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LA LOI ANTITERRORISTE ET SES EFFETS : POINT DE VUE D'UNIVERSITAIRES CANADIENS

Thomas Gabor
Département de criminologie
Université d'Ottawa

Projet de rapport final
31 mars 2004

ANNEXE A
6. Martin Rudner, Paterson School of International Affairs, Université Carleton


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6. MARTIN RUDNER

Paterson School of International Affairs, Université Carleton

6.1 Quels ont été les effets de la Loi antiterroriste au Canada?

Entrée en vigueur en décembre 2001, la Loi antiterroriste apportait une triple réponse aux menaces terroristes qui planent sur le Canada : elle édictait une définition légale du terrorisme et érigeait en infractions criminelles des activités spécifiques reliées au terrorisme; elle prévoyait la désignation publique et la mise hors la loi des groupes terroristes et enfin, elle instituait des mesures visant à mieux équiper les organismes chargés de la collecte du renseignement et de l'application de la loi pour identifier, poursuivre, condamner et punir les exécutants terroristes et leurs complices au Canada. Ces dernières mesures prévoyaient aussi l'octroi du pouvoir extraordinaire de recourir à la détention préventive et à l'obtention de témoignages forcés dans le cadre des audiences d'investigation sur le terrorisme. La Loi autorisait aussi la surveillance électronique des communications de Canadiens soupçonnés d'association avec des groupes terroristes et, implicitement, la surveillance des opérations financières afin de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent (ce qui devait être énoncé de façon explicite dans la Loi sur la sécurité publique).

L'évaluation de l'impact de la Loi antiterroriste doit tenir compte de deux aspects distincts, mais interreliés, de cette loi : les dispositions de droit pénal et les dispositions d'habilitation des services de renseignement. (Un troisième aspect de la Loi, à savoir les dispositions relatives à la divulgation des renseignements officiels et secrets, ne semble guère contribuer de façon utile à l'effort antiterroriste proprement dit.) Cette loi comprenait aussi des dispositions sur la non-divulgation des éléments de preuve à caractère délicat dans les poursuites judiciaires. Elle venait ainsi modifier les règles actuelles de la preuve de manière à respecter les normes établies par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stinchcombe.

L'évaluation de l'impact de ces dispositions de droit pénal et d'habilitation des services de renseignement comporte deux niveaux d'analyse : d'une part, les effets spécifiques de la Loi antiterroriste sur la détection et l'arrestation des terroristes, les poursuites judiciaires à leur égard et leur condamnation et, d'autre part, ses répercussions encore plus vastes sur la sécurité publique et la sécurité nationale. Jusqu'à présent, aucune poursuite n'a encore été intentée en vertu de la Loi, et on n'a rapporté aucun cas de détention préventive ou de témoignage forcé. Cependant, cela n'implique pas que ces dispositions de droit pénal n'ont pas contribué à l'utilité et à l'efficacité de l'arsenal législatif déployé dans le but de combattre le terrorisme dans ce pays. Si l'on s'appuie sur l'expérience d'autres pays, l'existence de lois sévères constitue pour les enquêteurs et les poursuivants un outil de négociation important qui leur permet de persuader les personnes soupçonnées de terrorisme de leur divulguer des renseignements en échange d'un traitement plus clément. Ce nouvel éventail de mesures applicables en vertu de la Loi antiterroriste met à la disposition des autorités des moyens licites de pénétrer les cellules à la fois clandestines et très fermées qui caractérisent actuellement les réseaux terroristes islamistes.

Il est pertinent de noter à cet effet que, pour mesurer l'efficacité de la législation antiterroriste, il ne faut pas prendre en compte uniquement la fréquence des poursuites et des condamnations. La Loi antiterroriste du Canada a également pour objet de renforcer la collecte licite de renseignements ayant trait aux menaces terroristes. L'approche adoptée par les services de renseignement pour lutter contre le terrorisme diffère de celle des organismes d'exécution de la loi. Les services de renseignements ne cherchent pas à aboutir de façon directe à des arrestations, des poursuites et des condamnations. En fait, leur fonction première consiste à cerner les menaces, à avertir les autorités de leur existence puis à recueillir de l'information sur les individus et les groupes qui menacent notre sécurité nationale et publique. Par conséquent, les services de renseignement sont naturellement prédisposés à faire le suivi constant des menaces suspectées plutôt qu'à procéder immédiatement à l'arrestation et à la poursuite des suspects, ce qui est du domaine des organismes d'application de la loi. De ce fait, l'impact produit par la Loi, lorsqu'elle permet de renforcer la capacité d'action des services de renseignement en vue de contrer ces menaces, doit être évalué selon les termes du mandat qui leur a été confié, c'est-à-dire dans le cadre de la collecte licite de renseignements de grande valeur sur les menaces pesant sur la sécurité publique et la sécurité nationale, plutôt qu'en fonction du nombre de poursuites engagées.

La Loi antiterroriste a nettement contribué à améliorer les capacités des services de renseignement sur le plan des opérations. En particulier, ses dispositions habilitantes concernant, d'une part, la collecte de renseignements sur les communications de personnes soupçonnées de terrorisme et de groupes terroristes et, d'autre part, la surveillance des opérations financières, ont renforcé la capacité des services de renseignement à cerner les intentions et les plans opérationnels des cellules et réseaux terroristes. L'interception des communications entre terroristes et la localisation des sources de financement du terrorisme auraient apparemment généré des renseignements d'une grande importance qui ont permis de perturber les plans et activités des terroristes au pays et à l'étranger.

Il semble aussi que la Loi antiterroriste ait produit, dans ce pays, un effet puissamment dissuasif sur des individus et des groupes qui, autrement, se seraient identifiés à des organisations terroristes désormais frappées d'interdiction. La Loi a rendu illégaux l'incitation, le recrutement, la collecte de fonds et le blanchiment d'argent à des fins terroristes et la participation à des activités terroristes. Même si des actions clandestines continuent sans aucun doute d'être menées au Canada, comme ailleurs, le fait d'avoir rendu illégales les activités liées au terrorisme a probablement diminué la propension des membres des communautés concernées à soutenir et à encourager les organisations impliquées dans ces activités et les a dissuadé d'adopter des comportements répréhensibles. Par conséquent, on peut en déduire que la résonance de la cause terroriste a peut-être diminué au sein des communautés concernées au Canada. De la même manière, les éléments qui, au sein de ces communautés, sont d'avis que le terrorisme constitue une menace pour le courant majoritairement modéré de l'Islam, peuvent se sentir soutenus et encouragés dans leur propre résistance à la pression subversive exercée par les extrémistes sur les institutions communautaires.

La dichotomie entre les fonctions des services de renseignement et celles des organismes d'application de la loi peut parfois gêner le déploiement coordonné et cohérent de l'effort antiterroriste envisagé dans la Loi. Comme nous l'avons noté, les services de renseignement font traditionnellement, voire obsessivement, preuve de circonspection et de réserve lorsqu'il s'agit de protéger leurs sources et leurs méthodes. Ils sont généralement réticents à poursuivre des suspects de crainte de compromettre leurs sources et leurs méthodes en audience publique. Depuis toujours en fait, ils préfèrent éviter aux suspects un procès et une condamnation plutôt que de révéler des éléments de preuve hautement confidentiels. Sachant cela, les personnes soupçonnées de terrorisme peuvent se montrer réticentes à divulguer des informations. Quant aux organismes d'application de la loi, ils cherchent à traduire les transgresseurs en justice et doivent toujours respecter les règles de preuve et de procédure judiciaire. Entre ces deux missions bien distinctes, il peut y avoir des frictions qui engendrent, entre les fonctions des services de renseignement et les organismes d'application de la loi, des tensions susceptibles de nuire à la coopération et de créer des failles dans le système de sécurité nationale. Le prix de l'échec peut être élevé : un échec des services de renseignements risque de permettre la concrétisation d'une menace grave; tout ce qui nuit à la collecte d'éléments de preuve admissibles peut compromettre les poursuites intentées contre les terroristes en vertu de la Loi, tandis que toute déficience dans l'application de la loi pourrait aboutir à l'incapacité de l'appareil de sécurité à empêcher l'exécution d'actes terroristes aux conséquences dévastatrices.

6.2 Quelles tendances sont, selon vous, à prévoir en matière de terrorisme et quel genre de menaces représentent-elles pour le Canada? Dans votre analyse de ces tendances et menaces, veuillez définir ce qui, à votre avis, constitue du terrorisme.

Le terrorisme est l'accomplissement par des organisations étatiques et non étatiques d'actes de violence militants dirigés contre des personnes et des institutions; c'est aussi l'expression d'une violence visant à causer la mort, à effrayer et démoraliser les masses. La violence terroriste est le fait de cadres civils militants qu'il faut distinguer des forces militaires organisées et qui ne sont pas assujettis aux règles conventionnelles du droit de la guerre. Contrairement à la violence criminelle, le terrorisme a pour but de faire progresser les visées d'un programme politique ou idéologique.

Le terrorisme mondial et le terrorisme intérieur n'ont pas la même portée. Le terrorisme mondial, tel qu'exercé par Al-Qaida et son réseau, a une portée internationale. Il cible les institutions et les citoyens de nombreux pays afin de réaliser ses objectifs idéologiques ou religieux à caractère transcendantal. Par contraste, le terrorisme intérieur vise les institutions et les citoyens d'un pays particulier. Il cherche à provoquer, par la force, un changement de politique ou de régime ou encore, un changement de l'État lui-même. La présence au Canada d'éléments appartenant à des organisations terroristes comme les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), le Hamas ou le Groupe islamique armé (GIA), sont le prolongement, à l'étranger, du terrorisme intérieur qui sévit au Sri Lanka, en Israël et en Palestine et enfin, en Algérie, respectivement. L'analyse qui suit portera principalement sur le terrorisme mondial contemporain, tel que l'exercent les réseaux militants de l'Islam sunnite qui s'identifient à Al-Qaida, dont les cellules sont largement dispersées d'un bout à l'autre du Canada et dans le reste du monde. En fait, le réseau d'Al-Qaida a publiquement déclaré la guerre aux Croisés (c.-à-d., les sociétés chrétiennes d'Occident) et aux Juifs et il a précisé avoir mis le Canada sur la liste des pays ciblés.

La lettre publique adressée par Al-Qaida aux États-Unis en novembre 2002 définissait explicitement l'objectif ultime de sa campagne de terreur comme étant l'islamisation forcée des États-Unis d'Amérique qui amèneraient ensuite tous les autres pays, tant occidentaux que musulmans, sous la domination sacralisée d'un Islam à la fois militant, triomphant et mondialisé. Les cibles déclarées des combattants du djihad englobent de façon spécifique la démocratie politique, les valeurs séculaires, les principes socio-libéraux, l'État d'Israël et d'autres entités perçues comme des ennemis de l'Islam dans les Balkans, en Tchétchénie, au Cachemire, en Asie du Sud-Est et ailleurs. Sur le plan opérationnel, Al-Qaida dispose d'atouts importants tels qu'un réseau largement dispersé de groupes affiliés peu structurés et de cellules très fermées qui ont infiltré les communautés musulmanes locales dans de nombreux pays d'Europe, d'Asie, d'Afrique, d'Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande) et d'Amérique. Ces groupes et cellules affiliés ont la capacité de recruter et de déployer des milliers d'exécutants engagés et bien entraînés et ce, presque partout dans le monde, y compris au Canada.

Les groupes terroristes islamiques ont réussi à attirer dans les cercles djihadistes militants des spécialistes très instruits, notamment des médecins, des ingénieurs, des professeurs et divers autres professionnels des classes moyennes. Tous ces professionnels ont apporté aux réseaux et cellules terroristes un savoir et un leadership. Quoique certains de ces individus aient étudié dans des universités occidentales prestigieuses, ils semblent avoir préféré mettre leur expertise à la disposition des organisations terroristes afin d'amplifier le caractère destructeur d'attaques planifiées. Récemment, certains faits ont démontré qu'Al-Qaida cherchait à recruter des personnes d'origine européenne et nord-américaine, sans ascendance arabe ou musulmane, qui éprouvent du mécontentement, y compris des femmes, des Noirs, des gens mariés et des propriétaires, et ce, dans le but d'éviter toute détection que pourrait entraîner la conformité à un profil stéréotypique. Al-Qaida a fait montre d'une ingéniosité considérable en formant des exécutants de type nouveau, tels que des Canadiens, qui peuvent plus facilement entrer et séjourner aux États-Unis ou dans d'autres pays ciblés.

Les organisations terroristes internationales comme Al-Qaida et ses groupes affiliés maintiennent une présence au Canada. Cette présence canadienne leur procure des outils locaux pour inciter d'autres personnes à embrasser leur cause et pour faire de la propagande, et elle leur permet en outre d'établir des cellules résidentes chargées de recruter des agents et des combattants, de réunir et de transférer des fonds, de fabriquer de fausses identités et de falsifier des documents, de se procurer des armes et du matériel, d'établir des installations secrètes et des cellules dormantes pour les opérations futures et de soutenir les activités d'infiltration aux États-Unis et à l'étranger. Al-Qaida a recruté des jeunes Canadiens de la communauté musulmane de notre pays pour qu'ils combattent auprès des Talibans en Afghanistan et participent aux opérations terroristes en Asie du Sud et du Sud-Est, dans les pays arabes, en Israël, aux États-Unis et ailleurs. Les cellules terroristes locales se sont livrées à des activités criminelles, à la fraude et au trafic de personnes afin de soutenir leurs réseaux parents. Par ailleurs, le Canada lui-même n'a pas été épargné par le ciblage terroriste : les cellules terroristes affiliées à Al-Qaida ont fomenté des attaques au Canada et contre des personnes, groupes et institutions de ce pays. Leur but déclaré était d'intimider, de se venger ou d'attirer l'attention du public sur leur cause.

La coalition antiterroriste dirigée par les États-Unis a capturé ou éliminé la plupart des chefs de haut niveau du réseau Al-Qaida. Elle a arrêté quelque 3 000 exécutants dans une bonne centaine de pays, gelé des avoirs d'environ 120 millions $ US dans ses comptes financiers et fermé 50 camps d'entraînement en Afghanistan. Néanmoins, Al-Qaida reste intacte et opérationnelle un peu partout dans le monde. Et en fait, ce réseau de terroristes militants est connu pour sa capacité à adapter et réorganiser sa campagne de terreur mondiale ou djihad de manière à tirer parti de ses succès et à rebondir à la suite d'une défaite. Tandis que les pays confrontés aux menaces terroristes adoptaient des mesures préventives et anticipatoires afin de parer à toute attaque, Al-Qaida commençait à orienter ses attaques vers des endroits vulnérables comme l'Indonésie, le Kenya, le Maroc, le Pakistan, les Philippines, l'Arabie Saoudite, la Thaïlande et la Turquie. Et au fur et à mesure que des gouvernements jusqu'ici cantonnés dans la passivité deviendront encore plus vigilants, Al-Qaida réorientera vraisemblablement ses attaques vers d'autres cibles encore plus vulnérables. Par la même occasion, la tactique d'Al-Qaida semble être de viser davantage les cibles économiques. En effet, en plus de causer des pertes humaines effroyables, les attaques terroristes d'Al-Qaida ont fait payer un tribut financier terriblement lourd aux pays ciblés, en termes de destructions matérielles, de pertes en capital, de perturbations économiques et commerciales et de coûts de protection toujours très élevés. Les infrastructures, l'aviation civile et le commerce ont été particulièrement visés et les dommages économiques ainsi occasionnés ont été extrêmement coûteux et durables.

Ces deux tendances du terrorisme mondial, à savoir le ciblage des pays plus vulnérables et des intérêts économiques, suggèrent que le Canada risque de devenir de plus en plus vulnérable et exposé au risque. Le Canada apparaît de plus en plus comme une cible attaquable dans le champ de mire d'Al-Qaida en raison de son esprit d'ouverture et de sa relative assurance empreinte de passivité, de sa proximité des États-Unis et de son degré élevé d'intégration au marché nord-américain, surtout dans le domaine de l'énergie à haute valeur ajoutée et des infrastructures de transport.

Certains faits indiquent qu'Al-Qaida tente de déployer des armes de destruction massive (ADM) de type radiologique, chimique et biologique. Il s'agit là de l'un des aspects les plus alarmants de sa campagne de terreur menée à l'échelle planétaire. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Italie, les autorités ont arrêté des terroristes affiliés au réseau Al-Qaida, car ils étaient soupçonnés de conspirer au lancement d'attaques biologiques, chimiques ou radiologiques. Il y a lieu de craindre que le Canada soit vulnérable, tant comme point d'accès des terroristes à des technologies radiologiques, chimiques ou biologiques, que comme cible potentielle d'une attaque menée au moyen d'ADM. Une organisation caritative canadienne désormais fermée, le " Benevolence International Fund ", a servi de façade à Al-Qaida. On la soupçonnait d'être liée aux tentatives des terroristes de se procurer du matériel chimique et militaire. Il y a un risque de voir des terroristes, en quête de moyens de fabriquer des ADM, envoyer des étudiants ou des chercheurs dans des pays comme le Canada, pour qu'ils s'inscrivent dans des universités ou entrent dans des instituts de recherche et obtiennent l'accès à un savoir expert en matière d'armes et à des technologies à double usage ayant des applications chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires. Cela pourrait coûter très cher au Canada.

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