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JusteRecherche no 13 - ARTICLES

Problèmes juridiques et groupes vulnérables au Canada

Ab Currie, Ph. D., chercheur principal, Division de la recherche et de la statistique

INTRODUCTION

Le présent document s'appuie sur des données tirées d'une étude plus vaste relative aux problèmes à dimension juridique éprouvés par les Canadiens à faible revenu et à revenu modeste. L'étude avait principalement pour objet de déterminer la fréquence des problèmes à dimension juridique chez ce segment de la population et les groupes sociaux et démographiques qui sont les plus vulnérables. Le présent document rend compte de certains résultats préliminaires reliés à la survenance de problèmes au sein de ces groupes vulnérables et, en particulier, aux sentiments d'iniquité éprouvés par les répondants à l'égard des dénouements de ces problèmes.

MÉTHODE

Une enquête récente menée pour le compte du ministère de la Justice du Canada par Environics Research Group examine les problèmes éprouvés par les Canadiens à faible revenu et à revenu modeste dans des domaines relevant du droit privé. L'enquête a eu recours à un échantillon national de 4501 répondants, qui ont été interviewés par téléphone en mars 2004. La marge d'erreur relative à un échantillon de cette taille est de +/- 1,5 pourcent 19 fois sur 20. L'enquête a porté uniquement sur les Canadiens à faible revenu et à revenu modeste. Les répondants sélectionnés étaient âgés de 18 ans ou plus et avaient des revenus égaux ou inférieurs à 35 000 $ dans le cas des individus et inférieurs à 50 000 $ dans le cas des familles.

La partie du questionnaire relative à l'identification des problèmes comportait 15 catégories de problèmes : consommation, emploi, argent et dettes, aide au revenu, prestations d'invalidité, logement, immigration, discrimination, traitement par la police, menaces de poursuites en justice, problèmes familiaux reliés au divorce ou à la séparation et aux enfants, autres problèmes reliés à la famille, testaments et procurations, préjudices personnels et hospitalisation. Des données ont été recueillies relativement à 76 problèmes spécifiques répartis dans les 15 catégories de problèmes [8].

On a demandé aux répondants d'indiquer si, au cours des trois dernières années, ils avaient connu un ou plusieurs des problèmes spécifiques compris dans une liste qui leur était lue par les intervieweurs. On demandait aux répondants de mentionner uniquement les problèmes qu'ils considéraient ou avaient considéré difficiles à résoudre. On demandait ensuite aux répondants s'ils avaient cherché à obtenir de l'aide en rapport avec ces problèmes. Pour cette partie, afin de réduire le temps d'entrevue à une durée acceptable, un nombre maximal de trois problèmes signalés expressément ont été choisis au hasard pour chaque répondant.

Il importe de noter que l'on n'a pas demandé aux répondants de signaler des problèmes « juridiques ». Si l'on a fait ce choix, c'est parce que l'on ne peut pas présumer que les gens reconnaîtront dans tous les cas que leurs problèmes ont un aspect juridique et une solution juridique. Dans une affirmation qui constitue désormais l'orthodoxie de la documentation spécialisée sur les besoins juridiques, Philip Lewis faisait remarquer que le fait de dire qu'une personne a un problème juridique constitue davantage l'énoncé d'une des voies envisageables de résolution du problème qu'une affirmation relative à la nature de ce problème. [Traduction] « Un locataire aux prises avec un toit qui coule peut être considéré comme ayant un problème juridique. Cependant, il se peut qu'il choisisse de se munir d'une échelle plutôt que d'engager les services d'un avocat » (Lewis 1973, 79). L'on a donc plutôt demandé aux répondants s'ils avaient éprouvé des problèmes qui étaient difficiles à résoudre, à partir d'une liste présélectionnée de problèmes qui présentent des aspects juridiques et auxquels il est possible d'apporter des solutions juridiques. La liste présélectionnée de problèmes assurait l'existence d'un contenu juridique. À aucun moment n'a-t-on demandé aux répondants de porter des jugements sur la nature juridique de leurs problèmes ni sur aucune solution éventuelle à ces problèmes.

RÉSULTATS

Près de 48 pour cent (47,7 %) de la population à faible revenu ou à revenu modeste au Canada a éprouvé un ou plusieurs problèmes à dimension juridique au cours de la période de référence de trois ans [2]. Ce taux est plus élevé que les taux de 34 ou 37 pourcent rapportés au terme d'enquêtes menées en Angleterre et au Pays de Galles. Il est comparable aux résultats de la recherche américaine réalisée il y a une dizaine d'années, et plus faible que les résultats de la recherche menée aux Pays-Bas.

Problèmes multiples

Les problèmes ne surviennent pas uniformément dans l'ensemble de la population étudiée. Un nombre appréciable d'individus éprouvent des problèmes multiples. Le tableau ci-dessous indique le nombre de répondants qui ont rapporté différents nombres de problèmes.

Tableau 1 - Fréquence des problèmes
Nombre de problèmes
Nombre de répondants
Pourcentage
Aucun
2352
52,3
Un
954
21,2
Deux
561
12,5
Trois
295
6,6
Quatre
141
3,1
Cinq
87
1,9
Six
60
1,3
Sept ou plus
51
1,1

Environ la moitié des répondants ont déclaré n'avoir éprouvé aucun problème difficile au cours de la période visée. Parmi ceux qui ont déclaré des problèmes, un cinquième ont éprouvé un seul problème. Le pourcentage de répondants éprouvant des nombres de problèmes plus élevés diminuait avec le nombre de problèmes déclarés.

Certains sous-groupes au sein de l'échantillon démontraient une tendance assez forte à déclarer au moins certains problèmes qu'ils avaient considéré difficiles à résoudre. La présente section offre un aperçu des groupes au sein de l'échantillon qui étaient le plus susceptibles de déclarer n'avoir éprouvé aucun problème en comparaison de ceux qui étaient le plus susceptibles de déclarer avoir éprouvé un ou plusieurs problèmes. Des rapports de cotes ont été utilisés pour indiquer la probabilité que des répondants de certains groupes soient plus susceptibles d'éprouver des problèmes que d'autres.

Les répondants âgés de 29 à 45 ans étaient 2,0 fois plus susceptibles que tous les autres de déclarer des problèmes (p=0,0001).

De manière générale, plus le niveau d'études était faible, moins les répondants étaient susceptibles de déclarer des problèmes. Les personnes qui n'avaient pas terminé leurs études secondaires étaient 0,5 fois plus – ou à moitié moins – susceptibles de déclarer avoir éprouvé un ou plusieurs problèmes (p=0,0001) par rapport à tous les autres sous-groupes constitués en fonction du niveau d'études. Ces données doivent être appréciées en regard de celles relatives aux répondants ayant fait certaines étude postsecondaires, lesquels étaient 1,5 fois plus susceptibles de déclarer des problèmes (p=0,0001), et des données relatives aux répondants ayant un diplôme universitaire, lesquels étaient 1,4 (p=0,0001) fois plus susceptibles que les autres de déclarer des problèmes. La tendance à une fréquence moindre chez le groupe ayant le plus faible taux de scolarité constitue peut-être moins l'indice d'un moins grand nombre de problèmes que l'indice d'une moins grande tendance à les déclarer.

Les chefs de famille monoparentale étaient 2,3 fois plus susceptibles que tous les autres de déclarer des problèmes (p=0,0001), à comparer aux taux de probabilité de déclaration de problèmes chez les célibataires et chez les couples, qui représentaient respectivement 0,8 fois (p=0,0001) et 0,6 fois (p=0,0001) le taux probabilité chez l'ensemble des répondants.

Les personnes sans emploi étaient 2,4 fois plus susceptibles que les autres de déclarer au moins un problème (p=0,0001)

Les répondants dont la principale source de revenu était une pension d'invalidité étaient 2,8 fois plus susceptibles que tous les autres de déclarer avoir éprouvé des problèmes (p=0,0001).

Les répondants qui touchaient des prestations d'aide sociale étaient 2,1 fois plus susceptibles de déclarer un ou plusieurs problèmes (p=0,0001).

Les Autochtones et les membres de groupes minoritaires visibles étaient légèrement plus susceptibles de déclarer au moins un problème. En effet, les répondants qui disaient appartenir à une minorité visible étaient 1,6 fois plus susceptibles que les autres de déclarer au moins un problème (p=0,0001) et les Autochtones étaient 1,4 fois plus susceptibles (p=0,0001).

Une procédure de régression logistique a été utilisée pour examiner chacune des variables ayant la plus grande valeur prédictive de problèmes éprouvés. Être jeune, être chef de famille monoparentale, déclarer appartenir à un groupe minoritaire visible et toucher des prestations d'aide sociale sont les quatre meilleurs prédicteurs de la probabilité d'éprouver un ou plusieurs problèmes.

Tableau 2 - Caractéristiques prédisant un ou plusieurs problèmes
Variables constituant
les meilleurs prédicteurs
Chi carré de Wald Probabilité Rapport de cotes
Âgé de 18 à 29 ans
30,125 0,0001 2,3
Chef de famille monoparentale
17,322 0,0001 1,6
Minorité visible
15,968 0,0001 1,4
Prestataire de l'aide sociale
47,031 0,0001 1,8
R au carré = 0,18; rapport de vraisemblance = 535,9; p = 0,0001.

Les dénouements des problèmes

On a demandé aux répondants si les problèmes qu'ils avaient éprouvés au cours de la période de référence de trois ans avaient été résolus. Si le problème n'avait pas été résolu, on leur demandait si la situation avait empiré. Si le problème avait été résolu, on leur demandait si le dénouement leur paraissait équitable. Dans l'ensemble, les répondants ont affirmé que 33,9 % des fois, le problème demeurait non résolu. Relativement aux problèmes non résolus, les répondants ont affirmé que la situation avait empiré dans le cas de 46,1 % de ces problèmes. Relativement aux problèmes résolus, les répondants ont déclaré que le dénouement était inique 29,5 % des fois.

Perceptions d'équité

Le degré perçu d'équité est une question importante. Le graphique 1 montre le degré perçu d'équité des dénouements en fonction de types de problèmes spécifiques. D'après Rawls (1999), l'idée d'équité est essentielle à la conception que les gens se font de la justice. D'autres auteurs ont établi un lien entre le sentiment d'équité ou de justice et la cohésion sociale. Par exemple, Breton et coll. (2004, 33) écrivent :

[Traduction] Le sentiment d'être traité de manière équitable, ou de se voir accorder une chance équitable, influe considérablement sur le degré d'attachement aux institutions, aux communautés et à la société au sein desquelles les gens vivent leur vie. Le traitement équitable favorise la loyauté au sein de la société et rend les gens plus disposés à contribuer à son fonctionnement. Par contraste, l'iniquité est socialement destructive.

Graphique 1 : Dénouements perçus comme équitables

Seul un faible pourcentage de répondants soit ont tenté d'obtenir soit ont obtenu une aide, juridique ou autre, en rapport avec leurs problèmes. Néanmoins, il se peut que les degrés perçus d'iniquité reflètent un sentiment d'injustice. En réponse à une question relative à l'équité formulée en des termes plus généraux, un échantillon national de Canadiens a indiqué que 18 % d'entre eux estimaient que la société canadienne était inique, et 15 % d'entre eux ont déclaré éprouver des sentiments personnels d'iniquité (Breton et coll., 2004). Les pourcentages de répondants dans la présente étude qui ont déclaré estimer que les dénouements de leurs problèmes à dimension juridique étaient iniques étaient tous plus élevés que cela, et dans certains cas, considérablement plus élevés. Les chiffres rapportés dans le cadre de la présente enquête reflètent le sentiment général et largement répandu d'iniquité à l'égard du système de justice qui est rapporté dans les sondages de l'opinion publique. Un sondage mené en 1992 par Angus Reid Group (1992) a révélé que 64 % des Canadiens n'étaient pas d'accord ou pas du tout d'accord avec l'énoncé suivant : « Chacun, peu importe qui il est, est traité de la même manière par le système de justice au Canada. » Ce constat attire notre attention sur les rapports entre, d'une part, la prestation de services juridiques aux pauvres, le respect de la primauté du droit et la confiance du public dans le système de justice, et d'autre part, des questions de politique plus générales liées à l'équité, à la confiance et au maintien de la société civile.

Dénouements iniques et groupes vulnérables

Seuls trois sous-groupes étaient plus susceptibles que les autres de percevoir comme iniques les dénouements de problèmes qui avaient été résolus, soit les sans-emploi, les minorités visibles et les répondants nés à l'étranger.

  • Les minorités visibles étaient 1,4 fois plus susceptibles que tous les autres répondants de percevoir les dénouements comme iniques (p=0,004).
  • Les répondants nés à l'étranger étaient aussi 1,4 fois plus susceptibles que tous les autres répondants de percevoir les dénouements comme iniques (p=0,03).
  • Les répondants qui étaient sans emploi étaient 1,5 fois plus susceptibles de déclarer des dénouements iniques (p=0,001).

CONCLUSION ET ANALYSE

Le droit est omniprésent dans nos sociétés bureaucratiques modernes, et au Canada, comme dans d'autres pays, les problèmes qui présentent des aspects juridiques sont aussi omniprésents. Par exemple, des recherches ont démontré qu'environ 34 pourcent (Genn, 1999) à 37 pourcent (Pleasence et coll., 2004) de la population de l'Angleterre et du Pays de Galles avait éprouvé un ou plusieurs problèmes à dimension juridique qui étaient difficiles à résoudre. Une étude semblable menée en Écosse estime qu'environ 24 pourcent de la population de cette partie du Royaume-Uni a éprouvé un ou plusieurs problèmes « justiciables » (Genn et Paterson, 2001). Une étude menée aux États-Unis estime que 47 pourcent des Américains à faible revenu et 52 pourcent des Américains à revenu modeste ont éprouvé au moins un problème à dimension juridique au cours d'une période de trois ans (American Bar Association, 1994). Une étude nationale plus récente menée aux Pays-Bas a révélé que 67 pourcent de l'échantillon avait éprouvé un ou plusieurs problèmes « justiciables » (Van Velthoven et Ter Voert, 2004). Des recherches sur les besoins juridiques menées en Nouvelle-Zélande en 1999 estiment que 51 % de la population a éprouvé un ou plusieurs problèmes au cours d'une période de trois ans (Maxwell et coll., 1999). Une étude réalisée dans la province de l'Ontario en 1987 a conclu qu'environ 34 % de l'échantillon avait éprouvé des problèmes graves au cours d'une période de trois ans (Bogart et Vidman, 1990).

L'étendue des problèmes à dimension juridique au sein de la société canadienne en fait une source de préoccupations sérieuse. La fréquence des problèmes n'est pas répartie uniformément au sein de la population. Les recherches démontrent que certains sous-groupes vulnérables au sein de la population sont plus susceptibles que d'autres d'éprouver des problèmes à dimension juridique.

Les problèmes sont généralement résolus, dans la plupart des cas dans l'année ou dans les deux années suivant leur survenance. Cependant, dans une proportion importante des cas, les répondants perçoivent les dénouements comme iniques. Cette constatation a d'importantes implications sur le plan des perceptions relatives au « caractère juste » (c.-à-d. l'équité) de la société canadienne chez ses citoyens. De plus, étant donné l'importance fondamentale de la justice en tant que dimension de toutes les autres institutions sociales, les perceptions d'iniquité sont susceptibles d'affaiblir le tissu de la cohésion sociale au sein de la société canadienne.

Références

American Bar Association. 1994. Legal needs and civil justice: A survey of Americans. Washington , DC : American Bar Association.

Angus Reid Group. 1992. Canada and the world: An international perspective on Canada and Canadians . Winnipeg : Angus Reid Group.

Bogart, W. A., et N. Vidmar. 1990. Problems and experience with the Ontario civil justice system. In Access to Civil Justice , A. Hutchinson (dir.) Toronto : Carswell.

Breton, R., N. J. Hartmann, J. L. Lennards et P. Reed. 2004. A fragile social fabric? Fairness, trust and commitment in Canada . Kingston : McGill-Queens University Press.

Gabrielle, M., M. Maxwell, C. Smith, P. J. Shepherd et A. Morris. 1999. Meeting Legal Service Needs . Wellington , NZ : New Zealand Legal Services Board.

Genn, H. 1999. Paths to Justice : What people do and think about going to law . London : Hart Publishing.

Genn, H., et A. Paterson. 2001. Paths to Justice , Scotland : What people in Scotland do and think about going to law . Londres : Hart Publishing.

Lewis, P. 1973. Unmet legal needs. In Social Needs and Legal Action , P. Morris, R. White et P. Lewis (dir.). Londres : Martin Robertson.

Rawls, J. 1999. A theory of justice . 2 e éd. Oxford : Oxford University Press.

Pleasence, P., A. Buck, N. Balmer, A. O'Grady, H. Genn et M. Smith. 2004. Causes of action : Civil law and social justice . Londres : Legal Services Commission.

Van Velthoven, B. C. J., et M. Ter Voert. 2004. Paths to Justice in the Netherlands . Présenté à la 5th International LRSC Conference, Cambridge.


[8]Après avoir été interrogés au sujet des 76 types de problèmes spécifiques, on a demandé aux répondants s'il y avait d'autres types de problèmes qui avaient été omis. Un nombre restreint de répondants ont répondu par l'affirmative. Cependant, aucun des autres problèmes signalés ne différait des 76 types de problèmes évoqués auparavant. À la lumière de ce résultat, nous présumons que l'éventail des problèmes couverts constitue un profil exhaustif des problèmes de droit privé qui touchent les Canadiens.

[9] Les recherches menées au Royaume-Uni au moyen d'entrevues en personne semblent produire des résultats plus faibles que les études menées au moyen d'entrevues téléphoniques – comme les recherches menées au Canada et aux États-unis –, ou que la méthodologie basée sur Internet employée dans une étude néerlandaise. Cela porte à croire que la méthodologie pourrait influer sur les résultats, peut-être parce que les gens qui sont disposés à répondre à des sondages téléphoniques sont plus susceptibles d'avoir des problèmes et d'être disposés à en parler.


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