode d'appariement de données utilisé pour calculer les taux de récidive, il se peut qu'un nombre restreint de délinquants n'aient pas été identifiés comme des récidivistes.

Tableau 4 - Taux de récidive des auteurs d'infractions d'exploitation sexuelle d'enfants après cinq ans (1998/99 à 2003/2004)

Un deuxième point à considérer lorsque l'on se penche sur les taux de récidive est l'incidence de la peine infligée. Des recherches récentes menées au moyen de techniques méta-analytiques, qui font la synthèse d'un grand nombre de recherches antérieures, ont démontré avec constance que les peines d'emprisonnement sont associées à de légères augmentations de la récidive à comparer aux peines non privatives de liberté (Gendreau et coll., 1999; Smith et coll., 2002). En outre, les mêmes méta-analyses démontrent que les peines d'emprisonnement plus longues sont également associées à de légères augmentations de la récidive à comparer aux peines d'emprisonnement plus brèves. Ces deux différences s'atténuent cependant lorsque les données sont pondérées en fonction de la taille de l'échantillon. Néanmoins, il n'y a certainement aucune preuve qui démontre que la prison réduit la probabilité de récidive. En fait, dans un échantillon aléatoire de jeunes délinquants jugés par des tribunaux pour adolescents à Toronto et à Halifax, Latimer et Dowden (2005) ont constaté que les adolescents qui s'étaient vu infliger des peines comportant une période de garde étaient deux fois plus susceptibles d'être déclarés coupables d'une nouvelle infraction dans les trois ans à comparer aux adolescents qui s'étaient vu infliger des peines non privatives de liberté, et ce, même après avoir procédé à des contrôles relatifs aux antécédents criminels, à l'âge, au sexe et à la gravité de l'infraction .

Les données relatives à la récidive provenant de l'ETJCA confirment elles aussi cette corrélation entre l'incarcération et un taux de récidive plus élevé. Parmi les auteurs d'infractions d'ESE qui n'avaient jamais fait l'objet d'une condamnation antérieure dans un tribunal pour adultes avant leur infraction d'ESE en 1998/1999 (c.-à-d. les délinquants primaires), 22 % de ceux qui se sont vu infliger une peine d'emprisonnement ont fait l'objet d'une nouvelle condamnation au cours de la période de suivi de cinq ans, à comparer à 16 % de ceux qui s'étaient vu infliger une peine non privative de liberté. Parmi les auteurs d'infractions d'ESE qui avaient fait l'objet d'au moins une condamnation antérieure avant leur infraction d'ESE en 1998/1999 (c.-à-d. les récidivistes), 56 % de ceux qui se sont vu infliger une peine d'emprisonnement ont fait l'objet d'une nouvelle condamnation au cours de la période de suivi de cinq ans, à comparer à 43 % de ceux qui s'étaient vu infliger une peine non privative de liberté. Ainsi, ces données portent à croire que les auteurs d'infractions d'ESE qui sont condamnés à une peine d'emprisonnement ont une plus forte tendance à la récidive à comparer aux accusés qui se voient imposer des peines non privatives de liberté, et ce, indépendamment de leurs antécédents criminels , lesquels sont un des meilleurs prédicteurs de la récidive. Il importe cependant de noter qu'aux fins de la présente analyse, nous n'avons pas procédé à des contrôles relatifs à d'autres facteurs susceptibles d'expliquer les différences dans la récidive, comme la gravité de l'infraction d'ESE et les caractéristiques de l'accusé (p. ex., besoins criminogènes, âge, sexe).

CONCLUSIONS

L'analyse des données provenant de l'ETJCA et du corpus restreint de documentation spécialisée examinée aux fins du présent article permet de tirer les conclusions suivantes :

  • Les cas d'exploitation sexuelle d'enfants sont moins susceptibles de déboucher sur une condamnation (38,5 %) à comparer au taux général de condamnation pour l'ensemble des infractions (60 %) ou au taux de condamnation pour l'ensemble des infractions avec violence (50 %). En revanche, ce taux est comparable au taux de condamnation pour l'ensemble des cas d'agression sexuelle (41 %).
  • Les deux tiers des cas d'exploitation sexuelle d'enfants (68,7 %) mènent à l'imposition soit d'une peine d'emprisonnement (47,2 %) soit d'une peine d'emprisonnement avec sursis (21,5 %) en tant que peine la plus sévère.
  • Il y a une corrélation directe entre la procédure de poursuite choisie par le ministère public et la gravité de la sanction pénale, dans la mesure où les cas qui donnent lieu à des poursuites par voie de mise en accusation sont plus susceptibles de mener à l'imposition d'une peine plus sévère.
  • La méthode employée pour calculer les taux de récidive a une influence directe sur ces taux, dans la mesure où des définitions plus larges de la récidive, des périodes de suivi plus longues et des échantillons composés de délinquants à risque plus élevé produisent des taux de récidive plus élevés.
  • Environ 29 % des auteurs d'infractions d'ESE ont été condamnés à nouveau pour une nouvelle infraction dans un tribunal pour adulte dans les cinq années suivant leur condamnation initiale pour une infraction d'exploitation sexuelle d'enfants.
  • Seulement 3 % des auteurs d'infractions d'ESE ont été déclarés coupables d'une nouvelle infraction d'exploitation sexuelle d'enfants dans les cinq années suivant leur condamnation initiale pour une infraction d'ESE.
  • Il n'y a aucune preuve qui tende à démontrer une corrélation entre les peines d'emprisonnement et des diminutions de la récidive.

Références

Bonta, J., T. Rugge et M. Dauvergne. 2003. La récidive chez les délinquants sous responsabilité fédérale . Ottawa : Solliciteur général Canada.

Gendreau, P., C. Goggin et F. Cullen. 1999. L'incidence de l'emprisonnement sur la récidive . Ottawa : Solliciteur général Canada.

Hanson, R. K., H. Scott et R. Steffy. 1995. A comparison of child molesters and non-sexual criminals: Risk predictors and long-terms recidivism. Journal of Research in Crime and Delinquency 32 : 325-337.

Harris, A., et R. K. Hanson. 2004. La récidive sexuelle : d'une simplicité trompeuse . Ottawa : Solliciteur général Canada.

Langevin, R., S. Curnoe, P. Fedoroff, R. Bennett, M. Langevin, C. Peever, R. Pettica et S. Sandhu. 2004. Lifetime sex offender recidivism: A 25-year follow-up study. Revue canadienne de criminologie et de justice pénale 46 : 531-552.

Latimer, J. 1998. Les conséquences de la violence faite aux enfants : guide de référence à l'intention des professionnels de la santé . Ottawa : Santé Canada .

Latimer, J., et C. Dowden. 2005. Sentencing in youth court: The effect of custody on recidivism. Manuscrit soumis pour publication.

Smith, P., C. Goggin et P. Gendreau. 2002. Effets de l'incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive : effets généraux et différences individuelles. Ottawa : Solliciteur général Canada.


[5] Nous avons sélectionné toutes les déclarations de culpabilité contenues dans la base de données de l'ETJCA pour l'année de référence 1998/1999 à l'exception des cas où soit un des identificateurs de l'accusé était absent, soit le sexe de l'accusé était inconnu, soit l'accusé était une personne morale, soit la date de naissance de l'accusé était absente. Ces exclusions étaient nécessaires, étant donné que ces éléments d'information étaient essentiels pour pouvoir apparier différents dossiers et calculer les taux de récidive.

[6] Il convient de noter qu'il se peut que la procédure d'appariement n'ait pas nécessairement permis d'identifier tous les cas de récidive si, par exemple, l'accusé a changé de nom ou si des erreurs se sont glissées dans les procédures de captage de données. Par ailleurs, les infractions de trahison et de meurtre au premier et au second degré relèvent de la compétence exclusive des cours supérieures, et la couverture des données relatives aux cours supérieures est relativement restreinte dans l'ETJCA. Ainsi, il se peut que les nouvelles condamnations pour meurtre au premier ou au second degré aient échappé à la présente analyse. En outre, nous n'avons pas procédé à un appariement interjuridictionnel : notre analyse de la récidive se fonde sur les déclarations de culpabilité dans la même province ou le même territoire que celui de la déclaration de culpabilité initiale en matière d'ESE.

[7] La période de suivi était la même (c.-à-d. cinq ans), mais il convient de noter que bon nombre de délinquants avaient été incarcérés par suite de l'infraction initiale, de sorte que tous les délinquants ne présentaient pas le même risque de récidive.

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