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ÉTUDE PORTANT SUR LES SERVICES JURIDIQUES DISPENSÉS AUX DÉTENUS DES PÉNITENCIERS PAR LES RÉGIMES ET LES CLINIQUES D'AIDE JURIDIQUE AU CANADA

Le 4 octobre 2002

Préparé pour
le ministère de la Justice du Canada

  1. 2.0 Constatations
    1. 2.1 Contexte de la recherche

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2.0 Constatations

Cette section présente les constatations auxquelles nous sommes parvenus à l'issue de l'examen des sources documentaires ainsi que des entretiens avec les personnes-ressources. Formulées à la suite d'une description des composantes du système correctionnel canadien et du système d'aide juridique au Canada qui comportent un intérêt pour cette recherche, les conclusions qui figurent dans cette section sont groupées en fonction des questions de recherche abordées dans cette étude.

2.1 Contexte de la recherche

La présente section vise à situer les détenus fédéraux dans le contexte du système correctionnel et à donner un bref aperçu des questions liées à l'aide juridique au Canada.

2.1.1 Pénitenciers fédéraux Les pénitenciers fédéraux sont régis par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). La Loi précise les droits des prisonniers, les structures administratives en place dans les pénitenciers, les procédures disciplinaires ainsi que les cas exigeant l'isolement des détenus. Aux termes de la LSCMLC, le Service correctionnel du Canada (SCC) est chargé de la gestion et de l'exploitation de tous les pénitenciers fédéraux. Le travail du SCC s'appuie sur son énoncé de mission :

Le Service correctionnel du Canada, en tant que composante du système de justice pénale et dans la reconnaissance de la primauté du droit, contribue à la protection de la société en incitant activement et en aidant les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, tout en exerçant sur eux un contrôle raisonnable, sûr, sécuritaire et humain [6].

Cet énoncé de mission s'articule autour de cinq valeurs fondamentales [7], qui visent à en encadrer la mise en œuvre. Il s'agit des valeurs fondamentales suivantes :

Valeur fondamentale 1 : Nous respectons la dignité des individus, les droits de tous les membres de la société et le potentiel de croissance personnelle et de développement des êtres humains.

Valeur fondamentale 2 : Nous reconnaissons que le délinquant a le potentiel de vivre en tant que citoyen respectueux des lois.

Valeur fondamentale 3 : Nous estimons que le personnel du Service constitue sa force et sa ressource principale dans la réalisation de ses objectifs, et nous croyons que la qualité des rapports humains est la pierre angulaire de sa Mission.

Valeur fondamentale 4 : Nous croyons que le partage des idées, des connaissances, des valeurs et des expériences, tant sur le plan national que sur le plan international, est essentiel à l'accomplissement de notre Mission. Valeur fondamentale 5 : Rendant compte au Solliciteur général, nous croyons en une gestion du Service caractérisée par une attitude ouverte et intègre.

Le fonctionnement quotidien du Service s'appuie sur son énoncé de mission et ses valeurs fondamentales. Par conséquent, la vie dans les pénitenciers fédéraux pose continuellement des défis liés à l'interaction entre les composantes de l'énoncé de mission (p. ex., protéger la société, aider les délinquants à devenir des citoyens respectueux de la loi et maintenir le contrôle). Les approches adoptées pour maintenir le contrôle peuvent ne pas aider les délinquants à devenir des citoyens respectueux de la loi. Les approches destinées à aider les délinquants peuvent aller à l'encontre du maintien du contrôle. Les approches en vue d'assurer le contrôle dans les établissements pénitentiaires et d'aider les délinquants peuvent, par ailleurs, ne pas cadrer avec l'objectif qui consiste à protéger la société, tant pendant l'incarcération du délinquant qu'après sa mise en liberté. Bien que ce défi se pose dans tous les établissements sans égard à leur niveau de sécurité, c'est dans les établissements à sécurité maximale qu'il est le plus difficile à relever. Plus le niveau de contrôle jugé nécessaire est élevé, plus il est difficile d'aider les délinquants à devenir des citoyens respectueux de la loi, puisque la priorité sera accordée à assurer le contrôle requis. Idéalement, les diverses composantes de l'énoncé de mission s'imbriquent les unes dans les autres pour participer à l'atteinte de tous les objectifs visés : assurer le contrôle, aider les délinquants à devenir des citoyens respectueux de la loi et protéger la société.

Les pénitenciers fédéraux sont des institutions fermées. Il est donc difficile au public de savoir comment l'énoncé de mission et les valeurs fondamentales du SCC ainsi que les dispositions de la LSCMLC sont mis en œuvre de façon quotidienne. Le climat et l'environnement qui règnent dans les institutions fermées peuvent se traduire par l'exercice d'un pouvoir absolu sur tous ceux qui y vivent. Comme c'est le cas pour toutes les institutions, le fonctionnement quotidien des établissements pénitentiaires est influencé par les attitudes et les perceptions de tous les intéressés, depuis les détenus et le personnel jusqu'au grand public.

Si l'attitude que les uns et les autres ont à l'égard des prisons et des prisonniers varie, celle qui a traditionnellement le plus cours consiste à considérer que les prisonniers sont exclus de la société et qu'ils n'ont aucun des droits et des responsabilités de ceux qui en sont membres [8]. Certains pensent aussi que l'incarcération vise à punir les délinquants; ils ne comprennent pas que le fait d'être privé de sa liberté est un châtiment en soi. Des règles et des règlements relatifs au maintien du contrôle et de l'ordre existent, mais ils ne sont pas toujours appliqués. En outre, lorsqu'ils le sont, ils peuvent ne pas l'être dans le respect de l'objectif qui les sous-tend.

La multiplicité et la complexité des besoins des prisonniers, notamment sur les plans juridique, social et psychologique, influe sur le fonctionnement des prisons. Le personnel et les systèmes carcéraux sont en mesure de répondre à bon nombre des besoins des prisonniers, mais ils ne peuvent pas nécessairement les satisfaire tous, situation qui risque de donner lieu à des conflits. À titre d'exemple, même les prisonniers les moins vulnérables parviennent difficilement à s'y retrouver dans les procédures et pratiques carcérales, y compris les audiences disciplinaires, les systèmes de classement, les transfèrements imposés, l'isolement préventif et d'autres types d'isolement et l'accès aux services et aux programmes de santé. Les prisonniers les plus vulnérables, à savoir ceux qui éprouvent des besoins spéciaux, auront encore plus de mal à comprendre le système carcéral et à composer avec les problèmes sociaux, psychologiques et juridiques auxquels ils sont susceptibles de faire face.

Le public prend, à l'occasion, conscience du climat qui règne dans les prisons ainsi que du sort réservé aux prisonniers. S'il ne fait aucun doute que de nombreux employés du système correctionnel savent comment intervenir auprès des prisonniers, il arrive que, dans certaines situations, cela ne soit pas le cas. Le fonctionnement du système correctionnel a donné lieu à de nombreuses enquêtes qui, de façon générale, ont toutes abouti aux mêmes conclusions : les prisonniers sont traités de façon inhumaine; le personnel correctionnel traite les prisonniers sans grand égard pour la primauté du droit; les besoins et les droits juridiques des prisonniers sont très peu pris en compte; les besoins des prisonniers ne sont pas satisfaits de façon adéquate; l'attitude générale envers les prisonniers est qu'il faut les châtier; les prisonniers ayant des besoins spéciaux ont plus de mal à s'adapter à la vie en prison et à obtenir que leurs besoins soient satisfaits [9].

La plus récente commission d'enquête dans les prisons, la Commission d'enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, a terminé ses travaux en 1996. La Commission, dirigée par madame la juge Louise Arbour, est parvenue à des conclusions semblables à celles dont nous venons de faire état. La Commission a été constituée pour examiner les événements ayant donné lieu à la fouille à nu de six détenues de la Prison des femmes de Kingston, en Ontario, par des gardes de prison de sexe masculin appartenant à l'équipe pénitentiaire d'intervention en cas d'urgence, ainsi qu'à des fouilles subséquentes des cavités corporelles de ces détenues et à leur isolement à long terme du 22 avril 1994 au 19 janvier 1995. De l'avis de la commissaire, la situation constatée à la prison de Kingston était courante dans le système correctionnel. La Commission a notamment conclu que la primauté du droit n'est pas respectée dans les prisons et que rien ne permettait de croire que le SCC était disposé ou apte à adopter des réformes sans que les tribunaux lui conseillent de le faire ou l'y obligent. Comme le constatait un sous-comité parlementaire dans les années 1970, [traduction libre] " la primauté du droit doit être respectée dans les pénitenciers canadiens et la justice pour les détenus constitue un droit de la personne et aussi une condition essentielle à leur socialisation et à leur amendement " [10]. Madame la juge Arbour a constaté, pour sa part, que les conditions de l'isolement causaient aux détenues un tort émotif et psychologique et étaient contraires à la loi, y compris au droit correctionnel [11].

Si la mise en œuvre des recommandations de la Commission Arbour s'est traduite par certains changements dans les pénitenciers, un examen des rapports annuels de l'enquêteur correctionnel révèle que de nombreux problèmes systémiques mentionnés dans le rapport Arbour continuent d'exister. Parmi les problèmes systémiques dont font état les rapports de l'enquêteur correctionnel, mentionnons ceux-ci : le retard excessif mis à répondre aux griefs; l'impossibilité pour tous les prisonniers, mais en particulier pour les prisonniers autochtones, d'avoir accès aux programmes et de jouir d'une mise en liberté sous condition en temps opportun; le temps démesuré passé en isolement avant un transfèrement; l'utilisation d'une force excessive en violation de la loi [12]; le recours à la force lors d'interventions pour raison de santé mentale; l'utilisation de dispositifs de contrainte; la réalisation d'enquêtes insuffisantes pour établir les causes des blessures des détenus; l'incapacité, pour les détenus risquant de se mutiler ou de se suicider, d'avoir accès aux services de psychologues compétents; le non-respect des politiques régissant l'examen rapide et équitable des plaintes des prisonniers portant sur la conduite du personnel; le transfèrement imposé de détenus vers les établissements de santé mentale sous prétexte d'évaluer les risques qu'ils posent pour la sécurité du public et l'assujettissement des prisonniers à un traitement psychiatrique sans leur consentement; l'absence de services d'intervention pour soulager le stress des détenus lors d'incidents critiques; le harcèlement sexuel des détenues par le personnel de sexe masculin; le placement, pendant des périodes excessives, de détenues dans des unités d'isolement situées dans des pénitenciers pour hommes; la politique qui consiste à placer dans des établissements à sécurité maximale les condamnés à perpétuité pendant les deux premières années de leur incarcération [13]; la discrimination exercée à l'endroit des délinquants autochtones en ce qui touche l'isolement, les transfèrements, les sanctions disciplinaires, les libérations provisoires, les placements à l'extérieur, les ajournements et les reports des audiences d'examen de l'admissibilité à la libération conditionnelle, les renvois en vue d'un examen de maintien en incarcération, la suspension et la révocation de la libération conditionnelle [14].

Dans le rapport qu'elle a soumis au MJC, Lisa Addario relève le fait que les outils d'évaluation du risque de sécurité que posent les détenus engendrent des problèmes pour les femmes, car ils ont été conçus pour les hommes et aboutissent souvent à l'attribution aux femmes d'une cote supérieure à la réalité. En outre, Mme Addario constate que les personnes atteintes de problèmes de santé mentale sont souvent transférées vers des établissements à sécurité de plus en plus élevée et sont traitées plus durement parce qu'on cherche ainsi à contrôler leur comportement. Entre-temps, cependant, on ne s'occupe pas de leur santé mentale. Compte tenu de leurs antécédents et de leurs besoins culturels uniques, les détenues autochtones sont souvent confrontées à des difficultés encore plus grandes que les autres détenues [15].

Il ressort des observations ci-dessus que les besoins en services juridiques qu'éprouvent les détenus à la suite de leur incarcération s'expriment dans de nombreux domaines. En outre, il est évident que les détenus ayant des besoins spéciaux ressentent encore plus que les autres l'incapacité du système carcéral à comprendre leurs besoins et à y répondre ainsi qu'à régler les problèmes que peut entraîner une interaction entre le système carcéral et d'autres systèmes. Les pratiques carcérales sont également susceptibles d'avoir une incidence encore plus grande sur eux que sur les autres détenus.


[6] Voir " Notre mission " : : http://www.csc-scc.gc.ca/text/organi/organe01_f.shtml

[7] Voir " Nos valeurs " : : http://www.csc-scc.gc.ca/text/organi/organe01-02_f.shtml

[8] Voir les ouvrages de Michael Jackson et de Mary Campbell.

[9] Voir Michael Jackson, Justice Behind the Walls: Human Rights in Canadian Prisons, Vancouver, Douglas & McIntyre, 2002.

[10] Op. cit. Fait assez intéressant, ces observations traitent directement des éléments actuels de l'énoncé de mission du SCC; la nécessité de maintenir le contrôle dans les établissements pénitentiaires (en l'absence de la primauté du droit) se traduira par la violation des droits des prisonniers. Or, il est absolument nécessaire que la primauté du droit soit respectée pour s'assurer que les besoins des prisonniers sont satisfaits relativement à leur amendement. S'ils ne le sont pas, la protection du public ne peut pas être assurée.

[11] Voir Louise Arbour, Commission d'enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, p. 58, p. 151 à 156, p. 200 à 203, 1996.

[12]L'utilisation d'une force excessive en violation de la loi est attribuable au fait, souligné par madame la juge Louise Arbour, que le personnel correctionnel est peu respectueux de la primauté du droit.

[13] Comme dans le cas du recours excessif à la force en violation de la loi, cette politique traduit une absence de respect pour la primauté du droit.

[14] Voir Enquêteur correctionnel Canada, Rapport annuel 2000-2001, Rapport annuel 1999-2000 et rapports annuels antérieurs.

[15] Voir Lisa Addario, Six Degrees From Liberation: Legal Aid and Other Legal Services Needs of Women in Criminal and Other Legal Matters, ébauche de rapport final, juillet 2002.

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