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Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d’homicides
- 4.0 Résultats
- 4.4 Les effets de la relation intime
ont-ils changé au fil du temps?
4.4 Les effets de la relation intime ont-ils changé
au fil du temps?
Jusqu’à maintenant, notre analyse a montré que l’existence d’une
relation intime semble effectivement revêtir de l’importance dans le cadre
du processus pénal, en particulier aux premières étapes
de ce dernier. De plus, il ressort que la réaction de la justice pénale
aux crimes de violence a quelque peu évolué avec le temps. Cependant,
comme nous l’avons expliqué précédemment, un grand nombre
des changements législatifs et politiques survenus au cours des 30 dernières
années touchaient particulièrement l’attitude de la justice pénale
face à la violence entre partenaires intimes. Il est donc fort probable
que l’importance accordée à la relation intime ait changé
au fil des ans. Afin d’examiner cette question, nous avons comparé le
traitement réservé aux affaires d’homicides commis par un partenaire
intime à celui accordé aux autres affaires d’homicides au cours
des trois périodes établies aux fins de notre étude, périodes
qui, comme nous en avons discuté ci-dessus, ont été marquées
par des changements majeurs sur le plan de la législation et des politiques34.
Nous présentons dans le tableau 4.9 les résultats d’une
analyse bidimensionnelle visant les trois périodes établies. Il
appert que l’importance de la relation intime dans le cadre de la justice pénale
a quelque peu changé au fil des ans. Premièrement, de 1974 à
1983, inclusivement – la période qui a précédé les
changements importants survenus dans les lois et les politiques – les personnes
accusées d’avoir tué un partenaire intime étaient beaucoup
moins susceptibles d’être inculpées de meurtre au premier degré
que celles qui étaient accusées dans une affaire d’homicide dont
la victime n’était pas un partenaire intime (26 % contre 37 %),
et elles étaient beaucoup moins souvent condamnées pour meurtre,
soit l’infraction la plus grave (21 %, comparativement à 40 %).
En revanche, les différences s’avéraient moins évidentes
durant la deuxième période (de 1984 à 1996), qui a suivi
l’adoption de politiques favorables à l’inculpation et aux poursuites.
En fait, au cours de cette dernière, le risque d’être condamné
pour meurtre était passablement plus élevé pour les personnes
accusées d’homicide contre un partenaire intime (50 %, par comparaison
avec 37 %).
Tableau 4.9 : Associations établies
par une analyse bidimensionnelle visant le type d’homicide et les résultats
du processus pénal pour trois périodes, échantillon réduit,
Toronto, 1974-2002
Année de la prise en charge de l’affaire par le système
judiciaire
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(N=337) |
(N=481) |
(N=96) |
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Accusation de meurtre au premier degré |
26 %* |
37 % |
40 % |
39 % |
50 % |
35 % |
Affaire portée devant un tribunal |
61 % |
65 % |
46 % |
54 % |
55 % |
60 % |
Verdict de culpabilité |
48 % |
54 % |
78 %* |
64 % |
82 % |
59 % |
Probabilité de condamnation |
68 % |
70 % |
90 %** |
80 % |
90 %* |
70 % |
Condamnation pour meurtre |
21 %** |
40 % |
50 %* |
37 % |
68 % |
44 % |
Peine de ressort fédéral |
70 % |
76 % |
85 % |
87 % |
94 % |
84 % |
Durée de la peine |
12 ans |
10 ans |
10 ans |
9 ans |
12 ans |
10 ans |
L’analyse bidimensionnelle a également mis en évidence d’autres
changements survenus pendant les dernières périodes visées
par l’étude. Par exemple, s’il n’y avait pas de différence dans
le taux de condamnation dans le cadre d’un procès entre les deux types
d’homicides examinés pendant la période la plus récente,
les verdicts de culpabilité rendus par un tribunal s’avéraient
plus fréquents durant la deuxième période dans les affaires
d’homicides commis par un partenaire intime (78 %, comparativement à
64 %). Au sujet de la probabilité globale de condamnation, mentionnons
que, bien que nous n’ayons relevé aucune différence dans le traitement
réservé aux deux catégories d’accusés au cours de
la première période, les personnes accusées d’avoir tué
un partenaire intime étaient dans l’ensemble beaucoup plus susceptibles
d’être déclarées coupables pendant la deuxième et
la troisième période (90 % contre 80 % entre 1984 et
1996; 90 % contre 70 % entre 1997 et 2002).
Toutefois, nous soulignons à nouveau qu’il importe d’évaluer
l’incidence d’autres facteurs lorsqu’on examine séparément les
effets indépendants de la relation intime sur les résultats du
processus pénal au fil du temps. Dans le cadre de cette analyse, étant
donné le faible nombre d’affaires traitées pendant la troisième
période, nous avons fusionné celle-ci avec la deuxième
période, de façon à ce que la dernière période
aille de 1984 à 2002. Nous comparons celle-ci avec la période
plus éloignée, qui va de 1974 à 1983. Le tableau 4.10
montre que, lorsque d’autres facteurs sont pris en compte, que l’importance
accordée à la relation intime par la justice pénale a changé
avec le temps, mais que les tendances qui se dégagent diffèrent
de celles mises au jour par l’analyse bidimensionnelle. Par exemple, en ce qui
concerne l’étape initiale de la mise en accusation, on ne notait plus
de différences entre les deux types d’affaires d’homicides au chapitre
de la gravité des accusations lorsque des variables de contrôle
étaient incluses dans l’analyse. Toutefois, pour ce qui est des affaires
ayant donné lieu à un procès, les personnes accusées
d’avoir tué un partenaire intime étaient moins susceptibles de
voir leur cause portée devant un tribunal (parce qu’elles étaient
plus enclines à plaider coupable), et ce, au cours des deux périodes.
Dans les affaires réglées dans le cadre d’un procès, celles
qui mettaient en cause des partenaires intimes se terminaient plus souvent par
une condamnation que les autres affaires pendant la période la plus récente
(voir l’encadré 6).
Encadré 6. Accusés qui ont subi
un procès et qui ont été condamnés pour une accusation
réduite
Cas no 9425
Des pêcheurs ont trouvé le corps de la victime, une femme,
dans la rivière; elle avait été battue et étranglée.
Le corps portait des lacérations aux mains, aux jambes et au vagin.
Un témoin a raconté avoir vu l’accusé engouffrer
le corps d’une femme dans le coffre de sa voiture, stationnée près
du balcon de l’appartement de la victime. L’accusé et la victime
auraient pris des polices d’assurance conjointes. Ils devaient apparemment
se lancer en affaires ensemble; elle venait de rentrer de son pays d’origine,
où elle devait se marier une semaine après que son corps
a été retrouvé. L’individu a été
accusé de meurtre au premier degré, mais il a été
trouvé coupable de meurtre au deuxième degré et condamné
à 16 ans d’incarcération.
Cas no 8311
La victime, une femme, et son frère ont été abordés,
à l’extérieur d’une brasserie, par l’accusé qui les
accusait d’avoir volé un bijou à son amie de cœur. Ils se
sont disputés au sujet du vol présumé et l’accusé
et le frère de la victime ont commencé à se pousser
mutuellement. Alors que la victime essayait de s’interposer, l’accusé
a sorti une arme à feu et tiré. La victime a reçu
un coup de feu au visage. L’accusé a fui les lieux, mais il a été
arrêté plus tard. L’accusé a affirmé que la
victime n’était pas la personne à qui il voulait s’en prendre.
L’individu a été accusé de meurtre au premier
degré, mais il a plaidé non coupable. Au procès qui
s’est ensuivi, il a été trouvé coupable d’homicide
involontaire et condamné à une peine de trois ans.
Cas no 8020
L’homme accusé dans cette affaire a poignardé la victime,
une femme, 14 fois dans la salle de lavage de son immeuble à appartements
où habitait également le frère de l’accusé.
Armé d’un couteau de boucher, l’accusé aurait planifié
de dévaliser les machines à laver payantes. C’est là
qu’il a rencontré la victime. L’accusé avait été
depuis peu mis en liberté après avoir purgé une peine
pour tentative de meurtre. Il aurait eu des problèmes de santé
mentale pour lesquels il avait reçu des traitements en clinique
externe. L’individu a été accusé de meurtre au
premier degré, mais il a été trouvé coupable
de meurtre au deuxième degré et condamné à
la peine maximale d’incarcération de 25 ans avant toute possibilité
de libération conditionnelle.
Cas no 7920
La victime, une femme, et l’accusé avaient déménagé
au Canada, en provenance de la Jamaïque où ils s’étaient
mariés. L’accusé avait précédemment séjourné
au Canada grâce à un permis de visiteur, mais il était
retourné en Jamaïque pour épouser la victime trois
mois avant le meurtre. Ils éprouvaient des difficultés à
s’adapter, et, le jour du meurtre, ils s’étaient disputés
au sujet de certains documents d’immigration qui manquaient. La dispute
s’est envenimée et l’accusé a saisi un couteau. La fille
de la victime, une adolescente, a essayé d’intervenir sans succès
et subi des lacérations. L’accusé a poignardé la
victime 23 fois et lui a ensuite tranché la gorge, mais les
blessures n’étaient pas mortelles. La police a été
appelée pour désarmer l’individu. Les deux policiers qui
ont répondu à l’appel et la fille de la victime ont été
témoins de l’incident. L’individu a été accusé
de meurtre au premier degré, mais il a plaidé non coupable.
Un procès a suivi où il a été trouvé
coupable de meurtre au deuxième degré et condamné
à perpétuité sans possibilité de libération
conditionnelle avant 10 ans.
Cas no 7850
Peu de temps après son mariage avec la victime, l’accusé
aurait découvert que sa femme ne l’aimait pas et cru qu’elle ne
l’avait épousé que pour se faire parrainer comme résidante
permanente. Ils se sont alors séparés et l’accusé
a entrepris de la déclarer aux autorités de l’immigration.
Le jour du meurtre, l’accusé s’est rendu à l’appartement
de la victime dans l’espoir d’une réconciliation, mais une querelle
a éclaté. Il affirme que la victime l’a attaqué avec
un couteau et qu’il l’a désarmée. Elle l’a ensuite frappé
avec un pot en verre, ils se sont battus et elle a été blessée.
Les éléments de preuve recueillis révèlent
que la victime a été poignardée une douzaine de fois.
L’accusé s’est plus tard rendu à la police. L’individu
a été accusé de meurtre au premier degré,
mais il a plaidé non coupable. Un procès a suivi où
il a été trouvé non coupable de meurtre, mais coupable
d’homicide involontaire et condamné à six ans d’incarcération.
Cas no 9406
La victime, une femme, venait tout juste de quitter son domicile et se
rendait au travail à pied, tôt le matin, lorsqu’elle a été
prise en chasse par l’accusé, son ex-mari. Armé d’une carabine,
l’individu a tiré en direction de la victime qui tentait de fuir.
La victime est tombée au sol. L’accusé s’est approché
de la victime couchée au sol et a tiré plusieurs autres
coups sur elle. En tout, la victime a reçu cinq coups de feu à
l’arrière de la tête, au bras et à l’épaule.
Il a ensuite remis l’arme dans sa voiture, s’est rendu à la maison
la plus près et demandé aux occupants d’appeler la police.
Il a reconnu ce qu’il avait fait dès l’arrivée de la police
et il a été arrêté. L’accusé aurait
harcelé criminellement son ex-femme depuis leur séparation.
La police avait été appelée plusieurs fois au domicile
du couple pour des querelles de ménage, mais la victime n’aurait
pas déposé d’accusations. L’individu a été
accusé de meurtre au premier degré, mais il a été
trouvé coupable de meurtre au deuxième degré et condamné
à une incarcération de 15 ans.
Cas no 9314
La victime, une femme, et l’accusé avaient rompu quelques mois
avant le meurtre, mais l’accusé devait un peu d’argent à
la victime. Ils avaient convenu de se rencontrer pour que l’accusé
s’acquitte de sa dette. La victime avait parlé de la rencontre
prévue à un ami, signalant qu’elle avait peur de l’accusé
et qu’elle n’allait qu’ouvrir la fenêtre de la voiture pour qu’il
puisse y glisser l’argent. Plus tard ce jour-là, l’accusé
a fait irruption dans un dépanneur, affirmant qu’un étranger
s’était infligé des coups de couteau et avait poignardé
la victime lorsqu’ils étaient assis dans l’auto. La police a été
appelée. L’accusé avait des blessures superficielles à
l’abdomen qu’il s’était infligées lui-même, de l’avis
des policiers. La victime avait subi trois lacérations, dont une
au cœur. Avant de mourir à l’hôpital, elle a affirmé
à une infirmière que l’accusé l’avait poignardée.
L’individu a été accusé de meurtre au premier
degré, mais trouvé coupable, au procès, de meurtre
au deuxième degré et condamné à au moins 10
ans d’incarcération.
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Tableau 4.10 : Analyse multidimensionnelle
visant les résultats du processus pénal par type d’homicide pour
trois périodes, échantillon réduit, Toronto, 1974-2002
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b |
Probabilités |
b |
Probabilités |
b |
Probabilités |
b |
Probabilités |
b |
Probabilités |
b |
Probabilités |
b |
|
|
|
|
|
|
|
|
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|
|
|
1974-1983 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Homicide commis par un partenaire intime |
-0,60 |
0,55 |
-1,25** |
0,29 |
-0,43 |
0,65 |
0,01 |
1,01 |
-2,22* |
0,11 |
1,31 |
3,71 |
-0,47 |
|
(0,46) |
|
(0,47) |
|
(0,54) |
|
(0,45) |
|
(0,88) |
|
(0,79) |
|
(0,94) |
1984-2002 |
|
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|
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|
|
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|
|
|
|
Homicide commis par un partenaire intime |
-0,61 |
0,54 |
-0,76* |
0,47 |
1,85** |
6,33 |
2,03*** |
7,60 |
0,31 |
1,36 |
-0,87 |
0,42 |
-0,60 |
|
(0,32) |
|
(0,30) |
|
(0,53) |
|
(0,46) |
|
(0,44) |
|
(0,69) |
|
(0,50) |
a Les homicides commis par une personne autre qu’un partenaire intime
forment la catégorie de référence pour les deux périodes.
Nota : Toutes les variables de contrôle sont prises en compte dans
les modèles mentionnés dans le tableau. Les erreurs-types sont
présentées entre parenthèses.
*p<0,05 **p<0,01 ***p<0,001
Lorsqu’on examine la probabilité globale de condamnation au cours de
la période la plus rapprochée, il ressort que les personnes accusées
d’avoir tué un partenaire intime étaient dans l’ensemble plus
susceptibles d’être condamnées que celles de l’autre catégorie
d’accusés. Sur le plan de la sévérité du verdict,
il s’avère que, pendant période la plus reculée, les affaires
d’homicides commis par un partenaire intime donnaient moins souvent lieu à
une condamnation pour meurtre, différence qui disparaît cependant
durant la période la plus récente. Conformément aux résultats
de l’analyse relative à l’ensemble de la période visée
par l’étude, aucune différence n’est relevée dans le traitement
accordé aux deux types d’affaires à l’étape de la détermination
de la peine, ni durant la période la plus éloignée, ni
pendant la période la plus récente.
Pour résumer, disons que notre examen de l’incidence de la relation
intime dans le cadre de la justice pénale révèle que des
changements sont survenus dans le traitement réservé aux personnes
accusées d’avoir tué un partenaire intime. Voici nos principales
constatations à ce sujet :
- Affaires portée devant un tribunal : Les affaires d’homicides
commis contre un partenaire intime étaient moins souvent soumises à
un tribunal durant les deux périodes. Autrement dit, les plaidoyers
de culpabilité sont restés plus fréquents dans ce type
d’affaire.
- Verdict de culpabilité : Parmi les affaires d’homicides
soumises à un tribunal, celles qui mettaient en cause des partenaires
intimes ont plus souvent donné lieu à une déclaration
de culpabilité durant la période la plus récente, ce
qui n’était pas le cas pendant la période la plus reculée.
- Probabilité globale de condamnation : Étant donné
que les personnes accusées d’avoir provoqué la mort d’un partenaire
intime étaient plus susceptibles de plaider coupable et d’être
déclarées coupables dans le cadre d’un procès, la probabilité
globale de condamnation en ce qui les concerne était également
plus forte que pour l’autre catégorie d’accusés au cours de
la période la plus récente.
- Condamnation pour meurtre : Les personnes accusées d’avoir
tué un partenaire intime étaient moins souvent condamnées
pour meurtre pendant la période la plus reculée, contrairement
à ce que nous avons observé pour la période la plus récente.
34 Nous avons exclu de l'analyse
l'une des variables dépendantes - le type d'acquittement -parce que le
nombre de cas pertinents était trop faible pour être analysé.
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